Thierry LIBAERT 15/03/2004 LA DESINFORMATION VERTE Parmi les grandes modes actuelles, le dénigrement systématique des problèmes écologistes semble être du dernier chic. Sous des titres racoleurs, certains essayistes en mal de renom tentent de profiter de controverses scientifiques pour nous persuader que les craintes relatives à l’environnement seraient du même ordre que l’attaque d’Al Qaida contre le Pentagone, c’est-à-dire illusoires. L’effet de serre est inexistant selon Yves Lenoir dans son ouvrage Climat de panique, André Fourçans lui emboîte le pas dans Effet de serre, le grand mensonge ? Journaliste au Figaro, Jean-Paul Croizé dénonce Le grand guignol des peurs vertes et Pierre Kohler L’imposture verte, Eric Joly veut pourfendre ce qui lui semble Ecologiquement incorrect, et aujourd’hui Bjorn Lomborg nous propose la traduction française de son ouvrage L’écologiste sceptique. Le scepticisme environnemental n’est pas nouveau. Déjà en 1992, peu avant le sommet de Rio, de nombreux scientifiques, à l’occasion d’une déclaration commune, l’appel de Heidelberg, avaient mis en doute la réalité des préoccupations environnementales en affirmant leur foi inébranlable en la technique pour trouver les remèdes dès lors que le mal apparaîtrait. En 1977, Louis Pauwels partait déjà en guerre contre la « sinistrose » et dénonçait « les pessimistes en mission intéressée ». Aujourd’hui, si les objectifs avancés par les adeptes d’un optimisme sans faille sont clairement énoncés (ébranler les convictions sur la réalité des problèmes environnements), les ressorts de la démarche apparaissent plus obscurs. On y retrouve en premier lieu le souhait de profiter d’une vague de scepticisme structurel. Profitant de l’impossibilité scientifique d’apporter des réponses définitives aux interrogations environnementales et aux controverses entre experts, certains auteurs n’hésitent pas à conclure : si la science est incapable d’apporter une réponse claire au problème, cela signifie que le problème n’existe pas. Deuxième technique, le recours aux statistiques. Pour se parfaire une image de rigueur, les auteurs alignent les chiffres et les équations. « Art de mentir avec précision » (Disraeli), la statistique est ici largement malmenée et surtout d’une provenance unilatéralement douteuse. Sous couvert de science indiscutable, les pseudo « comités d’experts pour l’analyse des dérèglements climatiques » dissimulent fréquemment des lobbys industriels utilisant le paravent de l’expertise pour mieux protéger leurs intérêts. Ces comité d’experts remettant en cause les problèmes de l’amiante, de l’effet de serre ou des OGM, conduits et organisés par les industriels concernés, disposant de moyens financiers sans commune mesure avec ceux des experts indépendants, ont largement réussi la première étape de leur mission ; introduire le doute et accessoirement torpiller toute tentative de réglementation des secteurs concernés. Troisième moyen, l’amalgame. Profitant du recul et des dissensions au sein de l’écologie politique, la plupart des auteurs mélangent allègrement les errements du parti vert pour mieux dénigrer les problèmes d’environnement. L’idée sousjacente et hautement insidieuse est celle-ci : si les problèmes environnementaux étaient aussi majeurs qu’on essaye de nous le faire croire, alors l’écologie politique se conduirait de manière plus responsable. La croyance au parallélisme des problèmes économiques, sociaux ou environnements par rapport à leur représentation politique sert ici d’alibi au doute systématique : « si même les écologistes ne sont pas d’accord entre eux, cela implique vraisemblablement que le problème n’est pas aussi majeur qu’on essaye de nous le faire croire ». Cette tentative de déconstruction pourrait prêter à sourire si elle ne se révélait pas aussi dangereuse. D’abord parce qu’elle utilise un ressort psychologique bien connu, celui de la réassurance. Les contempteurs du progrès industriel qui ne voient que dégradation et pollution sont des adeptes de la sinistrose. La rhétorique est redoutable puisqu’elle utilise les arguments du bonheur, de l’optimisme, de la croyance en l’intelligence humaine et de la foi dans le progrès. Le discours est machiavélique, il situe l’optimisme du côté du progrès technique, donc de la réassurance systématique. En clair, si vous êtes inquiet, vous devriez partir en vacances ou entamer une psychanalyse. Ensuite parce le discours du laisser faire est largement repris et amplifié par les médias. Ainsi, au moment du sommet de la terre à Johannesburg en 2002, Valeurs actuelles a pu titrer « Les mensonges des verts : effets de serre, ozone, déforestation (le titre est d’ailleurs représentatif de la méthode), Sciences et Vie « La planète est-elle vraiment malade ? » et Le Nouvel Observateur « Menaces sur la terre, le vrai, le faux ». La consistance des articles n’est ici pas en cause, mais il est certain que l’affichage des interrogations en couverture, relayé par l’affichage en kiosque, ne contribue pas à la prise de conscience de la réalité d’une dégradation effrénée de l’environnement. C’est là le paramètre majeur. En communication, on n’hésiterait pas à utiliser le terme de publicité mensongère. Ici, tout est amalgame, extrapolation, généralisation abusive. L’effet de serre ne serait pas démontré, il n’y aurait pas de réchauffement climatique, les nitrates sont excellents pour la santé, les OGM permettraient de lutter contre la faim dans le monde, la dioxine n’entraîne aucune conséquence sanitaire, l’amiante reste très efficace dans le domaine de l’étanchéité. Amoco Cadiz, Bâle, Seveso, Bhopal, Tchernobyl, AZF, ..., connais pas. Au final, ce grand mouvement de scepticisme médiatique ne peut qu’accroître le désarroi des français à l’égard des problèmes d’environnement. Les études de perception environnementale nous enseignent que, derrière une annonce forte de préoccupation, les français restent peu persuadés que l’environnement est un sujet majeur d’inquiétude. Les problèmes sont fréquemment confondus, (effet de serre et 2 trou d’ozone), perçus comme les concernant peu territorialement (« dans ma région, ça va ») et temporellement (« c’est plus tard qu’il y aura des problèmes ») et surtout ils reposent sur des responsabilités externes (« c’est surtout à cause des entreprises »). La perception environnementale était déjà très faible, la désinformation actuelle, concertée ou non, ne peut qu’accroître la confusion dans les esprits et freiner toute ambition d’amélioration. 3 BIBLIOGRAPHIE Jean-Jacques BROCHIER Danger, secte verte, La Différence, 2002 Jean-Paul CROIZE Ecologistes, petites esbroufes et gros mensonges, Carnot, 2002 André FOURÇANS Effet de serre, le grand mensonge ?, Seuil, 2002 Eric JOLY Ecologiquement incorrect, Editions Jean-Cyrille Godefroy, 2004 Pierre KOHLER L’imposture verte, Albin Michel, 2002 Yves LENOIR Climat de panique, Favre, 2001 Bjorn LOMBORG, L’écologiste sceptique, Le Cherche-Midi, 2004 Guy SORMAN Le progrès et ses ennemis, Fayard, 2001 4