Éthique en entreprise
Actes du colloque d’Aix-en-Provence
des 6 et 7 juillet 2000
Actes du colloque franco-québécois co-organisé par
le Centre de recherches en éthique économique et des affaires et déontologie professionnelle
et
l’Institut de recherche sur l’éthique et la régulation sociale
Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence
Éditeur
- 2001 -
L’éthique de la mondialisation
par
Jaques GARELLO
Professeur à la Faculté d’Economie Appliquée
Université d’Aix-Marseille III
Mon sujet a été pour l’essentiel traité hier par mon collègue et ami Jean-François Mattéi, la
mondialisation de l’éthique est certainement beaucoup plus intéressante que l’éthique de la
mondialisation. Il a eu raison d’affirmer qu’à l’heure actuelle on a donné une valeur universelle à
beaucoup de choses, mais pas encore à l’économie et pas encore à l’éthique économique. Mon rôle
sera justement d’expliquer en quoi la mondialisation n’est pas l’abomination de la désolation, la
promesse d’une damnation morale, voire spirituelle, mais au contraire un mouvement qui va dans le
sens du plus haut, de ces hautes cimes qui sont chères à notre collègue Borysewicz, l’économie se
réalise parfaitement en devenant l’action supérieure de l’homme au service des autres.
La difficuldu sujet provient de ce que dans la mondialisation on peut mettre des éléments
extrêmement divers. Nous sommes en effet dans une période de transition. Sans doute, en 1989, avec
la chute du mur de Berlin, les principes de l’économie planifiée, dirigée, étatisée, soviétisée,
collectivisée, ces principes- ont été abattus, est-ce que cela signifie forcément, comme le disait
Francis Fukuyama, que ce soit « la fin de l’histoire » et que désormais il faille nous réjouir nous
résigner disent certains autres à l’économie de marché ?
Aujourd’hui, d’ailleurs, dans cette réaction contre la mondialisation, il y a une part de nostalgie
de la part de ces braves garçons qui étaient persuadés qu’on pouvait faire autre chose que le marché.
Pendant très longtemps, autre chose que le marché, c’était le plan, à la limite c’était le tiers système,
aujourd’hui, il n’y a plus de plan et le tiers système ne se porte pas bien. « La troisième voie, c’est pas
de voie du tout, c’est une impasse », a dit Vaclav Klaus. Alors, être obligé d’en venir aux lois du
marché alors même qu’on les ignore et ensuite parce qu’on les ignore, qu’on les méprise, être obligé
d’être transformés en marchands et se dire des citoyens d’une société mondiale marchande, voilà
quelque chose qui prend l’allure d’une dérogeance pour certains.
On déroge à l’honneur, à la morale, à la piété, à des tas de valeurs, parce qu’on est plongé dans
cet univers diabolique, sans pitié, sans sentiment, du marché et, qui plus est, du marché mondial. Il y a
donc déjà ce malaise psychologique qui se complète d’un malaise mécanique, c’est-à-dire qu’il y a
encore des résonances, il y a encore des rémanences de l’économie planifiée, de l’économie dirigée.
Ce n’est pas parce que l’on a dressé le procès verbal de carence de l’économie de plan, de l’économie
étatisée, que pour autant on se trouve merveilleusement propulsé dans le paradis du marché, il y a une
longue route.
Bien des pays, je pense notamment aux pays d’Europe Centrale et de l’Est et aussi à quelques
pays africains ou quelques pays latino-américains, font aujourd’hui le dur chemin de la transition vers
le marché. Ce n’est pas très facile d’être en transition parce que l’on a hérité de toutes les structures, de
toutes les rigidités du passé, et on vous demande de vous transporter presque instantanément dans un
monde qui vous est tout à fait étranger. Les ennemis de la mondialisation prennent argument de ces
chevauchements, de ces transitions.
Je prends un exemple très simple et très cent, c’est ce qui s’est passé à propos de la fameuse
crise asiatique qui a été d’ailleurs une crise du rouble et une crise au Brésil, mais ce qui a frappé
davantage les esprits c’est ce qui s’est passé en 1997 au Japon, en Corée du sud, à Taiwan, en
Thaïlande et surtout en Indonésie, et en Malaisie. On a dit : voilà la mondialisation, voilà le marché.
Le marché, c’est tout d’un coup des monnaies qui s’effondrent, des banques qui font faillite, c’est un
recul de la croissance, c’est des millions de gens au chômage et tout ça ne préjuge en rien d’un avenir
qui serait uniquement fondé sur la mondialisation marchande.
Quand on analyse comme l’ont fait une vingtaine d’économistes récemment dans un ouvrage
préparé par Patrick Wajsman et Henry Lepage, quand des économistes d’opinions diverses se
penchent sur ce qu’a été cette crise de 1997, on va voir que les responsabilités essentielles n’ont rien à
voir avec le marché, et que les responsabilités incombent principalement à ceux qui étaient chargés, ou
qui s’étaient chargés eux-mêmes, de surveiller, de contrôler, ou de réguler le marché, et qui ont été de
mauvais contrôleurs, de mauvais surveillants, de mauvais régulateurs.
Responsabilité numéro 1 : les banques centrales. L’Indonésie, la banque possédée par le
Président de la République, le gendre, la fille du président de la République investissant dans
l'immobilier, faisant des opérations spéculatives avec l’argent de la banque centrale, on a donc
fabriqué de la fausse monnaie pour pouvoir soutenir ces investissements immobiliers, et puis un beau
jour, il est évident qu’on s’aperçoit que tous ces actifs n’existent pas, que tous ces crédits ne sont
gagés sur rien du tout, c’est la faillite de la banque centrale. Est-ce que c’était une banque privée,
marchande ? Non, c’était une banque publique. Elle n’était pas marchande puisqu’elle n’obéissait pas
à la loi du profit, elle n’était pas soumise à un contrôle d’actionnaires. L’actionnaire principal unique
était Monsieur le Président de la République.
-dessus, la crise se propage autour ou elle se déclenche dans d’autres pays, avec deux
scénarios possibles : les uns étaient très endettés et ils ont obtenu du Fonds Monétaire International un
soutien permanent et chaque fois que la situation financière de ces pays commençait à se dégrader, le
Fonds Monétaire International était là et en remettait encore une dose, une couche, en demandant bien
sûr des mesures d’ajustement structurel, mais en fait en laissant les mêmes personnes au pouvoir, à la
tête des mêmes entreprises et des mêmes banques. En quoi le Fonds Monétaire International a-t-il
contrôlé, surveillé quoi que ce soit ? Il a au contraire enfoncé un peu plus les pays en difficulté.
Autre cas de figure, la Corée du sud, il y a un imbroglio (voilà il serait intéressant de
parler de transparence) de dirigeants politiques, de ministres, de banquiers, de fonctionnaires et
d’entrepreneurs ; les grands groupes industriels sont en participation croisée avec les
administrations publiques et où, finalement, les gens qui gravitent autour du pouvoir appartiennent aux
mêmes familles et aussi développent des affaires qui tantôt sont profitables et tantôt ne le sont pas.
Quand c’est profitable, les profits sont immédiatement privatisés et vont dans la poche des gens ;
quand ça ne marche pas bien, les pertes sont socialisées et vont s’inscrire au budget de l’État ou
compromettre la stabilité de la monnaie nationale.
Dans tout cela, il n’y a pas de logique marchande. Dans tout cela, ce n’est pas de marché qu’il
s’agit, dans tout cela, il s’agit de la corruption qui naît de la proximité du pouvoir politique et du
pouvoir économique. Il s’agit de l’absence de liberté et je peux faire circuler dans l’assistance un
graphique qui établit la corrélation sans aucun doute entre le degré de liberté économique, d’une part,
et le niveau de la corruption de l’autre, étant bien entendu que ce sont les pays les moins libres qui
sont les plus corrompus. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas de corruption en Angleterre, en France ou
en Allemagne, mais je veux dire que c’est peu de chose, comparé à ce qui peut se passer dans les
républiques encore socialistes et communistes, dans certains pays d’Amérique Latine, ou d’Asie du
Sud-Est, ou d’Afrique.
Donc, il ne faut pas passer tous ces désagréments, tous ces drames, toutes ces corruptions au
passif de la mondialisation marchande, il faut les mettre aussi au passif de l’intervention. Nous
sommes encore prisonniers de l’étatisation et de l’intervention et ça nous empêche de voir quelles
seraient les perspectives d’une vraie mondialisation. En d’autres termes, la vraie mondialisation n’est
pas derrière nous, elle est devant nous et elle sera réalisée du jour le pouvoir politique aura
complètement disparu dans le domaine de l’économie et les États auront abandonné leur
souveraineté s'agissant des relations économiques internationales. Ce jour-là seulement on pourra
parler de mondialisation.
Et vous voyez naître enfin une autre raison qui oppose certaines personnes à la mondialisation,
c’est qu’elles ont compris que la mondialisation va leur faire perdre le pouvoir qu’ils détiennent, qu’ils
détiennent en tant qu’homme d’État parce que la souveraineté est une manière de se faire valoir, on
protège les nationaux, on protège les citoyens, on protège aussi les groupes de pression. En effet, quels
citoyens va-t-on défendre par priorité ? Ceux qui sont bien organisés, les lobbies de toutes sortes, les
corporations qui vont essayer d’empêcher la concurrence. Risquent également de perdre leur pouvoir
les groupes de pression sociaux, Daniel Berra ce matin a parlé des syndicats, il est certain que
beaucoup de syndicalistes ont compris que la mondialisation était une arme redoutable parce qu’ils
n’auraient plus d’interlocuteurs : sur qui va-t-on faire pression lorsqu’on est en face d’un réseau de
relations qui n’ont pas de centre ? La mondialisation est polycentrique. Pour que les lobbies soient
puissants, il faut un point d’appui, il faut un centre politique : vive la nation-État, vive la
souveraineté ! À la limite, les paysans qui n’ont peut-être pas obtenu satisfaction rue de Grenelle
peuvent aller jusqu’à Bruxelles ; après Bruxelles il y avait Seattle, alors Monsieur Bové est allé à
Seattle, et qu’est-ce demande Monsieur Bové ? Il demande comme d’autres hommes politiques et
c’est qu’il y a des collusions assez extraordinaires entre les lobbyistes et les hommes d’État il
demande un genre de super-État pour pouvoir recommencer au niveau de la planète le petit jeu auquel
on s’est livré pendant des années, si ce n’est pas pendant des siècles, s’agissant de la France, consistant
à distribuer des privilèges, à échanger du pouvoir contre des interventions, et, finalement, à fausser
complètement le jeu du marché.
Il y a dans la mondialisation cette équivoque, c’est que nous ne la connaissons pas réellement et
nous avons cette désinformation qui pousse donc un certain nombre de gens à redouter à juste titre la
mondialisation. Si on doit parler de la mondialisation dans ses principes, si ce n’est dans les faits, est-
ce qu’on va trouver quelque chose qui va nous écarter ou nous rapprocher de l’éthique ? Je voudrais
parler d’abord de la mondialisation et du libre échange. Je voudrais parler ensuite de la mondialisation
et du développement. Je voudrais parler enfin de la mondialisation de la liberté et du capital humain.
Ce sont les trois aspects où mondialisation et éthique se rencontrent.
Mondialisation et libre échange
Sur le premier point : la forme la plus évidente de la mondialisation est celle qui quand même a
pu prendre corps depuis la charte de la Havane, depuis 1945 et la création du GATT. Cette forme
signifie la disparition des barrières douanières, l’ouverture des frontières, la mise en communication de
toutes les nations avec les libertés fondamentales, liberté de circulation des produits, des services, des
entreprises, des capitaux, et des hommes. Voilà ce que l’on appelle le libre échange, avec les cinq
libertés fondamentales.
Est-ce que le libre échange en soi peut être jugé moral ou immoral ? Je vais plaider plutôt pour
la thèse de la moralité. Je me réfère à Adam Smith le professeur Macdonald en a parlé, ainsi que
Valentin Petkantchin c’est l’un des fondateurs de la science économique et il rappelle que le principe
même de l’échange est quelque chose qui est inscrit dans la nature de l’homme. Nous ne sommes pas
autosuffisants et nous sommes portés assez naturellement vers les autres.
C’est vrai qu’il y a une anthropologie qui est assez particulière. L’humanité peut être vue de
différentes manières, mais pour ce qui nous concerne, il y a d’un côté des partisans de Hobbes qui
estiment que les gens sont faits pour se faire la guerre et que l'homme est un loup pour l’homme, c’est
la loi du plus fort et si on ne fait rien on appelle l’État au secours et on admet que l’État lui-même va
manger les gens, mais ça c’est autre chose. Le Léviathan est un remède pire que le mal, mais parce
qu’il part d’une vision de l’humanité qui est celle de la méfiance, qui est celle de la jalousie.
L’autre conception, c’est celle de Locke qui explique, au contraire, que les hommes sont
d’abord portés vers l’entente, ils essayent de vivre ensemble en frères, en paix. Évidemment, il y a des
moments un peu difficiles où la rupture amène la violence, mais les hommes n’aiment pas la violence,
contrairement à ce que disait Hobbes, ils aiment la paix, alors ils cherchent à s’entendre.
Evidemment, chacun d’entre nous a plutôt tendance à savoir ce qui est bon pour lui et Adam
Smith nous a expliqué que c’était ça le principe de l’échange : c’est qu’il y a deux personnes, chacune
a une vue différente de la valeur d’une prestation, d’un service, d’un objet, et finalement on trouve les
conditions d’une entente, on trouve un contrat. Et à l’issue du contrat les deux échangistes ont
amélioré leur degré de satisfaction, il y en a au moins un des deux qui est plus content, en tout cas
l’échange a apporté quelque chose. Mais, plus que cette idée de rapport et d’efficience, ce qui est
1 / 9 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !