II. Les classes sociales dans la société de service : les enjeux des luttes sociales
Les questions étudiées ici concernent les groupes sociaux constitutifs de la société de
service, la nature de l’exploitation ; les formes de la conflictualité. Elles débouchent sur la
question de l’espace dans lequel se déploient le travail et le capital, posant ainsi la question de
la nation et des nations dans la mondialisation du rapport capital/travail.
Les groupes sociaux dans la société de service : quelques statistiques
L’usage indifférencié des termes « groupe », « classe », « strate », « catégorie » substitue
aux rapports sociaux fondamentaux des rapports d’inégalités entre les individus rassemblés
selon des critères statistiques (revenus, âge, qualifications, dotations symboliques, origines
sociales ou géographiques). Il neutralise les conflits d’intérêts fondamentaux. De même, la
notion de « classe moyenne » est une anti-classe (tout le monde y appartiendrait). Elle a un
sens du point de vue de la consommation et de son modèle, mais non dans la production. Ces
termes tendent à mettre en avant les écarts les uns par rapport aux autres, en d’autres mots,
soulignent les inégalités et les situations de domination dues à la possession de différents
types de capitaux (culturels, sociaux, symboliques). On constate ainsi que, dans la société
industrielle la classe ouvrière, qui fut au cœur du système productif, lutta trouver les formes
politiques, sociales et économiques (libertés politiques, statuts, sécurité sociale,
nationalisation) nécessaires au développement de la société tout en acquérant de nombreux
droits pour elle et en les étendant au reste de la population. Mais un modèle de vie et de
consommation fut mis en place par les catégories supérieures du salariat.
Cette façon de classer les individus permet de mieux connaître leur système de
représentation et les motivations qui les poussent à agir, en tant qu’individus ayant conscience
d’une appartenance identitaire selon des intérêts immédiats ou en tant que groupes sociaux
organisés autour des revendications limitées. Il y a bien au sein des sociétés complexes des
luttes internes aux groupes et entre les groupes pour des enjeux spécifiques mais aussi pour
asseoir leur propre hégémonie. Cependant, ces groupes ne se confondent pas avec les classes
sociales au sens de Marx. Le terme de « classe », chez Marx, renvoie à la division de la
société autour du travail, entraînant des conflits pour l’appropriation des richesses créées.
Cette appropriation, dans la société capitaliste, est privative. Elle est liée à l’existence de la
propriété privée des moyens de production dont le travailleur est dépourvu, l’obligeant à se
mettre à la disposition du capitaliste. Cette propriété privée a atteint aujourd’hui un haut degré
d’abstraction. Elle n’en existe pas moins, sous la forme du pouvoir de la banque et de la
bourse.
Les objectifs de transformation sociale doivent, nous semble-t-il, être référés à des critères
de classe, c’est-à-dire des critères de transformation mettant en question les rapports sociaux
fondant la structure et le fonctionnement d’une société, en l’occurrence les rapports
d’exploitation de la société capitaliste et non les rivalités interindividuelles pour
l’appropriation des capitaux symboliques ou quelques prébendes, qui ne remettent pas en
cause l’exploitation.
Du point de vue de la production (le travail), actuellement 90% des actifs sont des salariés,
sur lesquels 70% remplissent des fonctions de service. Les groupes sociaux occupent des
positions inégales et reçoivent des revenus inégaux. Les conditions de travail se sont
transformées par rapport à la société industrielle : la disparitions des grandes concentrations
de salariés, la flexibilité des horaires, la diversité des statuts sur un même site, la précarité et
la complexité des contrats de travail, pulvérisent les consciences d’appartenir à une même
entité productive.