Histoire, Groupe 1 Chronologie du Kulturkampf
Au lendemain du traité de Francfort, Bismarck cherche à consolider le Reich. Alors que la
France de la IIIe République installe le régime de l’ « Ordre moral » en menant notamment une
politique cléricale, le chancelier allemand engage la lutte contre la papauté et le clergé catholique.
Aux yeux des libéraux, pour qui le thème de la culture est important, l’église catholique revêt
les couleurs de l’obscurantisme. Selon la formule du député libéral Rudolf Virchow, le combat contre
le catholicisme sera un combat pour la culture. Cette opposition est vivement ranimée en 1870 avec la
proclamation de l’infaillibilité du Pape, et donne à Bismarck le soutien dont il a besoin dans le
Parlement pour épurer le Reich de ce qu’il nomme la concurrence intérieure.
Depuis le milieu du XIXe, le catholicisme allemand s’est montré très dynamique, surtout à
travers ses associations. L’une d’entre elles, la Katholische Fraktion, débouche sur le Zentrum, dirigé
par Windthorst. Bien qu’il n’intéresse qu’un tiers de la population du Reich, le parti catholique
représente pour Bismarck un particularisme semeur de troubles contre lequel il apparaît indispensable
de lutter pour forger une « âme commune de citoyens allemands ». En effet, les catholiques sont
attachés à l’idéal grand-allemand qui offre à leurs yeux la possibilité d’une parité religieuse dans
l’Allemagne unifiée. Sur le plan extérieur également, le catholicisme incarne la fidélité à une
puissance morale étrangère, le Saint-Siège, relayé par l’Autriche. Bismarck décide donc de s’attaquer
à ce pouvoir rival, car proche du corps social, à travers toute une série de lois restées dans l’histoire
sous le nom du Kulturkampf.
Dates
Le Kulturkampf
Contexte
E
M
E
R
G
E
N
C
E
1871
1872
1873
1874
1875
8 juillet : suppression de la section catholique au ministère prussien des cultes.
10 décembre : loi d’Empire contre l’abus de la chaire à des fins politiques (si
des membres du clergé utilisent leur situation pour « troubler l’ordre public »,
ils encourent jusqu’à deux ans de prison).
4 juillet : loi d’Empire interdisant la Compagnie de Jésus (loi d’exception qui
marque un nouveau pas dans l’opposition entre les catholiques et Bismarck).
30 décembre : rupture des relations diplomatiques entre la Prusse et le Vatican.
Lois de mai (notamment sur la formation et la nomination des ecclésiastiques en
Prusse).
Création de l’Empire
allemand.
Secondes élections au
Reichstag : le Zentrum
double le nombre de ses
voix (1 400 000, 28% des
suffrages, 58 sièges).
5 février : encyclique de
Pie IX qui déclare
« nulles » les lois de mai.
A
P
O
G
E
E
9 mars : mariage civil obligatoire en Prusse.
4 mai : loi sur l’interdiction de « l’exercice illégal de fonctions
ecclésiastiques », dite loi d’expropriation qui permet l’expulsion des
ecclésiastiques réfractaires hors du territoire prussien.
20 mai : loi portant sur l’ « administration des diocèses catholiques vacants »
qui permet au gouvernement un droit de contrôle sur les administrateurs des
diocèses non occupés et donne aux autorités locales la possibilité d’intervenir
dans la vie des paroisses.
22 avril : loi sur la « suspension des prestations de l’Etat aux évêques et aux
ecclésiastiques catholiques romains », qui est destinée à affaiblir le clergé et
surnommée pour cette raison « loi de la corbeille de pain ».
18 juin : loi qui abolit des articles de la Constitution prussienne relatifs aux
libertés des Eglises. Elle a l’inconvénient pour le gouvernement de frapper, au
nom de la parité constitutionnelle, l’Eglise évangélique comme l’Eglise
catholique.
mai : la loi de juillet 1871, qui a contraint des milliers de religieux à l’exil, est
étendue par l’interdiction de tous les ordres religieux catholiques, excepté ceux
qui ont vocation sanitaire et hospitalière.
R
E
G
L
E
M
E
N
T
1877
1878
1880
1882
1886
1887
1890
24 février : Léon XIII conseille d’accepter l’obligation de déclarer les
nominations de curés aux autorités civiles.
14 juillet : 1e loi d’apaisement.
Les paroisses peuvent à nouveau être pourvues.
Inauguration officielle de la cathédrale de Cologne achevée, par l’empereur
Guillaume 1er.
24 avril : reprise des relations diplomatiques entre la Prusse et le Vatican.
31 mai : 2e loi d’apaisement.
11 juillet : 3e loi d’apaisement.
21 mai : 1e loi abolissant partiellement les lois de mai.
L’Etat renonce aux mesures de contrôle sur le clergé, en échange d’un serment
de loyauté des prêtres, et autorise le retour de plusieurs ordres religieux.
« paix » de 1887 : concessions réciproques Bismarck / Léon XIII
26 avril : 2e loi abolissant les lois de mai.
23 mai : Léon XIII déclare le Kulturkampf terminé.
Renvoi de Bismarck.
Crise économique latente
(protectionnisme)
93 sièges au Zentrum
7 février : mort de Pie IX
20 février : Léon XIII,
pape plus intelligent et
modéré.
Création de
l’Evangelischer Bund
pour la défense des
intérêts protestants.
Fondation de
l’Evangelischsozialer
Kongress.
I Une politique anti-catholique : le Kulturkampf (1871-1878)
A. Les débuts du Kulturkampf
1871
Victoire sur la France et création de l’Empire.
Triomphe de la solution petite-allemande présentée comme une victoire du protestantisme (« Empire
évangélique »).
Début du Kulturkampf : de 1871 à1875, Bismarck organise la guerre contre les catholiques.
Le Kulturkampf passe par la voie réglementaire et législative et attaque directement l’Eglise.
8 juillet : suppression de la section catholique au ministère prussien des cultes.
10 décembre : loi d’Empire contre l’abus de la chaire à des fins politiques, i.e. si des membres du
clergé utilisent leur situation pour troubler l’ordre public, ils encourent jusqu’à deux ans de prison.
Ainsi, les évêques et curés des paroisses étaient soumis à une surveillance policière et pouvaient être
arrêtés à tous moments. Ils encouraient jusqu’à deux années de prison si l’on pouvait les soupçonner
de « troubler l’ordre public » dans l’exercice de leurs ministères : accusation vague et qui pouvait viser
la plus petite allusion à la politique étrangère ou intérieure de l’Etat dans les sermons prononcés le
dimanche au prêche.
1872
4 juillet : loi d’Empire interdisant la Compagnie de Jésus = loi d’exception donc plus grave, qui
marque un nouveau pas dans l’opposition entre les catholiques et Bismarck.
30 décembre : rupture des relations diplomatiques entre la Prusse et le Vatican.
1873
Lois de mai : symbole du Kulturkampf.
Ingérence de l’Etat dans les affaires religieuses : nationalisation du clergé, loi sur la formation et la
nomination des ecclésiastiques en Prusse. Les prêtres ne doivent plus être formés dans les séminaires
et sont soumis à un « examen culturel ».
Ex : examens de philosophie, histoire, culture générale pour le clergé et lors de leur nomination,
mesures disciplinaires de l’Eglise discutées devant les tribunaux civils.
Déclaration de l’épiscopat prussien contre les lois de mai.
B. Le Kulturkampf à son apogée : 1874-1878
Le 9 mars 1874 Bismarck rend le mariage civil obligatoire en Prusse : ceci l’oppose non seulement
aux catholiques mais aussi aux protestants orthodoxes.
Un certain nombre de lois répressives sont mises en place, dues au fait que la quasi-totalité des
catholiques, prêtres et laïques, se soustraient à la législation d’Etat contraire au droit canon. Ex : Loi
sur l’ « interdiction de l’exercice illégal de fonctions ecclésiastiques » dite loi d’expropriation du 4
mai 1874 qui permet l’expulsion des ecclésiastiques réfractaires hors du territoire prussien.
De nombreux diocèses deviennent vacants, et le gouvernement obtient, par la loi du 20 mai 1874 qui
porte sur l’ « administration des diocèses catholiques vacants », un droit de contrôle sur les
administrateurs des diocèses non occupés et donne aux autorités locales la possibilité d’intervenir dans
la vie des paroisses, mêmes contre les autorités ecclésiastiques.
Parmi les dispositions les plus stupéfiantes de cette loi, une rappelle la Constitution civile du clergé :
dans les paroisses vacantes, on procède à l’ élection d’un desservant par l’ensemble de la population
masculine en possession de ses droits civiques, l’appartenance à la religion catholique n’étant même
pas exigée !
Dans l’arsenal répressif il faut également mentionner la loi prussienne du 22 avril 1875 sur la
« suspension des prestations de l’Etat aux évêques et aux ecclésiastiques catholiques romains », loi
destinée à affaiblir le clergé et surnommée pour cette raison « loi de la corbeille de pain ».
Enfin, une des mesures les plus graves fut l’abolition des articles de la Constitution prussienne relatifs
aux libertés des Eglises. Cette loi, du 18 juin 1875, avait l’inconvénient pour le gouvernement de
frapper, au nom de la parité constitutionnelle, l’Eglise évangélique comme l’Eglise catholique. Cela
avait déjà été le cas de la loi sur le mariage civil obligatoire dont avaient particulièrement pâti les
Eglises protestantes.
En mai 1875 la loi de juillet 1871, qui a contraint des milliers de religieux à l’exil, est étendue par
l’interdiction de tous les ordres religieux catholiques excepté ceux qui avaient vocation sanitaire et
hospitalière.
C. La résistance
Bismarck prévoyait qu’il parviendrait sans mal à faire plier l’Eglise. Or contrairement à son attente
elle entre en résistance, haut et bas clergé réunis.
La résistance a d’abord un aspect proprement ecclésial : évêques et prêtres ignorent les lois contraires
aux droits de l’Eglise : sur les 4000 prêtres de Prusse, il y eut au maximum deux douzaines de
Staatspfarrer (curés de l’Etat), l’équivalent des assermentés sous la Révolution française. Ils sont
d’ailleurs boycottés par le peuple catholique. Les fidèles soutiennent cette opposition.
La résistance émane également des plus hautes autorités ecclésiastiques puisque le 5 février 1875, au
plus fort de la résistance des évêques, Pie IX,par une encyclique adressée aux évêques d’Allemagne
déclare « nulles » les lois de mai , « parce qu’elles contrecarrent absolument la constitution divine de
l’Eglise.
Mais cette résistance a également des relais en dehors de l’Eglise :
- la presse catholique (amendes et peines d’emprisonnement la touchent également)
- tout le réseau d’associations catholiques : certaines d’entre elles seront frappées d’interdiction
- enfin, la résistance du clergé et des fidèles dispose d’un remarquable instrument politique : le
Zentrum.
Windthorst a été de 1874 jusqu’à sa mort en 1891 le chef effectif du Zentrum ; il a été le grand
fédérateur dans la résistance à Bismarck.
Il souligna toujours l’entière soumission du Zentrum à l’Eglise en matière de politique religieuse.
En accord avec l’Eglise et un vaste réseau associatif, le Zentrum dirigé par Windthorst organisa la
résistance catholique, une résistance victorieuse comme le montrent les résultats électoraux : dès 1874,
aux secondes élections au Reichstag, le Zentrum double le nombre de ses voix (1 400 000, 28% des
suffrages). Il passe de 58 à 90 sièges, puis 93 en 1877 et 100 en 1881. Au contraire les nationaux
libéraux commencent à reculer. La lutte de Bismarck le conduit à l’impasse.
Ces succès signifient le début de l’échec du Kulturkampf
II Le règlement du Kulturkampf : 1878-1890
A. Un contexte favorable à la détente
Plusieurs éléments contribuent à la détente :
- l’Allemagne désire se rapprocher de l’Autriche-Hongrie, pays catholique, avec lequel
l’Empire allemand veut conclure une alliance.
- vers la fin des années 70 la conjoncture change : la crise économique latente oblige Bismarck
à passer au protectionnisme. Pour des raisons tactiques, Bismarck est ainsi amené à assouplir
sa politique anticatholique. En effet, cette politique le rend dépendant des libéraux, or il a
besoin de s’en affranchir pour mener à bien son programme protectionniste auquel ces
derniers s’opposent. Par ailleurs, il a besoin, sinon de l’appui des catholiques, du moins d’un
apaisement avec eux, pour consacrer son énergie à la lutte contre les sociaux-démocrates.
- l’avènement d’un nouveau pape facilite la réconciliation.
B. Les trois lois d’apaisement
Pour sauver les apparences, Bismarck n’abroge pas immédiatement les mesures qu’il a prises contre
l’Eglise : il se fait accorder seulement le droit de ne pas les appliquer.
Répondant aux gestes de bonne volonté de Léon XIII, Bismarck fait adopter entre 1880 et 1883 trois
lois donnant aux autorités de l’Etat les « pleins pouvoirs discrétionnaires » dans l’application ou la
non-application des lois de mai. Rome les accepte comme solution provisoire.
1878
7 février : Pie IX meurt.
20 février : Léon XIII, pape plus intelligent et modéré.
1880
24 février : Léon XIII conseille d’accepter l’obligation de déclarer les nominations de curés aux
autorités civiles. Windthorst le vit comme une trahison.
14 juillet : 1e loi d’apaisement.
Les paroisses peuvent à nouveau être pourvues.
Inauguration officielle de la cathédrale de Cologne achevée, par l’empereur Guillaume 1er.
1882
24 avril : reprise des relations diplomatiques entre la Prusse et le Vatican.
31 mai : 2e loi d’apaisement.
11 juillet : 3e loi d’apaisement.
C. Vers l’abrogation des lois de mai
La sortie de crise prend finalement la forme d’un compromis entre Bismarck et Léon XIII. Si le
Zentrum en juge le contenu trop favorable au chancelier, il s’incline. Progressivement, la plupart des
lois tombent ainsi en désuétude.
1886
21 mai : 1e loi abolissant partiellement les lois de mai.
L’Etat renonce aux mesures de contrôle sur le clergé, en échange d’un serment de loyauté des prêtres,
et autorise le retour de plusieurs ordres religieux.
Création de l’Evangelischer Bund pour la défense des intérêts protestants.
1887 Après d’interminables tractations, Rome et Berlin aboutissent à la « paix » de 1887.
Il s’agit de concessions réciproques :
- Bismarck renonce aux lois de mai
26 avril : 2e loi abolissant les lois de mai.
Toutefois, abolition incomplète :
- les deux lois impériales subsistent : obligation du mariage civil et dissolution de la Compagnie de
Jésus en Allemagne ;
- les articles de la Constitution prussienne relatifs aux libertés des Eglises ne sont pas rétablis
(obligation de déclaration des évêques auprès des autorités avant les nominations ecclésiastiques, loi
sur l’inspection scolaire).
- Léon XIII accepte l’obligation de déclaration pour toutes les cures à pourvoir.
Windthorst et le Zentrum considèrent que c’est un mauvais règlement : ils en veulent au Pape
d’avoir négocié avec Berlin sans les avoir consultés. Mais s’il juge le contenu trop favorable au
Chancelier, le Zentrum s’incline.
23 mai : Léon XIII déclare le Kulturkampf terminé.
Défaite pour Bismarck, qui n’a pu ni détacher du Saint-Siège les catholiques allemands, ni briser le
parti du Centre de Windthorst.
1890
Renvoi de Bismarck.
Fondation de l’Evangelischsozialer Kongress.
L’élection d’un pape plus libéral, Léon XIII, et la rupture avec les libéraux permet donc
d’ouvrir les négociations entre le Reich et les catholiques, par l’intermédiaire du Pape. La législation
du Kulturkampf s’adoucit dès 1880, pour être révisée à partir de 1886 par étapes successives.
Certaines mesures restent toutefois en vigueur après la fin du Kulturkampf, par exemple la loi
d’expulsion des jésuites (qui ne sera révoquée qu’après la révolution de 1918).
S’il n’a pu obtenir le retour au statu quo ante, le catholicisme allemand n’en sort pas moins
vainqueur de la crise. Le Kulturkampf a eu pour effet de renforcer l’identité culturelle et politique du
catholicisme au sein de la société allemande. Le parti catholique s’est imposé comme le défenseur des
libertés, ce qui justifie son opposition à la loi antisocialiste en 1878.
Mais le Kulturkampf a mis en évidence la faible marge de manœuvre qui existe entre les
catholiques et le Vatican. En effet, c’est sous l’impulsion du Saint Siège que s’opère le rapprochement
avec la politique de Bismarck à la fin des années 80. Par ailleurs, les catholiques d’Allemagne ont
longtemps ressenti les effets du Kulturkampf. Le souvenir des souffrances endurées a marqué leur
conscience collective. Le départ de Bismarck en 1890 facilite alors leur intégration progressive dans
l’Empire, mais il faut l’épreuve de la Grande Guerre pour qu’elle se réalise pleinement.
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