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Deux siècles de développement
A la fin du XVIIIème siècle les transformations économiques et sociales
semblent s’accélérer et donner naissance à une ère nouvelle. Deux traits
dominants caractérisent les changements intervenus depuis deux siècles :
pour les pays concernés par cette accélération le niveau de vie (mesuré par le pouvoir
d’achat du PIB par habitant) s’est élevé à un rythme moyen de près de 2 % par an ce
qui a entraîné une transformation radicale des modes de vie [1]
l’importance des changements varie considérablement d’une région du monde à une
autre et des écarts importants se sont creusés entre les États.
On parle de croissance économique pour qualifier les transformations quantitatives
observées pendant cette longue période, de développement lorsque l’on veut prendre en
compte les modifications intervenues dans les structures de l’économie et de la société et de
changement social si on veut insister sur les évolutions de l’organisation sociale.
Les économies concernées par ce long processus de développement sont qualifiées par
l’expression économies de marché parce que la coordination des décisions individuelles des
consommateurs et des producteurs est assurée en grande partie par des mécanismes de marché
conduisant à la formation des prix. Cela ne signifie pas que tous les échanges et toutes les
actions passent par des contrats marchands. De nombreuses décisions relèvent de la
convention (Économie des conventions) ou sont soumises au contrôle des pouvoirs publics.
Mais si les économies contemporaines font une large place à l’intervention de l’État elles
restent caractérisées par le respect de la propriété privée et de la liberté des contrats.
Certains États à la suite de la révolution russe de 1917 puis de la seconde guerre mondiale ont
mis en place d’autres modes d’organisation de l’économie relevant tous plus ou moins d’une
appropriation collective des moyens de production, mais ces tentatives d’organisation
socialiste de la production ont été abandonnées presque partout.
Nos sociétés sont d’autre part des sociétés qui sont marquées par la montée de
l’individualisme : les sociétés modernes laissent une place grandissante à l’individu, la
conscience collective pesant de moins en moins lourd sur la conscience individuelle.
L’individu peut donc affirmer des choix et adopter des comportements qui le différencient par
rapport aux autres. Les normes et les valeurs vont donc pouvoir se transformer plus
rapidement qu’avant. Nous reviendrons sur ces transformations plus loin.
1. La croissance économique
La croissance économique est un phénomène récent (deux siècles), qui s’est manifesté de
manière très inégale.
La mesure de la croissance économique pose de nombreux problèmes puisqu’il faut
comparer des indicateurs calculés à des dates différentes :
Le contenu change (nouveaux biens et services)
La mesure de la valeur des biens et services est délicate particulièrement pour les
services non-marchands.
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Pour essayer d’y voir un peu plus clair, du moins pour saisir l’ampleur de la difficul
rencontrée par tous ceux qui veulent mesurer la croissance vous pouvez consulter le cours de
première intitulé Les agents et les activités économiques pour aller au delà des rappels qui
sont données dans les sous-rubriques « concepts » et « méthodes et outils » de cette partie
(cours de terminale). Je vous conseille fortement la lecture sur le blog de Claude Bordes,
l’Antisophiste, La croissance et la richesse des nations dont l’essentiel est repris sur un autre
de mes blogs préférés, SOS-SES, sous le titre Sommes nous plus riches ou beaucoup plus
riches ?
Si vous avez oublié ce qu’est un taux de croissance vous pouvez regarder ici et aussi ici et si
vous ne savez pas distinguer le niveau de vie du genre de vie il faut lire cet article ensuite
vous pourrez revenir aux graphiques ci-dessous.
PIB de la France en milliards de francs de 1993
Source : INSEE statistiques de long terme
Le PIB et le PIB par habitant en volume depuis 1820 (indice 100 en 1820) (clic sur
l’image pour l’agrandir)
échelle arithmétique
échelle logarithmique
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Source : Angus Maddison, Statistiques historiques, OCDE 2003
On voit très nettement l’accélération du rythme de croissance de la période qui suit la seconde
guerre mondiale mais la croissance plus lente depuis le début des années 1980 reste beaucoup
plus rapide que celle qui caractérise les économies pré-industrielles.
Une présentation de la croissance économique par son rythme montre que celui-ci est loin
d’être régulier : des phases d’accélération et de ralentissement se succèdent.
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Insee Première N°1201 - juillet 2008 - Soixante ans d’économie française : des mutations
structurelles profondes.
Faites attention cependant à ne pas vous tromper d’interprétation quand vous lisez un
graphique comme celui-ci : tant que le taux de croissance est positif cela signifie que le PIB
augmente, le fait que la courbe représentative possède par endroit une pente négative indique
simplement que la croissance économique se fait plus lentement. Les seules situations dans
lesquelles il n’y a pas croissance mais « décroissance » sont celles qui correspondent à une
valeur négative du taux de croissance. Quand cela se produit plus de deux trimestres
consécutifs on parle souvent de récession. de ce point de vue il n’y a eu depuis 1950 que deux
phases de récession : 1975 et 1993 (2008 pourrait être la troisième si les données du premier
trimestre sont confirmées pour le second). On notera cependant que cette définition de la
récession est discutée et n’a rien d’officiel. [2]
Les changements qui caractérisent la croissance économique datent du XVIIIeme siècle,
même si les éléments, notamment institutionnels, qui ont permis la croissance ont pu se mettre
en place très progressivement à partir du XIIIe siècle.
Des perspectives théoriques radicalement opposées comme l’analyse marxiste et l’analyse
libérale reconnaissent la nécessité de ce passage par des étapes.
Selon Karl Marx (1818-1883), il faut une phase d’accumulation primitive du capital
pour que l’économie capitaliste (l’économie de marché) se développe en ruinant peu à
peu les autres modes de production. [3]
Walt Whitman Rostow (1916 - 2003) présenta en 1960 dans un livre célèbre Les
étapes de la croissance économique , une vision libérale de l’industrialisation dans
laquelle avant le « take-off » (décollage de l’économie) il y a une augmentation
sensible de l’effort d’épargne et d’investissement.
Quelque soit la pertinence de cette idée d’un processus par étapes, la croissance économique
est caractérisée par l’émergence de nouvelles activités et la destruction de nombreuses autres.
C’est selon l’expression de Joseph Schumpeter un processus de destruction créatrice .
2. Croissance économique et développement
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Selon François Perroux (1903 - 1987) le développement c’est la « combinaison de
changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître
cumulativement et durablement son produit réel. »
Amartya Sen (né en 1933) - propose une autre définition dans laquelle le
développement est le « processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les
individus. Il ne fait aucun doute que la croissance du PNB ou des revenus revêtent une
grande importance en tant que moyen d’étendre les libertés dont jouissent les
membres d’une société. Mais d’autres facteurs déterminent ces libertés : les
dispositions économiques ou sociales, par exemple (il peut s’agir de tous les moyens
qui facilitent l’accès à l’éducation ou à la santé) et, tout autant, les libertés politiques
et civiques. »
a) La croissance économique est stimulée par un système de valeurs spécifique
La croissance peut être favorisée par des mentalités orientées vers le calcul et la recherche de
la meilleure solution (rationalité économique, mentalité acquisitive, utilitarisme). Elle est
facilitée par des mentalités « désenchantées » au sens de Max Weber (1864 - 1920), c’est-à-
dire, cherchant l’origine des phénomènes naturels dans la nature elle-même et non pas dans
une explication « magique » (enchantée). La croissance est aussi favorisée par les progrès du
libre-arbitre.
Les différents éléments de ce changement de valeurs ont des conséquences évidentes liées à la
croissance :
l’augmentation de la consommation donne des possibilités matérielles (cesser de
travailler, voyager, acheter un livre...) ;
l’augmentation du niveau d’instruction ouvre des horizons au-delà du monde
immédiatement sensible ; l’augmentation de l’espérance de vie permet d’inscrire des
projets dans un temps plus long, d’accumuler des expériences, de vivre, d’une certaine
manière, plusieurs vies ;
l’augmentation de la liberté d’expression élargit l’éventail des possibles comme toute
liberté ;
l’augmentation de la mobilité géographique ouvre la possibilité de vivre ailleurs ou
différemment.
Pour certains auteurs, l’augmentation du nombre d’enfants est un obstacle au développement
alors que pour d’autres c’est un élément qui n’est pas véritablement pénalisant et qui peut
même être un stimulant.
Les deux thèses sont défendables :
La seconde thèse peut résulter du raisonnement de l’économiste danoise Esther Boserup (le
texte est publié en 1965), selon lequel une population plus élevée crée une incitation à
produire davantage qui se révèle bénéfique. La croissance démographique exerce ainsi une
« pression créatrice ». Ensuite, une hausse du niveau de vie permet de se marier plus jeune
(problème des dots, explication importante de la croissance démographique anglaise au
XVIIIe siècle) et donc d’avoir plus d’enfants, et améliore les possibilités de les maintenir en
vie.
- L’idée selon laquelle la croissance démographique est favorable à la croissance économique
est aussi défendue par Alfred Sauvy qui s’efforce de montrer que l’augmentation de la
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