Croissance et développement durable, cela vous semble inconciliable ?
Pour commencer, il faut faire la différence entre, d’une part, la croissance économique
comme phénomène comptable, c’est-à-dire la croissance du PIB, qui en soi n’est pas un mal.
Et d’autre part, la logique de croissance à tout prix, que l’on pourrait appeler le croissantisme.
C’est une logique qui s’impose à tous les niveaux de notre vie, dans toutes nos pratiques de la
vie quotidienne et plus généralement dans toute la société, si bien qu’il est difficile d’en sortir.
Pourtant, la croissance montre des limites évidentes qui se traduisent par des dégradations
sociales et environnementales. Alors que le PIB ne cesse d’augmenter, on constate que le
fossé entre riches et pauvres se creuse. De plus, dans les pays riches les indicateurs de bien-
être ainsi que des indicateurs sociaux tels que la santé, l’éducation, l’espérance de vie à la
naissance,… au mieux stagnent et au pire chutent.
Bien entendu, une amélioration matérielle dans les pays pauvres amène une augmentation du
bien-être, mais dès qu’un certain niveau est atteint, ces indicateurs n’augmentent plus : la
hausse du PIB cesse d’augmenter le bien-être. A partir d’un moment, la croissance n’est donc
plus un moyen d’améliorer le social
.
Un bel exemple est celui de la France qui, il y a environ 40 ans, était durable au niveau de
l’empreinte écologique. A l’époque, la population mondiale aurait pu avoir le niveau de vie
des Français sans qu’il y ait de désastre écologique. Le niveau de vie des Français à cette
époque était déjà très bon. A partir de là, on aurait pu imaginer une amélioration du social par
une meilleure répartition des richesses, l’assurance de l’accès aux droits fondamentaux pour
tous,… tout en maintenant le même niveau économique et la même empreinte écologique. Cet
exemple n’appelle pas à un retour en arrière mais plutôt à mettre en place une réflexion pour
sortir de la logique de croissance. Dans cette perspective, on peut par exemple accepter des
nouvelles technologies mais seulement si elles servent le social et/ou l’environnemental, et
non pas si elles ont uniquement un but économique.
Aujourd’hui, dans un système croissantiste, s’il y a une diminution de la croissance, il y a une
crise. Cela vient du fait que nous avons une mentalité croissantiste qui repose sur la
consommation. C’est d’ailleurs tout un métier de parvenir à créer des besoins là où ils ne sont
pas. On y parvient notamment en poussant des mécanismes d’imitation et de distinction basés
sur la consommation. Considérant mon niveau de richesse personnel, je me suis rendu compte
l’an dernier que j’étais dans une situation contradictoire : je faisais à la fois partie des 20% des
Belges les plus pauvres et à la fois des 10% des personnes les plus riches au monde. J’en
comprends que notre société d’accumulation sans fin crée plus de frustration que de bien-être
et qu’elle est « à côté de la plaque ». Le développement durable ne peut se réaliser dans cette
logique croissantiste.
Comment mettre en place un développement durable ?
A mon sens, le développement durable se fait à trois niveaux. Au niveau individuel d’abord,
ce que l’on fait chez soi, dans sa famille. Si la logique croissantiste imprègne toute notre vie,
la mise en pratique d’un développement durable passe alors par un questionnement personnel
et un changement de soi. En ce qui me concerne par exemple, j’évite de regarder la télévision
et d’aller dans des supermarchés, je connais et je parle à mes voisins,… les gens ont trop
souvent tendance à réduire les gestes individuels à des gestes écologiques. Pour ce niveau
Voir notamment : Prospérité sans croissance, Tim Jackson, Bruxelles, De Boeck, 2010.