
En effet, si certains auteurs (Servet J-M, 2000
; G. Gloukoviezof, 2004) estiment à près de 6 millions le
nombre de personnes qui subiraient des restrictions dans l’accès au système financier dans l’hexagone, un certain
nombre d’entre elles tout en étant bancarisées n’ont pas accès au crédit ou au capital risque du fait des pratiques
de segmentation de la part des banques. En d’autres termes, l’accès au service bancaire de base (carte bancaire,
négociation des agios et des frais bancaires) leur est interdit. En effet, si la relation de crédit peut être considérée
comme une relation d’agence de type principal (banquier)-agent(client) et, que la fixation des taux d’intérêt ne
permet pas d’éliminer les mauvais risques (Stiglitz, Weiss, 1981
), la seule façon de réduire l’aléa moral et
d’éviter l’anti-sélection (adverse selection) est de pratiquer une segmentation de la clientèle (banking out-group)
qui conduit à rejeter les mauvais risques au moyen des techniques de scoring ou de screening. Cette forme de
rationnement du crédit a pour conséquence d’éliminer du crédit des fragiles (Glémain, 2005) segmentés en
isolés, flottants ou reliés (JJ.Gouguet et R.Jarry, 2002) ou, des territoires « à la marge » pour reprendre la
terminologie de la géographie économique et sociale. Les banques externalisent donc le risque de crédit sur les
structures de finance solidaire fonctionnant avec les ressources de la réciprocité (bénévolat) et de la
redistribution (subventions de fonctionnement mais aussi abondement à certains fonds de garantie ou à des
sociétés de capital risque solidaire de la part de l’Etat et/ou de l’Union européenne et des collectivités locales)
.
L’existence de ces structures de finance solidaire dispense donc les banques y compris celles l’économie sociale
d’assurer un minimum de prestations à destination de certains de ses usagers. Nous dévoilons là l’une des
explications du creux bancaire (Guérin et Vallat 1999, Glémain 2004). Se pose alors la question d’un
financement spécifique pour les pauvres (Amouroux P., 2003, p66)
, sans qu’il y ait émergence d’une
stigmatisation de banques pour les pauvres comme ce fut le cas pour La Poste .
Peut-on adjoindre le terme de solidarité à ces structures ou dispositifs ou ne faut il pas mieux parler de
financement prébancaire permettant l’inscription des « bénéficiaires » dans l’économie marchande sans aucune
vision critique de ce qui est la cause de cette exclusion. Si le terme de solidarité peut être adjoint de quel type
de solidarité s’agit il ?
Les tenants de l’économie solidaire eux-mêmes s’ils insistent sur l’ancrage dans l’espace public se
demandent si ces institutions de finance solidaire ne sont pas soumises aux logiques financières dominantes à la
source des exclusions (Da Franca G C, Fraisse Laurent, Laville J-L, 2003)
alors que pour eux le financement
solidaire devrait s’inscrire dans une composante politique et sociétale au service du développement humain et
sociétal (Amouroux P., 2003, p66). Le développement de ces structures relève plutôt de dispositifs libéraux
visant à faire des chômeurs les acteurs de leurs parcours d’intégration sociale (Vallat, 2002, p124
) dans un
contexte marqué par la croissance du chômage et un certain désengagement de l’Etat encourageant plutôt le
« help yourself ». Ce positionnement nous apparaît contestable. En effet, nous ne pouvons toutefois pas nier le
fait que la « solidarity based banking » constitue un fait en soit hors dispositif libéral. Par exemple, les prêts
stabilités portés par la coopération entre le Crédit Municipal de Nantes et le CCAS d’Angers ne répondent
d’aucune stratégie concurrentielle mais bien d’un projet de cohésion social sur un territoire donné. Dès lors,
sommes-nous en mesure de proposer une autre définition ?
Servet J, M, « L’exclusion, un paradoxe de la finance », Revue d’économie financière, n°58, 2000,
Stiglitz J. Weiss A., “Credit Rationing in markets with imperfect information”, American Economic Review
71, 3, juin1981, pp. 393-410.
On peut citer l’exemple des deux grandes structures de finance solidaire françaises l’ADIE (association pour le
droit à l’initiative économique) et France active. On peut aussi citer les PELS (projet d’économie locale et
sociale) proposés par les Caisses d’épargne. Si les fonds proviennent des caisses d’épargne ce sont les
organismes de finance solidaire qui assument les autres fonctions après avoir signé des conventions avec les
caisses d’épargne. En Bretagne en 2003 la société de capital risque solidaire Bretagne capital solidaire a bouclé
son appel public à l’épargne grâce à l’intervention de la Région Bretagne.
Amouroux P., « Financer les pauvres et les exclus est il forcément solidaire ? », Economie solidaire et
mondialisation, Revue du MAUSS, n° 21, 1er semestre 2003, p 66-73
Da Franca G C, Fraisse Laurent, Laville J-L, « L’espérance économie solidaire », L’alteréconomie. Quelle
autre mondialisation ? Revue du MAUSS n° 21, 2003, p 33- 47
Vallat D, « Les finances solidaires entre libéralisme économique et économie solidaire », Colloque de l’AES,
2002