ANNEXE IV Dossier : La pièce Germaine Lauzon convie quatorze

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ANNEXE IV
Dossier : La pièce
1.
Germaine Lauzon convie quatorze femmes de son entourage à une corvée de
collage de timbres primes qu'elle vient de gagner. Elles apprennent alors qu'une
fois les carnets remplis, Germaine pourra choisir de les échanger contre des
cadeaux illustrés dans un catalogue. Elle ne se doute pas tout à fait qu'elle va
déclencher un débordement de frustration et de jalousie chez ses voisines. Cette
satire sociale et politique, qui donne pour la première fois la parole aux femmes
du milieu ouvrier montréalais des années 1960, est un tournant de la dramaturgie
québécoise.
La pièce dépeint la réalité de femmes de l'époque, marquées par la religion (elles
s'agenouillent toutes devant la radio pour réciter le chapelet et les activités
quotidiennes (elles en font une complainte en énonçant leurs tâches ménagères
hebdomadaires, pour conclure qu'elles mènent « une maudite vie plate »). Tour à
tour, elles viennent à l'avant-scène pour montrer leur jalousie (Marie-Ange),
dénoncer l'appétit sexuel d'un mari à qui elles ne peuvent dire non quand il vient
« réclamer son dû » (Rose) ou encore livrer leur inquiétude face à l'avenir
(Pierrette).
Les Belles-Soeurs n’ont rien perdu de leur cote du temps. Leur pertinence, leur
sensibilité et leurs propos ont traversé les années sans s’affaiblir. Ici, comme dans
plusieurs pays, elles brillent encore.
«La pièce a vieilli et grandi avec la génération qui l’a ‘amenée’ au monde. On la
monte encore beaucoup à l’étranger. Si on laisse de côté les théâtres
institutionnels, Les Belles-Soeurs restent encore aujourd’hui une des oeuvres les
plus jouées dans les théâtres amateurs et dans les milieux scolaires», explique Yves
Jubinville, professeur à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM et auteur d’essais.
Les baby-boomers, qui avaient presque 20 ans à la création des Belles-Soeurs, ont
été parmi les premiers à voir et à réagir à cette pièce. À cette époque, Michel
Tremblay (auteur) et André Brassard (metteur en scène) n’étaient d’ailleurs pas
tellement plus vieux.
«C’est la pièce à travers laquelle cette génération s’est retrouvée dans son refus
d’une certaine forme d’identité, tout en revendiquant certaines choses aussi de
cette identité. Il y a un rapport d’amour-haine avec le monde de Tremblay, ça
colle avec les contradictions de cette génération à la fin des années 1960», précise
monsieur Jubinville.
LA RÉSURRECTION DU JOUAL
2.
Comme ces femmes, les baby-boomers souhaitaient être libres, sortir d’un certain carcan,
notamment des diktats de la religion catholique, mais ne parlaient pas le joual qui
renaissait sur les planches.
«C’est la langue parlée de la classe ouvrière montréalaise, elle est décollée du terroir,
urbanisée avec des tournures de phrase parfois empruntées à l’anglais, elle est abâtardie et
impure, c’est pour ça qu’on l’a rejetée au premier abord», poursuit-il.
Toujours selon l’auteur, qui fera paraître l’an prochain Les Belles-Soeurs, une édition
critique de la pièce, le joual tel que représenté dans son oeuvre appartenait déjà au milieu
des années 1960 à un autre moment de l’histoire.
«C’est la langue que la mère de Tremblay lui a léguée et qu’il entendait quand il était
enfant. Bien sûr, je ne crois plus qu’il soit possible de l’entendre aujourd’hui ailleurs qu’au
théâtre.»
En se pointant le nez sur la scène du Rideau Vert il y a 40 ans, ces Belles-Soeurs ravivaient
donc un vieux débat linguistique qui avait déjà fait jaser dans le passé.
«L’intérêt de la pièce ne se situait pourtant pas tant dans le sens de la langue, mais sur ce
que ça disait sur l’état de la société, sur la façon dont les Québécois avaient tendance à se
voir, à se représenter. C’est une réaction contre une image peut-être embellie que les
Québécois commençaient à avoir d’eux-mêmes.»
DES RÉACTIONS D’AMOUR
Le soir de la première, la plupart des spectateurs ont aimé la proposition, ri et pleuré avec
ces quinze femmes. D’après le professeur, c’est souvent ceux qui n’avaient pas vu la pièce
qui la jugeaient le plus durement… Les critiques l’ont louangée, à l’exception de Martial
Dassylva, de La Presse, qui a changé son fusil d’épaule deux ans plus tard.
«Ça a modifié quelque chose dans le théâtre québécois, ça a donné une nouvelle façon de
concevoir le théâtre, de l’écrire, ça a obligé les acteurs et actrices à apprendre autrement
leur métier et forcé les auteurs à être plus inventifs dans la manière de concevoir leurs
personnages.»
Si cette pièce a beaucoup marqué, c’est aussi parce que c’était une des premières fois
qu’un auteur mettait de l’avant autant d’actrices au théâtre.
Après, faute d’offres, la plupart de ces actrices ont abandonné le métier, gardant vivant le
souvenir de cette production qui fait encore jaser.
3.
Revue de presse
« Au mois d'août 1968 […] la pièce la plus commentée, la plus controversée, la
plus décriée, la plus louangée, la plus et tout et tout du répertoire québécois
débutait sa carrière et ouvrait simultanément une nouvelle voie aux dramaturges
du cru. » Nuit Blanche, n°33, automne 1988.&r
« Puissance du texte […] une langue miroir à la fois vraie et littéraire dans laquelle
se réfléchit la servitude et la prise de conscience difficile d'un peuple. On ne parle
bien de personnalité et de liberté que quand on a le courage de "se voir". »,
Jacques Cellard, Le Monde, 25-26 novembre 1973.&r
« Chef-d'œuvre en effet que Les belles-sœurs de Michel Tremblay, sur les trois
plans de l'intelligence, de la sensibilité et de l'écriture.[…]Sur le plan de
l'intelligence, Les belles-sœurs est, je crois, un des premiers véritables regards
critiques qu'un dramaturge québécois jette sur la société québécoise. Sur le plan de
la sensibilité, le monde de Michel Tremblay est d'une justesse et d'une acuité qui le
classe immédiatement parmi les véritables artistes. Sur le plan de l'écriture, la pièce
est la démonstration éclatante que le " joual " employé dans son sens peut prendre
des dimensions dans le temps et dans l'espace qui font de lui l'arme la plus efficace
qui soit contre l'atroce abâtardissement qu'il exprime.[…] Dans ce genre d'œuvremosaïque tout tient dans la manière. Celle de Michel Tremblay est efficace. Temps
morts, temps forts, dialogues rapides, monologues intérieurs qui entrecoupent la
pièce, numéro à "effet", tout s'entremêle et tout se fond. C'est du théâtre
instantané.» Jean Basile, Le Devoir, 30 août 1968.&r
« Tremblay a brossé un saisissant (et tragique) portrait d'une société de l'échec où
une bonne part du Québec et de son histoire de frustrations se trouve condensée
dans le comportement de quinze femmes dans une cuisine. En plus de ce portrait
social, les Les belles-sœurs contiennent une dénonciation politique de la société
basée sur le pouvoir de l'argent […] Le texte des Belles-sœurs demeure, à cet
égard, une grande pièce actuelle. Si le texte apparaît maintenant pas tout à fait
assez resserré, sa grande force lui vient de l'audacieux équilibre maintenu entre le
burlesque et le drame profond, entre la dérision et la tragédie, entre l'hystérie
générale et le désespoir particulier. Ces deux pôles sont respectés, Les belles-sœurs
ont tout pour connaître la pérennité dans le paysage théâtral québécois. » Robert
Lévesque, Le Devoir, 3 avril 1984.&r
« Avec sa galerie de personnages à la fois colorés et écorchés, l'œuvre de Michel
Tremblay a toujours oscillé entre le comique et le tragique, entre la dérision et le
pathétique. » Luc Boulanger Voir, du 25 février au 3 mars 1993.
4.
Cette pièce en deux actes de Michel Tremblay, créée en 1968, réunit quinze
femmes dans un quartier populaire de Montréal.
Quinze amies et parentes de Germaine Lauzon, heureuse lauréate d'un million
de timbres primes qui, une fois collés dans des carnets collecteurs, lui offriront des
promotions sur des biens de consommation courante. Cette assemblée de femmes
se retrouve donc un soir dans la cuisine de Germaine afin de l'aider à coller ses
timbres providentiels.
La particularité de ce texte réside, en premier lieu, dans son langage puisqu'il est
entièrement en « joual », ce dialecte populaire québécois. Bien qu'il puisse être
quelque peu déroutant au tout début, le lecteur se familiarise très vite avec les
expressions et consonances conférant au texte un indispensable réalisme.
Après un premier acte où les échanges entre toutes ces femmes sont un mélange
de bavardages, commérages, fadaises et niaiseries assez enjoués et fort plaisants, le
deuxième acte va petit à petit basculer pour pénétrer davantage la moelle de cette
tranche de société et planter une atmosphère où les rires deviennent jaunes.
Lentement, le lecteur perçoit la révolte amère et contenue de ces femmes des
quartiers populaires, souvent mal mariées, soumises, enfermées dans leur
condition et n'ayant absolument pas les moyens intellectuels et matériels d'en
sortir.
« Quand t'arrive à quarante ans pis que tu t'aparçois que t'as rien en arrière de
toé, pis que t'as rien en avant de toé, ça te donne envie de tout crisser là, pis de
toute recommencer en neuf ! Mais les femmes, y peuvent pas faire ça… Les
femmes, sont poignées à'gorge, pis y vont rester de même jusqu'au boute ! »
Et dans cet état d'esprit de femmes aigries, jalouses et insatisfaites, la réunion
dégénère pour devenir incontrôlable et bouleversante.
Le lecteur sort de cette lecture mal à l'aise, presque un peu coupable d'avoir
souri et même ri au début car comme le déclarait Michel Tremblay, lui-même,
cette pièce est “effrayante”. Il disait aussi : « Regardez bien ! C'est comme ça ! C'est
aussi pire que ça ! » Il nous présente ainsi l'univers de son enfance, sans aucune
complaisance.
Le livre reprend, en postface, nombre de commentaires et critiques parus dès sa
création. J'ai pour ma part trouvé très intéressants les propos de Jean-Claude
Germain (écrivain, journaliste et critique dramatique québécois) sous le titre “J'ai
eu le coup de foudre” dont voici un extrait :
« Les Belles-sœurs, ce n'est ni une pièce comique, ni une pièce dramatique : c'est
une pièce qui grince entre les deux. Pour Germaine, c'est peut-être un drame de
perdre ses timbres primes, mais pour nous, le drame c'est d'en être réduit à la
condition de Germaine. »
5.
Germaine Lauzon a gagné 1 million de timbres promotionnels, et les livrets pour
les y coller. Elle projette d’acquérir grâce à eux un tas de mobilier dans le
catalogue joint. Elle est très contente, Germaine. Elle compte faire d'une pierre 2
coups en conviant ses voisines, sœurs, belles-sœurs etc. à venir l'aider à coller les
timbres dans sa cuisine, tout en parlant de tout et de rien autour d'une liqueur.
Mais voilà toute la nature humaine qui se révèle au cours de cette soirée !....
Truculent !! Non mais sérieusement, je me serais crue dans le milieu de mon
enfance.
Imaginez un clan de polonais implantés dans le Pas-de-Calais, même époque, fin
des années 60. Les hommes sont à la mine, les femmes se reçoivent les unes les
autres sous divers prétextes et c'est la même chose ! Remplacez le joual par le
patois du Nord... Impayable ! Cruel ! Abject ! Adorable ! Pitoyable ! Tout y est.
En plus cette édition comprend des photos des actrices ayant interprété les rôles,
une introduction d'Alain Pontaut (que j'ai trouvée très pompeuse !) et à la fin
diverses critiques parues ça et là dans la presse....
Un régal je vous dis.
Même et surtout si ce qui vous en reste en le refermant c'est un rictus désabusé...
6.
Un nouveau théâtre : Les belles-soeurs de Michel Tremblay
« Après tant et tant de cadavres empilés sur les scènes de la métropole par des
acteurs sans vie agités par des metteurs en scène sans âme, voici qu'un grand
souffle nous parvient du Rideau-Vert qui ouvre une saison sur ce qu'il faut appeler
un chef-d'oeuvre ».
Jean Basile dans Le Devoir, 30 août 1968.
Une dramaturgie québécoise voit le jour
L'activité théâtrale au Québec s'intensifie après la Deuxième Guerre mondiale. Les
troupes professionnelles et semi-professionnelles se multiplient et des créations
originales sont réalisées. Selon plusieurs, on assiste alors à la naissance de la
dramaturgie québécoise. Cet élan se poursuit et gagne en ampleur dans les années
1960. À côté du théâtre de répertoire classique, de plus en plus de pièces d'auteurs
québécois sont présentées. Très peu d'entre elles abordent la vie quotidienne des
personnes de condition modeste, thème de prédilection d'un auteur comme
Gratien Gélinas (Tit-Coq, 1948; Bousille et les justes, 1960). La pièce Les bellessoeurs de Michel Tremblay, présentée pour la première fois le 28 août 1968 au
théâtre du Rideau Vert dans une mise en scène efficace d'André Brassard, ramène
les milieux populaires sur le devant de la scène.
Une tragédie version « classe populaire »
L'action de cette histoire singulière se déroule au printemps de 1965. Germaine
Lauzon, une mère de famille d'un quartier populaire de Montréal, gagne un
million de timbres-primes qui, une fois collés dans des livrets, lui permettront
d'obtenir les meubles et les accessoires dont elle rêve depuis longtemps. Elle convie
donc des femmes de sa famille et du voisinage à une séance de collage de timbres.
À mesure que la pièce avance, que nous découvrons la condition de chacune des
14 femmes venues chez Germaine, la comédie tourne progressivement à la
tragédie. Elle se clôt par le pillage des timbres-primes et d'autres biens de
Germaine par ses invitées.
Une pièce culte du théâtre québécois
Tableau cruel, dur et sans complaisance du milieu ouvrier montréalais, la comédie
dramatique Les belles-soeurs cause la commotion chez le public. Elle choque les
âmes sensibles qui y voient une oeuvre vulgaire et un éloge du joual et du sacre.
Sur ce dernier point, un journaliste écrit : « C'est la première fois de ma vie que
j'entends en une seule soirée autant de sacres, de jurons, de mots orduriers de
toilette ». Mais pour la majorité des spectateurs et des critiques, Les belles-soeurs
sont une révélation. Enthousiaste, Jean-Claude Germain dit de cette pièce qu'elle
marque la naissance du nouveau théâtre québécois. Son impact est de même
nature que celui provoqué par les pièces Tit-Coq de Gratien Gélinas dans les
années 1940 et Zone de Marcel Dubé dans la décennie suivante. Et dire que cette
oeuvre a été rejetée à l'unanimité par le jury du Festival d'art dramatique du
Canada en 1966. Traduite en anglais, en allemand, en italien, en polonais, en
yiddish et en une quinzaine d'autres langues, la pièce est jouée un peu partout
dans le monde.
DOSSIER
LA PIÈCE
1. Quelle était l’intention de Michel Tremblay lorsqu’il a écrit Les belles-sœurs,
que voulait-il que les spectateurs comprennent? Quel message voulait-il
transmettre?
2. Quelle particularité de langue la pièce offre-t-elle? Pourquoi Michel
Tremblay utilise ce registre de langue?
3. Quel est le sujet de la pièce?
4. Qui sont les personnages
Qu’évoquent-ils?
des
belles-sœurs?
Que
représentent-ils?
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