Chapitre 1 : Croissance, capital et progrès technique

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Chapitre 1 : Croissance, capital et progrès technique

Objectifs :
La première partie de ce chapitre vise à expliquer l’origine en analysant les principaux facteurs en cause : le
capital, le travail et la productivité du travail. La productivité du travail dépend elle-même de trois déterminants majeurs : l’organisation du travail, le progrès technique et l’investissement. Ces trois facteurs seront étudiés par rapport
à leur contribution à la hausse de la productivité du travail et non entant que tels, car chacun des facteurs fera l’objet
d’une analyse particulière.
Nous verrons également comment les théoriciens de la croissance ont intégré ces facteurs dans l’explication
de la croissance.
L’analyse de la croissance sera complétée par la prise en compte des différents acteurs qui interviennent
dans le processus de croissance et d’innovation. Nous montrerons plus particulièrement le rôle de l’initiative individuelle dans le processus de production, mais aussi de l’action de l’Etat ainsi que de l’influence du contexte socioculturel.
Cette première partie s’achèvera sur la finalité de la croissance.
La deuxième partie a pour objectif de souligner le rôle majeur de l’investissement dans les mécanismes qui
engendrent la croissance. Nous rappellerons les différents types et formes d’investissement ainsi que les moyens de le
financer.
Il s’agira ensuite de comprendre la décision individuelle d’investissement, en insistant sur sa dimension temporelle et en introduisant les notions de rendement anticipé et d’actualisation. Nous analyserons les rôles de la demande anticipée, de la réduction des coûts de production, du taux d’intérêt et du coût des différentes formes de financement.
Nous analyserons le processus de destruction créatrice, dans sa dimension économique de disparition apparition de biens ou services et de secteurs d’activité ainsi que les liens entre investissement, progrès technique et obsolescence économique.
Nous terminerons cette deuxième partie sous l’angle du changement social en insistant sur les rapports entre
les phénomènes économiques, politiques et sociaux dont l’interaction détermine la dynamique du développement.

I.
Plan :
Les sources et les limites de croissance économique.
A. Les sources de la croissance. (fiche 2 du cahier de TP)
1. Une main d’œuvre plus abondante et / ou plus productive. Doc1 p34 au doc5 p36 ; doc7 p37
2. La division du travail. Doc10 p38
3. L’accumulation du capital et le progrès technique. Doc6 p36 et doc8 p37
4. Les sources de la croissance dans les pays développés depuis 1950.
Document : « La croissance de l’économie française depuis 1950 » (Les Cahiers Français n° 323)
B. Les modèles de la croissance.
1. La croissance potentielle dans les théories :
Des Classiques aux nouvelles théories de la croissance.
Doc9 (Nathan TES) ; doc25 p73 et doc26 p74
2. Les déterminants de la croissance effective.
C. Le rôle des acteurs économiques et de l’environnement socioculturel dans le processus de croissance.
1. Le rôle des entrepreneurs. Doc11 et doc12 p39
2. Le rôle de l’Etat. Doc13 p40 au doc15 p41
3. Le rôle de l’environnement socioculturel. Doc24 au doc26 (Bréal TES)
D. Les limites de la croissance économique.
1. La poursuite de la croissance actuelle est-elle possible ? Doc16 p42 au doc19 p44
2. Que signifie accroître toujours plus le PIB ? Doc20 p45 ; doc23 p46 au doc25 p47 ; doc28 p49
1
II.
Accumulation du capital, progrès technique et croissance.
A. Les liens entre investissement et croissance.
1. Rappels sur l’investissement et son financement. Doc1 p60 au doc5 p62 ; doc7 p63 au doc9 p64
2. L’investissement favorise la croissance à court terme par l’augmentation de la demande de biens et
de services.
3. L’investissement favorise la croissance à long terme par l’augmentation des capacités de production.
4. Le rôle des investissements publics. Doc6 p63
B. La décision d’investir. Fiche 7 du cahier de TP ; doc10 p64 au doc16 p68
1. La nécessité de la rentabilité.
2. Le rôle de la demande anticipée.
3. Le rôle des coûts de production.
4. Le rôle des taux d’intérêt.
5. Le risque.
C. Progrès technique et croissance : la destruction créatrice.
Fiches 4, 5 et 6 du cahier de TP ; doc17 p69 au doc24 p73 ; doc27 p74 au doc29 p75
1. Progrès technique, inventions et innovations.
2. L’origine du progrès technique.
3. Le progrès technique est facteur de croissance.
4. Le progrès technique et la transformation des structures économiques : la destruction créatrice.
D. Les liens entre les transformations des structures économiques, politiques et sociales : l’exemple de
l’urbanisation.
Doc31 et doc32 (Hachette TES) ; Doc38 et doc39 (Hatier TES)
1. La croissance favorise l’urbanisation.
2. L’urbanisation engendre des transformations.
.
3. L’urbanisation transforme les solidarités anciennes.
4. L’urbanisation transforme les structures du pouvoir.

Les notions à maîtriser :
-
autofinancement.
Capital.
Demande anticipée.
Destruction créatrice.
Développement durable.
Epargne.
Excédent brut d’exploitation.
Externalisation.
Formation brute de capital fixe.
Financement externe.
Indice de développement humain.
Innovation / innovation de procédé, de produit et organisationnelle.
Investissement / investissement immatériel / investissement public.
Population active.
Productivité du travail.
Produit intérieur brut.
Progrès technique.
Recherche-développement.
Revenu par tête.
Structures économiques.
Taux d’intérêt.
Taux de rentabilité.
Valeur ajoutée.
2
I.
Les sources et les limites de la croissance économique.
A. Les sources de la croissance.
L’explication de la croissance passe l’étude des facteurs de production (K, L) et de l’efficacité de
leur combinaison productive appréciée par la productivité. La combinaison productive dépend de la nature
de la production (biens ou services) et de l’état de la technique. La proportion de chacun des facteurs de
production est donc variable selon la production. Lorsqu’une production peut être obtenue en utilisant différentes combinaisons productives, le choix s’effectuera selon deux critères principaux :
- Le coût relatif du capital et du travail.
- L’efficacité productive de la combinaison retenue appréciée par la productivité du travail qui en résulte
Une entreprise recherche des gains de productivité afin d’accroître son profit. Elle contribue à la
croissance de la production, soit en produisant davantage elle-même, soit en économisant des facteurs de
production – souvent le travail – qui seront alors disponibles pour augmenter la production d’autres entreprises.
La croissance de la production résulte donc soit d’une augmentation des facteurs de production soit
d’une amélioration de leur efficacité, sous l’effet du progrès technique par exemple.
Lorsque le PIB croît proportionnellement à la hausse de la quantité de facteurs de production utilisée, la croissance est dite extensive. Les rendements d’échelle sont alors constants puisque l’échelle de la
production n’a pas d’effet sur son efficacité.
Lorsque le PIB augmente plus rapidement que la quantité de facteurs de production, la croissance
est dite intensive. Les rendements d’échelle sont alors croissants, la croissance économique repose principalement sur les gains de productivité c'est-à-dire une plus grande efficacité des facteurs de production.
! Ne pas confondre croissance externe et croissance intensive avec croissance externe et croissance
interne.
1. Une main d’œuvre plus abondante et / ou plus productive.
La quantité de travail effectivement utilisée est mesurée par la population active occupée. Si celle-ci
augmente, il est logique que la production augmente, toutes choses égales par ailleurs. Cependant,
l’augmentation de la population active n’est pas suffisante pour entraîner une hausse du volume du travail
disponible dans l’économie car il dépend aussi de la durée du travail effective pour chaque actif.
Volume annuel de travail = niveau de l’emploi x durée annuelle du travail
La diminution de la durée annuelle du travail est très nette depuis la fin du 19ème siècle : en France,
elle est passée en un siècle de 3000 à 1600 heures par an (de 1896 à 1996). Le passage aux 35 heures a
accentué cette tendance.
Il serait aussi intéressant de tenir compte de la durée de la vie active d’un individu et prendre en
compte le taux d’activité.
Il est aussi possible d’augmenter la production sans changer la quantité de travail utilisée, à condition d’améliorer l’efficacité du travail c'est-à-dire la productivité du travail.
Rappels : La productivité est un indicateur du progrès technique mis en œuvre dans une entreprise
ou un pays.
Pour une entreprise, la quantité produite sera mesurée soit par la VAB – la productivité sera alors
exprimée en « valeur » – soit en quantités physiques – la productivité sera alors « physique » –
La quantité de travail utilisée sera exprimée soit par le nombre de travailleurs – productivité par
tête – soit par le nombre d’heures de travail nécessaire pour fabriquer un produit – productivité horaire –
La croissance économique à long terme ne s’explique donc pas par une hausse de la quantité de
travail, mais par sa plus grande efficacité : ainsi la productivité horaire du travail a été multipliée par 16
en un siècle (de 1896 à 1996).
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2. La division du travail.
Tout d’abord, il faut bien distinguer la division sociale du travail de la division technique du travail.
Ce paragraphe portera sur la division technique du travail, mais sans étudier les différentes formes
d’organisation du travail dans la mesure où celles-ci feront l’objet d’un chapitre.
La division sociale du travail est un concept sociologique développé par Emile Durkheim (1858 –
1917) et elle correspond à la répartition des tâches en grandes fonctions au sein d’une société qui se développe (politique, économique, culturel, social, religieux, militaire).
La division technique du travail est un concept développé par Adam Smith (1723 – 1790) dans son
ouvrage « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations » écrit en 1776. Elle correspond
à la répartition entre plusieurs travailleurs des différentes phases de fabrication d’un produit. Cette division vise à accroître le rendement par actif, l’efficacité du facteur du travail. Sa démonstration repose sur
un exemple devenu très célèbre : la manufacture d’épingles.
Un travailleur peut faire une épingle tout seul mais il ne fabriquera que bien peu d’épingles dans la
journée (maximum 20). En revanche, en divisant la production en 18 opérations distinctes, on arrivera à
fabriquer des milliers d’épingles par jour. La division technique du travail a donc permis d’augmenter la
productivité du travail. Ces effets positifs s’expliquent ainsi :
- Chaque travailleur étant spécialisé dans une tâche la maîtrisera mieux et la réalisera plus rapidement. On pourra utiliser chaque travailleur dans la tâche pour laquelle il est plus « compétent », « doué ».
- Chaque travailleur ne faisant plus qu’une seule tâche ne perdra plus le temps qui était auparavant
nécessaire pour changer de tâche.
- Les tâches les plus simples pourront même être effectuées par des machines.
La division du travail va donc inciter les scientifiques à inventer des machines capables d’effectuer
les tâches les plus simples. La division technique du travail est donc en relation avec l’accumulation du
capital et le progrès technique. Elle permet donc des gains de productivité, de produire en plus grande
quantité dans le même temps et de contribuer à la croissance économique.
3. L’accumulation du capital et le progrès technique.
a. L’accumulation du capital.
L’investissement – l’augmentation du stock de capital – est indispensable à la croissance dans la
mesure où il permet d’augmenter le volume du facteur capital utilisé pour la production mais aussi
d’accroître la productivité.
La définition du capital peut être plus ou moins large selon que l’on considère le capital fixe c'est-àdire le stock de biens durables nécessaires à la production, que l’on intègre ou non les consommations intermédiaires, ou que l’on considère les ressources naturelles comme facteur de production distinct ou non
du capital.
A long terme, l’augmentation du capital fixe est indispensable pour produire davantage :
 Les investissements sont nécessaires à la mécanisation de la production.
 Les investissements rendent l’organisation plus productive. (cf. fordisme)
 Les investissements permettent d’utiliser des machines plus récentes, qui incorporent plus d’innovation (investissements de productivité)
Depuis le 19ème siècle, le volume de capital par travailleur ou intensité capitalistique a fortement
augmenté : la croissance économique nécessite toujours davantage de capital, donc d’investissement.
b. Le rôle du progrès technique.
Le progrès technique est une notion très large car il s’applique à l’ensemble des innovations entraînant une amélioration des moyens de production mais aussi des méthodes de production, de l’organisation
du travail ou des marchés.
Dans tous les cas, le progrès technique améliore la productivité globale des facteurs c'est-à-dire le
rapport entre la production et le volume total des facteurs de production utilisé.
Il est souvent en amont des investissements, qui viennent le mettre en œuvre.
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Au 20ème siècle, le progrès technique joue un rôle essentiel dans la croissance économique. Durant
les trente Glorieuses, le progrès technique explique une large partie de la croissance. En 1972, une étude
est menée par Jean-Jacques Carré, Paul Dubois et Edmond Malinvaud (« La croissance française ») pour
expliquer la croissance française. Ils montrent que si la croissance s’expliquait par la seule hausse des facteurs de production, alors elle aurait été de 1% et non de 5% en moyenne.
L’étude du progrès technique sera approfondie dans le deuxième paragraphe.
4. Les sources de la croissance depuis 1950 dans les pays développés.
Les pays développés ont connu une croissance très rapide notamment de 1960 à 1973 puis un ralentissement après 1973. Cette croissance a été permise par :
 Le rôle du facteur travail. Il a contribué à cette croissance pour deux raisons essentielles : la quantité de travail a augmenté et la qualification du travail s’est améliorée.
 Le rôle de l’accumulation du capital. L’accumulation c'est-à-dire l’investissement mesuré par la
FBCF joue un grand rôle dans la croissance économique.
 Le rôle du progrès technique. Une partie de la croissance ne s’explique pas par les apports directs
des facteurs de production (K, L), c’est ce que l’on appelle traditionnellement le « résidu », ce qui reste
inexpliqué. Ce résidu correspond à une partie importante de la croissance économique. Les économistes
attribuent ce résidu au progrès technique qui, comme nous l’avons vu, permet à la combinaison du travail
et du capital d’être de plus en plus efficace. En améliorant les machines ou les procédés de fabrication, en
élevant la qualification des travailleurs, le progrès technique contribue à la hausse de la productivité du
travail et ainsi d’éviter la loi des rendements décroissants.
Etude du document extrait des « Cahiers français » n° 323 « Croissance et innovation » : La croissance de l’économie française depuis 1950.
B. Les modèles de la croissance économique.
Le PIB est le résultat de l’utilisation des facteurs de production (K, L). Si on utilise dans des conditions normales ces facteurs de production, on obtient le PIB potentiel. La croissance potentielle est donc le
niveau maximum de croissance économique sans que l’inflation ne s’accélère. Elle dépend de l’évolution de
la quantité de facteurs de production disponibles dans l’économie. En principe, lorsque les quantités de
travail et de capital augmentent, la croissance potentielle croit elle aussi. Cependant, il ne faut pas oublier
que le progrès technique intervient dans cette croissance mais comment l’intégrer.
Mais la croissance effective peut être différente de la croissance potentielle car elle dépend de plusieurs facteurs.
Par ailleurs, il ne faut pas confondre croissance équilibrée et croissance stable.
La croissance est équilibrée si l’augmentation de la production est compatible à long terme avec
l’équilibre macroéconomique (épargne = investissement), et avec le plein-emploi.
taux _ d ' ép arg ne
Taux de croissance de l’économie = taux de croissance de la population active =
coefficient _ de _ capital
Le coefficient de capital désigne le rapport entre le capital et la production.
La croissance est stable s’il existe des mécanismes de retour à l’équilibre lorsque l’économie s’en
éloigne.
1. La croissance potentielle dans les théories.
a. L’approche des Classiques.
David Ricardo (1772 – 1823) cherche à montrer que l’économie tend naturellement vers un état stationnaire, c'est-à-dire vers un niveau maximal de la production, au-delà duquel le taux de croissance est
nul.
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L’analyse repose sur la loi des rendements décroissants : l’augmentation de la production, pour
faire face à l’accroissement de la population, oblige à mettre en culture des terres moins fertiles, ce qui
diminue les rendements. Cela entraîne une augmentation de la rente prélevée par les propriétaires fonciers,
ainsi qu’une hausse des salaires (Pour Ricardo, le salaire et la rente sont déterminés par les mécanismes du
marché ; la mise en culture de terres de moins en moins fertiles augmentent le prix du blé et donc de ces
revenus). La hausse de ces revenus entraîne une baisse des profits qui conduit à une diminution de
l’investissement, financé par les entrepreneurs.
A terme, la croissance économique doit tendre vers zéro, car les opportunités d’investissement deviennent de plus en plus rares avec la diminution du taux de profit. Pour Ricardo, le déclin de la croissance
est donc inéluctable ; une politique libre-échangiste peut le retarder en diminuant le prix naturel du travail
(cf. commerce international)
Adam Smith (1723 – 1790) se démarque des autres Classiques dans la mesure où il envisage la possibilité d’une croissance indéfinie. Comme nous l’avons souligné, la division du travail génère des gains de
productivité et est donc source de croissance durable. Mais Smith évoque aussi l’augmentation de la taille
des marchés rendue possible par la baisse des coûts de production : un cercle vertueux peut s’engager,
dans la mesure où l’extension de la taille des marchés incite les entreprises à investir et augmenter encore
la division du travail pour y répondre. Smith perçoit donc les gains apportés par le progrès technique.
b. L’approche keynésienne de la croissance.
Roy Forbes Harrod (1900 – 1978) va construire un des premiers modèles keynésiens de la croissance
en mettant en évidence trois taux de croissance :
 Le taux de croissance garanti qui assure l’équilibre entre l’épargne et l’investissement, condition
de l’équilibre économique ;
 Le taux de croissance naturel qui permet le plein-emploi et résulte de l’accroissement de la population et du progrès technique ;
 Le taux de croissance effectif qui se réalise réellement.
Or la croissance de la population est une donnée exogène, c'est-à-dire extérieur à l’activité économique, comme le progrès technique (ce qui ne sera pas la cas par la suite).
De plus, l’égalité entre l’épargne et l’investissement est rarement réalisée car l’épargne dépend du
revenu, et l’investissement des anticipations des entrepreneurs. Il souligne que les décisions des agents économiques ne sont pas coordonnées.
Il y a donc peu de chances que la croissance soit équilibrée et corresponde au plein emploi.
Evsey David Domar (1914 - 1997) reproche à Keynes d’avoir trop mis en avant l’aspect demande
(via le multiplicateur) : « effet revenu » (une variation des prix modifie le pouvoir d’achat et modifie la demande).
Domar souligne que l’investissement joue aussi du côté de l’offre, sur les capacités de production
d’un pays, en les augmentant : « effet capacité ». « La construction d’une nouvelle usine a un effet double :
elle accroît la capacité de production et crée du revenu » écrit-il. Cet effet correspond donc à une augmentation de l’offre dans une proportion fixée par le coefficient de capital (rapport entre la quantité de capital
et le volume de la production)
Par conséquent, d’un coté l’investissement résout le problème du chômage et, de l’autre, il
l’aggrave en faisant apparaître des capacités productives excédentaires. La croissance ne sera pas équilibrée, sauf si le capital et la production croissent à un taux constant égal au rapport entre le taux d’épargne
et la productivité moyenne du capital. Domar observe que ces conditions sont rarement réalisées.
Les deux modèles sont réunis communément sous l’appellation « modèle Harrod-Domar ». Leur
modèle repose sur l’hypothèse d’une rigidité du coefficient de capital, ce qui signifie qu’il faut augmenter
dans les mêmes proportions la quantité de travail et de capital pour produire davantage, car les facteurs de
production sont complémentaires. Les deux modèles ont en commun de montrer que les chances d’obtenir
une croissance équilibrée, qui assure le plein-emploi, sont très faibles. Le chemin de la croissance équilibrée est donc très étroit, il repose sur le « fil du rasoir ». En effet, rien ne garantit que l’augmentation de la
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demande et l’augmentation de l’offre se compensent, car le taux d’épargne et le coefficient de capital sont
des variables indépendantes. Il faut aussi rappeler que le plein-emploi est aussi improbable car il dépend
d’une variable indépendante, l’augmentation de la population active. L’intervention de l’Etat est ainsi, selon la tradition keynésienne, justifiée comme un élément correctif de la situation et permet de se rapprocher
de la croissance de plein-emploi.
c. L’approche néoclassique de Robert Solow.
Robert Merton Solow (1924 - ) publie en 1956, en pleine période de croissance, un article qui prend
pour point de départ le modèle de Harrod-Domar et cherche à en renverser les conclusions. Selon lui, la
fixité des facteurs de production est une hypothèse contestable. Il suffit de permettre une certaine flexibilité
de la combinaison productive pour que le phénomène du « fil du rasoir » s’écroule et donc que la question
de l’instabilité de la croissance soit remise en cause.
Il élabore un modèle de croissance qui fait figure de référence car il permet l’intégration du progrès
technique dans un cadre néoclassique. Il reprend l’idée propre aux Classiques d’une convergence vers
l’état stationnaire en l’absence de progrès technique. Les principales hypothèses du modèle sont les suivants :
 Le produit national (PIB) est déterminé par une fonction de production reposant sur la substituabilité des facteurs de production ;
 Les prix des biens et des facteurs de production sont flexibles ;
 Les rendements d’échelle sont constants ;
 La totalité de l’épargne est investie ;
 La productivité marginale du capital est décroissante ce qui signifie que la production croit moins
vite.
 Le progrès technique est exogène, c’est un résidu. C’est la part inexpliquée de la croissance, une
fois que l’on a prise en compte l’augmentation quantitative des facteurs de production. Dans
l’environnement concurrentiel proposé par ce modèle, les entreprises ne dégagent pas de profit à long
terme. En conséquence, aucune ressource ne peut être affectée à l’amélioration de la technologie ou à une
meilleure formation des travailleurs.
Solow montre alors que la croissance présente deux caractéristiques :
 La croissance est stable et équilibré, en raison des hypothèses de flexibilité des prix et de
substituabilité des facteurs de production : les prix (les salaires par exemple) s’ajustent ainsi aux quantités
de facteurs disponibles.
 Si le progrès technique est nul, la population stable et le taux d’épargne constant, alors la
croissance économique tend vers zéro. En effet, la production augmente moins vite que le stock de capital,
or celui se déprécie (amortissement) ; il faut donc consacrer une part toujours plus grande de
l’investissement brut à amortir le capital, jusqu’à un seuil où la croissance est nulle car la totalité de
l’investissement sert à l’amortissement.
Une économie peut reculer provisoirement le passage à l’état stationnaire en augmentant sa population, ou son taux d’épargne, mais cela ne modifie pas le mécanisme. Seule une hausse continue du facteur
résiduel, le progrès technique, peut expliquer que la croissance économique se maintienne durablement.
Paradoxalement, une croissance durable s’explique donc par un facteur dont on ne connaît pas la cause : le
progrès technique exogène apparaît don comme un « manne tombée du ciel ».
Cependant, toutes ces approches restent insuffisantes pour expliquer la croissance contemporaine.
Elles comportent plusieurs limites :
 Elle suppose une convergence entre les différentes économies. Les faits infirment cette hypothèse.
En effet, si les années 1970 sont marquées par une accélération des pays en développement à un moment où
les économies occidentales connaissent un profond ralentissement économique, les années 1980 amènent
des divergences toujours plus accentuées entre les pays riches et les pays les pays les plus pauvres et un
déphasage des conjonctures économiques entre les pays développés.
 Sur le plan théorique, l’hypothèse d’un progrès technique exogène est contestable car elle rend difficilement explicable une croissance soutenue.
 Dans les approches Classiques et Néoclassiques, le marché est jugée efficace.
7

Dans ces modèles, il est souvent impossible d’infléchir durablement le taux de croissance d’un pays.
Certains économistes ont cherché à remettre en cause l’hypothèse de rendements d’échelle décroissants pour le facteur de production qui s’accumule (K). Les nouvelles théories de la croissance qui se développent dans les années 1980 vont insister sur le comportement des agents économiques.
d. Les nouvelles théories de la croissance : le progrès technique est endogène.
Ces nouvelles théories considèrent la croissance comme un phénomène cumulatif et cela pour trois
raisons :
- Le progrès technique est désormais considéré comme un facteur endogène au mécanisme de la
croissance.
- Le progrès technique produit des externalités positives. Les externalités positivent apparaissent dans
la croissance quand les investissements d’un agent bénéficient à d’autres agents sans que cet effet donne
lieu à une relation marchande.
- Les rendements sont constants et non décroissants.
Ces théories prennent plusieurs directions et chaque modèle rend compte d’une forme particulière
de progrès technique :
 Modèle de Paul Romer (1955 - ) : accumulation des connaissances et de capital technologique. (investissement en recherche-développement)
 Modèle de Robert Lucas (1937- ) : accumulation de capital humain.
 Modèle de Robert Barro (1944- ) : infrastructures publiques.
 L’accumulation des connaissances et de capital technologique.
Romer considère que l’accumulation des connaissances est un facteur endogène de croissance. Il reprend en partie la théorie du « learning by doing » déjà formulée par Kenneth Arrow (1921 - ) en 1962.
Romer affirme que c’est en produisant qu’une économie accumule spontanément les expériences et donc les
connaissances. Plus la croissance est forte et plus l’accumulation d’expérience et de savoir-faire est forte,
ce qui favorise la croissance.
L’accumulation de connaissances provoque de nombreuses externalités. En produisant, une entreprise accumule des connaissances qui lui permettront d’être plus performante, mais qui serviront aussi aux
autres entreprises, par effet d’imitation de la part des concurrentes ou grâce au turn-over (rotation) de la
main d’œuvre ayant gagné en savoir-faire. L’accumulation de connaissances a donc une productivité privée
(celle dont profite l’entreprise), mais aussi une productivité sociale (celle dont profite l’ensemble de
l’économie et de la société).
Romer, qui s’est inspiré des travaux de Joseph Schumpeter, montre que c’est l’innovation et la recherche-développement (R-D) qui constituent le facteur résiduel. Plus les efforts de R-D sont importants et
plus la croissance est forte ; plus la croissance est forte et plus les efforts de R-D peuvent être importants.
La R-D est une activité spécifique qui produit des biens sans exclusion (biens collectifs) et qui entraîne des rentes de monopole. En effet, les biens produits par la R-D ont les caractéristiques des biens collectifs car leur coût est indépendant du nombre d’utilisateurs. Dans ce cas, la théorie économique montre
que l’intervention de l’Etat est nécessaire, par exemple en garantissant un système de brevets qui donne à
l’invention la caractéristique d’un bien privé.
Le système de brevet met aussi l’entreprise innovante dans une situation de monopole qui lui assure
une rente de monopole, c'est-à-dire une rémunération supérieure à ce qu’elle serait en situation de concurrence. Ce système est source d’une dynamique car la rente de monopole est provisoire ; au bout d’un certain temps, l’innovation tombe dans le domaine public et de nouvelles et de nouvelles innovations rendent
les premières obsolètes.
Les rentes de monopole sont donc utiles car elles assurent une bonne rentabilité à l’activité de R-D
et leur caractère provisoire encourage une dynamique d’innovation.
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 L’accumulation de capital humain.
Lucas considère que le stock de connaissances (le capital humain) est un facteur de croissance endogène. La croissance économique dépend en grande partie des efforts en formation individuels et sociaux,
qui eux-mêmes dépendent de la capacité à épargner et donc de renoncer à une consommation présente pour
investir dans l’éducation. Selon ce modèle, la croissance est endogène et cumulative car la capacité en
épargne de formation d’une économie dépend en grande partie du niveau de la production et donc de la
croissance économique.
L’accumulation du capital humain résulte de stratégies individuelles mais aussi de la stratégie de la
collectivité. Effectivement, l’accumulation de capital entraîne des externalités positives car le niveau
d’éducation d’un individu joue non seulement sur sa productivité, mais aussi sur celle de ses partenaires.
Un niveau d’éducation est d’autant plus efficace qu’il permet d’interagir avec d’autres personnes présentant ce même niveau (effet réseau).
 Les dépenses d’infrastructures publiques.
En 1990, Barro démontre que la dépense publique est directement productive et doit donc être
considérée comme un des facteurs de la fonction de production. La contribution du secteur public à la
croissance comprend les dépenses d’éducation (afin d’accroître le capital humain) et de R-D, mais aussi
celles d’infrastructures en matière de transport et de communication.
Comme les autres accumulations, ces dépenses ont un effet cumulatif ; elles permettent d’augmenter
la croissance qui entraîne un accroissement des recettes publiques et donc des dépenses publiques, facteur
de croissance.
Cette théorie conduit à démontrer la nécessité du maintien des investissements publics dans une conjoncture difficile. La tentation des gouvernements est souvent grande, en période de crise, de réduire les
dépenses d’investissement pour pouvoir maintenir les dépenses courantes. Les théories endogènes rejoignent ici les théories keynésiennes : l’investissement public est nécessaire à la croissance.
Les théories de la croissance sont donc inséparables du contexte dans lequel elles naissent. Après
différentes analyses, les théories de la croissance endogène ont l’avantage de chercher à expliquer le progrès technique, donc la croissance, en le faisant reposer sur les comportements des individus. Adam Smith
l’avait déjà pressenti dès 1776.
Par ailleurs, les évolutions économiques récentes, caractérisées par la reprise économique aux
Etats-Unis puis, plus récemment, en Europe, confirment que la croissance, due aux nouvelles technologies
de l’information et de la communication, est liée à la recherche, à la formation et à l’apprentissage, à
l’investissement. Internet permet d’étendre encore les marchés et auto-entretient la demande. On est sur la
bonne voie pour voir résolu le « paradoxe de Solow » qui, en 1987, voyait des ordinateurs partout, sauf
dans les statistiques de la productivité.
2. Les déterminants de la croissance effective.
La croissance effective ne correspond pas toujours à la croissance potentielle. Celle-ci peut être plus
forte lorsque l’économie connaît une conjoncture favorable ou au contraire moins forte lorsqu’elle traverse
une récession. La croissance effective résulte de la conjonction de nombreux facteurs dont les principaux
sont la demande, le profit et les institutions.
Pour les économistes d’inspiration keynésienne, les entreprises ne produisent que si elles peuvent
vendre et donc si elles anticipent une demande (demande intérieure : consommation des ménages, investissements des entreprises, dépenses publiques ; demande extérieure : exportations). Chaque composante de la
demande a un effet multiplicateur sur la production. En effet, une augmentation de la demande induit une
hausse de la production, d’où une distribution supplémentaire de revenus qui entraîne un nouvel accroissement de demande… L’ampleur de l’effet multiplicateur dépend de la part du revenu supplémentaire destinée à la consommation (cf. propension marginale à consommer).
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Par le biais de la demande, c’est un grand nombre de facteurs qui jouent finalement sur la croissance :
- Importance du crédit.
- Données démographiques (natalité, mortalité, vieillissement de la population, structure par âges…)
- Budget de l’Etat.
Le profit est aussi un déterminant important de la croissance. Il agit par deux mécanismes :
 C’est la principale motivation de la décision de produire.
 C’est un moyen essentiel pour financer les investissements qui permettent d’accroître les capacités
de production (investissements nets)
Enfin, l’esprit d’entreprise, le degré de résistance au changement, l’intensité du travail, mais aussi la
politique économique mise en œuvre, le système financier ou la gouvernance des entreprises, sont autant de
facteurs qui influencent la croissance effective, mais aussi, pour certains, la croissance potentielle.
C. Le rôle des acteurs économiques et de l’environnement socioculturel dans le processus
de croissance.
1. Le rôle des entrepreneurs.
Il joue un rôle essentiel dans la croissance économique car c’est l’entrepreneur qui choisit la combinaison productive, qui prend les décisions d’investissement ou celles concernant la recherche sur des produits nouveaux.
Pour choisir une combinaison productive, l’entrepreneur prend en compte différents éléments notamment le coût relatif des facteurs et l’efficacité productive de la combinaison retenue mais aussi les traditions de l’entreprise, l’environnement local ou international,…
L’entreprise cherche à améliorer sa productivité afin d’accroître son profit ce qui favorise la croissance de la production. On retrouve ici le mobile du chef d’entreprise dans la théorie classique et néoclassique. Selon le principe de la main invisible d’Adam Smith, la croissance provient de la volonté de certains
de s’enrichir et donc de réaliser des profits. Les néoclassiques sont aussi des utilitaristes : ils considèrent
que chaque agent économique motive ses actions par la recherche de son intérêt personnel. L’intérêt du
propriétaire de l’entreprise est selon eux la maximisation du profit
Par ailleurs, l’entrepreneur parie sur l’avenir. En effet, il investit aujourd’hui, mais la production
n’augmente que demain. L’entrepreneur prend donc des risques et il espère que le marché lui donnera raison. S’il refuse d’assumer ces risques, en n’investissant pas, il contribue à ralentir l’accumulation de capital et donc la croissance économique. Joseph Schumpeter a mis en évidence le rôle essentiel de
l’entrepreneur.
2. Le rôle de l’Etat.
L’Etat intervient de différentes manières dans une économie :

Il est un régulateur des marchés :
Dans une économie de marché, l’intervention de l’Etat joue un rôle essentiel pour la croissance. En
effet, le fonctionnement d’une économie de marché impose des règles et celles-ci doivent être d’abord construites et ensuite, il faut les faire respecter. Ces deux rôles doivent être assumés par l’Etat.

Il intervient pour favoriser le progrès technique :
Certaines recherches, trop fondamentales pour être rentables immédiatement, ne seraient jamais en10
treprises si l’Etat ne contribuait à leur financement. En effet, aucune entreprise ne prendra en charge une
dépense si le coût est trop élevé par rapport au bénéfice qu’elle en retire personnellement. Les entreprises
prennent leurs décisions d’investissement en fonction du rendement privé, lequel est inférieur au rendement
social (pour la collectivité). C’est dans la recherche fondamentale que le rendement privé apparaît le plus
faible (les applications économiques directes des résultats de la recherche fondamentale sont peu nombreuses, par exemple la découverte d’une nouvelle planète) alors que le rendement social peut être élevé,
lequel peut se produire avec un décalage temporel. Ainsi, il y a un décalage de quarante ans entre la théorie de la relativité restreinte d’Einstein et les premières centrales nucléaires.
De manière générale, l’Etat doit intervenir dans tous les cas où son action provoque des externalités
positives. Il en est ainsi dans la technologie avec les « externalités informationnelles ». Le savoir produit
par l’innovateur bénéficie à d’autres agents sans compensation monétaire de leur part : les autres agents
peuvent simplement imiter l’innovateur ou reprendre son idée pour l’améliorer, en n’ayant pas dans les cas
à repayer le coût intégral de la recherche fondamentale.
Par ailleurs l’Etat peut favoriser l’innovation par des décisions politiques : régime fiscal avantageux, législation sur les brevets, subventions
Ainsi les rendements sociaux des différentes formes d’accumulation du capital sont supérieurs à
leurs rendements privés. Puisque l’expérience sert à tous, que la connaissance des individus ne profitent
pas seulement à ceux qui se forment mais aussi à leur entourage professionnel, et qu’une partie importante
des connaissances technologiques constitue une connaissance commune non brevetable, l’intervention de
l’Etat apparaît indispensable.

Il prend en charge les infrastructures collectives :
Si le marché est un instrument efficace de la régulation du court et du moyen terme, en revanche
l’Etat doit favoriser la croissance sur longue période en menant une politique industrielle adaptée, sans
pour autant que l’Etat se substitue au secteur privé. L’Etat doit développer les infrastructures. En effet, le
secteur privé peut-il financer la construction des infrastructures ? En d’autres termes, est-ce l’Etat ou ceux
qui vont directement en bénéficier ; mais, dans ce dernier cas, chaque utilisateur de l’infrastructure (pont,
route…) ne retirera pas suffisamment de bénéfice de l’usage du pont pour le financer. C’est donc l’Etat, au
nom de l’intérêt général, qui va assumer ces dépenses et les répercuter sur les individus par l’impôt. (cf.
biens collectifs)

Il favorise la croissance par sa politique économique :
L’Etat peut encourager la production de biens et de services en stimulant la demande par sa politique budgétaire ou sa politique monétaire. De même, il peut encourager l’offre par sa politique fiscale, en
baissant les impôts sur les entreprises pour rendre la production plus profitable.
Ainsi, l’Etat, par les investissements publics, joue un rôle très important dans la croissance, en finançant la formation de la main d’œuvre et la recherche scientifique, en développant des infrastructures, en
construisant un cadre juridique permettant au marché de fonctionner.
3. Le rôle de l’environnement socioculturel.
On observe que la croissance et le développement ne sont pas partout présents. Pourquoi, à un moment donné de leur histoire, des peuples se sont mis à accumuler du capital et pas d’autres, alors qu’ils
disposaient de la même quantité de facteurs de production. La culture serait un élément explicatif de la
croissance. Les normes et les valeurs en vigueur dans une société influenceraient l’ensemble des comportements et donc les comportements économiques.
Ainsi Max Weber (1864 – 1920) a soutenu l’idée que les valeurs véhiculées par le protestantisme
avaient favorisé le développement du capitalisme dans les pays anglo-saxons, pour deux raisons essentielles :
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- L’enrichissement est valorisé, alors que les catholiques réprouvent la richesse. Les principes de leur
religion poussaient les protestants à épargner et à investir, et accordaient une grande valeur au travail, à
l’activité professionnelle.
- Une grande confiance et une grande solidarité les unissaient d’où la création de réseaux unissant
des entreprises industrielles et des banques, ce qui était très favorable à la croissance.
Mais il faut souligner que les valeurs ne sont qu’un élément explicatif de la croissance. Les valeurs
s’accordent avec l’ensemble des structures de la société. La croissance a besoin à la fois de stabilité (organisation politique, institutions) afin que l’on puisse prévoir les effets des décisions prises aujourd’hui et de
possibilité de transformations afin de s’adapter aux changements entraînés par la croissance.
On pourrait enfin s’interroger sur le rôle de deux institutions internationales (FMI et Banque Mondiale) qui, en menant certaines politiques économiques, ont accru la pauvreté dans certains pays en développement.
D. Les limites de la croissance économique.
Un des grands défis du 21ème siècle sera de concilier la progression du niveau de vie et le respect
des équilibres écologiques. Cette préoccupation de développe à la fin des Trente Glorieuses mais celle-ci
n’est pas totalement nouvelle car la question des limites imposées par les contraintes naturelles à l’activité
économique a déjà été par des auteurs tels que Thomas Malthus, Stuart Mill ou Karl Marx. Toutefois, cette
préoccupation était totalement absente des politiques économiques ainsi que des stratégies de croissance ou
de développement.
1. La poursuite de la croissance actuelle est-elle possible ?
A la fin des années 1960 et les années 1970, les premiers mouvements écologistes et antinucléaires
dans les pays industrialisés ont permis de prendre conscience des limites de la croissance. Les travaux du
« Club de Rome » à la fin des années 1960 et la publication du rapport Meadows en 1972 marquent un
tournant. Ce rapport (The Limits to Growth, les limites de la croissance en français) rédigé par une équipe
de chercheurs du Massachussets Institut of Techonoly (MIT) analyse les relations entre croissance et environnement en modélisant les interactions entre cinq variables : la population mondiale, la production
agroalimantaire, la dynamique industrielle, les niveaux de pollutionet l’utilisation des ressources naturelles
non renouvelables. La vision pessimiste de ce rapport conduit le Club de Rome a préconisé une « croissance zéro ».
L’ONU organise en 1972 la conférence de Stockholm sur « l’environnement humain » mais cette
conférence va surtout révéler des oppositions, notamment entre le Nord et le Sud. En effet, les pays du tiersmonde mettent en avant la croissance comme objectif principal et s’opposent à une extension des règlementations de protection de l’environnement mises en place par certains pays du Nord. De leur côté, les industriels des pays riches craignent que l’adoption de normes antipollution ne les défavorise dans la compétition internationale. Cette conférence va populariser le terme « écodéveloppement » et débouchera sur la
création du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).
A la fin des années 1970 et dans les années 1980, les tensions sur les prix des matières premières et
de nouvelles catastrophes écologiques (Seveso, Bhopal, Tchernobyl, marées noires…) provoquent une large
prise de conscience des limites des modes de production et de consommation établis. L’industrie n’est plus
synonyme de progrès. Par ailleurs, l’environnement va acquérir une dimension planétaire à travers plusieurs problèmes : détérioration de la couche d’ozone, effet de serre, pluies acides, changement climatique.
L’Assemblée générale des Nations Unies crée une nouvelle commission, en 1983, chargée de réfléchir aux relations entre le développement et l’environnement. Cette commission, la Commission mondiale
pour l’environnement et le développement (CMED), présidée par Gro Harlem Brundtland publie en 1987
« Notre avenir à tous ». Les auteurs de ce rapport reconnaissent que les ressources naturelles et les atteintes à l’environnement constituent une contrainte majeure pour la croissance économique, mais ils défendent, à l’inverse du rapport Meadows, une approche conciliant les deux dimensions. Dans ce rapport, on
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trouve la proposition d’un « développement soutenable » ou « durable », qui « réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Cette définition aborde
donc deux aspects essentiels :
- La répartition des fruits de la croissance puisqu’on affirme la primauté des besoins des plus démunis.
- La prise en compte des besoins des générations futures pour limiter et encadrer notre croissance actuelle.
Le développement durable apparaît donc comme un compromis entre trois contradictions fondamentales :
 Les intérêts des générations actuelles face à ceux des générations futures.
 Les intérêts des pays développés et ceux des pays en développement.
 Les besoins des hommes et ceux de la préservation des écosystèmes.
Le rapport Brundtland demande et obtient l’organisation d’un sommet sur l’environnement et le développement. La conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Le Sommet de la
Terre) a lieu à Rio de Janeiro, du 3 au 14 juin 1992. C’est le sommet le plus important des Nations unies
(108 chefs d’Etat, 2400 représentants d’ONG, 10000 journalistes…). C’est à Rio que Bush père déclare :
« le mode de vie des américains n’est pas négociable ». Cette conférence débouche sur la Déclaration de
Rio qui permet la signature de deux conventions internationales (La convention sur le changement climatique et la convention sur la diversité biologique) et de deux déclarations, non contraignantes, sur les forêts
et la désertification.
En 1997, le protocole de Kyoto est signé. Les pays industrialisés s’engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5% par rapport à 1990, d’ici à 2012. Trois mécanismes sont prévus, reposant tous les trois sur le marché :
- Le marché des droits à polluer. Cette disposition permet de vendre et d’acheter des droits à émettre
entre pays industrialisés.
- La mise en œuvre conjointe. Cette disposition permet, entre pays développés, de procéder à des investissements visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre en dehors de leur territoire national et de
bénéficier des crédits d’émission obtenus par les réductions ainsi obtenues.
- Le mécanisme de développement propre : un pays développé peut aider un pays pauvre à financer
un projet de développement propre, ce qui lui vaudra un supplément de droits à polluer, alors que le pays
bénéficiaire verra son quota diminuer.
Néanmoins, des désaccords (refus des Etats-Unis de le signer, réticence des pays du Sud, comme la
Chine et l’Inde à s’engager) et de nombreux problèmes restent en suspens pour une mise en œuvre efficace.
Les conférences de Buenos-Aires (novembre 1998), de Bonn (novembre 1999), de La Haye (novembre
2000) et de Marrakech (novembre 2001) vont montrer les difficultés d’une internalisation des externalités
par le marché.
Les réunions préparatoires au Sommet mondial sur le développement durable organisé à Johannesburg en 2002 vont également faire le constat que les progrès sont maigres et les reculs nombreux. Le principal résultat de ce sommet est d’officialiser le blocage mondial sur ces questions, et de faire prendre conscience à un grand nombre de décideurs que le problème est sérieux.
Un problème essentiel demeure : comment imposer les exigences du développement durable aux
pays, aux entreprises, aux consommateurs ? Il n’existe pas, pour le moment, d’autorité mondiale (cf. gouvernance) capable d’imposer les nécessités du développement durable.
2. Que signifie accroître toujours plus le PIB ?
La poursuite de la croissance signifie-t-elle nécessairement une amélioration du bien-être ?
Le PIB représente la valeur de tout ce qui a été produit par les entreprises ou les administrations pu
bliques. Le PIB a donc été crée pour mesurer l’augmentation de la production de biens et de services. Mais
le PIB ne dit rien de l’utilité de ces biens et de ces services : vendre des armes s’ajoutent au PIB comme
vendre des livres. De même, par exemple, l’augmentation de la consommation de tabac contribue à
l’augmentation du PIB pour plusieurs raisons : hausse de la production de tabac, hausse des dépenses de
santé, hausse des dépenses de sécurité sociale…
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Le PIB ne tient pas compte de l’épuisement des ressources, de la destruction des écosystèmes…
Le PIB ne dit rien sur la qualité de la justice sociale, l’égalité, les droits civiques et politiques, la
qualité de vie de la population (état de santé, niveau d’instruction, qualité des rapports sociaux…).
Le PIB ne rend compte ni le travail bénévole ni le travail domestique.
Des indicateurs ont été mis au point pour donner une autre vision de la richesse. On peut les classer
en deux grandes catégories : des indicateurs sociaux et des indicateurs environnementaux.
Comme nous l’avons vu, le PNUD a développé au cours du temps différents indicateurs : IDH, IPF,
IPH et enfin IDT (indicateur de développement technique). Ce dernier indicateur, élaboré en 2001, rend
compte de la capacité d’un pays à innover, à diffuser les innovations et à élever les compétences humaines
en matière technologique. Il synthétise plusieurs indices : un indice d’innovations technologiques (nombre
de brevets par habitant, redevance et droits de licences payés à l’étranger), un indice de diffusion des technologies récentes (nombre d’ordinateurs reliés à Internet par habitant, importance des exportations de produits à contenu technologique intermédiaire ou élevé dans l’ensemble des exportations), un indice de diffusion des technologies anciennes (nombre de lignes téléphoniques et consommation électrique par habitant),
un indice de compétences humaines (durée moyenne de scolarité de la population de 15 ans et plus, taux
d’accès dans les filières scientifiques et techniques de l’enseignement supérieur). Plus l’IDT est proche de 1
et plus le technologique est élevé et inversement, le rapprochement vers 0 indique un faible niveau de développement technologique (Finlande : IDT=0,744 ; Etats-Unis : IDT=0,733 ;… ; Mozambique :
IDT=0,066).
En France, le Réseau d’alerte sur les inégalités a mis au point en 2002 un indicateur synthétique : le
BIP 40 (BIP : baromètre des inégalités et de la pauvreté). Le nom de cet indicateur est une référence ironique à la fois au PIB et au CAC 40. Cet indicateur utilise 58 indicateurs répartis en 6 catégories :
- Travail et emploi (taux de chômage, précarité,…)
- Revenus (inégalités, consommation…)
- Santé (espérance de vie…)
- Education (diplômes…)
- Logement (part de logements sociaux…)
- Justice (taux de personnes en prison…)
Les indicateurs sont agrégés en une moyenne pondérée donnant un résultat compris entre 0 (bon) et
10 (mauvais).
Marc et Marque-Luisa MIringoff, du Fordham Institute à New York, ont mis au point à la fin des
années 1990 un indicateur de santé sociale composé de 16 variables regroupées en cinq composantes associées à des catégories d’âges :
- Enfants (mortalité infantile, maltraitance des enfants, pauvreté infantile)
- Adolescents (suicide des jeunes, usage de drogues, abandon d’études universitaires, enfants nés de
mères adolescentes).
- Adultes (chômage, salaire hebdomadaire moyen, couverture par l’assurance-maladie)
- Personnes âgées (pauvreté des plus de 65 ans, espérance de vie à 65 ans)
- Tous âges (délits violents, accidents mortels liés à l’alcool, accès à un logement d’un prix abordable, inégalités de revenu familial).
La note finale est comprise entre 0 (mauvais) et 100 (parfait). Pour les Etats-Unis, le résultat montre
une augmentation jusque dans les années 1970 (score de 65 ans), avant une dégradation continue, atteignant la note de 25 au début des années 1990, avant une timide remontée.
Les indicateurs environnementaux sont très nombreux. L’Institut français de l’environnement
(IFEN) en a produit des dizaines mais le seul indicateur agrégé aujourd’hui est l’empreinte écologique.
selon ses inventeurs, William Rees et MathisWackernagel, « l’empreinte écologique est la surface correspondante de terre productive et d’écosystèmes aquatiques nécessaires à produire les ressources utilisées et
à assimiler les déchets produits par une population définie, à un niveau de vie matériel spécifié » (Notre
empreinte technologique, éditions Ecosociété, 1999).
La surface est « bioproductive » si elle peut fournir des ressources telles que la nourriture (végétaux, animaux), les fibres (bois…), les capacités de recyclage nécessaires pour absorber ses déchets (gaz à
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effet de serre…), ainsi qu’un espace pour les infrastructures (routes, villes…). Seul un quart de la surface
de la terre est bioproductif.
Les mesures indiquent que l’empreinte écologique des pays industrialisés ne cesse de croître. Et
comme les capacités bioproductives restent limitées, l’espace restant pour les générations à venir et pour le
tiers-monde a diminué, malgré les progrès de la productivité dans l’usage des richesses naturelles. Combinée à la démographie, cette évolution a réduit l’empreinte écologique disponible par terrien de 8 ha en
1900 à 2 ha aujourd’hui.
Enfin, il faut souligner que la croissance ne s’accompagne ni d’une réduction des inégalités et de la
pauvreté dans le monde, ni d’une amélioration sensible du bien-être. C’est donc la croissance elle-même
qui est en cause et la société doit changer d’objectif.
A travers la notion de décroissance, il s’agit de réduire le poids des activités nuisibles à
l’environnement, de réorienter l’économie vers la qualité plutôt qu de viser la quantité, de partager autrement les gains de productivité et de réduire le temps de travail. Constatant les dégâts environnementaux et
sociaux de la croissance, insatisfaits par le développement durable, les promoteurs de la décroissance proposent un « après-capitalisme » (Boisvert et Vivien, 2005) (cf. extrait d’un article des « Cahiers français »
n°337, Développement et environnement, mars-avril 2007)
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