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La financiarisation traduit aussi la tentative du capital de s’adapter aux mutations qui
affectent les fondements les plus essentiels de l’efficacité économique et de la valeur
sur lesquels le capitalisme industriel a reposé. L’essor de la finance ne peut pas être
pensée sans le rapprocher de la crise des modalités industrielles d’extraction de la
plus-value. Il n’est pas seulement la cause, mais également la conséquence de la crise
du rapport salarial fordiste et de la montée de l’immatériel et du contenu intellectuel
du travail. C’est dans ce cadre que doit être interprété le processus de financiarisation
de l’économie sans le réduire, comme c’est parfois le cas, à un simple renversement
du rapport de force interne entre deux fractions du capital : le capitalisme
actionnarial, dont la logique de court terme, aurait imposé ses normes et remplacé le
« bon vieux « capitalisme managérial de l’époque fordiste soucieux de la production et
de l’emploi.
Les transformations de la division du travail, le rôle nouveau des actifs dits
immatériels et la montée en puissance de la finance sont des aspects interdépendants
des actuels processus de restructuration que connaît le capitalisme. C’est cette
interdépendance que l’hypothèse du capitalisme cognitif se propose d’explorer, en
restituant la primauté à une analyse fondée sur le rôle moteur du rapport
capital/travail.
Dans cette optique, quatre faits majeurs concernant la généalogie et la logique de
développement de la financiarisation peuvent être invoqués :
Le rôle de plus en plus central attribué à la finance par nombre de grands groupes
industriels débute au moment de la vague de conflits des années soixante-dix. Il va
significativement de pair avec deux autres volets relatifs aux premiers processus de
restructuration : l’automatisation et la décentralisation productive [4]. Nous avons là,
comme le note Revelli (1988), le point de départ d’une transformation structurelle qui
marque l’évolution vers une vocation financière de plus en plus prononcée du capital
industriel. Le capital prend ainsi, en privilégiant la forme argent par rapport à celle du
capital fixe, sa dimension abstraite et éminemment flexible et mobile, en opposition à
la rigidité de la force de travail et à la conflictualité endémique qui, à cette époque,
paralyse les firmes fordistes. Le processus d’accumulation s’efforce ainsi à se rendre,
en partie du moins, indépendant du procès de travail concret et du « pouvoir« des
salariés dans les entreprises. Cette stratégie va s’accentuer avec la montée du rôle du
travail intellectuel et immatériel ;
la diffusion du savoir, fondement d’une nouvelle qualité intellectuelle de la force de
travail, fait en sorte que la captation du surplus ne peut plus s’opérer par les formes
traditionnelles de mise au travail propres à la grande entreprise fordiste. C’est aussi
pourquoi le capital tend à se désengager des formes directes de contrôle de la
production pour privilégier des mécanismes de captation plus indirects, de type
marchand et financier. C’est ce que montre la montée en puissance de la finance mais
aussi le passage du modèle de la grande concentration productive de main-d’oeuvre
au modèle de l’entreprise réseau, selon des modalités qui peuvent parfois faire songer
à un retour du putting-out system
La montée des actifs immatériels et de l’intellectuel pose de redoutables problèmes
d’évaluation « du rapport entre coûts, performance et valeur « . Ainsi le rôle moteur
des connaissances et leur renouvellement rapide contribuent à expliquer la
financiarisation comme modalité essentielle d’évaluation et d’organisation de la
mobilité des ressources dans un contexte où « on passe en quelque sorte d’une
efficacité d’entreprise à une efficacité de système « (voir Veltz, 2000, chapitre 6).
Toutefois comme l’observe Halary (2004), la tentative du capital financier d’expliquer
le goodwill ou survaleur par l’existence d’actifs immatériels non spécifiés, est