« Avec sa galerie de personnages à la fois colorés et écorchés, l'œuvre de Michel
Tremblay a toujours oscillé entre le comique et le tragique, entre la dérision et le
pathétique. »
Luc Boulanger
Voir
, du 25 février au 3 mars 1993.
Cette pièce en deux actes de Michel Tremblay, créée en 1968, réunit quinze
femmes dans un quartier populaire de Montréal.
Quinze amies et parentes de Germaine Lauzon, heureuse lauréate d'un million
de timbres primes qui, une fois collés dans des carnets collecteurs, lui offriront des
promotions sur des biens de consommation courante. Cette assemblée de femmes
se retrouve donc un soir dans la cuisine de Germaine afin de l'aider à coller ses
timbres providentiels.
La particularité de ce texte réside, en premier lieu, dans son langage puisqu'il est
entièrement en « joual », ce dialecte populaire québécois. Bien qu'il puisse être
quelque peu déroutant au tout début, le lecteur se familiarise très vite avec les
expressions et consonances conférant au texte un indispensable réalisme.
Après un premier acte où les échanges entre toutes ces femmes sont un mélange
de bavardages, commérages, fadaises et niaiseries assez enjoués et fort plaisants, le
deuxième acte va petit à petit basculer pour pénétrer davantage la moelle de cette
tranche de société et planter une atmosphère où les rires deviennent jaunes.
Lentement, le lecteur perçoit la révolte amère et contenue de ces femmes des
quartiers populaires, souvent mal mariées, soumises, enfermées dans leur
condition et n'ayant absolument pas les moyens intellectuels et matériels d'en
sortir.
« Quand t'arrive à quarante ans pis que tu t'aparçois que t'as rien en arrière de
toé, pis que t'as rien en avant de toé, ça te donne envie de tout crisser là, pis de
toute recommencer en neuf ! Mais les femmes, y peuvent pas faire ça… Les
femmes, sont poignées à'gorge, pis y vont rester de même jusqu'au boute ! »
Et dans cet état d'esprit de femmes aigries, jalouses et insatisfaites, la réunion
dégénère pour devenir incontrôlable et bouleversante.
Le lecteur sort de cette lecture mal à l'aise, presque un peu coupable d'avoir
souri et même ri au début car comme le déclarait Michel Tremblay, lui-même,
cette pièce est “effrayante”. Il disait aussi :
« Regardez bien ! C'est comme ça ! C'est
aussi pire que ça ! »
Il nous présente ainsi l'univers de son enfance, sans aucune
complaisance.
Le livre reprend, en postface, nombre de commentaires et critiques parus dès sa
création. J'ai pour ma part trouvé très intéressants les propos de Jean-Claude
Germain (écrivain, journaliste et critique dramatique québécois) sous le titre “J'ai
eu le coup de foudre” dont voici un extrait :