
dramatique : quand on en aperçoit des traces, celles-ci sont essentiellement à mettre sur le
compte d’une quête d’effets stylistiques effectuée par l’auteur. Le théâtre est un produit de
l’activité d’écriture et cette qualité première prédétermine dans une large mesure le
fonctionnement des structures linguistiques qu’il engendre.
Ceci dit, il semblerait pertinent de se demander si le discours théâtral, de par son
origine de texte écrit et intrinsèquement monologal (la voix unique de l’auteur multipliée dans
les voix des personnages), n’offre pas au linguiste un matériau d’analyse maigre et limité par
comparaison avec la conversation « spontanée ».
Le parti pris consistant à choisir pour objet d’étude un corpus écrit table sur deux traits
essentiels que présente le texte écrit. En premier lieu, sa facilité d’accès : on est dispensé des
multiples complications d’ordre instrumental qui accompagnent le traitement et la
transcription des séquences orales. En deuxième lieu, et c’est une raison bien plus forte, au
niveau scriptural les brouillages propres à l’oral sont écartés en sorte que l’image de la
situation linguistique s’y dessine avec une netteté accrue. Résultant de l’application
consciente des règles linguistiques, l’écrit est en mesure d’en fournir la représentation
systématisée plus aisément que l’oral
. Cela revient à dire que du point de vue du linguiste un
corpus constitué de textes dramatiques, comme tout autre corpus d’écrits littéraires, bénéficie
par rapport au corpus oral d’avantages tels que le dépouillement et la mise à nu de la
charpente même du langage.
Si le théâtre se démarque tout de même des autres genres de l’écrit tout en se
rapprochant de l’oral, c’est qu’il est destiné à être joué sur scène par des acteurs, i. e. à être
prononcé « comme si » c’était une vraie conversation.
Ainsi, on pourrait définir l’œuvre théâtrale comme espace situé à mi-chemin entre
l’écrit et l’oral. Le dispositif énonciatif qui s’y déploie porte l’empreinte de cette hybridité.
Comme cela a été montré par C. Kerbrat-Orecchioni la situation communicative qui s’instaure
au théâtre possède une structure tripartite. Trois niveaux d’instances énonciatives y sont
décelables. Le niveau de base incluant les deux autres mais caractérisé à la différence d’eux
par une relation dissymétrique est celui où l’auteur adresse son message au public. Le
deuxième niveau est réservé aux personnages. Le troisième niveau, quant à lui, appartient aux
acteurs qui ont pour tâche de faire passer l’écrit à l’oral.
Cf. la thèse que « [dans le théâtre] les règles du dialogue ordinaire sont souvent systématisées » (A. Petitjean,
1984, 78.)
C. Kerbrat-Orecchioni, 1985. Cette structure emboîtée propre à la communication théâtrale est plus complexe
que l’organisation discursive des échanges verbaux quotidiens qui s’effectuent, eux, entre partenaires situés au
même niveau.