LA CHINE À L’HEURE MONGOLE
LE CADRE CHRONOLOGIQUE
Au 13e siècle, dans le monde, le fait majeur est la constitution de l’empire mongol : les cavaliers
mongols déferlent comme une vague sur toute l’Eurasie, donnant à l’histoire de cette époque une
dimension globale, mondialisée. Les conquêtes mongoles, qui s’étalent sur tout le siècle, conduisent
en effet à la formation du plus grand empire jamais formé : outre la Mongolie, il comprend la Chine,
l’Asie centrale, la Russie du sud (empire de la Horde d’or), l’Afghanistan, l’Irak, l’Iran. Les Mongols
se rendront même aux confins nord-ouest de l’Inde (1224), en Europe orientale (1241), ainsi qu’en
Syrie et au Liban (1260), mais n’y resteront pas. C’est sur ces immenses territoires que va régner la
pax mongolica (la « paix mongole », par allusion à la pax romana). À cause de ces dimensions
mêmes, l’empire mongol ne possède néanmoins aucune unité culturelle : pas de langue commune, pas
de système politique commun, pas de religion commune, pas de chef unique, etc. C’est un empire à
plusieurs têtes, et qui de ce fait va se fissurer aussi rapidement qu’il s’est constitué.
La Chine n’est donc qu’une partie de l’empire mongol, mais par sa culture, ses richesses, elle en est le
joyau. Pour ce qui est de la chronologie du règne mongol en Chine, on peut distinguer grosso modo
trois temps :
1. la phase de conquête de la Chine du nord, qu’on peut considérer achevée en 1234 avec la chute de
la dynastie jurchen des Jin
1
. Cette période est surtout associée à Genghis Khan (ci-après GK), qui
meurt en 1227. Phase de « conquête continue » (les Mongols sont dans leur élément).
2. la phase de conquête de la Chine du sud, qui dure presque un demi-siècle et se termine
symboliquement par la prise de Hangzhou, la capitale des Song du sud, en 1276. Pendant tout ce
temps, les Mongols gouvernent la Chine du nord. Qubilai (ci-après QK), petit-fils de Genghis, est élu
grand khan en 1260. Les Mongols déplacent leur capitale à Pékin puis prennent le nom dynastique
chinois de Yuan (1271).
3. le règne mongol sur toute la Chine : de 1276
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à 1368, date de la proclamation de la dynastie
chinoise des Ming. Cette phase n’est plus guerrière, les Mongols s’amollissent. Après la mort de
Qubilai (1294), c’est un déclin qui ne fait que s’accélérer.
Attention, donc : le règne mongol en Chine n’est pas limité à 1276-1368 : les Mongols ont occupé la
moitié nord de la Chine dès le début du 13e siècle. Il n’y a pas un siècle, mais deux, d’influence
mongole en Chine.
De Chine, les Mongols tentent de poser pied en Corée, au Japon, en Asie du sud-est et à Java. C’est un
côté moins glorieux de leur histoire car mis à part en Corée, ces tentatives se soldent par des échecs.
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Les Jurchen, originaires de Mandchourie et lointains ancêtres des Mandchous, étaient un peuple de pêcheurs et
de chasseurs. Vers la fin du 11e siècle, ils vivaient sous la domination des Khitan (nom dynastique chinois :
Liao), les maîtres de la région. En 1115, le chef jurchen Aguda s’était proclamé empereur, fondant la dynastie
Jin . En 1120, il fit adopter une écriture nationale inspirée de celle des Khitan. Excellents cavaliers, leurs
qualités guerrières ainsi qu’une organisation sociale de type paramilitaire – permirent aux Jin, avec une
rapidité exceptionnelle, de faire disparaître l’empire des Khitan. Puis, en 1126-1127, de rompre leur alliance
avec les Song et de les attaquer. Ils capturèrent l’empereur des Song et obligèrent ceux-ci à se replier dans la
moitié sud de la Chine (dynastie des Song du sud, à partir de 1127). Les Jurchen continuèrent de harceler les
Song du sud, avant de conclure avec eux un traité de paix (1142) les obligeant à verser de lourdes indemnités
annuelles. En 1153, ils établirent leur capitale à Pékin (baptisée Zhongdu, la « capitale centrale »). Leur empire
était immense : toute la Chine du nord et tout le grand Nord-Est. Peu à peu, et en dépit de réactions violentes
d’une partie de leurs élites, les Jurchen se sinisèrent. Les premiers affrontements entre Mongols et Jurchen
datent du milieu du 12e siècle.
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On voit parfois, comme date de début, 1279, qui est la date de l’élimination du dernier prétendant au trône des
Song. Mais ce n’est là qu’une convention : 1276 ou 1279, peu importe.
CHI 013a J. Kerlouégan Décembre 2005
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À PROPOS DES SOURCES
Quelques sources textuelles importantes sur l’époque mongole :
- le Yuanshi 元史 (Histoire des Yuan) est l’histoire dynastique des Yuan (il est donc en chinois). Il a
été compilé au tout début des Ming, en 1369-1370. Les compilateurs ont dû compléter à la va-vite une
première version dans laquelle manquait la partie sur le long règne du dernier empereur des Yuan,
pour laquelle il n’y avait pas d’archives. L’ouvrage est traditionnellement jugé comme bâclé (on a
retranscrit tels quels les documents des archives, sans grand travail de synthèse). Il contient peu de
choses sur la période avant Qubilai. Mais le Yuanshi reste néanmoins incontournable pour étudier les
Yuan. Au 18e siècle, plusieurs lettrés des Qing ont tenté, sans jamais mener à bien leur projet, d’écrire
une autre Histoire des Yuan, car ils jugeaient que le Yuanshi contenait trop d’imprécisions. Mais ce
n’est que dans les années 1920 qu’un Xin Yuanshi (Nouvelle Histoire des Yuan) a été compilé pour
pallier les lacunes du Yuanshi.
- L’Histoire secrète des Mongols est une sorte d’épopée historique, de saga, de chant héroïque plein de
chair et de sang, dans la tradition des récits oraux nomades (L’Histoire secrète est sans doute fondée
sur les récits qu’on racontait sous la yourte). Elle relate les origines de la lignée genghiskhanide (des
origines de GK jusqu’à l’avènement de son successeur Ogodei, en 1229). Très riche pour la jeunesse
de GK. Donne une image de GK pas toujours aussi positive que celle de l’histoire officielle (Jochi ne
serait pas son fils, GK a peur des chiens, est influencé par ses femmes au moment de diviser son
empire, a subi des défaites l’histoire officielle parle de victoires, etc.). Aurait été écrite lors du
quriltai (assemblée des grands) de 1228, juste après la mort de GK.
La version mongole est perdue : on n’en connaît que la version en caractères chinois translittérant
approximativement les syllabes du mongol du 13e siècle (ce travail a été fait par le Bureau des
Interprètes du début des Ming). Cependant, en 1926, a été découverte en Mongolie une copie
médiocre (de la fin du 17e siècle ou du début du 18e siècle) de l’Altan tobchi (Le Résumé d’Or), en
écriture ouïghoure traditionnelle, qui comprend de longs passages de L’Histoire secrète, ce qui a été
utile pour restaurer le texte mongol original.
Il existe plusieurs traductions en langues occidentales. La plus aisément accessible est : Histoire
secrète des Mongols. Chronique mongole du 13e siècle, Gallimard, « Connaissance de l’Orient », 1994.
- la Somme des chroniques (Djâmi ‘al-tawârîkh), de l’historien Rashi al-n, en persan, contient une
chronique de l’histoire des Mongols genghiskhanides et des premiers il-khans (les khans de Perse).
Rashi al-Dîn occupait des fonctions politiques dans le khanat de Perse. Il a écrit sur l’ordre du khan de
Perse, lui-même féru d’histoire, et a ainsi pu avoir accès à des archives, et notamment à une chronique
mongole privée de la famille genghiskhanide, l’Altan Debter (Le Livre d’or), aujourd’hui disparue. Il
a aussi pu assister aux conférences d’un ambassadeur de QK en Perse, qui était une autorité en histoire
mongole.
- le Shengwu qinzhenglu 圣武亲征录 (Chronique des campagnes personnelles du Saint Martial) est
une chronique en chinois des campagnes de GK et d’Ogodei, fondée elle aussi sur l’Altan debter. Elle
a servi de source pour la rédaction du Yuanshi. Elle a été traduite en français en 1951.
- plusieurs codes de lois, en chinois, datant de la fin du 13e siècle et de la première moitié du 14e siècle
(voir 3.4). Sources précieuses sur le fonctionnement de la société sous l’ère mongole.
1. LA SOCIÉTÉ MONGOLE EN MONGOLIE
Qui étaient les Mongols ? D’où venaient-ils ? Les réponses sont assez floues. À l’époque
on les voit émerger, au milieu du 12e siècle, ils n’ont pas une longue histoire, ils ne sont pas un peuple
important comme les Ouïghours ou les Khitan. Dans les sources chinoises, la première apparition du
mot Meng date seulement des Tang : dans des textes du 8e siècle, ce mot désigne des tribus de la
La Chine à l’heure mongole
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forêt mandchourienne. Puis il réapparaît aux 10-11e siècles pour désigner des nomades, mais pas de la
même région (entre le lac Baïkal et les Grands Khingan). On pense toutefois qu’il y a un lien.
Apparemment, ces Meng ne sont pas nombreux, pas très développés culturellement, et pauvres; en
tout cas, ils passent assez inaperçus jusqu’au 12e siècle. À partir des années 1140, ces Meng
(appelons-les désormais Mongols) apparaissent fréquemment dans les textes, et clairement comme des
ennemis des Jin (qui règnent en Chine). Mais ils ne demeurent qu’une confédération tribale parmi bien
d’autres.
Les origines légendaires du peuple mongol (cf. L’Histoire secrète) sont les suivantes : un loup
gris et une biche se seraient unis sur une montagne, devenue ensuite sacrée, et auraient initié une
descendance sur plusieurs générations
Trait principal de la société mongole : le nomadisme, la mobilité. Ils se déplacent sans arrêt,
n’ont pas de « domicile fixe ». Ils perdront d’ailleurs de leur puissance lorsqu’ils se sédentariseront en
Chine (ce sera aussi le problème des Mandchous au 17e siècle, mais ceux-ci le résoudront mieux).
Les Mongols possèdent une culture du cheval qu’ont perdue les Chinois : petit cheval
vigoureux de la steppe, le poney, qui est capable de dénicher de l’herbe sous une couche de neige, que
tout le monde sait monter. Les Mongols se déplacent à cheval, dorment dessus, font la guerre dessus
en tirant à l’arc léger ou lourd (tirent par-dessus l’épaule, en se retournant), chassent dessus (la chasse
ou la conquête de nouveaux pâturages servent d’entraînement permanent à la guerre), peuvent même
saigner le cou du cheval et boire son sang tout en cavalant. Chaque homme possède deux ou trois
chevaux, peut-être même cinq, et les monte jusqu’à ce que les bêtes meurent d’épuisement. Un dicton
dit : « Sans son cheval, qu’est-ce qu’un Mongol a de mieux à faire que mourir ? ».
Ils élèvent aussi des moutons, chèvres, qui leur donne lait et laitages (produits inconnus en
Chine, typiques de la steppe), viande et laine.
Pas d’agriculture mais un artisanat (tanneurs, fabricants d’arcs, forgerons, qui sont en même
temps des guerriers). Nécessité de vivre près d’empires sédentaires pour s’approvisionner en thé,
textiles, objets métalliques, …
Les Mongols vivent en permanence de la chasse et des pillages, qui leur procurent du butin.
Peuvent aussi enlever des femmes des autres ethnies (la mère de GK est enlevée par Yisugei, son père,
à un chef Merkit qui voulait en faire sa fiancée). Ce mode de vie violent, ils vont l’élever en principes
stratégiques pour les guerres de conquêtes : raids imprévisibles, stratégie de harcèlement plutôt que
d’affrontement direct, retraites simulées pour attirer l’ennemi en un terrain favorable. Tout cela est
savamment planifié.
Ils habitent sous la yourte (ger), campent dans la prairie, le long des points d’eau, se déplacent
au rythme des saisons, une science qui nécessite la connaissance de la météorologie, des distances, du
relief, des pistes.
Dans la société mongole, le place des femmes est plus grande que dans les autres sociétés
asiatiques, sédentaires. Chez les nomades, tout le monde travaille !
Il y a des classes sociales : les nobles, les gens du peuple (pas grande différence de statut entre
les deux) et des dépendants (bo’ol). Le nokhod est l’entourage d’un chef (comprend des gens de toutes
origines sociales, qui ont choisi de suivre un chef).
Les lignages (familles étendues) constituent la base de l’organisation sociale, mais peuvent
aussi être « lâches » (on se construit des lignages artificiels, alliances politiques de circonstance, qui
peuvent être vite remises en question).
Les Mongols ne savent ni lire ni écrire. Culture orale. Les ordres militaires sont transmis de
bouche à oreille par des formules rimées pour qu’on les retienne (cela permet en outre que ces ordres
ne tombent pas entre les mains ennemies). Les bilik sont des espèces de maximes, les yasaq des
commandements.
2. DE LA CONQUÊTE À LA SINISATION
2.1 Le destin exceptionnel de Genghis Khan
Gengis Khan, 成吉思汗 en chinois, s’appelait Temüjin (de temurchi, « forgeron », car il serait
dans une famille de forgerons). Il serait au milieu des années 1160. Il a circulé ensuite plusieurs
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légendes autour de sa naissance. Il fait partie d’une des ethnies qui peuplent la steppe, l’ethnie
mongole, établie entre les rivières Onan et Kerulen, dans une région de collines et de prairies, au sud
de la forêt sibérienne et au nord de la capitale actuelle de la Mongolie, Oulan Bator. Cette ethnie vit
entourée d’autres ethnies, tantôt rivales tantôt amies (les alliances se font et se défont au gré des
circonstances, et les revirements sont les prétextes de campagnes punitives). Ces ethnies sont divisées
en tribus, elles-mêmes divisées en lignages et clans. Temüjin fait partie du clan des Bordjigin. C’est
un chef très charismatique, à l’œil de chat, au physique imposant, au mode de vie frugal (il n’aimait
pas le luxe chinois), aussi généreux avec ses loyaux serviteurs ou compagnons d’armes que violent et
sans pitié pour ses ennemis ou ceux qui l’ont trahi.
Le thème de la vengeance est très important dans la culture mongole. Enfant, Temüjin tue un
de ses demi-frères qui lui a volé un butin de chasse. On le voit ensuite participer à l’expédition
punitive contre les Merkits (1184), qui avaient enlevé sa future épouse, Börte (la fille d’un chef
Onggurat), à laquelle il avait été fiancé dès son plus jeune âge; puis écraser les Tatars, qui avaient
empoisonné son père (vers 1174-1175); exécuter son vieil ami d’enfance Jamuga, coupable d’être
passé plusieurs fois chez l’ennemi (1205). C’est souvent par vengeance (et par esprit conquérant) que
les Mongols rayent de la carte des territoires entiers, rasent les villes, massacrent leurs habitants. Les
soldats mongols coupent les têtes ou les oreilles pour avertir la population de leur passage, dressent
des pyramides de têtes (voir les témoignages horrifiés de chroniqueurs de la chrétienté occidentale).
GK a passé presque toute sa vie à faire la guerre.
En une vingtaine d’années, Temüjin, qui est fait khan au quriltai de 1187 ( ?), commence par
mettre sous sa tutelle les peuples de la steppe (prairies ou forêts), dont certains étaient bien plus
nombreux que les Mongols :
- les Tatars sont battus en 1196 (Temüjin s’allie pour cela aux Jin, qui le récompensent de
titres honorifiques).
- les Kereits, longtemps alliés de Temüjin (son père avait aidé un chef Kereit), nestoriens, sont
battus en 1203. Temüjin se proclame leur chef.
- les Naimans (peuple lettré, d’origine turque, ayant adopté une écriture ouïghoure,
bouddhistes et nestoriens), sont vaincus en 1204.
L’une des clés du succès est un nouveau type d’organisation militaire, fondé sur un système
décimal : des unités de 10, 100, 1000 (mingghan) ou occasionnellement 10 000 hommes (tümen). Ces
armées sont mobiles, souples, disciplinées. Genghis veille à répartir le commandement, de façon à
éviter qu’un chef d’armée prenne trop de pouvoir. Il n’hésite pas à promouvoir les soldats du rang. Les
chefs d’armée disposent de gardes personnelles, les kesig, qui servent en même temps d’intendance
personnelle mobile. Ce système d’organisation militaire permet aussi de briser les liens tribaux.
Devenu le maître de la Mongolie, le khan Temüjin reçoit son nom de Cinggis
l’océanique », « l’universel » ? ou « le grand », « le brave » ?) au quriltai de 1206. Entre temps, il
commence à promulguer des lois, notamment sur la discipline militaire, par exemple sur l’exécution
des déserteurs, la responsabilisation des chefs. Ces lois deviendront eu fil du temps le yasaq, un code
politique et moral plein de traditions ancestrales, réservé aux Mongols (cf. 3.4). Il dote la langue
mongole d’un alphabet, adapté de l’alphabet ouïghour (1204)(c’est ce même alphabet ouïghour que
les Mandchous utiliseront au 17e siècle pour créer leur alphabet).
Plusieurs peuples se soumettent de leur plein gré, comme les tribus de la forêt sibérienne
(1207), les Kirghizes (1207) et surtout les Ouïghours (1209). Les Ouighours, peuple lettré, de langue
turque, descendants des puissants Ouïghours de l’époque des Tang, avaient été repoussés vers l’ouest
(dans les oasis du Xinjiang) au 9e siècle et s’étaient sédentarisés. Ils devaient avoir une profonde
influence culturelle sur les Mongols et s’avérer plus tard des intermédiaires précieux avec les Chinois.
Au 13e siècle, ils sont de plus en plus bouddhisés (mais pas encore Musulmans comme aujourd’hui).
Première victoire sur un peuple sédentaire. GK s’attaque ensuite au vaste État Tangut (dynastie
appelée Xixia par les Chinois), dans la région des Ordos, et conclut une paix avec lui en 1210.
GK peut ensuite s’attaquer aux Jin, en Chine du nord. La première attaque contre eux, en
1211, ne sert qu’à rapporter du butin. Le blocus de Pékin, en 1213-1214, est levé car Pékin ne tombe
pas : les Mongols concluent des accords de paix avec les Jin. Mais ceux-ci fuient, dans la foulée, en
lieu plus sûr, à Kaifeng (où ils tiendront encore 20 ans). Furieux, GK revient, et cette fois prend Pékin
désertée, détruisant une bonne partie de la ville. Il faut noter que le pouvoir Jin était contesté en son
La Chine à l’heure mongole
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sein même (rébellion d’un général jurchen qui fonde son État en Mandchourie, en 1215). Les Khitan
de Mandchourie, ennemis de toujours des Jin, se rallient.
Mais GK doit s’occuper de l’ouest : entre 1215 et 1223, il délaisse la Chine, qu’il confie aux
mains de son général Muqali, et s’occupe de conquérir l’Etat du Kara-Khitai (les « Khitan noirs »,
descendants des Khitan vaincus un siècle plus tôt par les Jurchen, et qui s’étaient réfugiés au
Xinjiang). Sa campagne contre l’Etat musulman du Khorezm (1219-1223) lui permet de prendre
Boukhara, Samarcande, Kaboul, puis il pousse vers le Caucase, l’Arménie, l’Azerbaïdjan…
Genghis retourne en Mongolie vers 1225, et meurt, des suites d’une chute de cheval dit-on,
dans une ultime campagne contre les Tangut il voulait régler un dernier compte avec eux, car ils
n’avaient pas honoré leur parole de soutien aux Mongols. On n’a jamais retrouvé sa tombe, ce qui a
donné lieu à un tas de spéculations, mais on a construit très tôt une sorte de sanctuaire dans le désert
des Ordos, avec un cercueil contenant ses prétendues cendres et reliques (détruit pendant le
soulèvement musulman dans la région au 19e siècle).
Un destin exceptionnel : de chef de tribu à maître du monde L’héritage de GK est
périodiquement rediscuté en Chine, en Mongolie, dans l’ex-URSS. Héritage positif (mélange des
cultures) ou négatif (destructions, morts) ? Depuis le début du 20e siècle, GK est une figure nationale
en Mongolie, où il est considéré comme le fondateur de la nation et de la culture mongoles.
2.2 De Genghis à Qubilai
GK avait préparé sa succession dès 1219 en divisant son empire et ses armées entre ses quatre
fils : Jochi, l’aîné (puis ses descendants) règneront sur la partie ouest (Russie du sud, Sibérie
occidentale)
3
, Djaghatai reçoit l’Asie centrale (ses descendants seront les fameux « grands moghols »
indiens du 16e siècle), Tolui, le plus jeune, la Mongolie natale. Le troisième fils, Ogodei, est choisi par
GK comme son successeur et doit hériter (tacitement) de la Chine du nord.
Ogodei est fait khan au quriltai de 1229 dans la « terre natale » de Mongolie, et poursuit les
conquêtes en suspens en Chine. En 1234, il force la capitulation définitive des Jin, qui s’étaient
déplacés à Kaifeng pour y être en lieu plus sûr (voir plus haut), et dont un certain nombre avaient fait
défection et étaient passés du côté des Mongols. Il aura fallu 20 ans de guerre, depuis la prise de Pékin
en 1215, pour éliminer définitivement les Jin. Les Song du sud refusèrent de coopérer aussi bien avec
les Mongols (en les laissant passer au Sichuan) qu’avec les Jin, qui étaient venus leur demander
assistance. Ogodei poursuit les conquêtes à l’ouest (Moyen-Orient et jusqu’en Europe orientale) et
même en Corée, mais celle-ci résistera presque 30 ans avant de capituler, en 1259 (il faut dire qu’elle
n’était pas une priorité des Mongols). La mort d’Ogodei, en 1241, fait revenir les troupes mongoles
d’Europe, car il faut tenir le quriltai pour élire un successeur.
À partir de cette date, la lignée genghiskhanide sera en permanence en proie à des querelles de
succession, qui montreront les rivalités entre les fils et petit-fils de GK. En 1251, c’est la lignée de
Tolui qui s’impose pour de bon en Chine et y règnera jusqu’à la fin de la dynastie mongole
4
: Mongke,
un fils de Tolui, est élu grand khan (mais ce choix est contesté : certains nobles mongols ne
reconnaissent pas la décision du quriltai). De même, à la mort brutale de Mongke, en 1258, alors qu’il
combattait contre les Song du sud, nouvelle querelle de succession, cette fois entre deux de ses frères :
Qubilai (qui était lui aussi en campagne contre les Song du sud) et Arigh Boke, le cadet. Arigh, resté
en Mongolie, réussit à rallier des soutiens de poids parmi la noblesse mongole, y compris des gens de
la lignée d’Ogodei et de Djaghatai (qui espèrent revenir régner en Chine) mais finalement, c’est
Qubilai qui, à toute vitesse, est élu grand khan en 1260 (là encore, son élection sera toujours
contestée).
2.3 Le règne de Qubilai
Qubilai
5
est une figure de « second fondateur » (après Genghis), et même de véritable
fondateur du règne mongol en Chine. Son nom est resté profondément attaché à l’histoire chinoise,
3
Khanat de Kipchaq, plus célèbre sous son nom de Horde d’Or, qui survivra jusqu’au début du 16e siècle.
4
La lignée d’Ogodei se rabat sur l’Asie centrale et rejoint celle de Djaghatai.
5
Voir sa biographie par Morris Rossabi : Khubilai Khan, His Life and Times, 1988.
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