Espagne, de 1935 à 2015, un passé qui ne doit pas passer
Notre actualité récente commune a fait resurgir de nos mémoires des images, des mots, des faits et
des méfaits. Ce que l'on appelle communément la « crise des réfugiés » reproduit sous nos yeux les
mêmes phénomènes que ceux qui suivent partout et de tout temps les exactions et les crimes des
dictatures et leurs prises de pouvoir. Arménie 1915, Italie 1923, Allemagne 1933, Espagne 1936.
Après la fin de la seconde guerre mondiale, dans le cadre d'une guerre froide qui a figé les droits
dans la gangue des rapports de force internationaux, les peuples subissent les répressions en
Amérique du Sud, en Asie, en Afrique, en Europe même, en Grèce après la prise du pouvoir par les
colonels, au Chili bien sûr en 1973. J'arrête là cette tragique énumération du passé, en oubliant
sûrement des drames, des meurtres, des tortures et des négations des libertés.
Et je reviens au présent. Toutes ces personnes qui arrivent en Europe, depuis les côtes espagnoles
jusqu'aux îles grecques sont soumis, outre leur situation personnelle faite de fatigue, de peur, de
violence, de misère, voire pour nombre d'entre elles de mort, aux effets d'une contradiction. Elles
sont considérés comme les causes d'une crise des réfugiés et/ou des migrants alors qu'elles sont les
conséquences d'une vraie crise double, celle de l'instabilité du monde, et celle de l'Europe.
L’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme considère que l’avenir de l’Union
européenne est en question tant les responsabilités des États membres sont lourdes de conséquences
pour les droits des migrants, qu’ils fuient la guerre, la répression, la misère ou la mort. Alors que
des milliers d’êtres humains, femmes, enfants, hommes croient en l’Europe pour survivre et tenter
de se reconstruire une certaine sûreté, les gouvernements des pays de l’Union affichent pour les
mieux disposés d’entre eux les limites qu’ils fixent à leur générosité et pour les pires, préférence
nationale, violence, xénophobie, racisme. Incapables de comprendre que l’instabilité du monde ne
peut se résoudre avec toujours plus de barrières et de murs, les réunions du Conseil des ministres
révèlent la faillite de la construction européenne. Alors qu’elle proclame avoir l’Etat de droit
comme fondement, elle se révèle malade de peur, gangrenée par la méfiance, voir la haine de
l’étranger. En faisant croire à la réalité d’une invasion sauvage et concertée, certains gouvernements
justifient le recours à la violence, et prennent le risque de dérapages potentiellement mortels.
Les décisions des gouvernements allemand ou autrichien, pour un accueil limité et réparti, ne sont
pas les mêmes que celles du gouvernement hongrois (qui refuse toute installation) ou slovaque (qui
ne veut accueillir que des chrétiens) ou même espagnol (qui prétend ne rien à avoir à faire de plus
que ce qu'il fait à Ceuta et Melilla pour protéger l'Europe) ; le gouvernement français se déconsidère
avec un tout petit 24 000 en deux ans ; le gouvernement du Royaume-Uni a timidement accordé
qu'il pourrait voir pour quelques centaines... Et au niveau européen, on voit que le principe de droit
–l’accueil –cède la place à la pratique de la répartition qui va de l’acceptation à priori de quelques
milliers de réfugiés, au refus de tout accueil imposé et tout quota obligatoire, Hongrie, Slovaquie,
République tchèque…. Dans cette situation de divergences, c’est la fixation de limites qui apparaît
comme raisonnable et réaliste : limiter les effets sur les pays, limiter les arrivants aux réfugiés,
limiter les réfugiés à certaines catégories sociales. Dans cette logique, le pire est sans doute à venir
avec la création des centres de tri de la périphérie entre les bons réfugiés et les mauvais migrants
qu'il faut renvoyer dans leurs pays, présents sur les listes des « pays sûrs ».
Si crise il y a, c'est celle de l'instabilité du monde et de la répartition des richesses. Si les personnes
menacées veulent trouver en Europe un lieu où vivre en sûreté, c'est parce que sa richesse offre des
possibilités qui n'existent plus ailleurs. La société civile en Europe est vigoureusement intervenue,
mais l'élan de solidarité est fragile. L’AEDH appelle à construire sur cette solidarité élémentaire
mais humanitaire et individuelle une défense collective et politique des droits. L'AEDH demande
que l'on inverse l'ordre des priorités pour faire que l'accueil soit inconditionnel avec des procédures