La gouvernance du développement durable à RIO+20 : pour la fin du système oligarchique ! Jean-Philippe Thomas - ENDA Tiers Monde - [email protected] Le mouvement international de prise en compte de la planète Terre et de l’environnement date de 1972 avec la première Conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain (CNUEH, Stockholm - Suède). Ce mouvement fait suite, au niveau international, à la prise en compte dans les années 60, des problèmes de commerce et de développement avec la première Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED – 1964). Les questions écologiques entrent donc ainsi de plein pied dans les préoccupations internationales avec la mise en place du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE). Le contexte est favorable, puisque c’est à la même période que le Club de Rome lance l’objectif de «Halte à la croissance ». Egalement, le pas est donné puisque les dirigeants de la planète s’engagent à se rencontrer tous les dix ans pour faire le point sur l’état de la Terre. Après l’échec de la Conférence de Nairobi en 1982, dû aux tensions sur le plan international, tous les espoirs se reportent sur la Conférence de Rio, en 1992. Les résultats de cette Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le Développement sont considérés, par tous, comme une réussite puisqu’il en ressort le programme d’Action 21 (avec plus de 2500 recommandations) et trois conventions majeures : Changements climatiques, biodiversité et lutte contre la désertification. Le développement durable est né, sa gouvernance est assurée par les instances multilatérales « ad hoc » relevant du système des Nations Unies. Mais parallèlement et suite au premier choc pétrolier, un G5 informel est initié en 1974 (États-Unis, Japon, France, Allemagne de l'Ouest, Royaume-Uni). Il devient G6 puis G7 avec l’entrée de l’Italie et du Canada. C’est en 1997 que le G8 prendra sa forme actuelle avec l’entrée de la Russie. Le G8 n’est pas une administration transnationale, c’est un groupe informel avec une Présidence tournante. Ce groupe, dit de discussion et de partenariat économique, va tendre, dans les faits, à se substituer aux instances multilatérales mises en place dans le cadre du système des Nations Unies. En 2002, le « Sommet Mondial sur le Développement Durable » (Johannesburg), organisé par les Nations Unies, a, au-delà des bilans, pris des décisions dans les sens du développement durable, entre autres, sur l'eau, l'énergie, la santé, l'agriculture et la diversité biologique. Il faut y ajouter le renforcement des partenariats entre le nord et le sud et entre les secteurs publics et privés. Ce sommet s’inscrit dans une trajectoire de lutte contre la pauvreté consacrée, deux années plus tôt (2000), par l’adoption aux Nations Unies des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Mais, comme le note l’IDDRI (RA 2010), la gouvernance du développement durable, institutionnalisée par le Sommet de la Terre de Rio en 1992 et ses trois conventions (Désertification, Biodiversité, Changements Climatiques), a subi des transformations profondes au cours de la dernière décennie, marquée à la fois par la diffusion large de l’idée de développement durable dans les discours et des résultats insatisfaisants, sinon décevants. En d’autres termes, le développement durable a été largement mis à mal par les vingt dernières années. Parallèlement, et suite aux crises financières des années 90, le G8 va s’agrandir en G20 (19 pays1 +UE) en 1999. Ce Groupe à un « poids » important puisqu’il représente 85 % du commerce mondial, les deux tiers de la population mondiale et plus de 90 % du produit mondial brut, mais il reste totalement informel ! On perçoit aisément le flou existant dans la gouvernance du développement durable puisqu’un des piliers (l’économie) échappent totalement à sa gouvernance institutionnelle, ce qui, par suite, rétroagit sur les autres piliers, en particulier le social. Ce mouvement trouve sa reconnaissance dans les attendus de Rio+20 puisque les Nations Unies admettent que « Le sommet mettra également l’accent sur deux thèmes spécifiques: une économie verte dans le contexte de l’éradication de la pauvreté et le développement durable, et une structure institutionnelle qui favorise le développement durable ». La définition des deux thèmes spécifiques à aborder, d’emblée, pose problème D’abord, la notion « d’économie verte » émerge du développement durable pourtant basé sur les trois piliers à parts égales. L’expérience des cinquante dernières années doit conduire à une certaine prudence sur l’appropriation de nouvelles notions : croissance économique, écodéveloppement, croissance zéro, ajustement structurel, objectifs du millénaire, développement durable. Les changements d’appellation sont-ils des changements de paradigme pour des politiques identiques ? Nous avons répondu à cette question en réfutant la notion d’économie verte2. Ensuite, la séparation qui est proposée entre l’économie verte et la gouvernance du développement durable (structure institutionnelle) perdure et renforce une vision de la société désarticulée entre les acteurs, c'est-à-dire les populations, et ceux qui décident des règles et des modes de fonctionnement da la société. 1 G8 + Australie, Japon et neuf pays émergents : Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie. 2 Voir : « L’économie verte ou le retour de l’économisme effréné ? » - Jean-Philippe Thomas - ENDA Tiers Monde – Dakar, 2012. Or, au niveau international, face aux processus de mondialisation/globalisation, se pose, avec une grande acuité, le problème de la gouvernance mondiale pour l’économie, le commerce, le monétaire et financier, l’environnement, et disons, par extension, tous les biens collectifs mondiaux. S’il existe un consensus sur deux défis majeurs - l’éradication de la pauvreté et la sauvegarde de la planète – la diversité des formes de capitalisme actuel (avec plus ou moins d’Etat ou de marché) engendre des dérégulations en chaînes matérialisées par les suites de crises (financières, des matières premières, de l’immobilier ou du foncier,…) que rencontre l’ensemble des pays du monde, certes à des degrés divers. Ce qui signifie que les réponses obtenues jusqu’à aujourd’hui par rapport aux défis sont très en deçà des objectifs poursuivis. Le bilan dressé par les Nations Unies, cinq ans avant l’échéance des objectifs du millénaire (OMD), est très mitigé, car il est peu probable que l’ensemble des objectifs soient atteints. Il en est de même de la sauvegarde de la planète pour laquelle les atermoiements des négociations sur un agrément post 2012 sur le « Climat » conduisent à des choix d’objectifs de réchauffement climatique très au dessus des recommandations de la communauté scientifique, si l’on veut effectivement lutter contre le réchauffement de la planète. Les limites du marché, en tant que mécanisme de régulation sont maintenant admises, c’est ce que l’on appelle la crise de la régulation « libérale ». La question des mécanismes d’une nouvelle régulation se trouve ainsi posée. C’est le retour du débat marché/Etat, mais au niveau international. Quelle institution peut jouer à l’international ce rôle de régulateur. Des réponses partielles sont données, les Conventions sur l’environnement, en particulier le Climat, en sont un exemple. Mais au niveau global, la réponse de la communauté internationale est, depuis plusieurs décennies, on l’a vu plus haut, constituée par les divers « G », réunions informelles des Présidents de Nations auto désignées, puisqu’au départ constituées uniquement de pays industrialisés (G8). Ce que d’aucun appelle une « Diplomatie de connivence3 », constituait jusqu’à aujourd’hui le mécanisme ultime de la régulation mondiale basée principalement sur l’évaluation par les pays industrialisés du rapport de force avec l‘ensemble des autre pays, ce qui permettait aux pays membres de trouver « entre eux » des arrangements (connivence) pour une « meilleure » régulation mondiale. Mais ce comité de pilotage rigide n’a pu survivre à la montée des pays émergents comme la Chine, le Brésil, l’Inde ou l’Afrique du sud. L’extension du comité (G20) répond aux contestations de plus en plus marquées sur bon nombre de problèmes entre les pays industrialisés et les pays émergents qui ne partagent pas le même sens des responsabilités au niveau mondial. Quoiqu’il en soit, ce système oligarchique actuel n’est pas durable ! C’est donc le concept de développement durable qui doit être renforcé, non pas en séparant économie et gouvernance, mais en adjoignant un quatrième critère aux piliers du développement durable : la gouvernance, ses institutions et leur cohérence. On pourra 3 « La Diplomatie de connivence ».- Bertrand Badie. Editions de la Découverte, Paris. 2011. ainsi juger du degré de conformité des processus allant de l’économique au politique, et du degré de convergence des politiques et mesures, etc. De manière explicite, c’est le cadre d’analyse du développement durable qu’a déjà proposé ENDA et qui se trouve largement corroboré par les conclusions du UN High-Level Dialogue on the Institutional Framework for Sustainable Development, (July 2011, Solo, Indonesia, attending by 300 policy makers, diplomats, NGOs and experts) et, en particulier, Martin Khor du Third World Network (TWN) : « The main consensus was that there has been a big implementation problem – the goals of sustainable development have not been not implemented, either at the global level (such as in the UN, or IMF and WTO) or in national policy making. A major reason is the weakness of absence of institutions. The UN’s Commission on Sustainable Development, the main agency to follow up on the 1992 Rio Summit, has too small a secretariat and meets for only three weeks in a year. All three sustainable development pillars – environment, economic and social – are very weak at the UN. The agencies interact too little, if at all, with one another. The governments do not have adequate fora, such as a powerful UN economic committee to discuss the financial crisis and economic recession, or a UN environment committee with authority to act. This weakness is also reflected at the country level. National councils of sustainable development were set up after Rio 1992, but many have not functioned well. Economic policies are still made with little regard for the environment”. Il devient impératif d’élargir les « piliers » du développement durable à un critère supplémentaire, l’institutionnel (gouvernance et cohérence des politiques) qui était jusqu’ici le grand absent du développement durable. Les quatre piliers du D.D. (f) Economie Social (a) (b) (c) (g) (g) (f) Environnement Institution Approche globale C’est à partir d’un tel cadre qu’il s’agit maintenant d’analyser les formes de gouvernance de l’international au local. Il n’existe pas un modèle type mais beaucoup plus, dans cette vison holistique du développement durable, des panoplies d’indicateurs partagés qui doivent répondre aux principes de la durabilité (voir exemple ci-dessous) et évaluées les transformations opérées. Critères Développement Durable Critères Conditions de « durabilité » Indicateurs (exemples) Economique Efficience/Efficacité • Valeur produite > valeur consommée • Valeur ajoutée (VA) • PIB (productivité des facteurs) Social Equité • Répartition de la VA (ou PIB), IDH • Population pauvre bénéficiaire • Réduction pauvreté (% femmes, enfants) Environnemental Viabilité/Conservation • Emissions GES, stockage de carbone • Synergies désertification, biodiversité,… Institutionnel Cohérence/Régulation • Convergence des actions & politiques • Gouvernance • Degré de conformité des processus • Degré de participation J.Ph.Thomas Ce n’est pas une institution juxtaposée qui va décider de la durabilité mais beaucoup plus la recherche, par les acteurs, d’une « harmonie » entre les relations qui s’instaurent entre les quatre piliers du développement durable et qui est génératrice du sentier sur lequel s’engage et se poursuit le développement. On est donc beaucoup plus dans une approche ascendante (bottom up) que top-down. La décentralisation administrative et institutionnelle qui s’opère dans la plupart des pays africains à l’heure actuelle est révélatrice de la nouvelle configuration des centres de décision. Le rôle économique et social des Etats tend de plus en plus à s’effectuer dans des pôles de subsidiarité comme les collectivités locales ou territoriales jusqu’aux communautés à la base. Les dynamiques sociales et populaires deviennent alors le ferment des transformations. Cette dévolution, en multipliant les centres de décision, sera effective lorsque ces centres de décision décentralisés jouiront pleinement des possibilités de planification, de collecte de ressources financières et d’accès direct à des sources de financement nationales ou internationales (financement direct « Climat », par exemple). Les nombreux travaux et les innovations politiques (en particulier dans les pays émergents) qui ont opérationnalisé la notion de développement durable (incluant sa gouvernance) constituent des matériaux sur lesquels on peut largement s’appuyer pour lever les ambiguïtés actuelles du contenu de Rio+20.. Au niveau international, nous avons vu précédemment que le système oligarchique n’est pas durable. C’est un des enjeux de Rio+20 de proposer une configuration institutionnelle de gouvernance mondiale qui, de notre point de vue, doit permettre à chaque pays du monde d’être représenté et d’avoir « une voix » dans la régulation mondiale. Cette participation de tous est le gage de la réussite, à long terme, de l’entreprise. Il n’est pas sûr que les propositions actuelles de mise en place d’une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME) ou un PNUE « amélioré » soit une bonne réponse (même partielle) à la problématique posée. Il en est de même de la juxtaposition des instances multilatérales avec les différends « G ». Les solutions sont à chercher du côté du multilatéralisme « dans le cadre d’une gouvernance mondiale ouverte et inclusive, respectueuse des dynamiques sociales et populaires et œuvrant dans l’intérêt des générations actuelles et futures » (Déclaration de Douala, 2012). C’est l’enjeu de Rio+20 ! Dakar, mai 2012