Revue Autrepart - Appel à contributions et notes de
lecture
Parler pour dominer ?
Paroles, discours et rapports de pouvoir
Sandra BORNAND (anthropolinguiste, CNRS UMR 8135 LLACAN)
Alice DEGORCE (anthropologue, IRD UMR 8171 IMAF)
Cécile LEGUY (Professeur d’anthropologie linguistique à l’Université Sorbonne Nouvelle
Paris 3)
L’analyse des pratiques langagières en situation constitue un révélateur des relations
sociales, tout particulièrement de l’instauration de rapports de force ou de hiérarchie. Le
pouvoir porté par les mots est connu, notamment des médias et des politiques. Mais ces mots
ne prennent généralement sens que dans le contexte dans lequel ils ont été énoncés, et leur
pouvoir n’est effectif que lorsqu’ils sont articulés au sein d’un discours lié à une situation de
communication particulière. En ceci, les rapports de pouvoir et les stratégies de domination ne
passent pas seulement par des actes mais aussi par la parole sous ses formes les plus diverses :
nommer, élaborer un discours politique ou religieux, avoir recours à une langue particulière
dans un contexte de politique linguistique tendu sont autant de lieux d’exercice du pouvoir
dans ses liens à la parole. Si ces questionnements se sont trouvés à l’intersection de
disciplines telles que l’anthropologie, la linguistique et la philosophie, ils concernent des
objets de recherche et des concepts intéressant d’autres domaines des sciences humaines et
sociales. Relations de genre, de générations, revendications autochtones, politiques,
religieuses ou linguistiques sont ainsi autant d’objets d’études qui mettent en jeu la question
du pouvoir et celles de la capacité d’agir des interlocuteurs, ainsi que de l’efficacité de la
parole.
Ces problématiques se posent de façon nouvelle dans les sociétés des Suds, des
réformes politiques aussi importantes que les processus de décentralisation, des changements
de régime, peuvent être le lieu de discours tendant à l’appropriation du pouvoir, ou encore de
luttes syndicales usant de stratégies discursives particulières ; la langue de l’administration,
de l’école, des services de santé ou d’autres services publics de base peut être exclusive dans
un contexte plurilingue ; la mise en place de projets de développement participatifs ou
communautaires présuppose une certaine circulation de la parole ; où les noms de lieux
peuvent également être l’objet de stratégies d’appropriation du foncier, pour ne citer que ces
exemples.
Le pouvoir a en effet partie liée à la parole et, plus la société est hiérarchisée, plus
l’accès à la parole est codifié. Mais si le statut social peut offrir un droit à la parole, ceux qui
sont censés être sujets à une forme de domination ont également la possibilité, notamment par
des pratiques langagières qui leur sont propres, de prendre position et de faire entendre leur
voix de manière subversive dans l’arène politique. Ainsi les dominés se créent-ils au
quotidien des interstices langagiers dans les sociétés hiérarchisées, qui peuvent tant conforter
l’ordre social que le remettre en cause. Le rapport à la domination peut aussi être normatif, les
recherches sur ce thème ayant montré comment la contestation de la norme passe aussi par
son incorporation ou sa réappropriation (Butler, Mahmood). Dans ces contextes, le chercheur
peut lui-même se trouver dans un processus dont il ne maîtrise pas toujours les enjeux, voire
être manipulé par les interlocuteurs qui l’utilisent à des fins dont il n’a pas toujours
conscience. Une approche réflexive est donc encouragée dans les contributions qui seront
proposées.
Les axes thématiques suivants pourront être abordés dans ce numéro de manière
indépendante ou en lien les uns aux autres. Ces thèmes n’entendent pas exclure d’autres
entrées possibles. Les contributions, qui pourront être issues de toutes les disciplines des
sciences sociales, se baseront sur des enquêtes de terrain menées dans différents pays du Sud.
Un premier questionnement interroge la manière dont le langage est susceptible de
devenir à la fois le moyen d’exercer un pouvoir ou une domination sur autrui par une série de
manipulations, et l’objet de ces manipulations. Les discours politiques et religieux, la
construction de discours historiques mettant en jeu la mémoire d’un peuple ou d’une nation
en paraissent l’illustration même, tant par leurs conditions d’élaboration que par les contextes
dans lesquels ils sont dits et les effets attendus sur leurs auditoires. Mais les stratégies de
domination par l’intermédiaire du langage peuvent s’exercer par d’autres voies, observables
dans des situations à plus petites échelles telles que les salutations, les secrets cancans ou
rumeurs, ou des énoncés langagiers du quotidien dans lesquels se jouent les identités des
interlocuteurs. Des contributions interrogeant les pratiques de nomination des hommes, des
lieux ou des objets seront également attendues dans cet axe : nommer peut en effet être le
moyen d’exercer un pouvoir sur autrui, mais aussi de contrer ou de tourner en dérision ce
même exercice du pouvoir. Dans cette perspective, on se demandera également si des
créations linguistiques comme l’argot ou le verlan, ou artistiques (rap, slam…), qui peuvent
participer d’une démarche d’émancipation par rapport au pouvoir, notamment étatique, ne
relèvent pas elles-mêmes de logiques de domination.
La maîtrise de la langue est un élément déterminant dans l’instauration de relations de
pouvoir, que les interlocuteurs parlent des langues ou utilisent des registres différents (par
exemple professionnels). La connaissance de la langue des bailleurs ou d’une langue locale
est ainsi fondamentale dans la mise en œuvre de projets de développement, mais peut aussi
avoir pour conséquence l’instauration de rapports de force ou de hiérarchie entre les différents
acteurs du projet. La mise en place de politiques linguistiques (tant nationales
qu’internationales, avec par exemple la francophonie) peut également concourir à la
construction de relations de pouvoir par la langue. La volonté d’écrire de la littérature, dans
les médias, et de publier dans sa propre langue peut elle même s’inscrire dans des stratégies
linguistiques en lien ou en opposition avec le pouvoir.
Enfin, avec le développement rapide des nouvelles technologies apparaissent
aujourd’hui des espaces de paroles jusqu’alors inédits dans les Suds comme l’internet et les
réseaux sociaux (Facebook, Twitter) ou encore les SMS. Il s’agit d’interroger les
représentations des situations de communication qu’impliquent ces technologies et ce
qu’instaurer un rapport de force ou de domination dans ces contextes signifie. Les nouvelles
technologies de l’information et de la communication (NTIC) supposent en effet de nouveaux
usages écrits et oraux des langues, tout en plaçant les paroles émises dans un contexte
globalisé et transnational qui bouleverse les situations de communication « traditionnelles ».
Les intentions de contributions (titre et résumé ne dépassant pas 1000 signes)
doivent être adressées à la revue Autrepart
le 30 juin 2014 au plus tard
Les articles sélectionnés devront être remis le 30 septembre 2014
Les notes de lecture sur le thème du numéro
doivent être adressées à la revue Autrepart avant le 15 octobre 2014
Revue Autrepart - 19 rue Jacob - 75 006 Paris
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