L`Auto qui n`existait pas

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Management des projets et
transformation de l’entreprise
Christophe Midler
Synthèse de Laurent Verdon
DESS Contrôle de Gestion année 1998-1999
Sommaire
SOMMAIRE
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INTRODUCTION
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PARTIE 1 – LE DEVELOPPEMENT DE LA TWINGO
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I – L’IDENTIFICATION DES BESOINS
II – LA FORTE PERSONNALITE DE LA TWINGO
A. LES CONTRAINTES
B. LES SOLUTIONS RETENUES
III – L’INFLUENCE DES L’ENVIRONNEMENT SUR LE DEROULEMENT DU PROJET
A. LES DIFFICULTES ECONOMIQUES ET SOCIALES DE RENAULT
B. A LA RECHERCHE DE LA RENTABILITE
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PARTIE 2 – L’ENTREPRISE CREATIVE
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I – LE PROCESSUS D’INNOVATION
II – COMMENT OBTENIR LE MEILLEUR DES INDIVIDUS
A. L’ACTEUR-PROJET
B. LES MOYENS DE LA MOBILISATION
C. EXPLOITER LES FORCES EN PRESENCE
III – LE TEMPS, UN ELEMENT STRATEGIQUE
A. L’IMPORTANCE DU FACTEUR TEMPS
B. COMMENT MESURER LA DUREE D’UN PROJET ?
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PARTIE 3 – LES CHANGEMENTS INTERNES ET EXTERNES PROVOQUES PAR LES
MODIFICATIONS ORGANISATIONNELLES
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I – CHANGEMENTS ORGANISATIONNELS
A. LA DIFFICILE INTEGRATION DE LA LOGIQUE PROJET AVEC LES METIERS
B. LA REORGANISATION DU TRAVAIL
C. LA CAPITALISATION DES CONNAISSANCES
II – L’EVOLUTION DES RELATIONS AVEC LES FOURNISSEURS
A. UNE EVOLUTION PROGRESSIVE
B. LES NOUVELLES CARACTERISTIQUES DU FOURNISSEUR
III – L’APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL
A. L’EVOLUTION CHEZ RENAULT
B. VERS L’ORGANISATION CREATRICE
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CONCLUSION
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Introduction
L’ouvrage de Christophe Midler, L’Auto qui n’existait pas, rapporte ses conclusions
sur l’étude du projet X06 qui a donné naissance à la Renault Twingo. C’est à l’occasion d’une
refonte du processus de développement qu’il a pu ainsi interviewer les différents acteurs, assister aux différentes réunions et voir l’impact de la gestion de projet sur l’organisation. Il
n’apporte pas de recettes pour réussir cette transformation mais met en évidence différents
points qui sont transposables à d’autres secteurs que celui de la construction automobile.
Dans une première partie, nous allons voir comment est née la Twingo puis dans une
deuxième partie nous essaierons de montrer comment une organisation peut être créative. Une
troisième partie abordera les transformations induites par cette nouvelle approche.
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Partie 1 – Le développement de la Twingo
I – L’identification des besoins
Depuis 1973, Renault cherche à développer une seconde petite voiture qui viendra
épauler la R5 et remplacer la R4. C’est ainsi qu’avant le projet X06, le nom de code de la
Twingo, l’entreprise a fait pas moins de 5 tentatives. A chaque fois ce fut un échec. De
l’expérience a cependant été acquise et a permis de mieux appréhender le problème.
Pour Renault, ce projet est secondaire. Avec la R5 puis la Super-Cinq à partir de
1984, la Régie est leader sur le marché des petites voitures. Cependant dans la première moitié des années 80, la concurrence s’est accrue et notamment en terme de prix. Ainsi les Fiat
Panda, Opel Corsa et autres Volkswagen Polo séduisent de plus en plus de clients. Pour Renault il est impossible de lutter. Une tentative est faite avec la Super-Cinq Five pour atteindre
cette catégorie de prix, mais il s’agit en fait d’une voiture « au rabais » et en terme de coûts
elle reste chère à produire. En 1986 commence le développement de la Clio qui succédera à la
Super-Cinq. Comme c’est la tendance à chaque nouveau modèle, ce dernier sera plus abouti,
mieux fini que ses prédécesseurs. Il est ainsi impossible de sortir une Clio minimaliste qui
viendrait détruire l’image de « grande » petite voiture que l’entreprise tentera d’imposer à
partir de son lancement prévu pour 1989.
C’est dans ce contexte que le projet W60 est poussé par la direction.
II – La forte personnalité de la Twingo
A. Les contraintes
Des expériences passées, plusieurs leçons sont à retenir :

Il faut tout d’abord partir de la contrainte économique pour définir le programme
afin de respecter l’objectif de rentabilité.

Il faut veiller à ne pas faire une sous-voiture.

Le véhicule doit avoir un style fort et doit ainsi se différencier de la Clio pour
éviter de lui prendre des ventes.

Pour assurer, compte tenu de toutes ces contraintes, économie et qualité un véhicule simple, non-diversifié semble être la solution.
Une autre exigence viendra de la Direction produit qui, forte de la stratégie résumée
par « Renault, des voitures à vivre », demandera un aménagement intérieur pratique et innovant.
B. Les solutions retenues
1) L’aspect innovation
La Twingo est le premier monospace de taille aussi réduite. Le surcoût de ce type de
carrosserie est d’environ 5% mais a permis au véhicule de ne pas passer inaperçu. Des études
ayant montré que l’aspect pratique n’en souffrait pas si la voiture était conçue dès le départ
pour être une trois portes, c’est cette solution qui a été retenue.
C’est aussi dans un souci de différenciation qu’a été conçu l’intérieur du véhicule
avec une banquette arrière coulissante, un compte-tours central électronique… Le surcoût est
de 100 F par véhicule pour le compte-tours ce qui peut paraître négligeable pour un véhicule
vendu 60 000 F, mais pour l’entreprise qui a prévu d’en produire 1 000 unités par jour cela
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l’est moins. De même le développement de la banquette arrière n’a pas été sans poser de problèmes. S’agissant d’une innovation, les coûts de mise au point ont été importants. Mais tout
cela concourt à un même objectif : permettre à la Twingo de se différencier des autres voitures.
2) La non-diversité
Faire un modèle unique a des avantages économiques et techniques indéniables. Prenons l’exemple du moteur. Sur un véhicule classique l’espace est prévue pour loger le plus
gros bloc moteur, ce qui fait qu’il reste de l’espace vide avec des plus petits gabarits. Dans le
cas d’une carrosserie monocorps, il convient d’éviter un trop long « museau » pour des raisons de style. Pour placer le moteur la voiture est plus haute mais il faut une mécanique très
compacte. En ne retenant qu’un seul modèle on peut optimiser la place mais également les
performances.
La non-diversité a également un autre avantage, celui de clarifier la relation avec le
client. La tendance était à l’époque, même si cela est encore vrai aujourd’hui sur certains modèles, de proposer une multitude d’options, l’objectif étant de permettre au client de personnaliser sa voiture. En fait ce dernier le percevait de façon négative ayant l’impression de « se
faire avoir ». Il convient toutefois de noter que le choix du niveau d’équipement ne s’est pas
fait sans problème. Il fallait en effet éviter de sortir une voiture trop peu équipée qui en pâtirait commercialement mais le produit devait rester rentable pour l’entreprise. On peut noter
ici, lorsqu’on regarde le chemin parcouru par la Twingo entre 1993 et 1998, que cette position
semble avoir évoluée. Initialement très peu d’options étaient prévues : la climatisation (une
première pour une voiture de cette catégorie ce qui affirmait son identité), un toit ouvrant et le
pack électrique (vitre et fermeture centralisée). Aujourd’hui, s’il n’existe toujours qu’un seul
moteur disponible, la Twingo a agrandi son nombre d’options (airbag, boîte de vitesse easy,
apparition d’une version Initiale avec le cuir de série…) et fait ainsi comme ses concurrentes.
III – L’influence des l’environnement sur le déroulement du
projet
A. Les difficultés économiques et sociales de Renault
1) Des pertes historiques
En 1986, Renault vient d’accumuler sur les deux derniers exercices près de dix milliards de francs de pertes. Il convient donc de ne financer que des projets rentables. Pour bien
marquer les esprits, le nouveau PDG, M. Besse, arrivé en janvier 1985 à la tête de Renault,
décide de stopper le projet X45 de petite voiture.
2) Des mouvements sociaux
Cette décision aura par ailleurs des répercussions sur la décision de reprise du développement d’un tel véhicule. En effet, au même moment Renault connaît de graves troubles
sociaux avec notamment le projet de fermeture de l’usine de Billancourt. Pour les syndicats,
les déboires du projet X45 sont la preuve de l’inaptitude de la direction à envisager un avenir
pour Renault. Ainsi la CGT développera la Neutral, petit véhicule économique. La W60,
avant-projet de la X06, sera mise de côté en novembre 1986, pour n’être reprise qu’en 1988
pour servir de base à la X06. Pour l’anecdote, le numéro de projet de la Twingo n’a pas été
choisi au hasard. En effet, pour le Salon de l’automobile de 1990, Renault a développé un
concept car – la Mégane –, véhicule haut de gamme dont le nom de code fut W06. En choisissant le numéro X06 pour la Twingo, la direction brouillait les cartes et faisait croire à un développement d’un véhicule inspiré de la Mégane et évitait de réveiller la susceptibilité des
syndicats.
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B. A la recherche de la rentabilité
Jusqu’à la mi-90, cette contrainte risqua de faire avorter le projet. Il fallu donc rechercher de nouvelles sources d’économie.
1) Une nouvelle façon de penser les coûts
Lorsqu’en décembre 1988 l’état du projet est présenté à M. Lévy – PDG depuis la fin
de 1986, suite à l’assassinat de M. Besse – des progrès en matière de réduction de coûts et
d’investissement ont été réalisés mais ils sont insuffisants. Heureusement pour le projet, il se
montre fortement intéressé par la maquette et il décide de donner un sursis pour améliorer la
rentabilité en utilisant de nouvelles techniques, inspirées des méthodes japonaises.
Cette méthode, le design to cost, a été un franc succès. En remettant en cause les relations entre le constructeur et ses fournisseurs, les gains ont été de 17 % sur certains composants, ce qui était suffisant pour rendre le projet rentable. Jusqu’ici, le service achat disposait
d’une grille de coûts estimant le prix des différents composants. Ce système n’étant pas remis
en question les données prévisionnelles étaient faussées. Il fut remis en cause et l’entreprise
demanda à ses fournisseurs de lui fournir des pièces remplissant un cahier des charges comprenant les prestations désirées et le coût maximum acceptable. Toute critique constructive
était acceptable. Ce supplément d’autonomie du fournisseur qui n’est plus un simple exécutant a permis d’obtenir ces bons résultats.
2) Les choix industriels
Au niveau de la production, Renault peut s’appuyer sur ses recherches effectuées
dans le cadre du projet IRIS. Cette usine virtuelle avait pour objectif de définir des solutions
pour atteindre de façon économique une qualité maximale. Mais le développement d’une
nouvelle usine semble inappropriée, compte tenu de la fermeture de celle de Billancourt. Ainsi la solution retenue sera de moderniser les entreprises existantes de Flins, Valladolid (Espagne) et Cacia (Portugal). Renversant la tendance poussant à toujours plus d’automatisation,
Renault va décider de produire la Twingo dans une de ses plus vieilles usines, à Flins, avec du
personnel dont la moyenne d’âge est la plus élevée du groupe. Le raisonnement est basé sur la
volonté de rentabiliser des investissements jusqu’ici en sous-capacité.
3) Les coûts commerciaux
Il est important d’avoir à l’esprit que les frais de distribution peuvent représenter sur
un modèle classique près du tiers du coût complet de la voiture. Avec une seule version, Renault peut réaliser de substantielles économies. Pourtant, pour ne pas prendre de risque et imposer l’image originale de la Twingo, les dépenses de communication furent importantes, bien
qu’inférieures à celles engagées pour la Clio.
La présentation de la Twingo eu lieu au Mondial de l’Automobile en 1992 par le
nouveau PDG M. Schweitzer, mais pour des raisons de qualité, sa commercialisation ne débuta qu’en avril 1993. Il fallut donc maintenir le public « en haleine » pendant tout ce temps.
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Partie 2 – L’entreprise créative
I – Le processus d’innovation
Selon J. Schumpeter, l’innovation est une nouvelle façon d’arranger différents éléments tels que la technologie, la finance, les souhaits des clients. La Twingo correspond bien
à cette définition. En effet, différents métiers vont se concerter tout au long de la phase de
développement, mettre en commun des idées, pour aboutir à une solution, un produit unique
sur le marché.
Les acteurs du projet viennent de différents horizons et de différents métiers. Chacun
a sa propre vision du produit et de ce que peut souhaiter le client. En cela on peut considérer
qu’ils sont les représentants de clients virtuels. L’objectif sera de tirer profit des concertations
entre ces individus. Des conflits vont apparaître inéluctablement. Par exemple le technicien
peut souhaiter revoir le travail des designers pour améliorer les performances du véhicules. Le
financier peut s’opposer, pour des questions de rentabilité, à la décision prise par les commerciaux de mettre en série différents équipements sensés être vendeurs. L’objectif sera de tirer
de ces contradictions des solutions et c’est là que réside l’innovation, dans l’arrangement des
points de vue de chacun.
II – Comment obtenir le meilleur des individus
A. L’acteur-projet
La nomination d’un Directeur de projet permettra de tirer le meilleur parti des intervenants tout en faisant respecter les contraintes en matière de qualité, de budget, de délai. Celui que nous appellerons l'acteur-projet n’a pas pour vocation de développer le produit luimême mais de concentrer les forces de l’entreprise sur sa réalisation. Son rôle, avec l’aide
d’une équipe d’une quinzaine de personnes, est d’encadrer et mobiliser la centaine
d’intervenants issus des différents métiers qui vont participer au projet. Il doit veiller à ce que
les conflits, apparaissant naturellement, soient porteurs de créativité et ne viennent pas retarder le développement. Il joue un rôle de régulateur devant laisser les individus prendre leurs
responsabilités et s’affirmer, tout en recherchant le compromis.
C’est également la mémoire du projet. Pour pouvoir le faire avancer, il convient de
maîtriser la technique mais aussi ce qui a été fait antérieurement, expliquer les décisions
prises pour garder un produit cohérent, ne pas répéter les erreurs du passé (sans pour autant
appliquer des solutions préconçues sans les remettre en cause).
Concernant le métier de gestionnaire de projet on assiste de plus en plus à une professionnalisation. Ce mouvement est dû à l’influence des cabinets et des organismes anglosaxons. Mais l’acteur-projet n’est pas un simple technicien des projets. Il doit aussi avoir une
bonne maîtrise des métiers regroupés au sein du projet. L’alternance entre une fonction projet
et une fonction métier est donc conseillée. De plus elle permet une diffusion plus large des
connaissances en matière de gestion de projet au sein de l’entreprise.
B. Les moyens de la mobilisation
Au delà des compétences techniques il est indispensable que les participants soient
passionnés par le travail qu’on leur demande. Le projet doit être motivant. Pour cela, il peut
être présenté comme une forme de défi. Dans le cas de la Twingo il a fallu résoudre de nombreuses difficultés, remettre en cause certaines habitudes… Le produit en lui-même doit être
séduisant pour que les gens s’investissent dedans.
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Rendre les individus autonomes est un autre moyen de les mobiliser. Plutôt que
d’essayer d’atteindre un objectif fixé par la hiérarchie et qui peut donc sembler être sujet à
caution, l’individu le fixe lui-même. Il est donc beaucoup plus difficile pour lui de le contester. Pour que cela fonctionne il faut aussi responsabiliser. Il ne s’agit pas de déléguer la gestion des contraintes au niveau de la base mais plutôt d’inciter à anticiper les problèmes, pour
les résoudre avant qu’il ne soit trop tard ou qu’il soit ruineux d’y faire face, à participer au
prises de décision, à demander des moyens...
C. Exploiter les forces en présence
1) Communiquer
Tout d’abord il convient de revoir le schéma classique du processus de développement. Auparavant les métiers intervenaient les uns après les autres ce qui obligeaient à de
multiples aller-retour. Il faut organiser une communication transversale, inter-métiers. C’est
ce qu’on nomme la « concourance », traduction de concurrent engineering. Cette organisation
permet de mesurer facilement le degré d’avancement du projet. Dans les faits cela se traduit
par la représentation au sein de l’équipe projet des différents métiers de l’entreprise qui peuvent ainsi donner leur avis à chaque étape du processus de développement.
Dans le but de faciliter la communication entre les intervenants, tous les intervenants
sont réunis dans un même lieu géographique. Ainsi en cas de problème, plus besoin de passer
par la voie hiérarchique, il suffit simplement d’aller voir son voisin pour discuter de la difficulté rencontrée. De plus en résolvant le problème immédiatement, on est sûr de ne pas en
laisser passer, car lorsqu’ils s’accumulent on a tendance à résoudre les plus importants au détriment des autres. On a donc à la fois un avantage en matière de délai et de qualité. C’est à
partir de ce constat que Renault a décidé de construire son technocentre qui regroupe en un
même lieu depuis peu de temps tous les métiers concernés par le développement d’un nouveau véhicule. L’investissement a été de 5,5 milliards de francs, mais l’entreprise espère
beaucoup gagner en terme de délai de développement d’un nouveau produit. Pour la Twingo,
le plateau projet s’est déplacé des locaux du Bureau d’Etudes à l’usine de fabrication lors de
la mise en place de l’outil de production. La proximité géographique des intervenants permet
aussi de développer la communication informelle, très efficace.
Traiter les problèmes dès la base permet d’éviter de noyer le haut de la hiérarchie
sous des problèmes opérationnels. Ce tri permet de ne faire remonter que les points les plus
délicats.
2) Evaluer
Le projet doit se développer dans le respect de trois contraintes : la qualité, le coût, le
délai. Mais comment l’évaluer ?
On peut tout d’abord utiliser des indicateurs tels que la rentabilité espérée, les performances physiques obtenues par le produit. Mais les résultats peuvent être biaisés. En effet,
lorsqu’on les présente on oublie trop souvent d’indiquer leur origine et plus souvent encore la
fiabilité de leur source. Ces données étant traitées par des ordinateurs effectuant des calculs
complexes, on les considère a priori rigoureux et scientifiques. L’évaluation du projet est
avant tout subjective. Elle dépend des hommes qui le font. Ainsi l’arrivée d’un nouveau dirigeant et la nomination d’un nouveau Directeur du Design a permis d’avoir une vue nouvelle.
L’évaluation va servir au pilotage du projet. A l’aide de règles simples les intervenants vont pouvoir juger de l’importance de leurs actes. Par exemple pour la Twingo il a été
estimé qu’un franc de coût unitaire correspondait à un million de francs d’investissement.
Cette règle, à défaut d’être précise, a le mérite d’être claire et incite à la prudence quant à
l’augmentation des coûts, si on veut préserver la rentabilité du projet.
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III – Le temps, un élément stratégique
A. L’importance du facteur temps
La « chrono-compétition » (time-based competition) s’applique à tous les secteurs.
Ce sont les japonais qui ont les premiers utilisé le délai de développement d’un produit
comme outil concurrentiel. En effet, plutôt que d’essayer de définir avec précision la cible du
produit qu’ils développent, ils observent le marché, ce qui marche et ce qui ne marche pas.
Leur offre paraît ainsi très disparate avec sans cesse de nouveaux produits. Grâce à des délais
de développement très courts, ils sont très réactifs et donc peuvent bénéficier les premiers
d’une opportunité qui apparaît sur les marchés, que ce soit un besoin exprimé clairement ou
un besoin inconscient du consommateur.
Ce modèle est particulièrement valable pour une demande imprévisible. Mais réduire
le temps mis à développer un nouveau produit est également utile même lorsque cette demande ne change guère. En effet, dans le cas de la Twingo il a fallu cinq ans pour mettre sur
le marché le produit et pour l’époque c’était un record. Si ce délai pouvait être ramené à trois
ans, les informations concernant les souhaits des consommateurs, fournies par le service marketing, seraient beaucoup plus fiables que celles à horizon cinq ans.
B. Comment mesurer la durée d’un projet ?
On peut fixer le début au moment où la question stratégique est posée, à l’avantprojet, à la constitution de l’équipe projet, au gel du projet… C’est souvent à partir de cette
dernière date que l’on mesure le time to market, le temps mis par le produit – qui étant défini
de façon irrévocable commence à vieillir – à arriver sur le marché. La date de fin du projet
peut donc être la date de commercialisation, mais aussi celle de démarrage de la série. Comment également tenir compte du fait que dans le domaine automobile un même projet peut
conduire à plusieurs lancements (par exemple, lancement d’une version break, d’un coupé…)
étalés dans le temps ?
Dans un projet, le temps ne s’écoule pas de façon linéaire. Ainsi pour la Twingo,
l’avant-projet W60 a été mis de côté pendant presque deux ans, alors que tout s’est précipité
pour tenter de sortir la voiture dès le Mondial de l’Automobile. C’est le rôle de l’acteur-projet
de gérer le calendrier, de créer l’urgence, tout en sachant que la première priorité n’est peutêtre pas le temps. La Twingo n’a pu être ainsi commercialisée qu’en 1993 à cause de problèmes qualité. Chez un autre constructeur, Citroën, la sortie de la XM a été précipitée, ce qui
s’est fait au détriment de la qualité. Aujourd’hui encore le produit le paie très cher et est entaché d’une très mauvaise image se répercutant directement sur les ventes voire sur l’image de
la société elle-même.
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Partie 3 – Les changements internes et externes provoqués
par les modifications organisationnelles
I – Changements organisationnels
Les métiers restent toujours à la base de l’activité de l’entreprise mais le management
par les projets apporte une dimension supplémentaire.
A. La difficile intégration de la logique projet avec les métiers
Pour qu’une équipe projet soit efficace elle doit maîtriser tous les domaines se rattachant à l’activité de l’entreprise ce qui revient à avoir une représentation de chaque métier
dans le groupe de travail. Qui nommer ? Le problème peut effectivement se pose si la structure n’est pas prévue pour un travail basé sur une logique de projet. Il faut trouver quelqu’un
ayant une grande compétence et qui s’impliquera à plein temps dans le projet. Chez Renault
cela a conduit à créer un nouveau poste au service études : responsable de sous-ensemble.
Mais dans certains services cela peut ne pas être aussi simple. De plus les membres de
l’équipe projet doivent également avoir suffisamment d’autorité au sein de leur métier respectif pour que les décisions prises soient acceptées par leur hiérarchie.
La personne une fois nommée doit être intégrée à l’équipe et participer aux discussions pour que sa présence soit utile. L’intérêt d’avoir à toutes les étapes du développement
un représentant de chaque métier est de pouvoir prévenir certains problèmes. S’ils se taisent,
l’intérêt de l’équipe projet est quasiment nul. Il faut mieux avoir des conflits d’opinion au sein
du groupe plutôt que d’attendre sans rien dire. La difficulté de communication peut venir non
pas du fait que le sujet soit techniquement complexe mais plutôt d’un problème de rationalisation de ses compétences. Plutôt que de connaître le métier des autres, il convient de maîtrise le
sien autrement. Par exemple expliquer un savoir-faire peut être un exercice très difficile. C’est
en fait le résultat d’expériences physiques. Comment l’appliquer à des modèles virtuels ?
B. La réorganisation du travail
Pour les plus anciens, l’entreprise est découpée en métiers. La logique projet, soutenue en général par les plus jeunes prône un tout autre type de découpage, transversal par rapport aux métiers. Sa définition est délicate car les problèmes les plus difficiles apparaîtront
aux frontières.
En participant du début à la fin au projet, il est fort probable qu’un surcroît de travail
apparaisse dans les différents services. Par exemple, le service production interviendra au
moment du design pour indiquer comment faciliter l’assemblage, alors que jusqu’ici on lui
confiait des plans qu’il devait exécuter. Dans ce cas précis, on peut faire des économies à la
fois sur le coût (baisse du temps de montage) et sur la qualité (si le travail est moins pénible et
fastidieux on peut espérer une plus forte concentration de la part du personnel exécutant).
Avec une plus forte autonomie et une plus grande responsabilisation, la nouvelle organisation facilite l’autocontrôle, faisant ainsi évoluer le rôle des contrôleurs. Leur objectif est
maintenant d’élaborer, d’appliquer et de mettre à jour des outils faciles d’utilisation et pertinent qui garantissent cet autocontrôle. Ceci a des conséquences en terme de flux
d’informations. Plutôt que le haut de la hiérarchie dicte ses ordres, la base indique ses besoins
et les problèmes sont résolus transversalement. Pour faciliter cette responsabilisation, on peut
préconiser une politique d’alternance avec un poste tantôt dans une équipe projet, tantôt attaché à un métier.
Pour mieux tenir compte de toutes ces modifications, il peut être souhaitable que la
direction projet et la direction métier soient rapprochées.
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C. La capitalisation des connaissances
Ces changements organisationnels permettent-ils toujours la capitalisation des connaissances ou est-ce qu’une fois le projet fini tout est oublié ?
Des études montrent que l’organisation taylorienne est déqualifiante. Elle sépare la
partie conception, jugée « noble » de la partie exécution. Cela n’est pas sans conséquence du
point de vue social. Au contraire une organisation par projet permet à des individus d’horizon
divers de se rencontrer, d’échanger des idées. C’est nettement plus formateur. Comment redistribuer cette expérience au sein du métier ? C’est le nouvel objectif de l’encadrement qui
d’un rôle de superviseur passe à un rôle de gestionnaire des connaissances.
II – L’évolution des relations avec les fournisseurs
A. Une évolution progressive
Dans les années 50 – 60 un constructeur automobile comme Renault produisait
toutes les pièces qui rentraient dans le montage de ses voitures. Puis est apparue la soustraitance. Le Bureau d’Etudes concevait les pièces, les Méthodes définissaient le process. Il ne
restait plus qu’à trouver un fournisseur capable de produire au meilleur rapport qualité/prix.
Aujourd’hui les sous-traitants sont beaucoup plus autonomes. Ils développent eux-mêmes les
composants avec éventuellement l’aide du constructeur. L’objectif de cette entente est de
pouvoir trouver la meilleure solution possible en mettant en commun les ressources. Ainsi par
exemple pour le moteur de la Twingo, il a fallu mettre aux normes antipollution un ancien
bloc. Le coût aurait été beaucoup plus élevé pour Renault s’il n’avait pas travaillé avec un
fournisseur de carburateur qui cherchait à se reconvertir dans l’injection pour respecter les
normes antipollution.
Des gains tant en terme de coût que de délai sont à attendre. Il convient toutefois
d’apporter un bémol. Lorsqu’il s’agit simplement de mettre en commun des compétences déjà
acquises par le constructeur et son fournisseur le bilan est souvent positif, mais cela devient
moins évident lorsque ni l’un ni l’autre n’ont développé au préalable un tel composant. Dans
le cas de la Twingo, si de fortes économies ont pu être réalisées sur le câblage électrique, le
siège arrière, entièrement nouveau a posé beaucoup plus de problème.
Un fabricant ne peut devenir concepteur du jour au lendemain. Il convient de mettre
en place chez le fournisseur une organisation analogue à celle décrite précédemment, à savoir
basée sur la gestion de projet et plus seulement sur la hiérarchie.
B. Les nouvelles caractéristiques du fournisseur
Pour que l’association soit productive, les critères à prendre en compte dans le choix
du fournisseur sont différents de ceux appliqués jusque là. Il faut maintenant intégrer les capacités du sous-traitant à dialoguer avec l’entreprise, à conduire le développement d’un nouveau produit, à respecter la qualité, les délais, à s’adapter en cas de changements dans le projet… La notion de confiance est également très importante car il ne faut pas qu’un des deux
partenaires se mettent à vouloir jouer les francs-tireurs.
Du sous-traitant on est passé au co-traitant. Dans ce dernier cas de figure, le fournisseur est considéré un peu comme un service de l’entreprise elle-même et c’est ainsi qu’il est
présent tout au long du développement du projet sur le plateau projet. Au niveau du dialogue
les interlocuteurs changent donc. Le sous-traitant n’a plus affaire au seul responsable du service achat mais à l’ensemble du personnel de l’entreprise associé au projet.
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III – L’apprentissage organisationnel
A. L’évolution chez Renault
Jusque dans les années 50 l’organisation est divisée uniquement en métiers. C’est
avec le développement de l’environnement concurrentiel que se dessine le besoin de passer du
pilotage artisanal à la mise en place d’une régulation au sommet. La direction va alors nommer un responsable chargé de suivre les projets qui passeront toutefois encore successivement
dans les différents métiers. A la fin des années 70 la mission projet est suivie non plus par un
seul acteur mais par trois responsables dépendant chacun d’une direction métier. C’est en
1988 que seront créées les Directions de Projet.
Direction métier
Acteurs métiers
sur le projet
Intervenants extérieurs à
l’entreprise (partenaires
industriels, réseau
commercial, clients)
Directeur de
projet
Capacité d’intervention
du Directeur de Projet
Chefs de
projet-métier
La structure en Direction de Projet (Clark, Hayes et Wheelwright [1988])
B. Vers l’organisation créatrice
Il faut tout d’abord noter qu’il n’existe pas de modèles préétablis, chaque entreprise
étant un cas particulier, avec son histoire, ses blocages… Ensuite la transformation ne pourra
se faire que de façon progressive, la concurrence n’attendant pas pour continuer la fin de la
mise en place de la nouvelle organisation. Il convient de programmer ces changements de
façon cohérente en tenant d’un possible effet d’apprentissage. D’ailleurs, il peut être intéressant de procéder à des expérimentations préalables et, pourquoi pas, en faisant intervenir le
monde de la recherche qui s'intéresse de plus en plus à la réalité de l’entreprise. Enfin, les
résultats ne sont pas immédiats. C’est donc une opération très longue.
L’expérience de Renault montre l’importance de l’implication de la Direction Générale dans ce processus de réorganisation, même si la simple volonté politique ne suffit pas
dans les grandes organisations.
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Conclusion
A travers l’exemple de Renault et de la Twingo nous avons pu aborder la question de
l’organisation créative. Christophe Midler termine son ouvrage en s’interrogeant sur la représentativité de ce cas au sein du monde industriel.
Il semble que la majorité des constructeurs d’automobiles vivent la même transformation à quelques nuances près. Pour PSA par exemple, se pose le problème supplémentaire
de la gestion de deux marques et l’encadrement y est plus présent.
Mais d’autres secteurs sont concernés. En effet des problèmes similaires se posent :
la recherche d’une meilleure qualité au moindre coût, la mondialisation de la concurrence
avec parallèlement une fragmentation des marchés, la diminution des délais de mise sur le
marché de nouveaux produits et l’incertitude de la demande face à cette offre. Ainsi des
études montrent que dans l’électronique grand public, la micro-informatique, les télécommunications, l’industrie pharmaceutique, etc. s’opèrent des changements avec la mise en place
d’organisations basées sur la gestion de projet sous différentes formes.
12
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