Audition M. Sylvestre Huet Président de l`Association des

Audition M. Sylvestre Huet
Président de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information.
19/03/2013
M. Jean Pierre Leleux :
Maud Olivier est excusée. Elle est retenue par le débat sur la loi Peillon. Nous avons
procédé à une première phase de notre démarche qui s’est traduit par la rédaction d’une étude de
faisabilité. Nous avons déjà écouté beaucoup de partenaires et d’acteurs ; d’élément de médiation
entre la science et le grand public, qu’elle soit scolaire, universitaire etc. Vous êtes président de
l’association des journalistes de la presse scientifique, vous êtes donc au centre de la médiation
entre les métiers du journalisme et les lecteurs. Je voudrais donc vous entendre sur le fil conducteur
que le courrier exprime. Si vous le souhaitez, nous attendons aussi quelques éclaircissements sur
lesquelles le législateur pourrait se positionner pour promouvoir une stratégie nationale de diffusion
CST.
M. Sylvestre Huet
Je voudrais faire une rectification, je suis président de l’Association des journalistes
scientifiques de la presse d’information et non pas de la presse scientifique. Nous travaillons dans
toute la presse et non pas seulement sur la presse scientifique. Le mot « presse d’information », qui
peut paraître redondant, a été choisi à la création de l’association pour montrer que nous ne
regroupons que des journalistes et non pas de communicants.
Première question : « D’après votre expérience, estimez vous que les relations entre, d’une part, les
scientifiques et les médias et, d’autres part, entre ces deux communautés et le public sont plus
mauvaises en France qu’à l’étranger ? Si oui, à quoi cela tiendrait-il ? ».
J’aimerais attirer votre attention sur la formulation de la question. Il existe une communauté
scientifique au sens d'une communauté produisant un savoir et qui, par des règles internes, évalue
la qualité du savoir produit par un processus permanent de revue par les pairs. Il existe donc une
communauté scientifique qui détermine la « vérité du moment ». En revanche, cette communauté
est divisée en différentes opinions politiques sur l’usage des sciences et des technologies. Sur ce
point il n’y a pas de communauté. Il n’y a pas non plus de communauté des journalistes. La presse
offre un panorama très diversifié, et les journalistes travaillent de manière isolée les uns des autres.
Les journalistes scientifiques de chaque rédaction sont beaucoup plus liés aux pratiques et
orientations éditoriales de la rédaction à laquelle ils participent plutôt qu’à une communauté de
journalistes scientifiques.
Toutefois, les journalistes spécialisés en science, très peu nombreux à l’échelle française (environ
300) - représentée majoritairement par l'AJSPI se distinguent des autres journalistes beaucoup
plus nombreux ou de ceux qui occupent des fonctions de direction dans les journaux et peuvent être
conduit à écrire sur des sujets scientifiques ou techniques. Cette disction provient de ce que les
journalistes spécialisés en science savent comment la science fonctionne, comment elle se produit,
comment elle se transforme, comment les scientifiques sont organisés et le type de relations qu'ils
entretiennent avec les pouvoirs politiques ou économiques. Cette connaissance provient d’échanges
soutenus avec des chercheurs (visites, rencontres etc.), de la fréquentation de leurs productions
scientifiques et des débats qu'elles soulèvent.
Voici deux exemples illustrant la spécificité de la pratique spécifique des journalistes
scientifiques :
- à l’époque de la grande campagne du Climate Gate, juste avant le sommet de Copenhague
de 2009, la rédaction en chef du journal de France 2 avait décidé de mettre en scène un
débat entre deux scientifiques. Le premier, Jean Jouzel, soutenait que le changement
climatique était d’origine anthropique alors que le deuxième, Vincent Courtillot, présenté
sur le même plan, soutenait la thèse inverse. Le journaliste scientifique de France-2 a refusé
de faire le sujet. En effet, il savait que Jean Jouzel était effectivement un spécialiste du
climat et donc une parole légitime sur ce sujet, ce qui n’était pas le cas de Vincent Courtillot,
un géophysicien non spécialiste du climat. Il était donc impossible de faire un face à face et
de mettre sur le même plan ces deux scientifiques, c'eût été duper le télespectateur. La
décision de France 2 fut de se tourner vers un journaliste non spécialisé qui a accepté de
traiter ainsi le sujet. La direction de la rédaction de France-2 a considéré comme sans intérêt
le fait qu’en science certaines personnes ont des spécialités et qu’il faut le prendre en
compte pour garantir la qualité de l’information.
- À peu près à la même époque l'hebdomadaire le Point a consacré sa Une et plus de 10
pages - à Claude Allègre et son discours sur le climat. Sur les dix pages il y en avait deux de
bonne qualité d’un point de vue de l'information scientifique. Ces deux pages n’étaient pas
signées, ce qui est très rare. J’ai appris par la suite qu’elles avaient été écrites par le
journaliste scientifique du Point qui avait refusé de signer son article - c’est un acte violent -
en protestation du reste du dossier qui présentait M. Claude Allègre comme un grand
scientifique, gitime sur ce sujet et qui contestait les conclusions de ses collègues
spécialistes du climat, ce qu’il n’est pas. Notre collègue du Point savait, comme d'autres
journalistes spécialisés en sciences, que Claude Allègre n'a jamais travaillé sur ce sujet et
qu'il a très souvent menti à ses auditeurs sur les résultats des sciences du climat.
Les journalistes spécialisés en science sont donc soucieux d’être rigoureux dans
l’information du public, un souci parfois contredit par des directions soucieuses d’autres critères
que la qualité de l’information (le budget, l’audimat, le scoop…)
Enfin, sur l’affaire Séralini, j’ai déjà été auditionné par l’OPECST. Je veux seulement
rappeler la nécessité de respecter les règles de l’embargo qui permettent aux journalistes
scientifiques d’avoir accès aux articles à paraître avant la parution afin de les soumettre au regard
critique d'autres scientifiques. Un des moyens à notre disposition pour améliorer la qualité des
informations. En ce moment par exemple, les journalistes spécialisés en astrophysique préparent
des articles qui paraitront vendredi car jeudi
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, il y aura un scoop mondial : l’Agence spatiale
européenne va révéler la carte du rayonnement cosmologique, que le télescope spatial Planck a
permis de réaliser. Grâce à l’embargo, nous pouvons demander l'avis de plusieurs scientifiques, ce
qui permet une meilleure information du public. C'est ce que voulait interdire Mr Séralini afin
d'obtenir des articles uniquement positifs sur son étude. Sur cette affaire, il est également à
remarquer que nombre de journalistes ont écrit sur ce sujet, mais que très peu avaient lu l’article
scientifique. Pour avoir une presse de qualité il faut pourtant des journalistes qui fassent ce travail.
L’essentiel des déformations dans la présentation de la science ne vient pas forcement d’un
manque de dialogue entre les journalistes scientifiques ou d’une incapacité des scientifiques à
communiquer. L’origine des déformations provient plutôt, de manière générale, des défaillances
internes à la presse. Il s’agit de ses difficultés économiques, du modèle des directions, de la
domination de l’audimat, donc du visuel, et de l’absence d’ambition culturelle.
La deuxième raison de ces déformations, c’est le manque de bonne volonté des acteurs des
polémiques publiques à propos d'usages des technologies. Sur les sujets les plus sensibles, c’est à
dire ceux qui donnent lieu à des débats et des choix sociétaux, la plupart des acteurs sociaux de ces
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Jeudi 21 mars 2013
débats partis politiques, industriels, ONG, parfois scientifiques - n’ont pas pour objectif d’aider la
population à débattre de manière argumentée mais de l’emmener dans la direction de leur choix. Ils
adoptent un discours qui relève de la propagande et non de la pédagogie ou du débat argumenté.
Nous sommes dans un jeu dans lequel nous observons des acteurs qui fabriquent du faux. Je parle
ici aussi des industriels et de certains scientifiques. Des chercheurs comme Naomi Oreskes l'a
établi, ont pu être entraîné dans cette dérive, même s'ils sont très minoritaires. On l’a constaté avec
le climato-scepticisme: certains scientifiques fabriquent délibérément du faux ou du non pertinent
de manière à manipuler l'opinion publique.
Toutefois, il faut noter une responsabilité écrasante des hommes et femmes politiques à ce
sujet. Malheureusement, très souvent, les responsables politiques interviennent sur des dossiers
scientifiques et techniques dans un objectif politique à court terme, ce qui se traduit par des
simplifications abusives ou des omissions volontaires d'informations cruciales. J’ai toujours été
frappé du fait qu’il y ait très peu de politiciens qui assument les choix technologiques (de politique
énergétique par exemple) qu’ils prennent. Je n’ai jamais vu un député expliquer à ses électeurs
pourquoi il fallait suivre une orientation particulière pour l’électricité, comment la loi a décidé de
gérer les déchets nucléaires, etc. Ces questions sont traitées par le silence ce qui induit
l’incompréhension de la population. C’est un résultat classique de sociologie que la confiance ou la
défiance de l’opinion publique sont indéxées sur la confiance des citoyens envers leurs élus et le
gouvernement. Vous savez que ce niveau de confiance est aujourd’hui très bas. Aujourd’hui les
citoyens ne font plus confiance aux politiques sur ces sujets souvent très peu traités par les
responsables politiques. L’OPECST en est un exemple : il n’y a pas beaucoup de parlementaires
volontaires pour participer.
2ème question : « Suffirait-il de transposer en France le Science Media Center - considéré en
Europe comme un véritable modèle (puisque même les Allemands veulent en créer un) pour
qu’enfin les scientifiques communiquent mieux et que les journalistes informent sur la science de
façon suffisante et satisfaisante ? »
Une structure de ce type ne pourrait pas améliorer à elle seule la situation. Si une telle
structure devait voir le jour, elle devrait se prémunir d’un certain nombre de dérives. Les discours
de certains scientifiques, et surtout ceux qui animent des institutions, sont en décalage avec les
attentes de la société. Ils partagent souvent l’idée que le progrès social dérive directement de la
science, des technologies. Cette idée provient du 19ème siècle mais a été renforcé au cours des 30
glorieuses. Même si elle comporte une part de vérité, elle n’a plus cours dans notre société sous une
forme aussi simpliste. Ces scientifiques pensent donc souvent qu’il y aurait une ignorance à
dissiper. Pour eux, la solution relève de la pédagogie les scientifiques eux mêmes auraient un
rôle cisif puisqu’ils seraient porteurs du message à diffuser. Dans ce discours, les vertus morales
supposées de la science sont mises au service de l’acceptation sociale de la technologie. Ce discours
est souvent repris par les diverses institutions scientifiques et des académies.
Nous avons déjà eu une sorte de mini Science Media Center en France dans les années 90
qui s’appelait « Science Contact», une structure mixte Cité des Sciences/ Académie des sciences
qui fonctionnait comme une interface entre journalistes et scientifiques sur la base d’un panel de
scientifiques choisis exclusivement par l’Académie des sciences. Si un Science Media Center devait
voir le jour en France, il faudrait garantir une concertation avec plusieurs acteurs, et pas seulement
une institution comme l'Académie des sciences, et sa direction devra comporter des acteurs sociaux
différents, y compris des représentants des journalistes. L’AJSPI est volontaire pour y participer.
M. Hervé Razafimahaléo :
Quant est-il du financement du Science Media Center ? Le Science Media Center de
Londres autorise des dons à hauteur de 5% du montant total…
M. Sylvestre Huet :
Le problème se niche dans le niveau de défiance envers les industriels qui sont soupçonnés
d’utiliser le message scientifique comme justification de leur utilisation des technologies. Dès lors
que vous aurez un financement de ce type, vous aurez la suspicion du public. Le minimum serait un
financement public même si ça ne garantit pas la confiance. Ainsi, moins de la moitié des Français
ont confiance dans l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, alors que sa compétence ne
peut être mise en doute et que cet organisme est depuis 2006 indépendant du CEA, avec une ligne
budgétaire autonome, entièrement publique.
M. Hervé Razafimahaléo ?
Et si nous prévoyons le plafonnement des financements de chacun ?
M. Sylvestre Huet :
Nous ne sommes pas dans le rationnel. Même si il y a une dilution de chacun des grands acteurs,
c’est le fait même qu’il y ait un financement d’un Areva, EDF, Total qui ruinera la confiance du
public.
M. Jean Pierre Leleux :
Comment rétablir la confiance et la crédibilité ?
M. Sylvestre Huet :
Il n’y a pas de solution rapide à cette question, elle exige une pratique longue. Il faut que les
acteurs fassent la démonstration de leur indépendance. Cela se heurte à des expériences passées.
L’IRSN paye encore les mauvaises pratiques de M. Pellerin de 1986
2
.qui a caché les valeurs
extrêmes de contamination derrière des moyennes rassurantes, ou s'est exprimé sur les causes de
l'accident de Tchernobyl et le nombre de victimes en URSS alors qu'il n'était ni habilité ni
compétent pour le faire, ce qui l'a conduit à déclarer le 29 avril, par exemple “il y a certes un
problème d'hygiène publique mais pas de réel danger, et certainement pas plus loin que 10 à 20 km
au nord de la centrale”. La confiance ne se décrète pas, elle s’obtient au bout d’un long effort et il
est très facile de la perdre.
Troisième question : « S’agissant de la télévision, le rapport Birraux-Le Déaut (L’innovation à
l’épreuve des peurs et des risques) a préconisé la création d’une chaîne thématique consacrée à la
science. Une telle solution paraît-elle plus crédible qu’une obligation d’informer, inscrit sur les
cahiers des charges, et dont le non-respect serait sanctionné financièrement ? Les chaînes
françaises ont-elles les moyens techniques, et la volonté de produire des émissions de qualité
analogues à celles de la BBC ? »
Le secteur public de l’audiovisuel peut se voir assigner une ambition dans le domaine de la
CST par le gouvernement. Pour accroitre le volume et la qualité des émissions de CST sur les
chaines hertziennes, plutôt qu’un illusoire respect des cahiers des charges qui est facile à
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M. Huet fait certainement allusion au nuage de Tchernobyl.
contourner -, un collègue me suggère que la meilleure solution serait un fonds de soutien pour de
développement de ces programmes. Cela existe déjà, comme les bourses de coproduction d’Estime
Numérique via le grand emprunt, gérées par Universcience. Il faut favoriser la production de
programmes scientifiques.
Les quotas ne sont pas judicieux car il est facile de “faire semblant” de proposer des
émissions scientifiques. Et ce, même si il y a des sanctions. Il est très facile de faire passer des
émissions comme scientifiques alors qu’elles ne le sont pas comme l’émission des frères
Bogdanoff. Il vaudrait mieux favoriser le soutien à des émissions qui ont une ambition culturelle
réelle.
Pourquoi ne pas faire une chaine thématique, si ce n’est pas une alternative au besoin de
science sur les chaines généralistes ? Il faudrait par ailleurs prendre en compte l’évolution
économique et l’utilisation des technologies (web, tablettes, etc.). On pourrait favoriser des
productions qui ne se limitent pas au traditionnel « 52 minutes» comme des formats courts visant
une diffusion large, notamment auprès des publics jeunes de plus en plus branchés web et de moins
en moins télévision. Il faut prendre cet aspect en compte. Universcience a commencé à travailler
dessus, notamment avec les WebTV et les formats courts. Je pense que c’est ça qu’il faut
encourager. Ces émissions sont diffusées sur le Web. On peut aussi imaginer que l’éducation
nationale utilise ces matériaux pour l’animation des cours.
M. Hervé Razafimahaléo :
Cela nécessiterait un équipement ?
M. Sylvestre Huet :
Pas vraiment, les lycées sont déjà équipés, il y a déjà des ordinateurs. Les jeunes ont aussi
déjà leur ordinateur. Sur cette question de l’audiovisuel scientifique, il faut avoir une vision large
des possibilités de diffusion : la radio, le cinéma, les expositions etc.
Question quatre : « Vous semble-t-il possible et souhaitable d’imposer des cours de culture
scientifique et technique aux étudiants journalistes généralistes ?
L’Etat n’a pas les moyens d’imposer un contenu aux formations, mais le ministère de
l'Enseignement supérieur et de la recherche peut parfaitement discuter avec les universités qui
proposent des formations de journalistes sur le contenu de ces formations. Je fais des interventions à
Paris Diderot, à l’ESJ à Lille, à Science po, à Montpellier, mais il s’agit souvent de trois heures en
fin d’année. Il s’agirait plus d’une sensibilisation qu’une réglementation qui serait contraire avec le
discours général sur l’autonomie des établissements.
Cinquième question : « Quelles appréciations portez-vous sur les politiques poursuivies en matière
de culture scientifique et technique ? Sont-elles des outils efficaces permettant : le redémarrage de
l’ascenseur social, l’accès à la culture des publics profanes, une meilleure formation des étudiants
et des salariés en vue d’accroître la compétitivité de la France ? »
Le problème central de la diffusion de la CST est l’objectif qu'on lui assigne.
Le discours récurrent depuis une vingtaine d’année sur la désaffection des jeunes pour les filières
scientifiques, sur la méfiance accordée aux technologies est simpliste et même faux. Il n’y a pas de
désaffection des étudiants envers les formations scientifiques d’une manière générale. Il y a moins
d’étudiants qui s’inscrivent en licences de Maths, de Physique et de Chimie. Mais, au total, si vous
prenez tous les jeunes qui sont en classes préparatoire, en médecine etc., ils sont aussi voire plus
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