Le dragon blessé
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CANTON
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Premières impressions
Depuis près d'un mois nous voguons vent arrière, sans autre brise
que le souffle agressif des ventilateurs. Ils ne répandent point de
fraîcheur mais, comme l'on agite une eau vaseuse, ils remuent l'air
torride qui, depuis Aden, nous englue.
Je suis le seul que la chaleur distraie : ses effets sont si mystérieux !
Il n'y avait pas un insecte à bord quand nous avons quitté Ceylan :
brusquement, ils pullulent. Cet air lourd, opaque, agglutiné, inhumain
et qui nous terrasse éveille des milliers de germes, fait éclore des vies
obscures. D'où viennent ces fourmis rouges qui fraternellement
partagent à présent mon petit-déjeuner ? Et ces cancrelats que
j'apprécie moins et que je découvre chaque matin dans ma baignoire ?
Et ce papillon éperdu qui, un beau soir, s'est mis à voler autour de ma
lampe, alors que nous sommes depuis six jours en pleine mer ?
Comment est-il né, venu là ?
La nuit, la mer luisante est pleine de phosphore. Un poisson volant,
par mon hublot a sauté dans la cabine. Je l'ai pris avec quelque
appréhension et rejeté à la mer. Depuis, j'ai au doigt une rougeur qui
me démange : je me demande si c'est le poisson ou un moustique.
Quand, ne pouvant m'assoupir, j'erre sur le pont, les visages des
dormeurs me révèlent tout ce que la lumière du jour me cachait. Quelle
vérité que le sommeil ! L'âme apparaît, le fond de l'âme, candide chez
les uns, féroce, haineux, bas chez les autres. Rien ne surveille plus
l'expression des figures. Certaines font presque peur. Une femme jeune
encore et qui, il y a une heure, était jolie, dort, le visage délabré.
L'amertume de toute une vie ratée pend dans les plis de ses lèvres. Et
cette autre qui avant dîner était charmante ! Comme elle a tort de
dormir la bouche ouverte. Mais deux jeunes filles sont délicieuses Elles