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attac
fribourg
La mondialisation de l'économie capitaliste
Le phénomène de mondialisation - ou globalisation - de l'économie capitaliste
comprend trois formes: la mondialisation du commerce, celle de la production,
celle du capital-argent (mondialisation financière). Ces formes se suivent en
tant que formes dominantes. Elles s’accompagnent d’une dépendance crois-
sante du tiers monde (= 3M. Cette désignation est devenue en partie inexacte,
il vaudrait mieux parler aujourd'hui de périphérie. Pour la commodité nous la
garderons). Pour chacune d’elles, on examinera d’abord ses traits généraux,
ensuite ses répercussions sur la situation du 3M.
Phase 1: l’internationalisation du commerce
On échange des marchandises dont la production reste nationale, c’est-à-dire
continue à être réalisée dans le pays exportateur. Ce dernier est censé être po-
litiquement indépendant; à propos des échanges entre colonies et métropoles
on peut difficilement parler d'internationalisation du commerce.
Le simple échange de marchandises laisse à l’Etat national une large marge
pour orienter l’éco-nomie: la politique commande l’économie. Exemples :
- L’Etat importateur peut protéger son industrie naissante et son agriculture
contre l’invasion des produits étrangers par diverses mesures: quotas, tarifs
douaniers, taux de change différentiels.
- L’Etat peut stimuler l’activité économique par des crédits à bas taux d’intérêt,
des salaires et prestations sociales entretenant une forte demande; imposer un
traitement correct du travailleur et de l’environnement naturel.
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Pour le 3M
cette phase coïncide avec la première forme de la division internationale du
travail: le 3M exporte des matières premières et achète des produits indus-
triels.
Du temps des colonies (où, comme on vient de voir, nous n'avons pas encore
affaire à un commerce international proprement dit), cette division est imposée
par les métropoles. Soit directement: ainsi le Portugal interdit les raffineries
de sucre au Brésil ou ordonne de brûler ses tissages et filatures, v. Eduardo
Galeano, Les veines ouvertes de l'Amérique latine p. 80. Soit en provoquant le
boycottage des produits des manufactures locales et en inondant le pays de
leurs propres produits: le cas de l'Angleterre et des cotonnades de l'Inde (Marx,
MEW 9/130).
Les pays devenus politiquement indépendants, leurs oligarchies, impatientes de
jouir des biens de consommation du Nord, prennent le relais, provoquant une
première vague d'endettement de leurs économies.1. Les gouvernements récal-
citrants sont mis au pas, par intervention directe du Nord ou par l'intermédiaire
de gouvernements "amis", v. Ed. Galeano, op.c. pp. 256, et 260-8 (la guerre
de la Triple Alliance contre le Paraguay).
Cette première forme de division internationale du travail - qui place le 3M vis-
à-vis du Nord industrialisé dans une situation de dépendance "asymétrique",
aux conséquences négatives ("termes de l'échange" prix comparés des biens
vendus et achetés au Nord - défavorables ) - se vèle ainsi être un simple
fait, résultat de violences externes ou internes ou combinées. Elle n'a rien
d'une nécessité technique.
Au temps des colonies, l’un des éléments les plus importants, et le plus sinistre,
de cet échange de "marchandises" a été le “commerce triangulaire”. Des mar-
chands européens offrent des armes et des tissus etc. à des potentats africains,
qui en échange les fournissent en esclaves, lesquels sont échangés aux Amé-
riques contre des métaux précieux et diverses matières premières (coton, ta-
bac, sucre), acheminés et écoulés en Europe. Les profits réalisés lors de cha-
cune de ces transactions échange d'armes etc. contre esclaves, d'esclaves
contre produits coloniaux, vente de ces derniers en Europe - décuplent la mise
de fonds des dits marchands. Ces derniers investissent une partie de leurs pro-
fits dans la fabrication d'armes etc., et le cycle recommence, v. Ed. Galeano,
110-16.
Phase 2: l’internationalisation de la production
Le processus de production - et non plus seulement son produit - franchit les
frontières des pays jadis exportateurs de marchandises. Ce déplacement
coïncide globalement avec "l’investissement direct à l’étranger" (IDE); à
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l’étranger, c'est-à-dire en fait surtout entre pays du Nord, et du Nord vers le
Sud.- Cette phase est décisive à un double point de vue :
- avec elle, l’économie devient mondiale, les entreprises nationales se trans-
forment en entreprises transnationales (ETN).
- et les relations entre l’économie (devenue transnationale) et l’Etat national
s’inversent, l'économie dicte la politique, v. plus loin.
Le fait que cette mondialisation de la production a lieu dans le cadre du sys-
tème capitaliste a plusieurs conséquences.
a/ En concurrence entre elles, les grandes entreprises mangent les “petites”
(qui peuvent avoir une taille respectable): tendance à la concentration: le mar-
ché est progressivement dominé par un petit nombre d’entreprises géantes
(oligopoles). - Aspects de cette concurrence :
- On lutte pour l’accès aux facteurs de production: matières premières straté-
giques, savoirs techniques (souvent soutirés via “association” aux centres de
recherche publics), capitaux, faveurs de l’Etat (qui tout à coup redevient inté-
ressant).
- Et pour la captation des débouchés, du pouvoir d’achat, là où il existe: dans le
Nord capitaliste (les pays de la “Triade”, qui comprend l’Amérique du Nord,
l’Europe occidentale et le Japon) et dans les oasis fortunées du 3M.
- On prend appui sur les avantages fournis par le pays d’origine: la qualification
de sa force de travail, l’ampleur de son marché interne (qui conditionne la taille
de l’entreprise au moment elle franchit la frontière), la puissance de ses
médias de masse, qui permet p. ex. aux Etats-Unis d’imposer à "l’imaginaire"
mondial le "style de vie américain".
- On transporte la lutte au pays d’origine du concurrent (procédé appelé "in-
vestissements croisés").
- Pour baisser les coûts, on transfère les opérations qui requièrent davantage
de travail dans les régions à bas salaires etc.2, tirant parti du fait que le "prin-
cipe" du libre-échange vaut pour les marchandises et les capitaux, non pour la
main-d’œuvre non qualifiée - du Sud... 3.
- Pour finir il y a la menace que la voracité du capital commercial et financier,
concentrés chacun de son côté, fait peser lors du partage de la plus-value.
b/ Sous la pression de la concurrence, les entreprises visent le profit maximal,
ce qui a un double effet :
- un effet de polarisation (économique et sociale), à l’intérieur des divers pays,
puis entre les pays du “Centre” et de la “Périphérie”, à travers l’échange inégal.
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- un effet d’exclusion ou de marginalisation: les endroits (régions ou pays) où il
n’y a rien à chercher - ni facteurs ni débouchés - sont délaissés. 4.
c/ Profitant de la nouvelle donne - une économie devenue mondiale face à des
Etats dont les instruments d’action restent confinés pour l'essentiel à l’intérieur
des frontières nationales - les ETN font pression sur les Etats (d’origine et
d’accueil) relativement au salaire, aux conditions de travail, à la protection de
l’environnement, aux impôts etc., menaçant de délocaliser davantage (ce qui
entraînerait chômage et frais afférents, ainsi que pertes fiscales).
Les Etats, vu que capitalistes, préviennent généralement leurs désirs, surtout
ceux des ETN mondialement les mieux placées, prêchant aux travailleurs la né-
cessaire "austérité compétitive". Les Institutions internationales (FMI, Banque
mondiale, OCDE etc.) leur fournissent l’argument, en déclarant les travailleurs
pourvus d’emploi responsables du chômage. 5
Cette inversion du rapport entre les Etats et le secteur privé est l’un des as-
pects les plus lourds de conséquences de la mondialisation (voir son impact sur
les services de santé et d'éducation, la situation des classes travailleuses,6,
l'environnement, etc,). Mais, comme nous verrons, elle n'était pas ni n'est une
fatalité.
L’impact sur le 3M.
Nous avons dit qu’avec chaque développement de la mondialisation
s’approfondissait la dépendance du 3M. Comment cela se vérifie-t-il ici? Un ra-
pide examen des différences entre l’échange de marchandises et
l’investissement direct aidera à l’entrevoir.
Outre qu’il implique une présence durable et un droit de propriété, donc un
pouvoir économique, l’investissement direct à l’étranger traduit une stratégie
spécifique: l’objectif de pénétrer l’économie du pays-hôte, soit pour éliminer les
concurrents locaux, soit, dans le cas l’on s’associe avec eux, pour
s’approprier - sous le prétexte d’apports surévalués quand ils ne sont pas fictifs
- leurs techniques et leurs richesses, pour les paralyser et les asservir.
Au 3M, en raison de ses faibles moyens de défense et de complicités locales,
cette stratégie a le jeu facile. Exemple, le cartel international de l’industrie élec-
trique IEA et l’industrie électrique du Brésil. (R. Strahm, Pourquoi sont-ils si
pauvres? pp. 152-3).7.
De façon plus globale on peut identifier trois étapes dans la mainmise des ETN
sur les économies du 3M:
a/ Leur rôle, décisif (Fr. Hinkelammert, v. "… in euren Häusern liegt das ge-
raubte Gut der Armen", pp. 90+), dans le processus qui débouche sur leur crise
d’endettement. Elles y contribuent 1/ en important des facteurs de production
qu’elles auraient pu trouver sur place; 2/ en provoquant, par leur publicité, un
surcroît d’importations de biens de consommation; 3/ en imposant (jusqu’à une
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date récente) à leurs filiales des restrictions à l’exportation; 4/ en manipulant
les prix entre unités du groupe; 5/ en écrémant le surplus, voire une partie du
nécessaire. Chacun de ces aspects serait à développer.
b/ Leur action à travers le FMI et la BM, leurs agents d’exécution. (Les pays du
Nord capitaliste, - de la "Triade" -, dont la politique reflète les intérêts de leurs
ETN, détiennent la majorité absolue des voix dans ces deux Institutions.8).
La dette d'un pays du 3M une fois entrée dans sa phase critique (où, incapable
d'acquitter les intérêts, il ne reçoit plus de nouveaux crédits des banques), ce
pays se voit forde s'adresser au FMI, qui lui prescrit sa fameuse médecine
les programmes d'ajustement structurel que la BM fait sienne.9 Deux exi-
gences en occupent aujourd'hui le centre: l/ la totale ouverture des frontières
aux marchandises et investissements étrangers, et 2/ la privatisation des acti-
vités publiques potentiellement rentables Cette dernière exigence de son côté
poursuit un double objectif:
- fournir au capital mondial, depuis quelque temps anxieusement à la recherche
de débouchés,10, un marché "captif", constitué des besoins essentiels de la po-
pulation (eau, électricité, santé, éducation, communications etc.), où celle-ci ne
peut donc se dérober.11
- et en même temps, faisant ainsi d’une pierre deux coups, prévenir efficace-
ment, en les privant des ressources nécessaires, toute velléité des gouverne-
ments de se mêler d' "économie".
c/ La dernière main apportée à l’ouvrage par l’Organisation mondiale du com-
merce (= OMC) fondée en 1994. Entre autres nouveautés,
l’OMC "met désormais les pays du Sud dans l’obligation d’accepter tout inves-
tissement étranger, de traiter en ‘compagnie nationale’ toute firme étrangère
établie sur leur sol dans l’agriculture, les mines, l’industrie et les services (-) et
d’abolir les ‘obstacles non tarifaires au commerce’ tels que la législation sur le
travail, la santé et l’environnement qui risqueraient d’augmenter les coûts de
production." Le Monde diplomatique (= Le M.d.) 4/1996/19.
Une toute dernière manœuvre, particulièrement dangereuse - l’Accord multila-
téral sur l’investissement (AMI) -, concoctée au sein de l’OCDE, a pu, grâce à
une indiscrétion, être (provisoirement) bloquée, v. Le M.d. 2/1998/22.
Avant de poursuivre, notons en passant que cette seconde étape de la mondia-
lisation à son tour a été facilitée par des complicités locales. La nécessité pour
le Sud, à partir d’un certain moment, d’importer des équipements et des tech-
nologies, n’entraînait pas la nécessité de faire appel à des investissements
étrangers directs. Ces importations pouvaient avoir lieu sans crise d'endette-
ment: la dimension des capitaux en fuite et les emprunts sur place des ETN
montrent qu'on disposait des ressources nécessaires.
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