Taux de croissance annuel moyen

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Paru dans l’AGEFI du 19 avril 2004
Comment dynamiser l’économie suisse ?
(Titre original)
L’ouverture au monde mieux que l’adhésion à l’UE
(Titre de la rédaction)
Jean-Christian Lambelet et Claudio Sfreddo1
La Suisse a incontestablement un déficit de croissance vis-à-vis des États-Unis. Alors qu’en
1990 le PIB par tête (converti au taux de change égalisant les pouvoirs d’achat) était plus élevé en Suisse qu’aux USA, c’est aujourd’hui le contraire qui est vrai et l’écart semble se creuser toujours davantage. Si l’on y réfléchit, ce déclin relatif de la Suisse étonne. La principale
ressource économique n’est plus aujourd’hui une abondance de matières premières – le pétrole, par exemple, serait plutôt une malédiction –, mais bien ce qu’on appelle le capital humain. A cet égard, la Suisse dispose d’une population active qui est en moyenne aussi bien
formée, motivée et industrieuse que celle des USA, si ce n’est davantage (bien que, là aussi,
nous pourrions « faire encore mieux »). De même, le marché helvétique du travail est un des
plus souples en Europe et il se compare sans peine à son pendant américain, d’où des taux de
chômage qui restent comparativement bas. L’argument de la taille du marché pour les biens et
services ne tient pas davantage : avec la libéralisation générale des échanges, il n’est pas exagéré de dire que le marché pour les industries suisses d’exportation, y compris les services,
c’est aujourd’hui le monde entier. Enfin, le capital est exceptionnellement bon marché en
Suisse par rapport aux autres pays industrialisés – environ la moitié meilleur marché, en
termes réels. A priori, il n’y donc pas de raisons pour que la croissance en Suisse soit, sur la
durée, inférieure à celle des États-Unis.
Comme il y a cependant bien déficit de croissance, la question est de savoir comment
(re)dynamiser notre économie. A cet égard, toujours plus nombreux sont ceux qui pensent
qu’un rapprochement économique plus poussé avec l’UE, voire une adhésion, est le remède « évident », car la Suisse se trouverait alors insérée dans un ensemble économique autrement plus dynamique. Mais est-ce vraiment le cas ?
Le graphique 1 compare les taux de croissance du PIB réel de l’UE-15 et de la Suisse sur la
période 1971-2002. On voit que si l’économie suisse a connu dans quelques années une croissance plus élevée que celle de l’UE, c’est généralement l’inverse qui est vrai. Cela est confirmé par le tableau qui montre que si l’on mesure les PIB réels avec les chiffres habituels
(« non corrigés »), celui de l’UE a crû à un rythme annuel moyen de 2,5% en 1971-2002,
contre 1,4% pour la Suisse – ce qui semble aller dans le sens indiqué.
Visuellement, le graphique 1 suggère cependant que l’écart entre les deux courbes n’est pas
considérable. Quand on procède à ce genre de comparaison sur la longue période, l’idée est de
chercher à identifier une sorte de taux de croissance « sous-jacent », c’est-à-dire abstraction
faite des fluctuations cycliques et autres accidents. Il s’agit donc non pas d’une simple mesure,
mais d’une estimation fondée sur un échantillon limité, comprenant en l’occurrence 32 observations. Or toute estimation est, par essence, sujette à une marge d’erreur. En outre, les
chiffres pour les PIB réels sont affectés par des problèmes de mesure et ne sont donc pas
1
Institut Créa, Ecole des HEC, Université de Lausanne.
2
d’une précision absolue. La question qui se pose dès lors est de savoir si l’écart entre le taux
moyen de croissance de l’UE et celui de la Suisse est statistiquement significatif ou non.
Or il s’avère – vérification faite – que cet écart n’est pas significatif...2 En d’autres termes, on
ne peut pas rejeter l’hypothèse que la croissance « sous-jacente » est la même dans l’UE et en
Suisse, et cela même en prenant des données non corrigées !
Graphique 1
Graphique 2
PIB réel 1971-2002
T aux de croissance annuels non corrigés
% p.a.
PIB réel 1971-2002
% p.a. Taux de croissance annuels corrigés
8
8
6
6
4
4
2
2
0
0
-2
-2
-4
-4
-6
-6
-8
-8
75
80
85
90
95
00
Source : OCDE
UE
CH
75
80
85
UE
90
95
00
Source : OCDE + propres calculs
CH
Car les données « habituelles » pour les PIB réels demandent en outre à être corrigées. Ces
données visent en effet à mesurer le volume de la production, mais non le revenu réel, lequel
est pourtant déterminant pour le bien-être économique. Dans l’optique habituelle, les chiffres
nominaux pour les exportations et importations sont déflatés par des indices de prix propres.
Dans une optique de revenu réel, il est plus indiqué de déflater les exportations nominales par
l’indice de prix des importations, car cela donne le volume de biens importés que les exportations permettent d’acheter. Cette méthode, dite en anglais du command GDP, débouchera sur
des taux de croissance corrigés à la hausse si les termes de l’échange se sont améliorés – et
inversement.
Période
1971-2002
1971-1980
1981-1990
1991-2002
PIB réel : taux de croissance annuel moyen (%)
Taux non corrigés
Taux corrigés
UE
Suisse
UE
Suisse
2,5
1,4
2,3
1,8
3,0
1,3
2,5
1,4
2,4
2,1
2,5
2,6
2,0
0,8
2,1
1,3
Or, de tous les pays de l’OCDE, c’est pour la Suisse que les termes de l’échange se sont améliorés le plus sur la période considérée alors que ceux de l’UE ne se sont guère modifiés. Dans
le graphique 2 et la partie de droite du tableau, la méthode de correction utilisée est cependant
un peu différente de celle du command GDP,3 mais les taux de croissance obtenus changent
peu. A noter que, selon Ulrich Kohli qui a beaucoup travaillé sur la question,4 il y a d’autres
raisons encore qui font que la croissance suisse est sous-estimée par les chiffres habituels.
Note technique : Si l’on régresse les taux de croissance suisses sur ceux de l’UE, le coefficient de cette dernière
variable n’est pas significativement différent de l’unité et la constante n’est pas significativement différente de
zéro aux seuils habituels de 5 et de 10%. Des tests de cointégration donnent le même résultat.
3
Elle consiste à déflater la balance commerciale par l’indice de prix des biens domestiques.
4
Jusqu’à récemment de l’Université de Genève, Ulrich Kohli est aujourd’hui directeur de la recherche à la BNS.
Parmi ses publications, voir en particulier : “Real GDP, Real Domestic Income, and Terms-of-Trade Changes”,
Journal of International Economics 62 (2004), 83-106.
2
3
Comme le graphique 2 le montre, les deux courbes pour les taux de croissance corrigés sont
plus proches encore que dans le graphique 1. Les années 1973-1979 ont été une première période où la croissance en Suisse a néanmoins été plus basse que dans l’UE. Cela s’explique
par le fait que ces années ont été en Suisse celle du grand reflux de la main-d’oeuvre étrangère
alors que rien de semblable n’est survenu dans l’UE. Dans la décennie suivante (1981-1990),
le tableau indique que la croissance a été légèrement plus...élevée en Suisse que dans l’UE.
Les années 1991-2002, en revanche, constituent une seconde période avec un déficit relatif de
croissance en Suisse. Ce déficit s’explique cependant dans une large mesure par un sérieux et
assez long accident conjoncturel qui n’a touché que notre pays. Dans les deux régions, le début de la période a été marqué par une récession d’importance à peu près égale ou, plus exactement, par une phase de fort ralentissement. La reprise s’y est produite simultanément en
1994 et elle s’est poursuivie ensuite dans l’UE, avec une légère décélération en 1995 et 1996.
En Suisse, par contre, il y a eu une vraie rechute, ce qui a donné une double récession ou, si
l’on préfère, deux récessions dos à dos : on voit dans le graphique 2 que les taux pour la
Suisse forme un W presque parfait dans les années 1991-1998.
La deuxième récession, propre à la Suisse, a été essentiellement le résultat d’une politique
monétaire restée trop restrictive trop longtemps, comme la BNS le reconnaît librement aujourd’hui, avec pour conséquence une appréciation réelle du franc qui est allée jusqu’à 20% !
Rien de semblable ne s’étant produit dans la zone de l’UE, le déficit de la croissance suisse
dans cette décennie peut donc bien être attribué dans une large mesure à un accident conjoncturel lié à la politique monétaire. Il est vrai qu’en toute fin de période la courbe suisse passe
de nouveau sous celle de l’UE, mais aux dernières nouvelles (après 2002) il semblerait que la
croissance soit de nouveau plus forte en Suisse que dans l’UE.
Tout cela donne à penser qu’une intégration économique poussée de la Suisse dans l’UE, loin
de dynamiser notre économie, pourrait bien plutôt avoir l’effet contraire. S’il est vrai que,
dans certains secteurs, la libéralisation est allée plus vite et plus loin dans l’UE qu’en Suisse,
une intégration de la Suisse dans l’UE signifierait, en toute vraisemblance, non seulement un
fardeau fiscal plus élevé et un cadre régulateur plus pesant, sans même parler de son prix politique, mais aussi une moindre ouverture sur le monde. (On dit toujours que la Suisse doit
« s’ouvrir », mais elle l’est déjà – sur le monde !) A cet égard, on cite volontiers les cas de
l’Irlande et surtout de l’Autriche pour illustrer les effets dynamisants d’une adhésion à l’UE.
Il est certes vrai que, pour ces deux pays, l’adhésion a entraîné un mouvement considérable
vers plus d’ouverture, mais pour la Suisse ce serait plutôt un pas dans la mauvaise direction.
C’est aujourd’hui en Amérique du Nord et en Asie, mais non en Europe, que se trouvent les
forces vives de l’économie mondiale et les quelque 40% de nos exportations à destination de
pays autres que ceux de l’UE en sont le fer de lance. Vive, donc, l’ouverture sur le monde !
On constate aujourd’hui un accord assez général sur les raisons de la médiocre croissance de
l’économie suisse (en comparaison des USA, mais non de l’UE), à savoir essentiellement que
notre économie est une économie « duale ». D’une part, des industries d’exportations globalement très performantes, y compris pour la plupart des services, d’où l’amélioration notée
des termes de l’échange et aussi un excédent de la balance des paiements qui atteint régulièrement 10% du PIB. D’autre part, des marchés intérieurs pour les biens et services qui pour la
plupart sont sclérosés, protégés, surréglementés ou mal réglementés, avec un manque général
de concurrence et des prix trop élevés.
C’est donc sur ce dernier front qu’il convient de se battre. Les remèdes sont connus, eux aussi,
mais ce qui manque encore, c’est une volonté politique suffisante pour faire passer les ré-
4
formes nécessaires et aussi un meilleur soutien de l’opinion publique. Mais gardons-nous de
voir dans un rapprochement économique poussé avec l’UE – et a fortiori dans une adhésion –
le remède-miracle indolore, le quick fix comme diraient les Américains, qui redynamiserait
notre économie.
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