De la pragmatique du langage à l’interaction sociale
Pour une reformulation du modèle d’Austin
Alain Eraly
Université libre de Bruxelles
On connaît la théorie des actes de langage d’Austin
. Selon le philosophe
d’Oxford, toute énonciation, par exemple « je laisserai la clé sous le paillasson », recouvre
trois actes différents :
1. Un acte locutoire (ou locution), c’est-à-dire la mise en œuvre d’un lexique et
d’une syntaxe afin de produire une phrase qui articule des référents (je, la clé, sous le
paillasson).
2. Un acte illocutoire (ou illocution), c’est-à-dire l’action conventionnelle que nous
réalisons en énonçant la phrase (j’avertis, je préviens, je promets de laisser la clé sous le
paillasson).
3. Un acte perlocutoire (ou perlocution), c’est-à-dire l’effet que nous cherchons à
susciter chez autrui par notre énonciation (qu’il sache comment entrer dans la maison,
qu’il cesse de s’inquiéter, etc.).
Classiquement, l’acte locutoire est l’acte que l’on accomplit par le fait de dire
quelque chose. L’acte illocutoire celui que l’on accomplit en disant quelque chose :
promesse, conseil, avertissement, prière, suggestion, affirmation, etc. L’acte perlocutoire
celui que l’on accomplit par le fait de dire quelque chose : convaincre, dissuader,
surprendre, embarrasser, susciter un sentiment, modifier une opinion, etc. Et toute parole
s’analyse comme la combinaison singulière de ces trois actes dans des circonstances
déterminées.
La théorie austinienne des actes de langage, plus ou moins amendée, raffinée,
complétée par des auteurs comme Searle, Vanderveken, Ducrot, Strawson, Récanati, Bach
et Harnish est au cœur de ce qu’on nomme la pragmatique du langage, à savoir l’étude de
l’usage du langage en situation, par opposition à la linguistique qui concerne l’étude du
système linguistique in abstracto, sous l’angle phonologique, morphologique, syntaxique et
sémantique. En gros, on peut dire que la pragmatique a pour objet l’étude de ce qui, dans
la signification d’un énoncé, relève de la situation des locuteurs et non de la seule
structure linguistique de la phrase utilisée. Plus on étudie le langage concret, c’est-à-dire
les paroles en situation, plus la signification des énoncés, et d’abord l’identification des
J.-L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970. Voir aussi : K. Bach & R.M. Harnish, Linguistic Communication and
Speech Acts, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1979; O. Ducrot, Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique,
Paris, Hermann, 1972. Fr. Récanati, La transparence et l’énonciation. Pour introduire à la pragmatique, Paris, Seuil, 1979. J.R.
Searle, Les actes de langage, Paris, Hermann, 1972 ; Sens et expression, Paris, Minuit, 1982. J.R. Searle & D. Vanderveken,
Foundations of Illocutionary Logic, Cambridge, Cambridge University Press, 1985. P.F. Strawson, “Intention and
convention in speech-acts”, The Philosophical Review, 1964.