Les sires de Picquigny
1. Les vidames d’Amiens
Bien que le nom de Picquigny soit mentionné pour la première fois en 942, lors de l’assassinat du Duc
de Normandie, les premiers renseignements certains concernant la seigneurie remontent à 1040. (2)
Dès cette époque, ceux-ci sont vidames d’Amiens et avoués de l’abbaye de Corbie.
Le rôle dun vidame était purement technique. Sa mission était d’assurer la protection de l’évêque et
de mener son armée. Occasionnellement, il lui arrivait d’exercer certains droits féodaux au nom de
son évêque. Cependant, le titre de vidame n’était pas intégré à la hiérarchie nobiliaire. De même, le
rôle d’avoué de l’abbaye signifiait qu’il remplaçait l’abbé dans l’exercice de ses obligations
temporelles. (2)
Les sires de Picquigny, vidames de l’évêque d’Amiens, sont le bras temporel de l’abbaye de Corbie,
l’une des plus anciennes et des plus riches abbayes de Picardie. Au Xlllème siècle, leurs possessions
embrassaient les trois-quarts de l’Amiénois et ils exerçaient la haute justice. Erigé au début du 11ème
siècle, puis reconstruit au milieu du 14ème leur château fort est resté, jusqu’en 1780, la propriété de
leur famille. Il est maintenant en ruine.
La maison de Picquigny était assurément l’une des plus puissantes de Picardie ; ce qui donna lieu au
dicton : « Picquigny, Moreuil, Roye,
« Ceints de même courroie,
« Feraient la guerre au Roy. »
Le premier vidame d’Amiens se nommait Eustache de Picquigny. Il était fondateur de la collégiale
Saint Martin en 1066 (5). Il participa dut participer à la conquête de l’Angleterre par les Normands. (2)
Le titre de vidame, attaché à la terre de Picquigny, fut ensuite transmis de père en fils. Eustache est
donc l’un de nos ascendants connus les plus lointains.
Quelques vidames d’Amiens ont laissé une trace dans l’histoire.
Guermond lll favorisa, avec Saint Geoffroy, l’établissement de la commune d’Amiens (1113-1117) (2).
En 1139, on trouve Gérard de Picquigny, fondateur de l’abbaye du Gard de l’ordre des Citeaux (A).
En 1209, Enguerrand de Picquigny épouse une descendante de Charlemagne : Marguerite de
Ponthieu. Enguerrand (le même ?) se distingua à la bataille de Bouvines et prit part à la croisade
contre les albigeois. (2)
En 1246, le vidame est Gérard de Picquigny (fils d’Enguerrand). Il épouse une probable descendante
de Charlemagne : Mathilde de Crésecques. Leur fils, Jean, naît vers 1249 ou quelques années avant.
2. Jean de Picquigny
Jean de Picquigny épouse Marguerite de Beaumetz. La date de son mariage est inconnue ; c’était en
tous cas avant 1278. Le père de Marguerite était Gilles de Beaumetz, châtelain de Bapaume. Il était
dit-on l’un des plus beaux princes de la terre et le roi Louis Vl était son arrière arrière grand-père.
Le grand père de Jean, Enguerrand avait épousé une descendante de Charlemagne. Son père,
Gérard, aussi. Il se marrie lui avec une descendante d’un roi capétien. La famille de Picquigny est
donc une famille puissante et d’une noblesse très ancienne.
Jean et Marguerite auront 11 enfants. Parmi eux : Renauld, qui sera un jour vidame, Guillaume, qui
défendra la mémoire de son père après sa mort, et un garçon prénommé Jean comme son père. Né
selon certaines sources vers 1285, Jean mourra lors de la bataille de St Omer en 1340. C’est par lui
que continuera notre lignée.
A la mort d’Enguerrand, Jean de Picquigny hérite tout naturellement de la vidamée d’Amiens. Selon
certaines sources, Enguerrand serait mort peu après la naissance de Jean. Il y a donc probablement
eu la mise en place d’une régence.
Devenu majeur, il exerce dorénavant son rôle de protecteur de l’évêque. Mais c’est en tant qu’agent
de Philippe le Bel qu’il entre véritablement dans l’histoire.
Le roi Philippe lV est décrit par ses contemporains comme un être froid qui se contente de regarder
ses interlocuteurs dans les yeux sans prononcer un mot (4). Il donnera souvent l’impression de laisser
ses conseillers gouverner à sa place. En fait, il s’appuyait sur des conseillers et enquêteurs qui
sillonnaient le royaume pour le tenir informé mais qui avaient aussi parfois des pouvoirs importants.
Il semble que le roi ait confié une mission importante à notre ancêtre, Jean de Picquigny, en 1298.
Certains de ses biographes le voient ambassadeur auprès des anglais pour préparer le traité de
Montreuil en 1299. Hélas, à ce jour, aucune source n’a pu apporter de crédit à cet évènement.
Jean est déjà bien âgé (pour l’époque) lorsque le roi lui confie une mission dans le Languedoc. Le
récit de cette mission est relaté par les historiens qui étudient la France dans la période 1300 1304.
3. L’arrestation de l’évêque de Pamiers
Le Roi Philippe le Bel a besoin d'argent pour poursuivre la guerre contre les Flamands et ses
offensives diplomatiques. Déjà en 1295 un impôt occasionnel touche le clergé, la «décime». Le clergé
s'incline, mais lorsque Philippe IV revient à la charge avec une taxe supplémentaire, la
«cinquantième», les évêques se plaignent au pape Boniface VIII. Le pape publie une bulle il
précise à l'ensemble des souverains que le clergé ne peut être soumis à aucun impôt sans l'accord du
Saint-Siège. En représailles, Philippe le Bel interdit toute exportation de valeurs hors de France, ce qui
a pour effet de priver le pape d'une partie de ses ressources.
Tandis que le roi de France est aux prises avec la papauté, survient la forfaiture de Bernard Saisset,
évêque de Pamiers dans le midi. Il conteste la légitimité du roi de France et suggère au comte de Foix
de libérer le Languedoc de la tutelle capétienne. Il agit de même avec le comte de Comminges pour le
comté de Toulouse. Le comte de Foix révèle l'affaire à l'évêque de Toulouse qui avertit Philippe le Bel.
Le roi lance une enquête et met les biens de l'évêque sous questre. Bernard Saisset veut s'en
plaindre auprès de Boniface VIII, à Rome.
Notre ancêtre, Jean, est envoyé comme enquêteur - réformateur en compagnie de … Le Neuveu. Les
deux fonctionnaires de l’état, un chevalier et un clerc, ont carte blanche.
Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1301, Jean veille l'évêque. Il pille la maison épiscopale (C). Puis il le
fait conduire sous bonne escorte devant le roi qui se trouve être à Senlis. L'acte d'accusation est lu en
première audience par le conseiller Pierre Flotte.
4. La lutte contre l’inquisition dominicaine
En 1303 ( ?) Le moine franciscain Bernard Délicieux s’oppose aux excès de l’inquisition dans le
Languedoc ; inquisition menée sans discernement par les moines dominicains. L’opposition de ces
deux ordres prend des proportions inquiétantes.
Bernard Délicieux demande aux enquêteurs du roi Philippe d’intervenir. Les affaires Saisset et
Délicieux vont dorénavant être liées dans l’esprit des Languedociens. Jean de Piquigny soutient le
parti des franciscains contre les inquisiteurs.
Avril 1303 : BD se rend à Toulouse pour rencontrer le vidame d’Amiens auquel il apporta de nouvelles
conversations (B p.239). La lutte contre l’inquisition dominicaine prenait de plus en plus d’ampleur.
Une ligue se forma et Bernard Délicieux en fut le chef. Entre temps, Jean avait rejoint la Cour pour y
prendre de nouvelles instructions (B p.239). A son retour, à Carcassonne, une grande foule impatiente
l’attendait. Il déclara que le roi était absorbé par d’autres soucis et que rien n’était encore résolu à
propos de cette affaire (B p.240).
Le 3 août une insurrection éclate à Carcassonne. Jean de Picquigny y vînt pour tenter de ramener
l’ordre. Il vit une foule déchaînée criant : « Justice, Messire, justice contre les traîtres ! Un se ses
compagnons ayant été reconnu comme ami des dominicains faillit être massacré. Jean n’eut que le
temps de crier qu’il était sous sa protection. (B p.241)
Pour discuter plus calmement, Jean se rendit au couvent des franciscains. Bernard Délicieux lui
demanda le transfert des prisonniers de l’inquisition dans les prisons royales. Il refusa ; sa mission ne
consistait qu’à recueillir des plaintes et à les transmettre. De plus une telle décision ne pouvait relever
ni de lui ni même du roi de France. (B p.241)
Les jours suivants, tous les habitants de Carcassonne renouvelèrent cette requête. Il finit par céder. Il
se rendit à la prison de l’inquisition, donna l’ordre d’en ouvrir les portes et fit sortir les prisonniers qu’il
conduisit sous escorte jusqu’aux tours d’enceinte de la ville. (B p.241)
Il savait qu’il excédait clairement ses pouvoirs. (B p.241) Cet acte invraisemblable pour l’époque aurait
pu apparaître comme une grande date dans l’histoire des rapports entre l’état et la papauté. Le roi n’a
pas pu donner à Jean l’ordre de faire libérer les prisonniers : les communications de l’époque ne le
permettaient pas. Notre ancêtre a donc forcément agit en son âme et conscience face à une situation
d’urgence. Cet évènement fut cependant masqué dans l’opinion par un autre évènement plus
important encore qui s’est déroulé peu après : l’attentat d’Agnani. Guillaume de Nogaret avait été
chargé par le roi d’enlever le pape pour le faire juger et déposer.
5. La réaction du Pape
Le pape Boniface meurt un mois après Agnani. C’est à nouveau un dominicain qui lui succède :
Benoît. Ce vicaire de Dieu voit son pouvoir temporel mis à mal. Notre ancêtre est pointé du doigt.
Carbonne, le 10 septembre 1303, Jean mande les consuls de Toulouse de tenir leurs gens et l’armée
de Toulouse en armes, prête à marcher, « à Portet, qu’ils ne dépasseront pas sans avoir de nouveaux
ordres ». (C AA45/3)
Le 29 septembre 1303, l’inquisiteur Geoffroi d’Ablis excommunie Jean sous le prétexte qu’il avait
refusé de répondre à un acte à comparaître pour obstruction à l’inquisition. L’autorité du vidame sur le
Languedoc était paralysée [Z II 83 et 84] [10].
L’excommunication est très mal vécue par Jean qui, pour l’époque, est déjà considéré comme un
vieillard. Le 13 mai 1304, il pénètre dans l’église de Pérouse se trouve le Pape Benoît. Le Pape
l’aperçoit : « Chassez-moi ce patarin ! » [Z II 85]. Jean est expulsé de l’église.
Un an, jour pour jour, après son excommunication, Jean de Picquigny rend l’âme à Abruzzo. Au ban
de l’église depuis un an pour obstruction à l’inquisition, il sera pourtant étrangement enterré en terre
sainte [Z II 85].
6. Epilogue
Un nouveau pape remplace Benoît. Il s’installe en Avignon et est tout dévoué à Philippe le Bel. A la
mort du roi, les choses changent. La politique prend le pas.
Bernard licieux est arrêet conduit à Toulouse pour son procès en 1319. Sur le chemin, un
membre de l’escorte fait allusion à un bruit qui présentait Jean comme s’étant fait payer 1000 livres
son opposition à l’inquisition. Bernard licieux s’enflamme pour la défense de la mémoire de son
ami : « tu mens par la gorge !.. Le vidame était un honnête homme ! » [Z II 102].
Bernard licieux sera emprisonné et torturé de très nombreuses fois. Il meurt en geôle l’année
suivante. Il qualifiera notre ancêtre Jean du « seul homme qui eut osé mener campagne contre
l’inquisition ».
Les Picquigny feront encore parler d’eux.
Guillaume, fils de Jean, finira par obtenir la réhabilitation de son père.
Renault sera chargé de faire arrêter les templiers du baillage d’Amiens en 1307. On ne connaît pas
son lien de parenté avec notre ancêtre Jean.
Jean, fils du vidame, perpétuera la lignée.
Sources :
1. Conseil Régionale de Picardie http://www.cr-
picardie.fr/fr/page.cfm?pageref=culture~patrimoine~chateaux~picquigny
Z : Histoire de l’inquisition au moyen âge – Henry Charles Lea Ed. Robert Laffont
B : Philippe le Bel Dominique Poirel Ed. Perrin
C : Archives de la ville de Toulouse
2. Picquigny, le château fort, la collégiale, la ville A. Heuduin de la société des antiquaires de
Picardie Imprimerie Yvert et Cie, Amiens, 1956
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