cours terminales

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COURS TERMINALES
La religion / Les croyances
PLAN DU COURS
I – Qu’est-ce que la religion ?
1) L’objet de la foi
2) L’idée de Dieu et la raison
3) Foi et existence
II – Qu’est-ce qu’une croyance ?
1) Croyance et disposition à agir
2) Croyance et intentionnalité
3) Grammaire de l’assentiment
PROBLEMATIQUE GÉNÉRALE DU COURS
Comment une réalité qui ne nous est pas accessible peut-elle avoir tant d’importance sur
notre existence ? Faut-il penser deux plans de réalité et comment s’articulent-ils ?
AUTEURS ABORDÉS
Descartes, Spinoza, Kant.
REPÈRES et VOCABULAIRE
Transcendant/Immanent
Relatif/absolu
(Sacré/profane)
TEXTES ELEVES
DEFINITION
Du latin relegere = recueillir, rassembler, et religare = lier, relier.
1) Ensemble de croyances et de pratiques institutionnalisées relatives à un domaine
sacré distingué du profane, liant en une même communauté morale tous ceux qui
adhérent ; exprime les modalités du rapport des hommes à Dieu.
2) Ensemble de croyances à travers lesquelles se vit et s’énonce la foi individuelle en
Dieu. Domaine du mystère, ce dont on ne peut pas rendre raison et à quoi on
attribue pourtant une réalité effective enveloppant la destinée des êtres ; à distinguer
de la superstition.
3) Sentiment de crainte et se soumission à l’égard d’une puissance surnaturelle décrite
par des récits traditionnels ; actes rituels exprimant cette dépendance acceptée et
traduite en obligations.
4) Chez Kant, la connaissance de nos devoirs comme commandements divins, religion
compris comme moralité. Hors religion instituée, le sens même du mot
transcendance.
5) Par extension : tout système de croyances en une perfection suprême ou en un but
éminent auquel tous les êtres doivent concourir. Ce terme peut s’étendre hors du
champ traditionnel de la religion et désigner le progrès, l’art, la politique comme
visées de nos existences.
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / Le sujet
PHILOSOPHIE / LA RELIGION
Vocabulaire et distinctions préliminaires
Quand on parle de « religion » il faut en distinguer les composantes :
 Il y a une dimension sociale : un groupe humain qui suit des règles, des rites, une
morale, cette dimension a un lien avec la politique
 Il y a aussi une dimension dogmatique : l’ensemble de thèses à admettre sans
condition, le DOGME, ex. la Trinité, Le fait que le Coran a été dicté par Dieu, etc.
 Enfin, il y a la dimension métaphysique, la foi, qui se situe par rapport à un
rapport à l’existence, à la finitude humaine.
Ces trois composantes engagent des problématiques différentes :
- Question de la cohésion sociale, faire société
- Question théologique : la théologie ou science de Dieu comme rationalisation
- Question du rapport à la condition humaine de cette existence ou position du divin
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
I – Qu’est-ce que la religion ?
Ce qui fait problème : La religion est le lieu d’une affirmation paradoxale
- Toute réalité accessible par l’homme (par ses sens, sa raison) n’est qu’apparence
- Il est une réalité plus substantielle qui est hors de sa portée.
Il y a une différence majeure entre l’ici-bas et l’au-delà. A la bassesse de la dimension
humaine, la religion oppose la valorisation d’espaces métaphysiques.
Cf. La Bible, L’Ecclésiaste, « tout est vanité »
Sujet possible : « Accroitre sa science, est-ce accroitre sa douleur ? ».
Il y au une réalité hors de la mesure de l’homme et dont il doit se soucier.
Jean 20 : raconte la rencontre de Jésus et de Thomas, qui dit « je ne crois que ce que je
vois », autrement dit je ne crois pas. Et jésus de dire « heureux ceux qui ont cru et qui n’ont
pas vu ».
= Valorisation de la croyance au détriment de la preuve. La croyance oblige a aller
au-delà et elle frappe notre réalité d’inconsistance.
On parle ici de la matrice de la croyance, car on peut en avoir de terrestres :
- Les paysannes qui amenaient leur enfant malade à Staline
- Les fans qui faisaient de même avec les Beatles
QUESTION : quelles raisons peut-il y avoir à affirmer quelque chose d’aussi bouleversant ?
Quelle place la religion laisse-t-elle aux autres pensées du réel que sont
- La science
- L’esthétique
- La philosophie
1) L’objet de la foi
A - PARTONS DE LA PHENOMENOLOGIQUE DE
CROYANT, QUE VOIT-ON ? On voit quelqu’un
LA RELIGION
:
QUAND ON VOIT UN
dans une attitude de soumission et
d’insuffisance, prosterné, agenouillé.
SACRE = Ce qui a trait au divin, au culte et ne peut être mêlé au profane. Son importance
est primordiale. Aucune religion n’a pas de dimension sacré.
Par extension : ce qui a valeur absolue pour un groupe d’hommes, ce qui est digne d’un
respect absolu. On peut appeler sacré ce qui a plus de valeur que la vie et pour lequel on
accepterait le sacrifice.
PROFANE = Ce qui est extérieur au sacré, ce qui n’implique pas les interdits et les
précautions rituelles qu’impose la proximité du sacré.
Le profane par extension est le non-initié d’une discipline quelconque.
La religion affirme qu’une réalité nous dépasse et que nous en dépendons. Mais la croyance
religieuse est une espèce de la croyance en général : on peut croire en de pures fictions, en
Alpha du Centaure par exemple. Pourquoi n’est-ce pas équivalent à croire en Dieu ? la
croyance en Dieu génère une forme de dépendance.
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
DISTINCTION SUPERSTITION / religion
* Superstition : on peut manipuler le divin en bien et en mal, faire trouver ex. aux élèves
* Religion : on ne peut pas faire de mal à Dieu.
PB : la religion est-elle une évolution de la religion ? la superstition est-elle la religion en
langue populaire ?
B – CE QUE SUPPOSE L’IDEE DU TRANSCENDANT
Dogme de l’insuffisance de l’homme : on est en défaut, régime de la dette. Mais cela
entraine des obligations pour compenser ce défaut ou cette dette :
- Alimentaires
- Sexuelles
- Corporelles
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
- Rapports à autrui (charité)
- Obligation vis-à-vis de soi-même
Cette insuffisance nous marque, il y a un prix à payer. Pourquoi se paie-il d’abord dans le
corps, la terre et le matériel ? Par qu’il se paie d’abord sur ce qui est périssable. La vraie
substance, le sacré n’est pas périssable, mais immobile, il y a un ordre des réalités.
C’est cela la métaphysique, distinguer des ordres du réel et les valoriser.
C – IL Y A AUSSI UNE VISION DU MONDE PROPRE A LA FOI
On distinguera le monde comme mystère du monde comme problème.
Dans la pensée rationnelle, le monde est un problème, qui peut se résoudre, le monde est ce
qui peut être connu à force d’efforts et de connaissances. Dans la foi, le monde est mystère,
c’est de droit que nous ne pouvons tout en connaitre, des vérités sont hors de portée de
notre intelligence.
Kant sur Dieu : pas qu’il n’existe pas, mais qu’il n’est pas un objet de connaissance pour
notre raison.
2) L’idée de Dieu et la raison
Sont-ils incompatibles ?
Il y a des différences fortes entre ces approches. Mais on va aller ici vers l’intelligibilité de la
religion, montrer qu’elle n’est pas l’autre de la raison.
Le monothéisme est un opérateur de rationalité (Debray). Il a fait de Dieu une cause,
abstraite et logique de l’existence du monde, a sorti le religieux de son ancrage local comme
c’est le cas dans les religions primitives ou l’animisme.
Il faut donc dépasser le conflit Eglise Science.
La croyance ne s’oppose pas totalement à la raison.
Objectif, faire comprendre la différence entre l’image de Dieu et l’idée de Dieu.
A – CRITIQUE
PROPOS DE DIEU
DE L’ANTHROPOMORPHISME ET DE L’ANTHROPOCENTRISME A
Spinoza qui reprend Anaximène qui affirmait que si les chevaux avaient des Dieux, ils
auraient forme de chevaux.
Cf. Appendice du livre I de l’Ethique.
L’image de Dieu est magnifiée : père, vengeur, coléreux, il punit, il s’énerve.
L’image n’est qu’une projection de nous-mêmes et n’épuise en rien l’idée, le sens du divin.
B – COHERENCE
IRRATIONNELS ?
DES TEXTES SUR
DIEU,
PEUT-ON DIRE QU’ILS SONT
La raison de ces textes est grande, montre Spinoza quand il analyse la Bible en détails dans
le Traité Théologico-politique au chapitre IV. Ces textes ont pour enjeu
- Le salut de l’âme
- La cohésion du peuple
et ils y parviennent bien. Le texte établit de l’ordre et de la pensée pour les ignorants. Mais
le texte n’a pas le sens d’une vérité objective, il parle sous la forme d’un récit, d’une
parabole, d’images et de métaphores. Quand on en a terminé la lecture, on n’a rien appris
sur l’univers, mais on a saisi comment politiquement faire tenir un monde ensemble.
= le sens est l’objet du texte religieux.
Quel intérêt pour la raison à poser Dieu ? Descartes, Dieu permet de garantir toute vérité
possible, garantir la raison. Il est aussi cause de l’univers. 2eme et 3eme Méditation
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
Métaphysique : Dieu donne l’objectivité de la connaissance, ce n’est pas rien. L’idée de
Dieu ne désigne pas quelqu’un mais une cause. Cause de soi et cause du monde.
DEBAT : divise la Classe en deux parties
- Noter les arguments à l’appui de l’existence de Dieu
- Noter les arguments à l’appui de la non existence de Dieu
Différence argument/preuve
Kant : Dieu comme besoin de la raison, mais les arguments ne sont pas des preuves.
Il n’y a pas contradiction radicale entre la raison et la croyance en Dieu, mais une
impossibilité pour la raison de prouver l’existence de Dieu.
Ce n’est pas la fonction de la religion de connaître le monde, la religion ne propose pas de
textes descriptifs, mais elle répond à une inquiétude de la vie.
3) Foi et existence
Que signifie ma vie ? voilà la question que permet de traiter la religion.
SUJET POSSIBLE : En quel sens peut-on parler de la force d’une croyance ?
A – LA CROYANCE REPOND A UN BESOIN DE FONDEMENT DE NOTRE VIE. ELLE
A UN SENS GLOBAL.
Le sens moral : si Dieu n’existe par tout serait permis, problématique développée par
Dostoïevski.
Elle donne ainsi une assise pour justifier nos comportements, choisir un comportement plutôt
qu’un autre, et supporter le mal dans le monde.
Voir Victor Hugo.
Les athées ont aussi ce sens global au cœur.
Pascal, Manuel, page 268 : le cœur a ses raison, foi et raison. Deux ordres séparés.
Pari de Pascal à expliquer.
B – L’IDEE DE DIEU INTRODUIT UN SENS AU-DELA DES SIGNIFICATIONS.
Croise veut dire supposer ce sens accessible.
Mais là nous sommes face à un problème indécidable :
- soit on pense que le sens est donné dans le monde, qu’il est à lire t qu’il faut se purifier
pour en être digne. Pascal Pensées « Je ne puis qu’approuver ceux qui cherchent dieu en
gémissant ».
Bergman, Le 7eme Sceau.
- soit on pense que le sens est toujours produit par les hommes, l’athéisme a des degrés.
*chez Marx il est radical : le sens à réaliser sur terrer, abolition des classes et
recherche d’un homme réconcilié. Le stalinisme = Comte qui lirait Marx ».
* plus pessimiste chez Freud : le sens n’est que l’effet de notre infantilisme
indépassable, si ce n’est par l’art.
* plus radical, Nietzsche a l’idée d’un sens total à dynamiter.
CONCLUSION générale
On ne peut trancher, mais on a mieux compris le fait religieux. On a donné des raisons au
phénomène religieux et c’est la mission de la laïcité.
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
II – QU’EST-CE QU’UNE CROYANCE ?
Au sens le plus large, une croyance est un certain état mental qui porte à donner son
assentiment à une certaine représentation, ou à porter un jugement dont la vérité objective
n'est pas garantie et qui n'est pas accompagnée d'un sentiment subjectif de certitude. En ce
sens, la croyance est synonyme d'opinion, qui n'implique pas la vérité de ce qui est cru, et
s'oppose au savoir, qui implique la vérité de ce qui est su. La croyance n'est pas absolument
vraie - comme la savoir ou la connaissance - mais plus ou moins vraie, et peut ainsi désigner
un assentiment à des représentations intermédiaires entre le vrai et le faux, qui ne sont que
probables.
Parce que la vérité de ce qui est cru est seulement possible, et que l'adhésion de
l'esprit au contenu d'une croyance peut être plus ou moins forte, le sens de la notion varie
selon le degré de garantie objective accordé à une représentation et selon le degré de
confiance subjective que le sujet éprouve quant à la vérité de cette représentation :
 quand la garantie objective d'une opinion est très faible ou nulle, bien que
celui qui l'affirme puisse éprouver une conviction très forte du contraire,
« croyance » est simplement synonyme d'opinion fausse ou douteuse, de préjugé,
illusion ou superstition ;
 quand les croyances sont susceptibles d'être vraies ou d'avoir un certain
fondement objectif, ou sont en attentes de vérification, on parle de soupçon, de
présomptions, de suppositions de prévisions, d'estimation, d'hypothèses ou de
conjectures ;
 quand on veut désigner des croyances reposant sur un fort sentiment subjectif
mais dont le fondement objectif n'est pas garanti, on parle de convictions, de
doctrines ou de dogmes ;
 quand on parle de croyance pour désigner une attitude qui n'est pas, comme
l'opinion, proportionnée à l'existence de certaines données et de certaines
garanties, mais qui va au-delà de ce que ces données ou garanties permettent
d'affirmer - c'est en ce sens qu'on parle de croyance en quelqu'un ou en quelque
chose - cela désigne une forme de confiance ou de foi. En ce cas, le degré de
certitude subjective est très fort bien que le degré de garantie objective puisse
être très faible.1
La classification des modes de la croyance que donne Kant recoupe dans une large
mesure ces distinctions2. Il nomme croyance au sens générique assentiment ou tenir-pourvrai (Fürwahrhalten), qui représente subjectivement quelque chose comme vrai, qui donne
lieu à des jugements, et l'oppose à la connaissance (Wissen), qui est un jugement ayant
pour propriété la vérité.
- L'assentiment a deux espèces, la certitude, liée à la conscience de la nécessité, et
l'incertitude, liée à la conscience de la contingence.
- cette dernière se subdivise en incertitude subjectivement et objectivement
insuffisante, ou opinion, et en incertitude objectivement insuffisante ou foi
(Glauben).
- Une croyance qu'on peut communiquer et juger valable pour chaque individu
rationnel est une conviction, et une croyance qui n'est valable que pour un sujet
(qui n'a de causes subjectives que dans l'esprit qui juge) est une persuasion.
1
pages 10 et 11.
Critique de la raison pure, Théorie transcendantale de la méthode, ch. 2 Canon de la raison pure, section 3 "De
l'opinion, de la science et de la foi", Paris, P.U.F., page 551.
2
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
Problématisation : les croyances ont-elles des raisons, ou bien n'ont-elles que des
causes ?
- Si elles n'ont que des causes, elles sont nécessairement irrationnelles; elles
n'appellent pas vraiment une épistémologie, mais une étiologie de l'erreur.
- Si elles ont des raisons, elles peuvent être rationnelles ; il y a alors des degrés de
vérité entre certitude absolue et ignorance, et la croyance cesse de s'opposer à la
connaissance. En ce sens, la tache d'une épistémologie n'est plus de séparer le bon
grain de l'ivraie, mais plutôt de déterminer ce qu'il faut de plus à celle-ci pour
acquérir une validation objective. Toute théorie de la connaissance doit se fonder
sur une théorie de la croyance.
La notion de croyance, d'un point de vue descriptif, est ambiguë, désignant :
-tantôt l'état mental ou l'attitude du sujet qui croit (le croire), nommé facteur mental
ou psychologique ;
- tantôt le contenu ou l'objet de la croyance (le cru), nommé facteur objectif ou
propositionnel.
Les croyancescomme faits psychologiques et logiques soulèvent toutes sortes de
questions. Quelles sortes d'états mentaux sont les croyances ? Est-ce que ce sont des états
conscients ou des états non nécessairement conscients, des dispositions plus durables ? Que
sont les contenus ou propositions ? Des entités psychologiques, composées d'idées ou de
représentations dans l'esprit, ou bien des entités abstraites indépendantes de
représentations mentales ? Sont-ils des entités linguistiques, des phrases composées de
symboles ? Ou les propositions sont-elles des entités objectives, des faits du monde,
composés d'objets ou de propriétés réelles avec lesquelles l'esprit entre en relation ? Il est
difficile de répondre à ces questions sans prendre en partie sur des problèmes
métaphysiques très généraux : celui de la nature de la pensée, et de sa relation à la réalité
et au langage - je ne toucherai pas ici à ces dernières questions.
Comment le facteur mental s'unit-il au facteur propositionnel de manière à produire
l'attitude que nous appelons « croyance » et ses contenus variés ? La clef semble résider
dans ce que Kant nomme assentiment ou tenir-pour-vrai, que Pascal nomme consentement,
et que les philosophes nomment plus traditionnellement jugement. Qu'est-ce que donner son
assentiment à certaines représentations ? Qu'est-ce que tenir certaines propositions pour
vraies ?
Deux conceptions s'opposent, attribuant un rôle différent à la volonté dans la
formation du jugement :
- l’assentiment donné par l’esprit à un contenu possible de jugement est un acte
volontaire et libre de l’esprit ;
- l’assentiment est une tendance de l’esprit, échappant au contrôle de la volonté, qui
le conduit à poser comme vraies certaines représentations. En ce sens la croyance
et la connaissance sont fondées sur une réception passive de l’esprit.
Ces deux conceptions divergent quant au rôle de la volonté dans le jugement :
- pour le volontarisme, il est naturel de donner son assentiment volontaire à ce que
l’on croit. Il est donc possible d’exercer sa volonté sur une croyance, en voulant
croire ce que l’on croit ;
- pour la seconde conception, il est paradoxal de dire que la croyance, comme état
essentiellement passif, pourrait être le produit d’un acte volontaire ou d’une décision
: une volonté de croire est alors une contradiction dans les termes.
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
Le problème ne vient pas d’une volonté d’affirmer ce que l’esprit tient pour vrai
ou pour probable, mais dans une volonté de souscrire à ce qu’il tient pour faux ou
improbable : une volonté de s’aveugler. Comment peut-on vouloir non seulement des choses
incroyables, mis encore des choses que l’on sait être telles : comment, et pourquoi, les gens
préfèrent-ils croire quand ils ont les moyens de savoir ?
1) Croyances et dispositions à agir
Hume définit la croyance non comme un état intellectuel, mais comme une sorte de
sentiment inanalysable qui « n’est rien d’autre qu’une idée forte et vive dérivée d’une
impression présente et en connexion avec elle »3 : « La croyance consiste non dans la nature
ni dans l’ordre de nos idées, mais dans la manière dont nous les concevons et dont nous les
sentons (feel) dans l’esprit […] Ce terme, chacun le comprend dans la vie courant. En
philosophie nous ne pouvons rien faire de plus que d’affirmer que l’esprit sent quelque chose
qui distingue les idées du jugement des fictions de l’imagination. Cela leur donne plus de
force et d’influence ; les fait apparaître de plus grande importance, et les constitue comme
principes directeurs de toutes nos actions. »4 Hume ne fait pas de différence entre le belief,
la croyance, et l’assent, la propension de l’esprit à affirmer ce qu’il conçoit, et il ne distingue
pas ceux-ci du jugement comme pouvoir de liaison et de séparation d’idées5. Cela implique
trois choses :
le jugement ou croyance ne comporte pas nécessairement d’union ou de
séparation des idées. Ainsi, concevoir c’est concevoir comme existant : le
jugement d’existence ne consiste pas attribuer l’existence à l’objet conçu comme si
l’existence était un prédicat ;
- il n’y a de différence que de degré entre les idées propres aux jugements sur des
faits et les fictions de l’imagination ;
- les croyances ne sont pas soumises à une forme de contrôle volontaire : comme
« la croyance est plutôt un acte de la partie sensitive que de la partie cogitative de
nos natures »6, elle échappe au contrôle du sujet. Si elle correspondait au
jugement cartésien, « il serait au pouvoir d’un homme de croire ce qui lui plaît »7,
ce qui n’est pas le cas.
Toutes ces caractéristiques de la croyance se rattachent étroitement à leur lien avec
nos actions : le rôle des croyances est de produire, conjointement avec des désirs, des
actions. Cette conception naturaliste de la notion de croyance comme idée vive associée à
une impression présente et comme propension à l’action s’applique particulièrement au cas
des croyances causales portant sur les matters of fact. L’esprit s’attend à ce que l’association
de deux événements (la « cause » et l’« effet ») se reproduise, et cette tendance, fondée
sur l’habitude, est la croyance.
P. Engel entend ensuite montrer les limites de la conception humienne de la croyance
- mais c’est en se situant dans un horizon théorique différent que celui de Hume. La
conception humienne porte, selon lui, principalement sur les croyances empiriques, ce qui
poserait problème pour fonder une théorie générale des croyances (incluant des croyances
3
Traité de la nature humaine, trad. fr. Leroy, p. 183.
Ibid. pp. 173-174. L’enquête sur l’entendement humain reprend dans les mêmes termes la conception de la
croyance au début de la deuxième partie de la cinquième section « solution sceptique de ces doutes », pages 111112.
5
Il ne distingue pas comme Descartes ou la Logique de Port-Royal, entre concevoir et juger : « On appelle
concevoir la simple vue que nous avons des choses qui se présentent à notre esprit… On appelle juger l’action
de notre esprit par laquelle joignant ensemble diverses idées, il affirme de l’une qu’elle est l’autre, ou nie de
l’une qu’elle soit l’autre. », Logique de Port-Royal, éd. Flammarion, 1970, p. 59.
6
Traité de la nature humaine, trad. fr. Leroy, p. 271
7
Traité de la nature humaine, appendice, éd. angl., p. 623-624.
4
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
vis-à-vis d’objets auxquels nous n’avons aucune relation empirique). L’association
exclusive des croyances à la partie sensitive de l’esprit fait problème :
1° il y a une différence entre croire et sentir : une croyance a un contenu
propositionnel vrai ou faux, mais pas une sensation ;
2° il y a une différence entre croire et concevoir : une croyance est composée de
concepts qui ne sont pas simplement des idées associées les unes aux autres,
tandis qu’une sensation ou une expérience ne sont pas articulées en concepts ;
3° les expériences et les sensations sont des états conscients, tandis que les
croyances ne sont pas nécessairement explicites. La majorité d’entre elles sont
habituelles ou persistantes, et nous n’y avons pas nécessairement un accès
conscient.
On doit concevoir les croyances comme des dispositions pour pouvoir rendre compte
du fait que nous avons certaines croyances sans que leur contenu soit directement présent à
l’esprit. Une disposition, comme la solubilité ou l’élasticité d’un objet, est une propriété que
possède un objet, mais qui ne se manifeste que dans certaines circonstances. La disposition
n’entraîne pas sa manifestation : un sucre peut être soluble sans jamais fondre.
Quelle sorte de disposition serait une croyance ? La manière la plus usuelle de
manifester des croyances dispositionnelles n’est pas de les avoir à titre de pensées
réfléchies, mais d’agir conformément à elles. Peirce définit la croyance comme une
disposition à l’action, « quelque chose sur la base de quoi un homme est prêt à agir »8. Le
partisan d’une théorie dispositionnelle de la croyance soutiendra que les croyances sont
déterminées par des actions non pas au sens étroit (behavioriste) de comportement
observables, mais au sens large où les actions sont elles-mêmes les produits de croyances et
d’autres états mentaux. Il admettra aussi que leurs manifestations peuvent être multiples et
inclure, outre des actes non verbaux, des actes de langage, tels que des assertions. Et il
admettra que les croyances ne s’identifient pas seulement à ces manifestations diverses,
mais aussi aux états qui les causent.
La théorie psychologique qui permet le mieux de développer la conception
dispositionnaliste est la théorie fonctionnaliste, selon laquelle un état mental est identifié par
son rôle causal ou fonctionnel, dans un système défini par ses entrées d’information et ses
sorties comportementales. Une croyance en particulier est un état qui sert de transition,
moyennant des désirs et d’autres états mentaux, entre des entrées d’information (par
exemple des perceptions) et des sorties comportementales (par exemple des actions ou des
énonciations) ou d’autres états mentaux. La conception dispositionnelle-fonctionnaliste est
très souple en ceci qu’elle définit comme une croyance tout état qui occupe un rôle
fonctionnel déterminé dans la production de certaines actions et de certains états mentaux.
Cela rend compte de la grande variété et de la plasticité des états psychologiques que nous
appelons des croyances : certaines croyances sont perceptuelles et se définissent par
rapport à des informations sensorielles principalement ; d’autres, la plupart, impliquent
l’existence d’inférences, déductives ou inductives.
Cette conception est celle qui rend le mieux compte du facteur psychologique de la
croyance. Elle lie les croyances aux désirs et aux actions, et s’accorde au sens commun pour
qui ces états sont des causes de comportement. Elle permet de comprendre comment le
croyance n’est pas un état psychologique nécessairement conscient, mais qui peut l’être.
Enfin, elle explique pourquoi la croyance est en général soustraite au contrôle volontaire : les
croyances ne sont pas volontaires parce qu’elles sont essentiellement des états cognitifs, qui
produisent des actions mais qui ne sont pas elles-mêmes des actions volontaires. Une
croyance est un état qui est causé par des données empiriques ou des témoignages à leur
8
Voir « La fixation de la croyance » et « Comment rendre nos idées claires » (1877) in Peirce, Textes
anticartésiens, Aubier, 1984.
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
sujet : je ne peux pas dans le cas normal, dans la minute vouloir librement croire que p
si je ne suis pas causé par un état du monde, à croire que p, quand bien même je
désire fortement croire que p. Les croyances sont des états vis-à-vis de la vérité de certaines
propositions, et la vérité n’est pas quelque chose que nous pouvons créer ad libitum.
2) Croyance et intentionnalité
Comment, sur la base des seules actions, réelles ou potentielles, d’un individu, peuton déterminer le contenu de ses croyances et de ses désirs ? Ramsey définit un degré de
probabilité d’une proposition, ainsi qu’une échelle de désirabilité ou d’utilité subjective : le
degré de croyance d’un agent p sera déterminé à la fois par son degré de désirabilité
subjective et par ses actions, et son degré de désirabilité par son degré de croyance et ses
actions. Le problème est comment, à partir des seules actions, déterminer le degré de
croyance et de désirabilité ?
La solution consiste à prendre appui sur un certain type d’action, le pari. Un agent
pariera d’autant plus sur la vérité d’une proposition, et en ce sens agira comme s’il tenait
cette proposition comme vraie, qu’il tiendra celle-ci comme plus probable, et l’état de choses
auquel elle correspondra comme plus désirable. La méthode ne suppose pas que les paris
effectués par les agents aient lieu effectivement : le pari est un acte volontaire, qu’un agent
peut ou non décider d’accomplir. Cela n’interdit pas de considérer toute action fondée sur
une croyance comme une forme de pari. Ramsey dit que nous parions toute notre vie.
Le problème auquel est confronté Ramsey est celui de toute théorie naturaliste de la
croyance et de la pensée en général : comment, quand on ne dispose que des données
causales et physiques qui affectent un organisme et son environnement et des données
comportementales, peut-on déterminer le contenu des représentations que se fait cet
organisme de cet environnement, c’est-à-dire de ses états intentionnels à propos de certains
états de choses du monde ? Contrairement au behaviorisme, le modèle fonctionnaliste sur
lequel reposent la plupart des conceptions « cognitivistes » admet que les données
purement externes et physiques ne peuvent rendre compte du fait que l’esprit (ou le
cerveau) véhicule des contenus d’informations internes. Comment isoler les contenus
d’information en question sans présupposer la donnée d’autres contenus d’information déjà
connus ? De même, comment déterminer le contenu d’une croyance sans savoir avec quels
désirs, et avec quels autres états mentaux elle est susceptible de causer certaines actions ?
La notion d’action elle-même présuppose celles d’intention, de croyance et de désir.
L’impossibilité d’isoler un contenu de croyance d’autres contenus est ce qu’on appelle le
holisme des croyances.
Après avoir envisagé la conception de Fodor9 qui, reprenant la vieille conception
occamiste et hobbésienne de la pensée comme calcul sur des signes mentaux, en s’inspirant
du modèle contemporain du cerveau comme ordinateur, compare les états mentaux
intentionnels comme les croyances aux états d’un programme ou « logiciel » qui peuvent
être décrits indépendamment de leurs réalisations physiques dans le « matériel » de la
machine, mais dont les transitions « computationnelles » sont néanmoins réglées par les
transitions entre les symboles physiques auxquelles obéit la machine, P. Engel affirme qu’il
faut se résoudre à admettre qu’on ne peut pas fournir une théorie complètement naturaliste
(c’est-à-dire réductionniste) des contenus intentionnels.
Un individu peut certes avoir toutes sortes de croyances sans jamais les exprimer ni
les communiquer, mais encore le meilleur moyen de savoir ce qu’il croit est encore de voir ce
qu’il dit. C’est donc à partir d’un processus d’interprétation, qui passe principalement par
l’interprétation linguistique, que l’on peut déterminer les contenus de croyances. Or quand
nous interprétons les actions ou les phrases, nous admettons certaines normes très
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Pages 40 et 41. J. Fodor, Psychosemantics, MIT Press, Cambridge Massachusetts, 1987.
Emmanuelle ROZIER
Cours Terminales / La Culture
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PHILOSOPHIE / LA RELIGION
générales de rationalité : que les croyances d’un individu sont en général non
contradictoires, que l’individu agit en général de manière à obtenir ce qu’il juge le
meilleur, etc. Le fait que l’on interprète des comportements à partir de normes générales, et
qu’on ne sache pas bien quand on a affaire à des exceptions montre qu’on ne peut pas
s’appuyer sur des lois strictes du comportement intentionnel. Et si l’on ne peut disposer de
lois de ce genre, comment pourrait-on espérer réduire ces lois à des lois du fonctionnement
physique des organismes ?
Le meilleur moyen de déterminer le contenu des croyances est de partir de ce que les
gens disent, et de repérer les phrases qu’ils tiennent pour vraies ou auxquelles ils donnent
leur assentiment réfléchi. Nous les confronterons alors à celles que nous les tenons pour
vraies nous-mêmes, en partant du principe qu’un accord minimal existe, et que les individus
sont rationnels. Cela suppose un monde partagé, sans lequel nous ne pouvons pas
commencer à comprendre autrui.
3) Grammaire de l’assentiment
Il faut distinguer les croyances dispositionnelles ou croyances du premier ordre, qui
sont des représentations, des croyances réfléchies du second ordre, qui sont des croyances
sur des croyances ou des métareprésentations.Les croyance du premier ordre constituent le
plus bas degré de l’assentiment, ou assentiment dispositionnel, par opposition à
l’assentiment proprement dit, ou jugement. La condition nécessaire pour qu’on puisse juger
que p, à titre d’acte mental, est qu’on puisse considérer que p, ou l’avoir « devant son
esprit ».
Si l’on dit que p, c’est en général que l’on croit que p, et que l’on croit que p est vrai.
Mais l’assertion n’est pas une condition nécessaire de la croyance : on peut croire que p sans
jamais asserter ou dire que p. Ce n’est pas non plus une condition suffisante : on peut
asserter que p sans croire que p, par exemple dans le cas d’une assertion non sincère. Il
semble donc possible de dissocier l’acte de langage d’assertion de l’état mental de croyance.
La question est alors de savoir si cet état mental lui-même implique ou non une forme
d’affirmation d’une proposition qui ne serait pas linguistique (externe) mais seulement
mentale (interne).
Emmanuelle ROZIER
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