générations, il existe dans chaque société humaine un phénomène de production d’une extériorité qui conduit
chaque être humain au delà de lui-même. Cette extériorité prend de plus en plus de consistance et d’autonomie
par rapport à son cadre de production. Elle devient une réalité située hors de l’univers physique environnemental
quotidien (au sens propre, c’est une réalité métaphysique). En retour, cette extériorité régule et stabilise la société
et lui permet de résister aux processus d’autodestruction qui la menacent en permanence, de l’extérieur comme de
l’intérieur.
C’est pour rendre compte des rites funéraires mis en évidence chez les Néandertaliens il y a 100 000 ans, peut-
être même encore plus tôt chez les hommes de Atapuerca près de Burgos, il y a 500 000 ans, que les
paléontologues sont amenés à parler d’un questionnement métaphysique au moins implicite. Chez les hommes
modernes ce questionnement sera de plus en plus explicité, conceptualisé. Il aboutira même au 1er millénaire
avant notre ère, dans toutes les cultures du monde, à une interrogation sur la source de ce questionnement.
Cette interrogation au second degré est en particulier au centre de l’activité des philosophes grecs du 5ème siècle
avant notre ère. Est explicitement énoncée la question fondamentale de la métaphysique, qui porte sur la source
de l’être : quelle est la réalité vraie sous la réalité apparente du monde des sensations immédiates ? Cette question
est au cœur de toute la philosophie depuis 25 siècles jusqu’à sa reprise par Martin Heidegger. Un certain nombre
de systèmes de pensée philosophiques ou religieux proposent des réponses toujours actuelles à la question de la
source de l’être. Certains d’entre eux répondent par le rejet argumenté de la question et plus généralement de la
pertinence de la métaphysique comme discipline intellectuelle. L’apparition du questionnement métaphysique
s’explique-t-il par des mécanismes néo-darwiniens ? Cette question en appelle une autre : «peut-il y avoir un
savoir sur l’auto-transcendance sans transcendance véritable ? » Deux questions qui expliquent le double point
d’interrogation du titre de ce deuxième entretien. C’est le temps de l’humain encore naïf, sujet du deuxième
entretien.
Aventure humaine ???
Quelle signification accorder à la question de la source de l’être en ce 21ème siècle ? Reformulée en termes
accessibles à tout le monde la question devient : « Qu’est-ce qui donne du sens à ma vie ? »
L’homme prend conscience de ce qu’en tant qu’espèce biologique, sa survie à court terme, qui n’était pas mise en
cause au temps de l’humain innocent, est devenue, par suite de ses propres errements, problématique. Les
écosystèmes dont il dépend sont également menacés, et différents mécanismes peuvent amener à la disparition
rapide des homo sapiens, avec ou sans descendance post-humaine.
Et le voilà qui du coup se met à prendre en charge, selon ses propres finalités, les mécanismes de l’évolution du
vivant, à coup d’OGM, de bionique et d’informatique. Mécanismes qui, depuis trois milliards d’années, étaient
restés purement aléatoires, (« le hasard darwinien »). N’y est-il pas obligé ?
Mais en fait, quelles sont ces finalités ? Pour répondre il faudrait commencer par clarifier ce qu’est une personne
humaine, ce qu’elle n’est pas ; répondre à la question du sens de l’existence humaine. Ne viser qu’à la seule
intégrité du génome ne serait guère motivant. Il faut ici constater qu’aucun processus visant à obtenir à l’échelle
mondiale un consensus sur ces questions n’a été engagé. Il faut donc constater et regretter que pour le moment
l’homme ne fait que répondre au coup par coup à des nécessités locales et à court terme, tout en faisant confiance
aux mécanismes aveugles du marché. A la question « quelles finalités ? », pas de réponses pour le moment.
Il est évident que dans ces conditions les pires scénarios des auteurs de science fiction peuvent se concrétiser. En
situation de mondialisation il pourrait ne pas y avoir de deuxième chance.
C’est le temps de l’humain averti. Une aventure, c’est un but à atteindre avec des risques d’échec. L’expression
« aventure humaine » est donc bien justifiée au temps de l’humain averti. Que faut-il pour que d’emblée l’échec
ne soit pas inéluctable ?
Peut-être faut-il trouver la réponse à l’énigme de la « question du mal métaphysique ». A maintes reprises au
cours de l’histoire, les sociétés humaines ont opté, inéluctablement semblait-il, pour des solutions désastreuses.
Quel est le mécanisme anthropologique qui rend compte de cette défaillance persistante ? Pour que les chances
de succès de l’aventure humaine augmentent, il faut donc que ce mécanisme soit maîtrisé, encore faut-il qu’il
soit élucidé. Mais le libre arbitre existe-il ? L’humain est-il en position de décideur ?
Toutes ces questions redoutables justifient le triple point d’interrogation du titre de ce troisième entretien.
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