LES MUSULMANS DANS L’ESPAGNE D’AUJOURD’HUI
CLAUDE PROESCHEL
Groupe Sociétés, Religions, Laïcités, GRSL(EPHE-CNRS), Paris
En guise d’introduction : l’influence arabe et musulmane sur la société espagnole : deux visions
Une querelle fondamentale sur l'origine de l'Espagne, en liaison avec deux visions radicalement diffrentes de l'influence arabe et musulmane en ce pays a travers le corps des
historiens espagnols. me si sa postrit est discuter, il faut signaler les deux auteurs et ouvrages fondamentaux la reprsentant : Amrico, Castro et son ouvrage de 1954 La realidad
histrica de Espaa, Editorial Porru, Mexico [Publi pour la premire fois en 1948 sous le titre Espaa en su historia. Cristianos, moros y judios, Editorial Losada. Buencos Aires. Interdit
en Espagne et rapidement puis, dans le feu d'une ardente polmique entre fervents adhrents et critiques radicaux, l'auteur ne se dcida jamais une rdition en l'tat et prfra le
refondre compltement en un nouveau livre, distinct, La realidad histrica de Espaa] ; Claudio Sanchez-Albornoz et son ouvrage de 1958, Espaa, un enigma histrico, Editorial Sud-
Americana, Buenos Aires. Amrico Castro soutient qu'on ne peut parler d'Espagne avant la Reconquête. Par la suite, il repoussera cette date jusqu'autour de l'an mille, l'poque du culte
de Saint Jacques, qu'il jugeait dcisif pour la formation de la mentalit espagnole. Pour lui, c'est donc au Moyen Age que se sont forms les traits distinctifs de l'Espagne par rapport aux
autres nations de l'Europe moderne, et le fait dterminant en est, ses yeux, la coexistence cette poque sur le sol de la pninsule ibrique de trois cultures, chrtienne, musulmane et
juive. Sanchez-Albornoz, son grand rival, lui rplique avec des arguments tendant dmontrer que les caractres de la future Espagne se dessinaient djdans l'Hispania romaine et que
donc, l'homo hispanicus, support de la civilisation espagnole, est un type humain qui prexiste de beaucoup au Moyen Age. Sa critique de Castro passe, entre autres, par un retour aux
sources arabes qui lui servent dmontrer l'insignifiance numrique de l'apport arabe, bien incapable en soi de provoquer l'influence en profondeur que dfend Castro. Cette polmique
porte en fait sur le concept même d'histoire nationale. Notons que le souci d'intgrer  l'hispanit les hommes qui peuplrent l'Espagne musulmane ne remonte gure dans les travaux des
historiens au del du XIXe sicle. On distingue plus volontiers les maures des chrtiens comme appartenant  deux entits historiques diffrentes.
1. Musulmans d’Espagne
1.1 Présence musulmane en Espagne : contextualisation historique
L’Espagne a construit son unit politique et culturelle par rfrence exclusive au catholicisme, dans la forme la plus radicale possible, par l’expulsion et la persécution des autres
religions dans un premier temps, puis par un contrôle strict exercé sur les catholiques eux-mêmes, au travers de la mise en place de la notion de limpieza de sangre, de pureté de sang,
contraignant chacun à faire preuve de ses ascendances chrétiennes.Certes, quelques brèches subsistèrent. Mais pour autant, les références et lignes de conduite demeurèrent inchangées
pendant quatre sicles. L’Espagne connaît donc, dans son contexte historique une situation particulire au regard de l’islam. Bien que celui-ci soit inscrit dans son histoire, la population
musulmane a longtemps été numériquement très faible sur son territoire, si l’on excepte les villes de Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles sur le territoire marocain.
Cette ralit se double d’un phnomne migratoire spcifique car trs tardif au regard des autres pays d’Europe occidentale. L’on ne peut en effet vritablement parler d’immigration
en Espagne avant les annes 1970. L’tablissement, dans les annes 1960-1970 d’un groupe d’tudiants issus de pays du Moyen Orient, qui posrent certes les bases de l’organisation
associative de l’islam en Espagne, la conversion pendant ces mêmes annes d’un petit nombre d’Espagnols, ne peuvent donc en aucun cas être considérés comme le point de départ de ce
processus. Les premiers immigrants en provenance du Maroc - groupe le plus important dans le temps et dans le nombre parmi les communautés immigrantes- commencèrent à arriver en
Espagne  la fin des annes 1960, c’est  dire au moment où, dans la plupart des pays de la CEE, l’on voyait poindre les premiers signes de la future récession économique. Ce phénomène
se renforcera et deviendra plus régulier à partir du moment où ces pays fermeront leurs frontières en raison de la récession de 1973-74. Cette première vague est principalement issue du
Maroc.
Au milieu des annes 1980, l’Espagne, presse par la CEE en ce sens, met en place sa politique d’immigration, en promulguant, en particulier, la loi de 1985, « Ley de Extranjera ».
1
Le second moment clef de la mise en place de ces politiques publiques est la vague de rgularisation d’immigrants en 1991, qui concerna environ 50.000 marocains. Elle provoqua dans la
socit espagnole un dbut de prise de conscience de l’importance que commençait  prendre les phnomnes migratoires en Espagne.
Dans les années 1990, on assiste à une intensification de l’immigration en provenance de pays arabes et musulmans et  une diversification des origines nationales des immigrants. La
communaut marocaine demeure certes la plus importante numriquement, mais d’autres mergent, communaut algrienne, pakistanaise, sénégalaise ou nigeriane.
Depuis quelques années, enfin, plusieurs phénomènes conjoints se développent: un ralentissement, certes, du nombre de marocains entrant sur le territoire, du fait du renforcement des
contrôles de frontière, mais aussi une immigration générale en augmentation du fait du regroupement familial. On peut également affirmer que la visibilit de l’islam et, donc, de la
diversit culturelle et religieuse de l’Espagne va croisant. Pour autant, la communaut musulmane n’est pas d’une dimension comparable  celle d’autres pays europens.
1.2 Composition nationale et données démographiques
Dans la mesure où les recensements et enquêtes officiels en Espagne ne peuvent comporter de questions sur les convictions religieuses, l’estimation du nombre de musulmans en
Espagne, complexe, est le rsultat d’estimations faites  partir de la provenance gographique des immigrants, Les chiffres ici reproduits doivent donc être lus avec toutes les précautions
d’usage.
Estimation du nombre de musulmans étrangers en Espagne au 1er janvier 2007
Marruecos
582.923
Argelia
45.813
Pakistán
42.105
Senegal
36.955
Nigeria
32.119
Gambia
17.393
Mali
17.094
Mauritania
9.271
Bangladesh
6.480
1
Cette loi a abord la question des habitants de Ceuta et Melilla en les dnommant “trangers”, ce qui a provoqu de nombreux remous, beaucoup d’entre eux tant natifs et rsidents de toujours de ces deux villes. Les
mobilisations qui en rsultrent contrainrent l’Etat  prendre les mesures ncesaires pour qu’ils puissent obtenir la nationalité espagnole.
Egipto
2.566
Irán
2.334
Siria
2.129
Turquía
1.758
Túnez
1.544
Líbano
1.250
Jordania
1.088
Sierra Leona
989
Iraq
880
Total
804.691
Fuente: Instituto Nacional de Estadística (INE), 2007
On considre qu’ cette estimation du nombre de musulmans trangers, il faut ajouter le montant des musulmans naturalisés, environ 100.000 personnes, et les Espagnols convertis à
l’islam, qui reprsenteraient entre 1.000 et 5.000 personnes.
La Ucide, pour sa part, dans son Etude démographique de la population musulmane en Espagne, à partir des données du Recensement National 2007 et des données du Ministère de la
Justice, établit les estimations suivantes
2
:
2
UCIDE, 2008, Estudio demográfico de la Población musulmana, Observatorio Andalusí. Le Recensement National est ici la référence fondamentale afin de cerner l’importance de la
population musulamne de Ceuta et Melilla, et pour une connaissance détaillée de la population trangre issue des 57 Etats membres de l’Organisation de la Confrence Islamique avec
reprsentation permanente  l’ONU. Un calcul compensateur est appliqu afin de tenir compte des minorits immigres en provenance de l’Europe et du continent amricain, en particulier
sud-américain.
Citoyens musulmans de nationalité espagnole
Ciudadanos españoles
Muslimes
Ceptíes (Habitants de Ceuta)
28.070
Melillenses (Habitants de Melilla)
30.036
Ceptíes y melillenses emigrados (Emigrés de ces deux villes)
5.460
Nacionalizados (naturalisés)
80.235
Naturales ( originaires)
16.020
Descendientes (descendants)
168.861
Total de hispanomusulmanes
328.682
Zone d’origine des musulmans étrangers et nationalités
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
700000
Magreb Occidente
Subsahariano Oriente Medio Orien te Pr—ximo Europa
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