La sociologie à l`épreuve de l`herméneutique

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Fiche faite par Claire Talazac
pour la question d’agrégation « expliquer/comprendre »
Année 2002-2003 Ens Ulm
La sociologie à l’épreuve de l’herméneutique,
Essais d’épistémologie des sciences sociales
Louis Quéré
 Présentation de l’auteur et de l’ouvrage
Louis Quéré est sociologue, directeur de recherche au CNRS, il est membre du Centre
d’Etude des Mouvements Sociaux, à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. De 1994
à 1998, il a enseigné l’épistémologie des sciences sociales à l’Université de Lausanne. Le
présent ouvrage a d’abord été constitué pour les étudiants qui suivaient ses cours
d’épistémologie des sciences sociales, et se découpe en six chapitres qui portent sur les enjeux
de l’herméneutique contemporaine pour la sociologie. A partir de différents points de vue, il
examine une seule et même question : l’herméneutique, science de l’interprétation,
constitue-t-elle un paradigme pour la sociologie ?
-Plan de l’ouvrage
L’article « l’interprétation en sociologie » esquisse la perspective d’ensemble à partir
de laquelle l’auteur sollicite l’éclairage de l’herméneutique sur les sciences sociales.
L’ouvrage se compose, ensuite, de deux articles sur J.Habermas, et étudient les enjeux
de l’herméneutique contemporaine pour les sciences sociales, chacun des articles
correspondant à différents moments de l’itinéraire intellectuel de J.Habermas. Le premier,
relatif à sa pensée dans les années 60, lui permet d’esquisser une théorie post-positiviste des
sciences sociales, en se confrontant à des divers courants philosophiques et sociologiques
[particulièrement H.G Gadamer]. Le second reformule la problématique wéberienne de la
compréhension du sens à la lumière d’une théorie de la raison communicative.
Deux autres articles sont consacrés à des auteurs nourris par la philosophie de H.G
Gadamer : le premier relate la stratégie proposée par Charles Taylor pour échapper au
dilemme de l’ethnocentrisme et du relativisme en sciences sociales ; le second pose le
problème de l’objectivité de la connaissance historique à partir des travaux de R.Koselleck sur
la sémantique de l’événement dont les différentes sciences sociales devraient tirer partie.
Enfin, un article sur le langage expose la manière dont la sociologie rencontre le
problème du langage, comme thème d’étude, comme ressource pour l’analyse et comme
élément constitutif aussi bien de ses objets que de son dispositif de connaissance.
Il ne s’agira pas dans cette fiche de lecture de résumer et d’analyser successivement les
précédents articles, mais d’extraire les éléments répondant à la problématique du thème
« Expliquer et Comprendre », ce qui conduit à opérer certains choix quant aux éléments qui
vont être développés maintenant.
 Problématique générale de l’ouvrage
Comme nous l’avons souligné succinctement précédemment, L.Quéré s’interroge sur
la possibilité et l’efficience de considérer l’herméneutique comme un paradigme pour la
sociologie, ce qui la conduirait à être considérée comme une science de l’interprétation. Or,
des positions récentes comme celles de R.Boudon, qui doute que l’on puisse approfondir la
réflexion de M.Weber sur la compréhension et sur la place de celle-ci dans la connaissance
sociologique en prenant appui sur les développement récents des sciences de l’interprétation,
ou celles de J.C Passeron, qui s’inquiète des risques de « divagation herméneutique »,
soulignent l’existence dans la sociologie française d’une attitude frileuse vis à vis d’acquis de
la réflexion contemporaine, où figurent l’herméneutique.
Cette attitude contraste avec les théoriciens tels A.Giddens ou J. Habermas, qui ont trouvé
dans l’herméneutique un point d’appui solide pour explorer la logique d’une possible science
sociale post-positviste.
Le problème de l’interprétation en sociologie relève essentiellement des implications
épistémologiques et méthodologiques à tirer du fait que nous soyons, selon la formule de
C.Taylor « des animaux qui s’interprètent eux-mêmes », ou encore du fait que les sciences
sociales aient affaire à des êtres individuels et collectifs qui construisent et maintiennent leur
identité à travers une interprétation de soi dans un langage déterminé. Le langage devient
alors un vecteur de l’interprétation, et cela pose implicitement la question de la place et du
rôle du langage dans la sociologie.
Face à cette problématique de recherche présente dans tous les articles de L.Quéré,
nous tenterons d’expliciter la place de l’interprétation dans la sociologie, puis nous
présenterons les différents éléments du débat relatif à la pertinence de l’herméneutique
comme paradigme pour la sociologie, à travers la théorie de J.Habermas. Enfin, nous
interrogerons l’ethnométhodogie, qui esquisse un dépassement de l’herméneutique, mais en
terme plus analytiques et descriptifs que J. Habermas.
Au terme de cette réflexion, devrait apparaître une atténuation des oppositions classiques
entre Expliquer et Comprendre, et Sciences de la nature et Sciences de l’esprit.
I) L’interprétation en sociologie
S’interroger sur la place de l’interprétation en sociologie équivaut à poser la question
de l’identité de la discipline. Il s’agit d’une science qui a pour objet une réalité qui s’interprète
elle-même, qui se maintient dans et par l’interprétation d’elle-même. La sociologie ne peut
accéder à son domaine d’objet que par la médiation de la compréhension et de l’interprétation.
Quelle est alors la place de cette science par rapport aux autres ?
L.Quéré pose de façon transversale la question de l’unité de la science et la querelle des
méthodes, que nous allons synthétiser rapidement.
A la conception de l’unité de la science (considérée comme positiviste), tout un
courant de pensée va, à la suite de W.Dilthey (1833-1911), affirmer l’existence d’une coupure
radicale entre les sciences de la nature et les sciences de l’esprit. Ces dernières ne doivent pas
adopter la méthodologie en usage dans les sciences de la nature car elles ont un objet qui lui
est totalement différent. Dans la connaissance de la nature, qui nous est extérieure, il est
possible de recourir à l’explication, de construire un discours objectif. Dans la connaissance
du monde de l’esprit, nous devons faire appel à la compréhension car, par introspection, nous
pouvons percevoir la signification des actions humaines. Pour accéder à cette compréhension,
W.Dilthey propose de mettre en œuvre une démarche herméneutique, c’est-à-dire une
démarche d’interprétation des manifestations concrets de l’esprit humain. L’idée d’une
spécificité des sciences de l’homme continue d’être défendue dans les deux séries de critiques
qui ont été opposées depuis trente ans au projet d’une sociologie positiviste, appliquant des
méthodes similaires à celles des sciences de la nature.
- une première série invoque le caractère auto-interprétatif et auto-descriptif de la
réalité sociale pour révéler les faiblesses d’une mise en forme scientifique des faits
humains conçus d’après les canons du positivisme logique. Elles sont formulées
dans le domaine de la philosophie des sciences sociales, en s’appuyant soit sur le
second Wittgenstein, soit sur l’herméneutique philosophique de Heidegger puis de
Gadamer.
- La deuxième série de critique apparaît dans la discipline sociologique elle-même,
par le développement du projet wéberien de « sociologie compréhensive ». Tenant
compte du caractère signifiant de l’activité sociale, M.Weber fixait pour tache à la
sociologie de « comprendre par interprétation l’activité sociale, et par là
d’expliquer causalement son déroulement et ses effets ». Cela a donné naissance
aux sociologies interprétatives : la sociologie phénoménologique de A.Schutz,
l’interactionisme symbolique issu de G.H.Mead, l’ethnométhodologie…
Face à ces deux critiques, il est nécessaire de s’interroger sur le développement de l’argument
herméneutique en sociologie et sur les raisons qui pourraient conduire à l’élever au rang de
paradigme pour la sociologie.
 Les raisons d’admettre l’argument herméneutique
On entend par là la proposition qui affirme que la réalité sociale ne se livre que par et
dans l’interprétation, en raison de sa consistance propre. Non seulement la réalité sociale ets
pré-interprétée par ceux qui y vivent, mais surtout, elle se constitue dans et par l’interprétation
de soi, au sens où l’activité et les institutions sociales s’organisent et se stabilisent à travers les
interprétations que les acteurs en font.
Ces réflexions font apparaître le statut doublement herméneutique de la sociologie : d’une
part, elle a affaire à l’interprétation en tant que composante interne de son domaine d’objet, et
d’autre part, elle doit recourir à l’interprétation comme médiation pour accéder à ce domaine,
ie pour acquérir des données et pour en préciser des propositions descriptives. C’est ce double
statut qui serait oublié ou occulté dans les modèles dominants de la discipline sociologique :
l’empiricisme et le constructivisme.
a) la réduction empiriciste
L’objet de l’empiricisme est scindé en deux éléments :
- la réalité brute, qui possède des propriétés absolues, indépendantes de toute
appréhension par des sujets pour qui elle est objet d’expérience
- le sens que ces sujets attachent à cette réalité sous forme d’attitudes, de
dispositions, de croyances…
L’opération de la connaissance est alors de contourner la subjectivité et l’instabilité des
interprétations et de conjurer des qualifications divergentes d’un même phénomène.
L’ambition scientifique est de produire des savoirs sous forme de qualification pourvues
d’une certitude fondée sur des preuves et non pas sur des intuitions subjectives. Il s’agit d’une
recherche de descriptions absolues du monde social, de descriptions visant à saisir les
propriétés de ce monde en faisant abstraction de celles qu’il a en tant qu’objet d’expérience de
sujets. Il existe donc une séparation de la réalité et de l’expérience, de façon à rendre compte
de la réalité en termes de propriétés absolues, et de faire de l’expérience elle-même des faits
bruts de la réalité objective susceptibles eux-aussi d’une qualification absolue.
De plus, une qualification est scientifique doit être stable et indépendante de ses descriptions
et explications, ce qui est rendu possible par la vérification, qui implique de n’admettre que
des assertions qui sont vérifiables que par des observables. Dans ce cadre, l’interprétation est
subjective et donc dépourvue de pertinence et constitue une nuisance qu’il convient de
neutraliser. L’herméneutique ne peut être admise au niveau de l’administration de la preuve,
car une interprétation est un type de proposition dont on considère qu’il est impossible de
décider si elle est vraie ou fausse.
La critique herméneutique de cette réduction
 Le sens éprouvé est complètement tronqué lorsqu’il est dépouillé de sa nature
intersubjective et de sa dimension constitutive.
 L’observation comporte elle-même une interprétation, puisqu’elle nécessite de disposer
d’un système symbolique (catégories, règles, normes) qui fournit un contexte pour décider à
quoi on a affaire. Le langage, sur lequel nous reviendrons ultérieurement, et tout le réseau
symbolique d’une culture produisent des énoncés d’observation sur la réalité, mais
contribuent aussi à la structurer d’une manière plutôt qu’une autre.
 Le monde social se présente aussi bien aux sociologues qu’aux acteurs, comme un champ
externe d’événements ou de faits justifiables d’une investigation visant à dégager des lois ou
les régularités de leur observation. Mais, la « facticité » même de ces événements représente
une prémisse inexpliquée. Une série importante d’événements sont exclus, correspondant à la
manière dont le monde social est devenu disponible.
b) La réduction constructiviste
Il s’agit d’une démarche courante en sciences sociales qui consiste à rendre compte de la
régularité, de la récurrence, de la reproductibilité, du caractère ordonné des conduites sociales
en termes de déterminations externes (lois, structures), du fait que ce caractère régulièrement
ordonné des conduites donne à penser qu’elles ont pour source un système de contraintes ou
de nécessité auquel elles se conforment, obéissent)
Cette démarche constructiviste réduit l’interprétation, d’une part en attribuant l’ordre
social à l’intervention des contraintes externes qui déterminent les acteurs dans leur dos, et
d’autre part, en privilégiant la forme déductive de l’explication.
La critique herméneutique de cette réduction
La critique se fait sous deux formes : une d’ordre transcendantal et l’autre d’ordre empirique.
En partant de l’ouvrage de G.H von Wright Explanation and Understanding [1984],
K.O Appel exprime le fait que la notion d’explication causale suppose une capacité humaine
dont il n’est pas possible de rendre compte en terme de déduction nomologique. Si l’on
réduisait l’action à un événement observable avec une détermination causale, on détruirait la
notion même de nécessité causale. C’est pourquoi une approche interprétative de l’action qui
s’intéresse aux conditions et aux modalités de son intelligibilité est possible dans les sciences
sociales.
De façon empirique, il existe une nécessité de décrire le travail d’interprétation sousjacent à la qualification d’un acte ou d’une situation concrète sous une catégorie générale qui
lui est appliquée. Se posent alors les questions de la détermination de cette catégorie générale
dont on considère qu’elle s’applique à un cas concret, et plus généralement de savoir
comment on parvient à voir un ordre social ou des structures objectives derrière des actions
singulières situées.
Les critiques précédentes conduisent à un double résultat. D’une part, elles conduisent à
élargir le champ des phénomènes à soumettre à l’investigation d’une science sociale, l’aspect
essentiel étant le caractère auto-interprétatif du monde social incorporé dans le langage parlé
par ceux qui lui appartiennent et dans les médiations symboliques constitutives de leur culture
et d’autre part, elles recommandent une conception herméneutique des sciences sociales, qui
revient à leur assigner l’exégèse textuelle comme modèle ou dans une version plus faible, à
leur attribuer comme tache de conférer des significations de rendre intelligible ce qui ne l’est
pas suffisamment.
Toutefois, L.Quéré se refuse à suivre cette recommandation herméneutique et de lui procurer
le statut de paradigme pour la sociologie. En effet, l’herméneutique conduit à un nouveau type
de réduction qui perd de vue le rôle médiateur joué par l’interprétation dans l’organisation
endogène et interactive de l’activité sociale. Le fondement de la recommandation nous invitait
à partir de la définition même de la sociologie de M.Weber. Celui qui veut comprendre par
interprétation en prenant pour modèle l’exégèse textuelle doit démontrer qu’il est possible de
transférer à l’action l’essentiel des traits d’un texte, c’est-à-dire de traiter l’action comme une
objectivation du sens sous l’aspect de son achèvement, et ainsi de soustraire à l’analyse
l’accomplissement de l’action .
De plus, l’interprétation est constructiviste par définition. Or, ce type de démarche, qui
procède par qualification va à l’encontre d’une attitude analytique qui vise à élucider les
conditions et les modalités d’une occurrence plutôt qu’à l’expliquer ou lui attribuer un sens.
Enfin, émergent deux types de problèmes lorsque la sociologie se donne pour tache
d’interpréter : d’une part, un risque de voir proliférer les discours et les commentaires sans
que l’on puisse se référer à un critère intersubjectivement partagé pour évaluer leur pertinence
ou leur justesse, le propre de l’interprétation étant de ne pas pouvoir être vérifiée par les faits ;
d’autre part, le renoncement, souvent impliqué par l’argument herméneutique, à toute visée de
connaissance objective et théorique du mode social.
Si l’herméneutique ne semble pouvoir constituer en soi un paradigme pour la
sociologie, il ne faut pas pour autant occulter l’interprétation. En effet, pour J. Habermas
[Théorie de l’action communicationnelle, 1981], il y a une objectivité propre de
l’interprétation, en terme d’accord produit à travers une argumentation dans laquelle n’est
prise en compte que la force des arguments. De la sorte, toute compréhension par
interprétation est nécessairement rationnelle parce que pourvue d’une structure quasiargumentative. Nous allons donc dans la partie suivante souligner les grands axes de la pensée
de J.Habermas, qui cherche à développer une « science sociale reconstructive ». Elle se donne
pour but de mettre à jour, à travers une théorie de l’agir communicationnel, les conditions
générales de validité et d’acceptabilité d’actions pourvues de sens et le savoir-faire
préthéorique maîtrisés par les acteurs pour réaliser et reconnaître des actions socialement
acceptables leur permettant de coordonner leurs activités.
II) La pragmatique universelle de J. Habermas
La thèse d’un dualisme méthodologique entre les sciences de la nature et les sciences
de l’esprit est discutée par la philosophie des sciences et la sociologie allemande. Dans la
connaissance du monde de l’esprit nous pouvons faire appel à la compréhension car, par
introspection, nous pouvons concevoir la signification des actions humaines. Pour accéder à
cette compréhension, Dilthey proposait la démarche herméneutique, dont nous venons
d’étudier les différentes modalités pour la sociologie. D’autres auteurs, tout en affirmant les
spécificités des sciences de l’esprit, adoptent une position moins radicale : W.Windelband
(1848-1915) et H.Rickert (1863-1936) considèrent que les sciences de l’esprit se distinguent
par leur méthode et non par leur objet. Les sciences de la nature ont une portée généralisante,
elles visent à formuler des lois (nomos) universelles. On les appelle sciences nomologiques,
elles formulent des propositions apodictiques ( qui ont une portée générale). A l’inverse, les
sciences de l’esprit ont une démarche visant à penser la singularité, elles procèdent par la
description de faits particuliers : ce sont des sciences idiographiques et formulent des
propositions assertoriques ( qui se rapportent à un objet particulier).
Mais à partir de H.G Gadamer, on assiste à une dépassement de cette thèse et la thèse
du dualisme méthodologique revêt une toute autre figure. Il est nécessaire de s’attarder
quelque peu sur les implications de l’herméneutique gadamerrienne, dans la mesures où elles
constituent le point de départ de la réflexion de Habermas pour les sciences sociales et la
sociologie en particulier.
Dans un premier temps, nous rendrons compte des enjeux de la confrontation entre Habermas
et Gadamer, puis nous étudierons spécifiquement la théorie de Habermas, de la sociologie
critique à l’agir communicationnel.
a) la confrontation Gadamer / Habermas
Gadamer montre que la compréhension et l’interprétation constituent un mode de la
réalité sociale qui peut prétendre à une validité, c’est à dire une objectivité et une vérité, aussi
forte que celle des modes de connaissances mis en œuvre dans les sciences de la nature.
Pour Dilthey, pour comprendre un auteur du passé, l’interprète doit s’efforcer de se
mettre à sa place, de reconstituer de l’intérieur ses intentions. En ce sens, la compréhension
serait une affaire de psychologie et d’empathie. Weber se méfiait de cette exigence
d’empathie, mais concevait une sociologie compréhensive inspirée de Dilthey, capable de
rendre les comportements humains intelligibles par une reviviscence interne, ou en
reconstituant le sens subjectif qu’ils incorporent. Gadamer refuse cette problématique et
estime que l’historicité du sujet et de l’objet de la connaissance est la condition même de
possibilité de la compréhension. Comprendre devient alors une dimension constitutive de
l’expérience que l’homme fait du monde et de la société. Le travail de l’histoire et du langage
assure la médiation de la relation du sujet et de l’objet à l’acte de connaissance et ne
constituent pas un obstacle, mais un facteur productif. En effet, la compréhension advient
sous la forme d’une « fusion d’horizons ».
Pour le montrer, Gadamer part de la structure circulaire de la compréhension mise en
avant par Heidegger : la compréhension d’un texte se fait à travers un va et vient entre le tout
et la partie et vice et versa. Toute compréhension commence toujours par la projection de
préjugés sur le texte et d’anticipations de sens provenant de la situation spécifique de
l’interprète et de son questionnement. Il n’y a pas de connaissance historique possible sans
cette structure circulaire, ie sans l’investissement dans l’acte de la connaissance de préjugés,
préconceptions, de questionnements propres à l’interprète, à son groupe, à son époque. C’est
par leur médiation que celui-ci noue un rapport à l’objet qu’il interroge. Gadamer a donc une
réelle volonté de réhabiliter, contre la critique de l’ « auklarung », le préjugé en tant que
condition de la compréhension. C’est cet ensemble de préjugés et de préconceptions qui à la
fois limite et rend possible la compréhension. Gadamer introduit le concept d’horizon,
« cercle visuel qui embrasse et inclut tout ce qui est visible d’un point précis », cet horizon
n’étant jamais clos. La compréhension advient dans une fusion d’horizons : ce qui est
compris, ce ne sont pas les expressions des subjectivités, mais ce qui est commun au sujet et à
l’objet, le moment d’interférence de leurs horizons où sont annulés leur préjugés respectifs et
leurs limitations historiques.
Cette conception du rapport sujet/objet a plusieurs implications :
- on ne peut jamais distinguer valablement sujet et objet puisque le sujet est
d’emblée intégrer à l’objet, ils sont internes l’un à l’autre par la médiation d’une
symbolique dont l’appropriation au cours du processus de socialisation fournit au
sujet et son monde objectif et sa capacité de connaître de parler et d’agir.
- d’où un idéal de connaissance qui porte sur cette unité du sujet et de l’objet. Ce
que la connaissance doit appréhender, c’est une totalité comprenant à la fois l’objet
l’ensemble des préjugés constitutifs du point de vue à partir duquel le sujet
l’appréhende.
- mais cela implique des limites : un savoir intégral n’est pas envisageable, parce
qu’il n’y a pas de sens en soi de l’objet, parce qu’il est impossible au sujet de la
connaissance d’accéder à sa propre transparence, d’objectiver entièrement ce qui le
constitue.
- Cette connaissance se passe de méthodes : il n’existe pas de méthodes de
l’interprétation, pas de méthodes du questionnement, mais un art de l’interprétation
fondé sur une discipline. Le sujet de la connaissance ne peut pas s’extraire de sa
situation, mais élargir son horizon jusqu’à intégrer celui de l’objet.
Ce que nous venons d’exposer reformule la thèse du dualisme méthodologique en affirmant
qu’il n’y a pas qu’une seule forme d’objectivité et de vérité scientifique, mais au moins deux.
La seconde est propre à la fois à la vie ordinaire ou à la communication courante et aux
sciences de l’homme. La compétence des chercheurs en sciences sociales résulte d’un
perfectionnement ou stylisation de la compétence communicationnelle de tout sujet
normalement socialisé, plutôt que d’un apprentissage de méthodes. En découle
nécessairement la dénonciation d’un « faux méthodologisme » auquel ont succombé les
sciences sociales relativement au concept d’objectivation des sciences de la nature.
Habermas reprend à son compte cette pluralité des formes d’objectivité et de vérité,
donc des types de structures de la rationalité. Pour réfuter les prétentions normatives du
positisme logique et du rationalisme critique poppérien, qui défendent l’un et l’autre la thèse
de l’unité méthodologique de la science.
Cependant, il conteste la prétention à l’universalité de l’herméneutique et rappelle que dans
certains cas, la compréhension exige elle-même le recours à une explication causale analogue
à celle de la méthode des sciences de la nature. Toutefois, les sciences sociales ne peuvent pas
se contenter de faire leur cette méthodologie, car elle ne convient pas à leur objet dont la
constitution est nécessairement symbolique et langagière. Ainsi, les sociologues behavioristes
ne peuvent que détruire la structure propre de leur objet et n’aboutissent qu’à une
connaissance tronquée. Ils sont, en effet, incapables d’intégrer dans leur problématique et leur
démarche le fait fondamental de l’intersubjectivité naissant du langage sous-jacent à tout
rapport social et à toute communauté humaine.
De ces constats émanent les deux axes essentiels de la pensée de Habermas :
 le projet de la méta-herméneutique qu’il essaie de concrétiser en sociologie sous la
forme d’une théorie de la communication
 il s’efforce de fonder philosophiquement ce pluralisme des formes d’objectivité et
des méthodes scientifiques par une théorie des intérêts de la connaissance et des structures de
la rationalité, son objectif étant de s’attaquer aux positions de la thèse positiviste.
b) Habermas : de la sociologie critique à l’agir communicationnel
Habermas a une conception particulière de l’épistémologie, qui ne se réduit pas à une
simple méthodologie, comme le fait le positivisme. Il tient à faire émerger une théorie de la
connaissance, qui prend la forme d’une critique de la société, mais en se refusant à renoncer à
l’introduction de la rigueur scientifique dans l’étude de la société.
Une science sociale empirico-analytique (science de la nature) ne peut pas contribuer au
développement d’une telle sagesse pratique, car la connaissance qu’elle produit est commandé
par le souci de disposer techniquement des processus sociaux, c’est à dire de parvenir à une
maîtrise empirique du fonctionnement de l’organisation sociale. Ainsi, Habermas se heurte à
la thèse néo-positiviste de l’unité de la méthode scientifique, celle des sciences de la nature.
C’est pourquoi, il se tourne vers l’herméneutique, qui constitue un accès à un domaine d’objet
structuré symboliquement (primat du langage), qui exige des procédures qui doivent etre
logiquement distinctes de celles des sciences naturelles : elles doivent convenir au fait que le
sens et l’intersubjectivité linguistiques sont constitutives de la réalité sociale. Toute
méthodologie qui néglige cette structuration symbolique et langagière de l’objet social, qui
occulte la spécificité culturelle des schèmes de représentation et d’interprétation médiatisant
l’identité et l’action sociales, est vouée à l’échec.
Toutefois, une connaissance exclusivement compréhensive ou interprétative de la
réalité sociale oublie que le sens est lui-même produit et déterminé par une structure
génératrice. Les significations se constituent en rapport avec des conditions de vie
économiques et politiques objectives, et elles peuvent aussi bien masquer que révéler ces
conditions. Une démarche adéquate, selon Habermas, doit compléter une perspective
herméneutique par une critique de l’idéologie capable de prendre en compte les cadres
institutionnels de l’identité et de l’action sociales, ainsi que les conditions empiriques dans
lesquelles les traditions sont transmises, actualisés et éventuellement transformées. Cela
appelle une analyse des systèmes sociaux éclairée par une théorie de l’évolution sociale.
La compréhension herméneutique est mise en échec lorsqu’elle a affaire à des expressions
incompréhensibles (structure du langage ordinaire déformée, ou distance culturelle ou
temporelle trop importante). Seule une compréhension explicative peut venir à bout de ces
distorsions.
La méta-herméneutique visée par Habermas devra se tenir sur deux pieds :
- cette représentation non scientiste en termes de processus de langage, dont il tire
s’aidant d’une relecture de Dilthey, une théorie des jeux du langage capable à ses
yeux de surmonter le particularisme de celle de Wittgenstein
- une métasociologie prenant la forme d’une théorie de la compétence
communicationnelle, dont l’objet est de rendre compte de l’acquisition de
qualifications fondamentales pour participer à des jeux de rôles socialement
institués.
Il s’agit maintenant de montrer comment Habermas conçoit cette métasociologie
comme une troisième type de sciences sociales ( à coté des sciences herméneutiques et des
sciences behavioristes) et comme source d’une forme d’objectivité spécifique, puis comment
il étaie ce pluralisme méthodologique sur une théorie des intérêts de la connaissance.
L’objet de cette science sociale reconstructive n’est pas de valider des hypothèses par
des lois se rapportant à des événements ou des comportements observables, mais de
reconstituer systématiquement le savoir intuitif des sujets sociaux compétents, leur maîtrise
pratique d’un ensemble de jeux de langage et de jeux de rôles propres à chaque culture.
Reconstruire, c’est accéder à partir de ces deux éléments aux structures génératrices de formes
symboliques dont on postule qu’elles constituent un ensemble abstrait de règles
reconstructibles. Les données sont constituées par les performances pratiques des sujets et par
les jugements de grammaticalité à travers lesquels ils explicitent la conscience qu’ils ont des
règles du jeu. Le langage ordinaire n’est pas l’objet de la description mais le moyen de
représentation d’un savoir intuitif. La théorie qu’elle requiert n’explique pas les observations
de la réalité à l’ai de d’hypothèses nomologiques comme le fait une démarche empiricianalytique. Elle tient compte de la double médiation du rapport au sujet par le langage et la
théorie : le langage et la théorie de l’objet :sujet du savoir intuitif ; le langage et la théorie du
chercheur. Les procédures de validation d’une telle science conduit à la soumission au sujet
compétent. Si les propositions sont vraies, elles correspondent aux règles qui opèrent dans le
domaine d’objet. Mais, la seule véritable preuve de leur vérité, c’est la capacité du chercheur
à les appliquer, c’est à dire à participer lui-même, en tant que sujet compétent, aux règles du
langage et des rôles dont il élucide le mystère.
Toute relation sujet/objet s’avère toujours médiatisée par un engagement pratique, par
une décision en faveur de tel ou tel intérêt de la connaissance. Ainsi, à trois formes
d’objectivité correspondraient trois intérêts de la connaissance :
 la forme d’objectivité des sciences de la nature : qui procède par validation des
hypothèses nomologiques et accèdent au contrôle des processus naturels par explication et
prédiction, elle est commandée par l’intérêt qu’il y a de produire un savoir convertible en
techniques et méthodes. Elle est intrinsèquement liée à la structure du travail et elle a pour
finalité la domination technicienne.
 la forme d’objectivité des sciences de l’homme : qui procèdent par compréhension et
interprétation selon la démarche explicitée par Gadamer, elle est commandée par un intérêt
moral pratique : celui qu’il y a à maintenir l’intersubjectivité linguistique ,ie garantir
l’intercompréhension et l’entente entre sujets sociaux. Appréhendant leur objet comme
partenaire d’interaction, les sciences herméneutiques garantissent leur objectivité par le
dialogue, une « fusion d’horizons »
 la forme d’objectivité d’une science sociale reconstructive et critique : qui procède
par compréhension médiatisée par une explication, en particulier par la reconstruction des
structures génératrices des formations symboliques est commandée par un intérêt à
l’émancipation, c’est-à-dire la dissolution de formations symboliques contraignantes, qui ne
sont telles que parce qu’elles n’ont pas encore été élucidées et explicitées par une
reconstruction du processus de leur formation. Les sciences critiques s’inscrivent dans un
processus d’auto-réflexion qui permet au sujet d’agir sur le monde par la prise de conscience
des rapports de domination existants. Habermas range dans cette catégorie la psychologie, la
psychanalyse freudienne et la sociologie.
La sociologie peut suivre le modèle des sciences empirico-analytiques ou des sciences
historico-herméneutiques. Cependant, dans ces deux cas, la sociologie ne se dote pas d’une
portée heuristique optimale puisqu’elle ne se donne pas les moyens d’une dimension critique
optimale.
Habermas est un rationaliste dont le parti pris va de pair avec une profonde insatisfaction qui
lui fournit une puissante motivation critique. Comme Marcuse, Horkheimer, il critique la
raison technique ou instrumentale, le technicisme et le positivisme. Le progrès des sociétés
modernes se traduit par une interdépendance croissante de la technique et de la science et par
une dépolitisation au profit d’une affirmation des valeurs du réalisme et d’efficacité.
l’extension de la rationalisation est à relier à l’institutionnalisation du progrès scientifique et
technique. Afin de sortir de la domination de la rationalité instrumentale conduisant à une
perte générale du sens, Habermas développe une autre forme de rationalité : la rationalité
communicationnelle. Selon lui, il ne faut pas concevoir l’individu de manière isolée, mais il
faut privilégier l’analyse des relations interindividuelles qui, à travers la communication, sont
porteuses de sens et de lien social. La source de cette rationalité est la parole échangée et plus
précisément la structure revendicative et attributive de l’interlocution du fait qu’il n’y a
d’interaction authentique possible sans une adhésion mutuelle délibérée à une communauté.
Pour Habermas, la rationalité n’est qu’un moyen dont dispose les individus pour agir sur leur
quotidien. Le travail du sociologue est alors d’analyser scientifiquement la raison telle qu’elle
se développe dans la vie courante, via la pratique communicationnelle. Toutefois, comme agir
communicationnel n’épuise pas la totalité des formes d’actions. A la manière de Weber,
Habermas dresse une typologie des formes d’agir au sein desquelles le langage et la
communication définissent une fonction spécifique.
- l’agir téléologique est orienté vers une finalité. Il implique une certaine stratégie de
comportement individuel indépendamment du comportement d’autrui. Dans cette
première forme d’agir, un seul type de communication est possible : une
intercompréhension entre les individus recherchant les mêmes buts.
- L’agir régulé par les normes. La communication n’est ici qu’une activité
consensuelle puisqu’il existe un accord normatif préexistant entre les individus.
- L’agir dramaturgique est un comportement social dans lequel les individus se
mettent en scène dans le but de donner à autrui une certaine image de leur
personne. La seule communication possible est une présentation langagière de soimême destinée aux spectateurs.
- L’agir communicationnel correspond à des relations interindividuelles au sein
desquelles les individus cherchent à coordonner consensuelllement leurs
comportements, leurs plans d’action, indépendamment de certaines finalités ou
normes préétablies . Le langage prend une place centrale.
Sur sa base de sa théorie de l’agir communicationnel, Habermas aboutit ainsi à une
conception nouvelle de la rationalité, fondée sur le monde vécu. Il soutient alors que l’activité
communicationnelle est au fondement du social et que sa valorisation permettra de remettre
en cause l’emprise de la raison instrumentale.
De plus, tout comme l’ethnométhodologie que nous étudierons ensuite, la théorie de
Habermas ouvre une perpective intéressante au débat entre relativisme et relativisme en
sciences sociales. Il part de l’idée qu’il doit être possible de dégager de la structure universelle
de la validité du langage un concept de rationalité qui ne soit pas lié à une culture ou une
histoire déterminées. Le concept de la rationalité communicative, qui permet de comprendre
comment l’intercompréhension humaine est médiatisée par une rationalité, peut pour
Habermas prétendre à l’universalité. Son ordre est une relation dans laquelle des partenaires
se rapportent les uns aux autres, non pas en posture d’observateurs, mais en tant que membre
d’une intersubjectivité dans laquelle ils s’orientent en fonction d’exigences de validité à
honorer. La compréhension est donc de nature évaluative et critique. C’est en raison de son
caractère communicationnel et rationnel que la compréhension peut, selon Habermas, garantir
un caractère d’objectivité à l’accès du chercheur en sciences sociales à son domaine d’objet
structuré symboliquement. Le concept de raison communicative permet donc de réintroduire
dans l’appréhension scientifique du monde social la dimension évaluative et critique inhérente
à la compréhension langagière et donc d’écarter le principe de neutralité axiologique tout en
continuant d’honorer les exigences d’objectivité et d’universalité lié à la science.
III)
L’ethnométhodologie
Suite aux interrogations sur l’interprétation et la compréhension, L.Quéré avait
envisagé le cheminement intellectuel de Habermas, que nous venons d’exposer, et également
les apports de l’ethométhodologie, en s’interrogeant sur les opérations, procédures, pratiques
par lesquelles les membres d’une collectivité assurent l’intelligibilité et l’assignabilité de leurs
actions et de leurs circonstances pratiques.
Revenant à la problématique de l’ouvrage, et ayant repousser l’herméneutique comme
paradigme de la sociologie, l’auteur cherche à déterminer ce que peut être une sociologie
interprétative, qui évite précisément d’être une herméneutique.
C’est ce qu’essaie d’être l’ethnométhodologie, à savoir un correspondant sociologique
/empirique de la critique herméneutique du positivisme, qui reconnaît la situation
herméneutique fondamentale, sans se concevoir comme une science de l’interprétation.
Pour cela, Garfinkel propose de saisir les propriétés dont le monde social est muni en
tant qu’il est objet d’expériences des sujets, de rendre compte des conditions et des opérations
par lesquels un ordre social est produit et maintenu uniquement de l’intérieur de l’expérience
de ses membres. Dans cette perpective, il s’agit d’analyser les pratiques de la vie courante et
de saisir les détails de leur accomplissement situé et concerté par les acteurs qui disposent
d’un savoir-faire et d’une connaissance ordinaire des structures sociales. Cette orientation
constitue une critique vive de la sociologie constructiviste.
C’est du coup l’interprétation qui rend possible l’organisation interactive des conduites
sociales organisées et d’un ordre social stable, et c’est elle qui assure une continuité entre
l’organisation de la société et l’organisation des pratiques. Or, ces différentes déterminations
ne peuvent pas être réalisées dans le cours même de l’action, elles sont rendues observables et
reconnaissables par des actes, des paroles qu’un partenaire produit aux réponses de ceux de
l’autre, il s’agit donc d’interprétation. Dans cette approche, la réalité sociale n’est donc une
réalité préexistante, elle est crée en permanence par des acteurs à travers des
accomplissements pratiques, c’est-à-dire des activités quotidiennes qui se déroulent en
continu ( communication, prises de décision…)
Par conséquent, le seul objet de la sociologie est l’étude des ethnométhodes, des
méthodes ordinaires, indigènes, quotidiennes mises en œuvre par chacun pour donner un sens
aux situations. Le sens et la rationalité sont étroitement liés, car comprendre un acte, c’est
saisir sa rationalité interne, qui est toujours locale. De plus, le sens est une réalité publique et
non pas quelque chose de caché à mettre à jour, puisqu’il est intersubjectif. Il y a donc un
refus d’opposer savoirs profanes et savoirs scientifiques : il n’existe pas de différence de
nature entre les discours que tiennent les sociologues sur la vie sociale et celui que tiennent
les acteurs eux-mêmes. Ces derniers établissent des comptes rendus de la vie sociale par
lesquels ils la décrivent et l’interprètent, le travail des sociologues est de produire un compte
rendu des comptes rendus. Cependant, dès que l’on quitte le point de vue de
l’accomplissement en cours, le sens devient caché, fuyant, variable en fonction des situations.
Cette démarche fait de l’interprétation un objet d’investigation empirique. Elle
considère que le sociologue n’a pas à traiter ou corriger les explications et interprétations que
les acteurs ne cessent de produire à des fins pratiques.
De plus, l’ethnométhodologie offre une alternative intéressante au débat entre
l’ethnocentrisme et le relativisme, inhérent à la sociologie. Le relativisme a pour conséquence
méthodologique une exigence de neutralité axiologique. L’enquête sociologique ne doit
comporter ni prise de position, ni évaluation. Toutefois, le relativisme « contextualiste »
reconnaît l’importance du contexte dans la constitution de la signification des paroles et des
actions, ainsi que leur compréhension. Comprendre un énoncé requiert donc de faire usage
d’informations ou de connaissances d’arrière plan permettant de trouver ce contexte. Il en va
de même pour la détermination des conduites : les agents ajustent leurs comportements à la
situation dans laquelle ils se trouvent. Et c’est par la définition qu’ils élaborent de leurs
situations, qu’ils spécifient les contraintes objectives auxquelles ils se soumettent. On assiste
alors à l’émergence du paradigme de l’action située, développée principalement par
l’ethnométhodologie et la sociologie de Goffman.
Ceci n’est pas sans implications quant à la manière de décrire et d’expliquer en sociologie :
cette vision conteste la pertinence des démarches qui rendent compte du caractère ordonné, de
la régularité et de la concordance des pratiques sociales à partir de modèles analytiques
construits à priori par le sociologue ou à l’aide de type-idéaux dont on déduit par comparaison
la rationalité effective des pratiques. Le caractère rationnel est ici appréhendé en tant qu’il est
construit et rendu manifeste dans la mise en forme et la mise en scène qu’en assure l’acteur,
sur la base des analyses et des jugement qu’il en fait en contexte.
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