La liberté des opinions ne peut être sans limites

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La liberté
Sujet texte d’Alain
« La liberté des opinions ne peut être sans limites. Je vois qu'on la revendique comme un droit tantôt
pour une propagande, tantôt pour une autre. Or, on comprend pourtant bien qu'il n'y a pas de droit
sans limites; cela n'est pas possible, à moins que l'on ne se place dans l'état de liberté et de guerre,
où l'on peut bien dire que l'on se donne tous les droits, mais où, aussi, l'on ne possède que ceux que
l'on peut maintenir par sa propre force. Mais dès que l'on fait société avec d'autres, les droits des uns
et des autres forment un système équilibré ; il n'est pas dit du tout que tous auront tous les droits
possibles; il est dit seulement que tous auront les mêmes droits; et c'est cette égalité des droits qui est
sans doute la forme de la justice ; car les circonstances ne permettent jamais d'établir un droit tout à
fait sans restriction ; par exemple il n'est pas dit qu'on ne barrera pas une rue dans l'intérêt commun ;
la justice exige seulement que la rue soit barrée aux mêmes conditions pour tout le monde. Donc je
conçois bien que l'on revendique comme citoyen, et avec toute l'énergie que l'on voudra y mettre, un
droit dont on voit que les autres citoyens ont la jouissance. Mais vouloir un droit sans limites, cela
sonne mal. »
ALAIN
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à
guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le
texte soit d'abord étudié dans son ensemble.
1) Dégagez la thèse du texte et les étapes de son argumentation
2) Expliquez
« mais où, aussi, l'on ne possède que ceux que l'on peut maintenir par sa propre force »
« et c'est cette égalité des droits qui est sans doute la forme de la justice »
3) L'Etat doit-il tolérer toutes les opinions ?
INTRODUCTION
Problème de la limitation des droits dans la société. Les droits sont-ils compatibles avec l'exercice
d'une liberté illimitée ?
I. DROIT ET FORCE
L'absence de limitation au droit n'est concevable que dans ce qu'Alain nomme « état de liberté et de
guerre », c'est-à-dire :
soit une situation pré-sociale (hypothèse classique d'un état de nature initial)
soit une situation qui bouleverse l'ordre social normal : la guerre.
- Dans les deux cas, on se donne d'une certaine façon tous les droits, mais l'expression est
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contradictoire dans la mesure où ne sont réels que ceux qui peuvent être imposés et défendus par la
force.
- Or (cf. Rousseau) l'expression « droit du plus fort» est dénuée de signification. Si la force change, le
droit change en conséquence. Le terme de « droit » n'ajoute dans de tels cas ni stabilité ni légitimité :
« il ne signifie ici rien du tout » (Du Contrat social).
II. DROIT ET JUSTICE
La véritable égalité (politique ou juridique) implique que tous les membres de la société ont les mêmes
droits - mais non qu'ils ont tous les droits possibles.
Ce qui compte dans l'organisation sociale et y garantit l'ordre, c'est l'équilibre :
entre les droits des uns et des autres ;
entre les droits et les devoirs (Rousseau) puisque le droit entraîne des devoirs :
ce que le droit m'accorde doit être contrebalancé par ce qu'il exige de moi.
Un droit « sans restriction » signifierait l'absence de tout devoir, c'est-à-dire le droit de revendiquer
n'importe quoi sans rien accorder en échange (« privilège » du tyran) :
Exemple (en généralisant la rue barrée) ce que demande la justice, c'est, non pas l'absence de toute
gêne pour l'individu, mais que la même gêne soit partagée par tous.
III. DROIT ET LIBERTÉ
Chaque citoyen peut revendiquer tout ce que lui accorde le droit commun (celui dont bénéficie aussi
n'importe quel autre citoyen).
La liberté civile s'établit précisément sur ce droit commun. Elle va de pair avec l'égalité.
Cf. Rousseau : la véritable liberté est l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite. L'universalité de la loi
garantit que tous lui obéissent également et sont également libres.
(Si l'on veut contester de telles interprétations, recourir aux théories anarchistes : Stirner. Le droit
apparaît alors comme une contrainte qui aliène l'individu, l'« unique»)
CONCLUSION
Parce qu'il ne peut exister de société sans organisation équilibrée, la conception moderne du droit
(celle que Rousseau thématise dans le Du Contrat social et qu'Alain reprend ici) souligne sa
nécessaire limitation : la revendication d'un droit sans limites sous prétexte de jouir d'une liberté ellemême illimitée dissimule une méconnaissance illusoire de ce qu'exige le fonctionnement du corps
social et traduit au mieux la nostalgie d'un état initial lui-même utopique.
Question 3 : L'Etat doit-il tolérer toutes les opinions ?
Introduction
L'État démocratique aime à se définir comme un régime de protection des libertés. Dès lors tolérer
toutes les opinions ne lui apparaît pas seulement comme une manière d'être fidèle à ses principes, il y
voit également l'occasion d'en expérimenter le caractère incontournable, puisqu'en accordant la liberté
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de penser même à ceux qui en contestent le principe, il les contraint à le reconnaître dans la mesure
où ils en usent et parfois en abusent. Pourtant ce qu'il perçoit comme un signe de force peut aussi
passer pour un signe de faiblesse ; car exiger de l'État qu'il tolère les opinions contraires aux principes
démocratiques n'est-ce pas le faire complice de leur destruction ?
I - L'idée de tolérance
a) On entend par tolérance l'attitude qui consiste à laisser aux autres la liberté d'exprimer des opinions
qu'on ne partage pas. En ce sens la tolérance serait une sorte de reconnaissance du droit à la
différence.
b) Pourtant il s'en faut de beaucoup que la tolérance se soit originellement confondue avec un droit.
Jadis en effet, les pouvoirs n'imaginaient pas que l'ordre public pût être compatible avec la
prolifération des opinions. Revendiquer une différence, c'était manifester une opposition, la
reconnaître était faire preuve de faiblesse. Bien sûr Sénèque avait pu représenter à Néron que
l'intolérance était tout autant une marque de faiblesse, puisqu'en réprimant les opposants, on montrait
par là qu'on les craignait (De la Clémence). Mais bien peu de princes étaient prêts à le suivre sur ce
point. S'il y avait tolérance, c'est qu'elle résultait d'un rapport de force qui les obligeait à des
concessions. C'est dans cette optique que Catherine de Médicis fut amenée à formuler de nombreux
édits de tolérance en faveur des protestants ; ce qui dans son esprit ne signifiait pas que les opinions
des protestants valaient celles des catholiques.
c) La tolérance dépendait du bon vouloir du Prince ; ce qu'il donnait, il pouvait toujours le reprendre ; il
ne se reconnaît aucun devoir puisqu'il ne conférait aucun droit.
II - Tolérance et État de droit
Sans doute parce qu'on pensait que la force finirait par avoir raison de la liberté de pensée.
a) Mais pour Spinoza la liberté de penser est un fait si naturel et si universel qu'il serait absurde de
contraindre les consciences à croire ce qu'ils se refusent de croire. Absurde, mais également
dangereux, car l'expérience montre que la persécution alimente toujours les opinions qu'elle a pour
but d'éradiquer.
b) Aussi la paix civile exige-t-elle qu'on transforme en droit ce qu'aucune violence ne peut faire
disparaître ; sans excepter les opinions les plus absurdes, puisque la liberté de penser étant un fait
universel, la tolérance doit pouvoir s'étendre à tout le champ du possible (Traité théologico-politique,
chap. XX).
c) La tolérance dans ces conditions n'est plus le fait du Prince ou le résultat d'un rapport de force, elle
est un devoir qui oblige l'État à faire de la liberté d'opinion un droit garanti par la loi.
III - Tolérance et laxisme
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a) S'il en est ainsi, il ne peut y avoir de limite à la tolérance, quand bien même certaines opinions
élèveraient la prétention de la menacer. Dans l'esprit de l'art. I de la Déclaration des Droits des ÉtatsUnis, il est stipulé que le Congrès ne pourra faire aucune loi qui limiterait la liberté de parole ; ce qui
signifie que la liberté est absolue puisque la loi qui la permet n'a pas le pouvoir de la restreindre.
b) Si les membres du Ku Klux Klan détruisent la maison d'un Noir, ils sont poursuivis pour violation de
domicile et bris de matériel, car si la loi punit les actes de violence, elle ne s'estime pas en droit de
juger les idées qui les inspirent.
c) Pourtant on peut se demander si dans ce cas la tolérance ne se fait pas complice de l'intolérance,
car la liberté n'est pas la licence, et la responsabilité ne peut séparer l'acte des idées qui le
commande. C'est pourquoi il existe un délit d'opinion qui assigne à l'Etat le devoir d'interdire toutes
celles qui par leur caractère discriminatoire, viendraient à porter atteinte à la dignité humaine que
l'État a précisément pour fonction de préserver.
Conclusion
La liberté d'opinion n'est pas au-dessus de la loi. Le Droit français le sait qui en tolère l'exercice sans
en admettre les abus. Si la tolérance fait bien la force des démocraties, le laxisme en constitue la
faiblesse.
PLAN
Introduction :
les principes démocratiques peuvent-ils faire un devoir à l'État de tolérer toutes les opinions ?
I - L'idée de tolérance
a) Qu'est-ce que la tolérance ?
b) Origine de la tolérance : un rapport de force
c) Fondement : le bon vouloir du Prince
Transition : du fait de la liberté de pensée au droit d'en jouir
II - Tolérance et État de droit
a) La liberté de pensée est un fait universel
b) D'où se déduit le droit d'exprimer ses opinions
c) Et le devoir de l'État de les respecter
Transition : la liberté d'expression peut-elle être limitée ?
III - Tolérance et laxisme
a)L'État ne peut sans se contredire limiter l'opinion
b) Il réprime les actes et non les opinions
c) Il doit réprimer les opinions qui sont des délits
Conclusion : la tolérance n'est pas le laxisme
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