
 L’apparition d’une vérité terrestre 
 
C’est  donc  au  19e que  l’influence  conjuguée  du  rationalisme,  de  la  Révolution 
française et des progrès scientifiques permet à la science de se dégager de la tutelle séculaire 
de  l’Eglise.  L’espérance  et  le  bonheur  cessent  d’être  liés  au  Salut  ou  à  la  grâce  divine.  La 
science,  parce  qu’elle  propose  une  alternative,  devient  une  puissance  autonome.  Elle  ne 
reconnaît  que  les  phénomènes  matériels  et  attribue  une  valeur  supérieure  au  principe  de 
causalité. Aussi fait-elle redescendre les problèmes terrestres sur Terre. Si la médecine était 
jusqu’alors  subordonnée  à  l’Eglise  avec  les  hôpitaux,  une  répartition  des  tâches  entre  le 
médecin chargé du corps et le prêtre chargé de l’âme du patient, une substitution courante du 
prêtre au médecin (pourtant interdite au concile de Latran de 1139), le corps médical organise 
son émancipation progressive en limitant l’ingérence des Eglises : « La science médicale n’est 
et  n’aurait  jamais  dû  être  tributaire  de  la  métaphysique »  affirme  Broussais.  L’opinion 
publique du 19e soutient  largement  ce  jugement.  L’Eglise  finit  par  reculer  en  adoptant  les 
vaccins antivarioliques et les anesthésies.  Elle se rallie aux thèses hygiéniques qu’elle avait 
d’abord  combattues. Elle  tente toutefois  de créer sa  propre  thérapeutique  (pèlerinages,  lutte 
contre les pratiques  païennes, constatation  de  miracles) et  de  garder une  influence sur les 
médecins catholiques. 
 
 2. La rupture des années 50-60 et la réaction manquée des Eglises. 
 
 La révolution évolutionniste 
 Le contexte du milieu du 19e est très favorable à une remise en cause de la religion. La 
foi dans le progrès est alors extrêmement forte (Renan, l’Avenir de la science, 1849). Toute la 
lutte va  se concentrer  sur le problème de l’évolution. Pour  l’orthodoxie, le  monde avait  été 
créé en 6 jours, et il avait immédiatement contenu tous les corps qu’on pouvait rencontrer). La 
science était tenue de rester dans un cadre étroit de 6000 ans. En 1859, Darwin fait paraître De 
l’origine des Espèces au moyen de la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence dans la 
nature. Dans ce livre, il part du constat que tous les êtres vivants présentent des variations 
organiques individuelles puisqu’une reproduction orientée peut fixer héréditairement certaines 
de ces variations. Les êtres vivants sont aptes à être sélectionnés d’une manière analogue au 
sein de la nature. D’autre part, il existe une capacité naturelle d’occupation totale et rapide de 
tout le territoire par les représentants d’une seule espèce, animale ou végétale, se reproduisant 
sans obstacle. Comme il existe des équilibres naturels constitués par la coexistence, sur un 
même  territoire,  de  représentants  de  multiples  espèces,  il  doit  y  avoir  un  mécanisme 
régulateur  et  éliminatoire  qui  réduit  l’extension  numérique  de  chaque  population :  c’est  la 
lutte  pour  l’existence  (struggle  for  life)  qui  effectue  cette  sélection  naturelle.  Ce  principe 
s’oppose très clairement à l’idée théologique de création indépendante d’espèces immuables 
par  un  créateur  omni-prévoyant.  Les  espèces  descendent  les  unes  des  autres  suivant  un 
processus continu de divergence, par le moyen de modifications survenant « au hasard » et 
qui  sont  sélectionnées  et  transmises  .  Le  darwinisme  sonne  donc  le  glas  de  la  fixité  des 
espèces, de l’histoire courte de la genèse, du principe de Providence et, surtout, du caractère 
unique  de  l’homme  du  point  de  vue  théologique.  Quelques  théologiens  vont  faire  observer 
que les hommes ont des âmes immortelles, contrairement aux animaux, qu’ils ont un sens du 
bien et  du mal  et que c’est eux, et  non les  singes, que  le Christ  a voulu  sauver. En fait,  ils 
auront bien du mal à endiguer la progression de l’évolutionnisme, du moins dans les milieux 
scientifiques et éclairés. La théorie de l’évolution est sans doute le coup le plus dur porté à la 
théologie depuis Copernic, puisque l’admettre oblige à remettre en cause la Création divine.