Note d’intention
« Le scarabée est un insecte qui se nourrit des excréments d’animaux autrement plus gros
que lui. Les intestins de ces animaux ont cru tirer tout ce qu’il y avait à tirer de la nourriture
ingurgitée par l’animal. Pourtant, le scarabée trouve, à l’intérieur de ce qui a été rejeté, la
nourriture nécessaire à sa survie grâce à un système intestinal dont la précision, la finesse et
une incroyable sensibilité surpassent celles de n’importe quel mammifère. De ces excréments
dont il se nourrit, le scarabée tire la substance appropriée à la production de cette carapace
si magnifique qu’on lui connaît et qui émeut notre regard : le vert jade du scarabée de Chine,
le rouge pourpre du scarabée d’Afrique, le noir de jais du scarabée d’Europe et le trésor du
scarabée d’or, mythique entre tous, introuvable, mystère des mystères. Un artiste est un
scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour
produire les œuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. L’artiste, tel un scarabée,
se nourrit de la merde du monde pour lequel il œuvre, et de cette nourriture abjecte il
parvient, parfois, à faire jaillir la beauté » Wajdi Mouawad
Avec le texte de Stanislas Cotton, je veux me faire scarabée. Le théâtre que je défends à
cette caractéristique : son devoir d’insolence ; il préfère la vérité qui dérange au mensonge
qui rassure. La Gêne du Clown aborde un thème difficile, celui de l’inceste. Mais il est d’une
originalité troublante. Il aborde le sujet avec originalité. Il mêle humour et effroi. Il surprend
et prend le spectateur à revers. Dans une forme d’écriture inédite et résolument
contemporaine, Stanislas Cotton fait voler en éclat toute représentation classique du
tragique. Je veux monter ce texte parce qu’il m’effraie et me confronte, il a le goût et l’odeur
des défis. C’est aussi une belle continuité à ma recherche déjà ancienne sur le tragique, la
nécessaire confrontation au chaos, notre monstrueuse humanité.
Pour certains, les choses horribles, il faut les taire. Ils les rejettent en profondeur dans leur
conscience. Mon travail de metteur en scène en général et pour La Gêne du clown en
particulier est, à la manière dont le propose Wajdi Mouawad, de faire remonter à la surface
ces histoires et à leur donner une portée universelle. Parce que le Théâtre que je propose est
avant tout un théâtre politique dans le sens où il a à voir avec la société, où il suscite la
confrontation et est dur et proche du monde qui l’entoure, pour rendre compte de la réalité
de l’individu. Il témoigne ainsi de la déliquescence du monde. Ce théâtre ne peut pas laisser
indifférent. C’est un théâtre de l’immédiateté, qui parle à ses semblables dans un langage
accessible à tous pour leur raconter leur histoire difficile et actuelle.
C’est un théâtre avec un désir vital d’avoir les yeux ouverts pour porter un regard lucide sur
le monde et faire voler en éclat le miroir devant lequel nous posons.
Un théâtre dur, authentique et insolent qui fait voyager le spectateur entre les rires et les
larmes, qui le secoue, émotionnellement et intellectuellement sans pour autant le
désenchanter et sans lui faire renoncer à sa propre humanité.