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Université d’été - PCF
Le Vieux Boucau – le 29 août 2008
Société de service :
les classes et les luttes de classes sont-elles encore pertinentes ?
Derrière le consensus sur les changements intervenus depuis plusieurs décennies, il y a
désaccord sur la nature et les dimensions de ces changements. Ce désaccord a des
conséquences sur l’analyse du capitalisme et de la structure des classes dans la société
contemporaine et donc de l’orientation de l’action. Il se résume, à notre avis, sur les causes
des changements : en seraient à l’origine soit les techniques (les forces productives) soit les
modalités d’organisation de la société autour des rapports d’exploitation (les rapports sociaux
ici le rapport capital/travail). Nous avons proposé une grille pour « Lire le capitalisme
contemporain » avec un « essai sur la société du XXIème siècle » [Paris, Le temps des cerises,
2007], en prenant l’évolution du rapport capital/travail comme point de départ des évolutions.
Ce rapport organise la vie des sociétés développées contemporaines et tend à s’étendre à
l’ensemble de la planète. Il ne se résume pas à l’exploitation économique. Il englobe des
dimensions culturelles, morales et idéologiques, à composantes positives (la démocratie,
émancipation) et négatives (l’individualisme), destructrices des sociétés traditionnelles. Il
identifie une humanité fragmentée, inégale face à la modernité et diversifiée dans ses modes
d’approche du capitalisme. Dans l’exposé que nous en faisons aujourd’hui, nous insisterons
seulement sur trois points : 1) les changements du rapport capital/travail, à partir de
l’évolution du travail dans la nouvelle société que nous caractérisons de société de service ; 2)
les classes sociales dans les formes nouvelles de ce rapport ; 3) la mondialisation de ce
rapport et la question de la nation et des nations dans ce mouvement.
I. Les changements dans la société : le travail de service
De la compréhension que l’on a de ces changements découle la façon dont on envisage le
contenu à donner aux conflits sociaux. Aussi est-il important d’examiner quelques-unes des
hypothèses ayant cours relativement à ce sujet.
Forces productives et rapports sociaux : dans quelle société vivons-nous ?
Est-ce une société post-moderne, une société de l’immatériel, une société de la
connaissance, une société de l’information ou une société de service ? Ce thème peut revêtir
une forte connotation idéologique, mais il traduit des mutations réelles de la société
industrielle, telle qu’elle fut mise en place par la révolution industrielle en France vers 1815,
plus tôt en Angleterre, avec en son cœur le travail ouvrier.
Les concepts de société post-moderne ou de société de l’information nous semblent relever
du registre idéologique (la modernité du siècle des Lumières aurait été dépassée) ou technique
(tout serait déterminé par l’information). Nous examinerons celui de société informationnelle
ou capitalisme informationnel qui structure la pensée communiste depuis une trentaine
d’années et est supposé donner une assise à sa pratique des classes sociales. Au paradigme de
la société informationnelle, nous avons préféré celui de la société de service.
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La société informationnelle
Ce thème a été développé par Paul Boccara et repris par Jérôme Relinger [l’Humanité,
24/07/1008 (p.14)] qui lui ajoute deux volets « l’économie de l’immatériel et la société de la
connaissance », en conservant, pour l’essentiel le concept avancé par P. Boccara. Les
présupposés de la société informationnelle sont les suivants :
a) la révolution informationnelle est le concept central d’une théorie considérée comme
valable pour la société entière et même pour l’humanité dans son ensemble qu’il conviendrait
d’affranchir pour la conduire vers un « communisme informationnel » (J. Relinger, id.).
b) la révolution informationnelle prendrait appui sur des technologies assumant les fonctions
du cerveau (les TIC ou techniques d’information et de la communication)
c) il n’y a pas de distinction entre l’information et la connaissance
d) l’information fonderait une économie qui serait immatérielle et une société qui serait celle
de la connaissance
e) l’information serait gratuite une fois produite mais son coût serait prohibitif au sein du
capitalisme
f) débridée de ce frein, la révolution informationnelle devrait entraîner un bond considérable
de la productivité du travail humain.
g) d’ores et déjà, les capacités humaines seraient directement concernées et modifiées par la
révolution informationnelle (une révolution aussi importante que celle du néolithique).
h) L’exploitation capitaliste du travail ouvrier, dans la théorie de la société informationnelle,
est remplacée par celle de la plus-value créée à partir de l’information et par la domination
symbolique (le modelage de l’information par le capitalisme)
Cette analyse en déduit logiquement que les conflits fondamentaux du rapport
capital/travail se situeraient entre une classe ouvrière élargie aux ingénieurs, cadres et
techniciens et la classe bourgeoise, pour l’appropriation de l’information, nouvelle source du
pouvoir de décision et de richesses. À cette conclusion que l’on connaissait, J. Relinger ajoute
le combat de classe de l’humanité tout entière pour s’affranchir de la domination du capital
sur la production et la consommation de l’information, contre le « capitalisme numérique,
pour l’universalisation des richesses informationnelles ».
Cette théorie se veut dans le prolongement de l’analyse de Marx sur la société industrielle
et son mode d’exploitation : l’information remplacerait le produit, ceux qui les produisent
reprendraient le flambeau de la classe ouvrière. Au fond, on fait l’économie d’un
renouvellement de la théorie et des méthodes d’investigation. On est très proche des thèses
d’Alain Touraine.
Les critiques que nous portons à cette théorie sont les suivantes :
*Le concept d’information, supposé être au cœur des transformations sociales, ne parle pas
du travail. Il se substitue à lui. L’information ainsi véhiculée donne une image très abstraite et
technique des changements en cours, sans rapport avec l’information concrète. Elle se
confond avec la connaissance, se réduisant d’ailleurs à l’information donnée par la R&D. Elle
n’opère pas de distinction entre les différents types d’information (de l’information
scientifique aux coordonnées d’un abonné au téléphone).
*Pour nous, la connaissance, produit de l’activité de recherche, se caractérise par des effets
généraux (tous les hommes sont concernés) et novateurs des principes connus de
fonctionnement de la matière et de la société. Elle alimente un stock qu’elle contribue à
accroître, elle suppose l’existence d’un flux et d’un niveau de formation adapté.
L’information est neutre même si son utilisation ne l’est pas toujours. La connaissance est
appréhendée de façon qualitative, alors que l’information est une notion dont le prolongement
est quantitatif (quelles exigences pour son stockage, son traitement statistique).
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*Elle prend son sens dans le travail de service. Elle est portée par un travail approprié
(recherche scientifique, actualisation) et se matérialise par de nombreux services (R&D,
décryptage et appropriation, finalisation, mise à disposition des utilisateurs). Ainsi il ne suffit
pas de permettre aux pays pauvres d’accéder aux génériques, encore faut-il y développer un
réseau hospitalier adéquat.
*Les TIC sont le moyen d’une information des marchés devenus de plus en plus complexes
et interdépendants. Elles ne sont pas à l’origine du capitalisme financier, mais son facilitateur
et son accélérateur.
Retenir les TIC comme étant situées au fondement du changement social et des lieux du
combat contre le capitalisme revient à mettre l’accent sur les techniques. Ce seraient elles qui
feraient évoluer la société. Pour nous, le moteur du changement social est dans le travail et les
modalités de son exploitation. En cela, nous reprenons l’analyse de Marx sur la mise en place
du travail salarié : ce sont les rapports sociaux qui ont progressivement produit le capitalisme
(l’expropriation de la paysannerie, l’accumulation primitive, existence d’une bourgeoisie
urbaine dotée d’autonomie).
La société dans laquelle nous avons vécu jusqu’à une période encore proche, était la
société industrielle. À travers la société industrielle étudiée, Marx avait mis l’accent sur le
statut du travail et le type de technologie qui lui est associé. La production des services vient
en prolongement, pour ainsi dire logique, des biens. Ceux-ci, pour être produits nécessitent de
plus en plus de services. Les TIC en ont facilité le développement à l’œuvre dans l’évolution
de l’industrie et de la société. Elles en permettent la démultiplication et la délivrance à
distance (les centres d’appels, les services des banques, les ventes par correspondance). Mais
la société a évolué dans ses besoins (éducation, santé, logement, loisir, gestion de la
complexité et des risques, individualisation des besoins). Du point de vue de la
consommation, on constate, en effet, un déplacement de l’importance relative des postes de
dépenses dans le budget des ménages. L’alimentation et les dépenses matérielles représentent
une part moins importante que les services (logement, santé, assurances, transport) qui
tendent à devenir majoritaires, d’où l’acuité du problème de l’accès pour tous aux services
fondamentaux.
La baisse du taux de profit dans l’industrie (saturation de certains secteurs relativement à la
demande solvable, luttes ouvrières) détourne les capitaux vers d’autres secteurs (services et
leur privatisation) et d’autres territoires (délocalisations). L’exploitation s’est élargie, passant
de la production des biens à la production des services et des pays industriels vers les pays en
voie de développement. La crise du capitalisme trouve ses solutions dans les services et la
mondialisation. Celle-ci apparaît comme le débouché de la crise de la suraccumulation,
entraînant la recherche du profit dans d’autres secteurs rentables (les services), d’autres
territoires (la délocalisation).
La société de service
Les TIC, associées à d’autres technologies, introduiront à long terme des effets dont
l’ampleur va bousculer les rapports sociaux. Pour l’instant et pendant longtemps encore, elles
ne concernent pas l’ensemble des activités et encore moins de la planète.
Le concept de société de service nous paraît englober la connaissance et l’information. Il
souligne les différences de contenu de l’information (résultat ou travail en acte), la spécificité
du travail des services (travail relationnel), le rapport d’usage (individuel et collectif). La
notion de service recouvre des situations beaucoup plus variées que ne le fait celle de
l’information qui concerne spécifiquement certains secteurs d’activité. Mais la contradiction
fondamentale de notre époque n’est pas dans l’écart entre l’usage des TIC, le statut de
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l’information et l’organisation sociale. Elle se trouve dans le mode de régulation de la société
de service avec les critères du productivisme industriel lié aux rapports capitalistes. Rendre
compte du caractère de service de la société actuelle, c’est mettre en évidence la communauté
d’intérêts des travailleurs, en montrant les limites de l’exploitation capitaliste et les formes de
la régulation par le marché
Le travail de service par rapport au travail industriel
La société de service ne supprime pas l’industrie, de la même façon que la société
industrielle n’a pas supprimé l’agriculture mais l’a transformée. Elle ne repose pas sur
l’immatériel, bien au contraire. Elle se caractérise par l’emploi de très hautes technologies
(dont les TIC) comme la société industrielle l’est par la machine-outil et l’électricité. Mais les
deux sociétés ne sont pas différentes seulement par les techniques matérielles, elles le sont
par le travail. Il est nécessaire de montrer ici la différence entre le travail industriel auquel
notre analyse est habituée et la nouveauté de celle du travail de service.
Le travail de service est une activité relationnelle : la relation de service
Le travail de service est un travail visible par autrui par différence avec le travail industriel
qui se réalise à travers un objet. C’est une activité relationnelle. Par rapport au travail
industriel, le travail de service est un rapport d’interactivité triangulaire entre, lors de la
satisfaction d’un besoin, le travailleur (prestataire) et l’objet de travail du prestataire et le
client ou usager (bénéficiaire du service). Ces services s’effectuent de plus en plus avec des
technologies de très haut niveau (dont les TIC), mais aussi avec des techniques plus
traditionnelles (nettoyage industriel). Le facteur humain devient déterminant : l’évolution
technique accentue la séparation entre l’homme et ses outils de travail, mais en même temps
accroît le rôle de l’homme dans leur mise en route (élévation de son niveau de compétences
pour maîtriser des techniques de plus en plus sophistiquées). Il devient le facteur principal du
changement. Il met en évidence la valeur d’usage.
Usage contre utilité
La relation de service se développe sur l’usage également, aussi bien du point de vue d’une
prestation que du point de vue de la société vue comme entité. Sous cet angle, il s’agit du
rapport social de service, en désignant ainsi le fait que le rapprochement entre le producteur
et le consommateur fait basculer l’utilité de la production vers son usage. Dans la société
industrielle, les objets marchandises doivent être utiles a priori. Mais pour l’entreprise, peu
importe leur usage. Dans la société de service, puisqu’il y a concomitance entre production et
consommation, les travaux ne doivent pas seulement être utiles a priori. Ils doivent être
utilisables. Ils doivent réellement servir. Ce qui compte désormais est l’usage (d’où le rôle du
designer industriel et du marketing qui n’est pas exclusivement de la vente, l’analyse du
naufrage de l’Erika confirme l’importance du rôle de l’usage des prestations de service). En
résumé, la prestation est toujours du travail à faire. Mais on est alors de plus en plus exigeant
sur l’usage, puisque la consommation est simultanée de la production. Ce raisonnement
intègre naturellement, si l’on peut dire, un certain nombre de phénomènes, ceux relevant
notamment de l’écologie. Il intègre également l’activité scientifique. L’appréciation de son
usage est une préoccupation sociale majeure. On voit que la contradiction la plus visible pour
un grand nombre de groupes sociaux repose sur l’usage capitaliste des ressources matérielles
et humaines.
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II. Les classes sociales dans la société de service : les enjeux des luttes sociales
Les questions étudiées ici concernent les groupes sociaux constitutifs de la société de
service, la nature de l’exploitation ; les formes de la conflictualité. Elles débouchent sur la
question de l’espace dans lequel se déploient le travail et le capital, posant ainsi la question de
la nation et des nations dans la mondialisation du rapport capital/travail.
Les groupes sociaux dans la société de service : quelques statistiques
L’usage indifférencié des termes « groupe », « classe », « strate », « catégorie » substitue
aux rapports sociaux fondamentaux des rapports d’inégalités entre les individus rassemblés
selon des critères statistiques (revenus, âge, qualifications, dotations symboliques, origines
sociales ou géographiques). Il neutralise les conflits d’intérêts fondamentaux. De même, la
notion de « classe moyenne » est une anti-classe (tout le monde y appartiendrait). Elle a un
sens du point de vue de la consommation et de son modèle, mais non dans la production. Ces
termes tendent à mettre en avant les écarts les uns par rapport aux autres, en d’autres mots,
soulignent les inégalités et les situations de domination dues à la possession de différents
types de capitaux (culturels, sociaux, symboliques). On constate ainsi que, dans la société
industrielle la classe ouvrière, qui fut au cœur du système productif, lutta trouver les formes
politiques, sociales et économiques (libertés politiques, statuts, sécurité sociale,
nationalisation) nécessaires au développement de la société tout en acquérant de nombreux
droits pour elle et en les étendant au reste de la population. Mais un modèle de vie et de
consommation fut mis en place par les catégories supérieures du salariat.
Cette façon de classer les individus permet de mieux connaître leur système de
représentation et les motivations qui les poussent à agir, en tant qu’individus ayant conscience
d’une appartenance identitaire selon des intérêts immédiats ou en tant que groupes sociaux
organisés autour des revendications limitées. Il y a bien au sein des sociétés complexes des
luttes internes aux groupes et entre les groupes pour des enjeux spécifiques mais aussi pour
asseoir leur propre hégémonie. Cependant, ces groupes ne se confondent pas avec les classes
sociales au sens de Marx. Le terme de « classe », chez Marx, renvoie à la division de la
société autour du travail, entraînant des conflits pour l’appropriation des richesses créées.
Cette appropriation, dans la société capitaliste, est privative. Elle est liée à l’existence de la
propriété privée des moyens de production dont le travailleur est dépourvu, l’obligeant à se
mettre à la disposition du capitaliste. Cette propriété privée a atteint aujourd’hui un haut degré
d’abstraction. Elle n’en existe pas moins, sous la forme du pouvoir de la banque et de la
bourse.
Les objectifs de transformation sociale doivent, nous semble-t-il, être référés à des critères
de classe, c’est-à-dire des critères de transformation mettant en question les rapports sociaux
fondant la structure et le fonctionnement d’une société, en l’occurrence les rapports
d’exploitation de la société capitaliste et non les rivalités interindividuelles pour
l’appropriation des capitaux symboliques ou quelques prébendes, qui ne remettent pas en
cause l’exploitation.
Du point de vue de la production (le travail), actuellement 90% des actifs sont des salariés,
sur lesquels 70% remplissent des fonctions de service. Les groupes sociaux occupent des
positions inégales et reçoivent des revenus inégaux. Les conditions de travail se sont
transformées par rapport à la société industrielle : la disparitions des grandes concentrations
de salariés, la flexibilité des horaires, la diversité des statuts sur un même site, la précarité et
la complexité des contrats de travail, pulvérisent les consciences d’appartenir à une même
entité productive.
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La réalité de la société de service est que près de 80% de la population active ne
bénéficient pas de la position confortable que promettent les chantres de la mondialisation. Ce
sont les catégories les moins dotées positivement en diplômes, en compétences rares, en
capacités de mobilité géographique et professionnelle, en capital social et culturel. En effet,
les employés, les ouvriers et les catégories intermédiaires représentent respectivement 29%,
26% et 23% de la population active salariée. La population féminine dans l’activité
économique se monte à près de 50%. Si toutes les femmes sont concernées par le combat
féministe, celui-ci ne peut se substituer aux combats de classe. Les femmes se retrouvent dans
toutes les catégories socioprofessionnelles et lorsqu’elles occupent des positions de pouvoir
(instances politiques, direction des entreprises, cadres publics et privés), elles n’agissent pas
différemment des hommes. Pour l’essentiel, cependant, elles se situent au bas de l’échelle des
statuts et des salaires. Sur 100 salariées, elles sont 49% à être employées (services
administratifs des entreprises, services de proximité, personnel de santé, nettoyage industriel,
vendeuses, caissières). Elles constituent le pilier de la société de service, dévalorisées et
maltraitées, précarisées, menant difficilement de front leurs fonctions de production (travail)
et de reproduction (maternité) de la société. La classe ouvrière est diluée dans des petites
unités et menacée dans son existence par les délocalisations. Elle demeure importante dans le
secteur public (transport, énergie), mais son statut y est fragilisé. Les catégories
intermédiaires comprennent le personnel du secteur de l’éducation et de la santé représenté
par une majorité de femmes (secteur public) et des techniciens et contremaîtres (secteur
privé).
L’exploitation est le dénominateur commun à ces salariés, même s’ils ne la subissent pas
de la même façon. Mais elle n’est pas toujours perceptible. Tout le monde ne s’appauvrit pas
et certains vivent bien le progrès technique (santé, déplacements, loisirs, confort) et
l’expansion du capitalisme (voyages, déplacement). Une partie des salariés, notamment parmi
les jeunes diplômés ou parmi certains métiers de service (hôtellerie, restauration), bien insérés
dans l’activité mondialisée, en profite pleinement, jouissant de revenus confortables soumis à
une faible fiscalité et d’une bonne santé. Ces salariés penchent à droite, quitte à faire basculer
leurs votes vers la gauche, à mesure que leur « employabilité » sur le marché du travail
décline (cf. les résultats des votes aux élections présidentielles par tranche d’âge).
On constate, néanmoins, la sensibilisation d’un nombre important de membres des
catégories supérieures, notamment dans les professions intellectuelles et dans la fonction
publique, aux effets négatifs de le mondialisation et à la recherche des solutions alternatives
au capitalisme financier. Ces membres militent dans des structures associatives et amicales,
cherchant à se substituer aux partis politiques. Leur ambition est de devenir les dirigeants de
nouveaux mouvements sociaux et cela, à l’échelle internationale. Si leurs analyses peuvent
être pertinentes, notamment à ce niveau, et même trouver un écho dans une fraction des
catégories intermédiaires, leur absence de sens politique et leur manque d’assise populaire, au
niveau national et encore plus au niveau international, en stérilisent les résultats.
L’exploitation dans la société de service
L’exploitation est plus difficile à repérer car elle ne se voit plus par disparition des objets et
invisibilité des services. Le résultat du travail ne réside plus dans les objets mais dans les
personnes ou dans l’entretien des objets existants. De ce fait, le conflit capital/travail se
déplace vers le conflit travailleur/client ou usager.
Alors que la production industrielle se traduit par l’apparition d’un objet, la prestation de
services n’apparaît pas toujours comme du travail. Dans l’entreprise, l’augmentation de la
productivité des services continue avec les mêmes moyens que dans l’industrie, contribuant à
dégrader les services. En effet, quand ils le peuvent, les dirigeants d’entreprise introduisent
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des méthodes d’organisation taylorienne comme dans l’industrie. L’exemple des centres
d’appels, avec les appels en chaîne, contrôlés par des robots, des standards d’appels, des
normes quantitatives (nombres d’appels à la minute) en sont une illustration. Ils peuvent
également transformer des services en objets (production de disques remplaçant les concerts),
ou substituer des machines aux travailleurs (points argent). Mais en agissant ainsi, ils
interviennent sur la qualité des services, parfois en amélioration mais très souvent en
dégradation et reportent sur la clientèle la recherche de la productivité (phénomènes des files
d’attente ou robotisation accentuée de la réponse aux appels téléphoniques, par exemple). On
peut citer d’autres exemples, celui des médecins recevant un temps moyen de 15 minutes pour
l’examen d’un patient.
Car, on n’améliore pas toujours la qualité des services par les machines et on ne peut
augmenter la productivité apparente du travail sans nuire à la qualité du service. Par
conséquent, c’est par le temps de travail à l’état brut (d’où l’enjeu de la semaine de 35 heures)
et par la compression de la valeur de la force de travail (problème salarial) et du coût salarial
indirect (attaque contre les acquis sociaux) que tend à s’opérer la production de plus-value. Il
est clair également que le secteur public, avec ses statuts et ses protections du travail,
perturbe les mécanismes de l’exploitation à mettre en place sous des formes renouvelées.
C’est l’une des raisons pour lesquelles la classe capitaliste veut le contracter au maximum.
Enfin, les conquêtes ouvrières sur le plan du travail sont actuellement fortement remises en
cause.
Les lieux et les formes de la conflictualité
Outre un contexte international peu favorable et celui d’une faible croissance, le type
d’organisation du travail (unités de petite taille, gestion individuelle des horaires,
personnalisation des carrières et des rémunérations, précarité des emplois) rend la
mobilisation des salariés difficile. La pénétration du social dans le politique rabat la politique
sur le social au détriment d’un horizon transformateur. La valorisation de la « société civile »
comme acteur dépouillé de toute souillure du politique encourage la dépolitisation des luttes.
On fonctionne en termes moraux et non de luttes de classes ; les associations s’interposent
entre les individus et l’État sur des questions ponctuelles, c’est-à-dire des intérêts de groupes.
Les liens compassionnels s’imposent à l’encontre du lien politique.
Or, dans la société de service, les rapports fondamentaux passent toujours entre les
capitalistes et la population salariée. Comprendre le facteur d’unification des salariés, à partir
des problèmes du travail (tâches, conditions, salaires, organisation, réseau d’interdépendance,
politique du travail, avenir des trois composantes d’une économie moderne, l’agriculture,
l’industrie et les services) aiderait à la compréhension de ce qui peut rassembler le salariat sur
les services fondamentaux d’une part, sur les politiques qui touchent aux enjeux communs à
ces catégories, d’autre part.
La société de service constitue, avons-nous dit, la suite logique de la société industrielle
dans sa maturité, mais les choix qui semblent s’imposer à l’heure actuelle – spécialisation des
sociétés développées dans les services et transformation du reste du monde en ateliers
industriels – sont dictés par la recherche de la rentabilité. Ils ne sont pas inévitables. Les
délocalisations industrielles systématiques obèrent à terme, si ce n’est déjà fait, nos capacités
productives et notre savoir-faire. Des services de haut niveau nécessitent une industrie de haut
niveau. La R&D nécessite une recherche fondamentale ainsi qu’un réseau de PME. Les objets
industriels performants ne résultent pas seulement de la fabrication mais aussi de la
connaissance de l’usage. La France a besoin d’un tissu industriel fort.
La classe ouvrière s’est constituée comme une avant-garde de la modernité face à son autre
pôle, la bourgeoisie. Elle a laissé un immense héritage, du point de vue de l’organisation
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économique et sociale et des valeurs de solidarité et de luttes, dont il convient de se saisir, en
l’actualisant et en l’enrichissant. Être le parti de la classe ouvrière, c’est s’en réclamer son
héritier. Longtemps, le Parti communiste représenta l’association de la lutte syndicale et
politique avec la figure de l’ouvrier professionnel et l’aspiration au savoir avec celle de
l’instituteur, traduisant les aspirations de la population au progrès matériel, intellectuel et
moral. Modèle d’organisation et mode de vie allaient de pair.
La résolution des problèmes ne peut passer que par un projet ambitieux, prenant en
compte le haut développement des forces productives en France ainsi que son niveau
d’organisation et sa conception de l’homme. Il importe de revisiter la construction de l’espace
où s’est déroulé le conflit de classe entre la classe ouvrière et la bourgeoisie et de comprendre
comment son règlement qui, à un moment, a pu favoriser un équilibre social (le pacte
républicain), se trouve à l’heure actuelle remis en question. Cela passe par la compréhension
pour les salariés du fonctionnement du capital, posant ainsi la question de ce qui constitue le
problème commun aux salariés en France, à savoir la remise en cause de la nation comme
espace de droits et de possibilité de luttes, alors que la mondialisation actuelle vise à la
destruction des nations pour produire un marché unique avec des individus atomisés et
dépouillés de leurs repères historiques, c’est-à-dire désarmés. La mobilisation pour les mots
d’ordre internationaux ne peut passer que par celle des organisations nationales. Jean-Claude
Delaunay abordera ainsi le troisième point, avec l’analyse de la place de la nation et des
nations dans la mondialisation du capitalisme contemporain.
Vieux-Boucau, le 28 août 2008-09-08
Quynh Delaunay
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