Les critiques précédentes conduisent à un double résultat. D’une part, elles conduisent à
élargir le champ des phénomènes à soumettre à l’investigation d’une science sociale, l’aspect
essentiel étant le caractère auto-interprétatif du monde social incorporé dans le langage parlé
par ceux qui lui appartiennent et dans les médiations symboliques constitutives de leur culture
et d’autre part, elles recommandent une conception herméneutique des sciences sociales, qui
revient à leur assigner l’exégèse textuelle comme modèle ou dans une version plus faible, à
leur attribuer comme tache de conférer des significations de rendre intelligible ce qui ne l’est
pas suffisamment.
Toutefois, L.Quéré se refuse à suivre cette recommandation herméneutique et de lui procurer
le statut de paradigme pour la sociologie. En effet, l’herméneutique conduit à un nouveau type
de réduction qui perd de vue le rôle médiateur joué par l’interprétation dans l’organisation
endogène et interactive de l’activité sociale. Le fondement de la recommandation nous invitait
à partir de la définition même de la sociologie de M.Weber. Celui qui veut comprendre par
interprétation en prenant pour modèle l’exégèse textuelle doit démontrer qu’il est possible de
transférer à l’action l’essentiel des traits d’un texte, c’est-à-dire de traiter l’action comme une
objectivation du sens sous l’aspect de son achèvement, et ainsi de soustraire à l’analyse
l’accomplissement de l’action .
De plus, l’interprétation est constructiviste par définition. Or, ce type de démarche, qui
procède par qualification va à l’encontre d’une attitude analytique qui vise à élucider les
conditions et les modalités d’une occurrence plutôt qu’à l’expliquer ou lui attribuer un sens.
Enfin, émergent deux types de problèmes lorsque la sociologie se donne pour tache
d’interpréter : d’une part, un risque de voir proliférer les discours et les commentaires sans
que l’on puisse se référer à un critère intersubjectivement partagé pour évaluer leur pertinence
ou leur justesse, le propre de l’interprétation étant de ne pas pouvoir être vérifiée par les faits ;
d’autre part, le renoncement, souvent impliqué par l’argument herméneutique, à toute visée de
connaissance objective et théorique du mode social.
Si l’herméneutique ne semble pouvoir constituer en soi un paradigme pour la
sociologie, il ne faut pas pour autant occulter l’interprétation. En effet, pour J. Habermas
[Théorie de l’action communicationnelle, 1981], il y a une objectivité propre de
l’interprétation, en terme d’accord produit à travers une argumentation dans laquelle n’est
prise en compte que la force des arguments. De la sorte, toute compréhension par
interprétation est nécessairement rationnelle parce que pourvue d’une structure quasi-
argumentative. Nous allons donc dans la partie suivante souligner les grands axes de la pensée
de J.Habermas, qui cherche à développer une « science sociale reconstructive ». Elle se donne
pour but de mettre à jour, à travers une théorie de l’agir communicationnel, les conditions
générales de validité et d’acceptabilité d’actions pourvues de sens et le savoir-faire
préthéorique maîtrisés par les acteurs pour réaliser et reconnaître des actions socialement
acceptables leur permettant de coordonner leurs activités.
II) La pragmatique universelle de J. Habermas
La thèse d’un dualisme méthodologique entre les sciences de la nature et les sciences
de l’esprit est discutée par la philosophie des sciences et la sociologie allemande. Dans la
connaissance du monde de l’esprit nous pouvons faire appel à la compréhension car, par
introspection, nous pouvons concevoir la signification des actions humaines. Pour accéder à
cette compréhension, Dilthey proposait la démarche herméneutique, dont nous venons
d’étudier les différentes modalités pour la sociologie. D’autres auteurs, tout en affirmant les