1
En attendant l’ambassadeur
Les persans ignorant tout des consignes fixées à Paris, se
préparaient déjà à semer les grains de leurs rêves et de leurs espoirs
aux pieds de cet ambassadeur aux mains liées, mais tant désiré !
L’attente semblait si longue qu’elle incarnait de loin ce petit poème
français : « un seul être me manque et tout est dépeuplé » ! En effet
l’impatience du Roi et de son ministre pour rencontrer cet auguste
hôte, était telle qu’avant même que le Comte de Sercey mette le
pied sur le sol de la Perse, déjà Mohamad Shah commençait à louer
les qualités, la silhouette et les vertus de son ambassadeur. Voici
l’extrait d’une lettre du Roi à l’ambassadeur Félix Edouard Comte
de Sercey, avant de l’avoir rencontré :
« Personnage illustre et puissant, doué de sagacité et de perspicacité, de
vigueur et d’énergie, colonne des grands du peuple de Messie, crème des
hommes illustres de la nation de sus, grand ambassadeur du bel empire de
France, honoré des faveurs toutes particulières de notre cœur rempli de
bienveillance, saura que lorsque la nouvelle de sa nomination au poste
d’ambassadeur et de son arrivée aux frontière de ce puissant Empire nous fut
apportée, vu le parfait accord et la bonne harmonie qui existent entre depuis de
longues années entre les deux empires qui n’on fait que s’affermir graduellement,
ainsi que les rapports présentés à notre Cour sur le comte de Son Excellence, qui
l’annoncent comme un personnage distingué, également pour sa noble extraction
et par sa valeur personnelle, aussi bien que par son habileté dans les affaires,
Notre bienveillance s’est bientôt manifestée à son égard »
1
.
Sercey ne se mit en route que le 30 novembre 1839. Les
persans s’étaient mis en quarte pour recevoir cet auguste hôte, et lui
procurer aide et confort, les persans. L’entourage du Shah se mit à
préparer un « faste oriental ». On dépêcha vers les frontières et en
grande pompe, un illustre « homme d’Etat »
2
accompagné d’une
« suite nombreuse » pour l’attendre et de « lui faire rendre tous les
hommages d’usage »
3
. En plus, on désigna 200 cavaliers pour
qu’ils lui rendent « l’honneur militaire ». Ou encore, on plaça tout
au long de son parcours des serveurs, portant de grands plateaux de
friandises et du sirop ! Même « les chevaux du roi, ce qui ne se
1
- Mohamad Shah à Sercey, novembre 1839, in : Une Ambassade Extraordinaire,
op. cit. p. 118
2
- Nazar Ali Khan.
3
- Marius Outrey au au Maréchal Dalmatie : « Concernant un envoyé du Roi en
Perse », 26 Novembre 1839, do. No.41 (Trébizonde, Cor. Consl.)
2
faisait pas habituellement, avaient été envoyés pour toutes les
personnes de l’ambassade»
4
.
Dans son voyage, Sercey était accompagné de Maxime le fils de
Marius Outrey le consul de Trébizonde, qui avait étudié le persan
en Turquie, et puis d’un nommé Lambert en tant que secrétaire,
d’un médecin nommé Lachèse, de Casimirski de Bibersteine jeune
orientaliste polonais, du Capitaine Daru attaché à la Ministère de la
Guerre, de Pascal Coste architecte, qui a laissé un rapport inédit et
fort important
5
et d’ Eugène Flandin peintre qui donna plus tard
un récit détaillé de son voyage
6
, Parmi la suite de l’ambassadeur,
figurait aussi un missionnaire nommé Scafi qui allait jouer un rôle
important dans l’implantation des écoles des missionnaires
catholiques en Perse.
Il va sans dire que l’arrivée de cet ambassadeur
« extraordinaire », constituait un grand évènement pour les persans.
A peine avait-il mis le pied sur le territoire, qu’un officier de la
Cour
7
se présenta devant lui en tant que maître de cérémonie, muni
d’une lettre de Mohamad Shah, dans laquelle, le roi, emporté par un
élan d’enthousiasme, et dans un style fleuri, composée presque en
une seule phrase, souhaitait la bienvenue à l’ambassadeur Comte
de Sercey. L’accueil était tellement chaleureux, qu’un témoin
français notait : « il faut dire à la louange du cabinet persan », qu’il
réserva à Sercey « le traitement de la nation la plus favorisée »
8
.
Arrivé à Tauriz (Tabriz) en 1839, Sercey fut bloqué par une
neige abondante. Le prince gouverneur (Kamran Mirza), impatient
de rencontrer l’envoyé de France, lui dépêcha un message, dans un
style romantique, afin qu’il retarde d’un jour son part, à cause de
la neige. En voici un extrait : « Les roses de l’amitié souffrirait de la
tempête. Les fleurs de nos cœurs se flétriraient au souffle des
vent », ce qui voulait dire tout simplement qu’il était dangereux de
prendre la route sous la neige!
A Tauriz, l’ambassadeur se trouva confronté à quelques
difficultés cérémoniales. Le gouverneur de la ville lui demanda
4
- A.H. : « Ambassade de France en Perse », in : Revue de L’Orient, tome II, 1843,
p. 100.
5
- « Rapport de monsieur Pascal Coste architecte sur la mission scientifique en
Perse 1840 », (Perse, moires et documents).
6
- Eugène Flandin : Voyage en Perse, Paris, 2 volumes, Librairie Editeur, 1850.
7
- Shah Abbas Khan
8
- A.H. : « Ambassade de France en Perse », Revue de l’Orient , tome II, 1843, p.
100
3
d’enlever ses bottes avant d’entrer dans la salle d’audience. Sercey
refusa en arguant que « le roi de France avait reçu l’envoyé du Shah
9
et sa suite, le bonnet sur la tête, quoique ce soit tout à fait contraire
aux usages européens. La France peut donc, à son tour recevoir
l’ambassadeur français et ses attachés avec leurs bottes »
10
. Les
persans bien que un peu choqués, durent respecter le choix de
Sercey et on n’en parla plus. Ou encore, fatigué déjà par le voyage,
il ne trouvait pas un moment pour se reposer. Car, il était à tout
moment entouré par des « curieux » qui venaient le
« complimenter » sur son arrivée
11
.
Au cours de son séjour à Tauriz, l’ambassadeur, suivant les
consignes de son gouvernement, se renseigna sur la population de
la ville, qui d’après certains témoins, s’élevait à 800,000 habitants
« tant chrétiens que musulmans et qui vivaient en fort bonne
intelligence »
12
. Cette constatation importante, ainsi que nous allons
voir, l’encouragera un peu plus tard, à solliciter du Shah, un
firman, reconnaissant l’égalité des droits entre les sujets chrétiens
et musulmans, dont nous avons reproduit dans les pages
précédentes.
Cependant Sercey venait de constater avec une certaine
amertume que les diverses sectes chrétiennes « se faisaient une
guerre acharnée » et que les catholiques moins nombreux que les
autres étaient souvent « victimes de la jalousie de la haines des
schismatiques »
13
. Sachant « qu’il n’y avait pas beaucoup à craindre
de la versatilité du caractère persan » , il avait acquis la certitude,
qu’à Tauriz, les français pourraient facilement fonder non
seulement des écoles mais aussi « des établissements fort
avantageux au commerce français »
14
. Par contre « le détachement
des officiers et des sous-officiers en plein mésintelligence » »
installés à Tauriz avant l’arrivée de Sercey lui suscitaient des craintes
9
- Mirza Hosseyn Khan Adjoudan Bachi que nous avons déjà cité dans les pages
précédentes
10
- E. Flandin : Voyage en Perse, op. cit. p. 203.
11
- Sercey : Une ambassade, op, cit, p. 123.
12
- ibid, p. 132. Cependant, étant donné qu’à cette époque la population de la
Perse ne dépassait guère, 6 millions d’âme, il est certain que le chiffre donné à
Sercey était erroné.
13
- ibid.
14
- « La mission de Monsieur de Sercey en 1840 », (Mémoires et document).
4
«pour l’avenir
15
». Il sollicita donc au Shah un nouveau contrat en
1840.
Sercey arriva à Téhéran le 7 mars 1840, accompagné d’Eugène
Flandin et de Pascal Coste, alors que le Shah se trouvait à
Ispahan, en conflit avec les chefs religieux
16
.En attendant la
rencontre, on l‘amena visiter le palais de Négarestan, pour faire
revivre encore une fois le souvenir de Napoléon. En effet, dans une
salle, au milieu des jardins, on pouvait contempler « des peintures
représentant Fath Ali Shah, recevant les hommages des
ambassadeurs » de l’empereur, notamment « le général Gardane
ainsi que les personnes attachées à son ambassade »
17
.
Mohamad Shah attendait son ambassadeur avec beaucoup de
ferveur. Il lui promettait d’avance de recevoir toutes ses demandes :
« Que votre Excellence sache aussi qu’en attendant le moment de
sa présentation, Elle pourra nous faire savoir ses demandes et
qu’elles seront accueillies avec une parfaite bienveillance »
18
La lettre du Premier Ministre, était encore plus éloquente et
plus lyrique. On aurait dit Mirza Agassi attendait plutôt un messie
et non point un ambassadeur ! En voici un extrait:
« Tant que le courrier du firmament de la marche fortunée, (je veux dire le
Soleil), jettera par l’ordre du créateur la lumière sur le ténèbres du couchant
puisse le palais aux colonnes solides de l’empire être éclairé par le flambeau de
votre personne … pleine d’illustration, de force de gloire et de splendeur … dans
très peu de temps nous participerons au bonheur de vous voir et de vous
exprimer nos sentiments… Quoique vous m’aviez écrit que vous aviez le désir
de nous voir, il est impossible que le désiriez plus que moi. Quelque hâte que
vous mettiez à nous arriver, ce sera toujours trop tard pour moi ! »
19
.
Sur la route d’Ispahan, plusieurs fêtes furent organisées en
honneur de l’ambassadeur de France. La réception était
accompagnées des dîners copieux, arrosées du « vin de Georgie »,
suivies des feux d’artifice, et l’arrivée des « poètes populaires » qui
venaient chanter des vers »
20
en honneur de l’ambassadeur. A son
arrivée à Ispahan pour se rendre au campement du Shah « toute les
15
- « Situation des officiers et de sous officiers français autorisés à prendre le
service en Perse », (Perse, Mémoires et documents, M.A.E.F.).
16
- Marius Outrey à Louis Adolphe Thiers [nommé pour la 2e fois en 1840,
ministre des Affaires Etrangères], 12 mai 1840 (Trébizonde, Cor. Pol. doc. no. 20).
17
- Sercey : Une ambassade.., op. cit. p. 201.
18
- Mohamad Shah à Sercey, Ispahan, début février 1840.
19
- Sercey: Une ambassade, op. cit. p. 204-205.
20
- ibid, p. 208.
5
troupes étaient rangées en bataille» pour lui souhaiter la bienvenue.
Le troisième jour de Shah le reçut cordialement, et parla surtout de
l’animosité des anglais envers le peuple persan. Mais sur ce sujet
épineux et pour ne pas trahir les « les consignes » de Dalmatie,
Sercey garda le silence, au dépend de l’enthousiasme débordant des
persans à son égard. Mais comment pouvait-il se montrer
impassible quand il entendait les membres du gouvernement
répéter sans cesse : « Les persans sont les français de l’Orient »! Il
allait aussi constater que qu’ils n’ n’étaient pas non plus « ennemis »
des usages occidentaux « contrairement aux autres peuples » de
lOrient et ne ressentaient aucune « antipathie pour les coutumes
européens »
21
.
Concernant sa première rencontre avec le Shah, Sercey
témoignait : « Nous fûmes enchantés de la manière toute gracieuse
dont nous étions reçus par la cour de Perse ». En effet, peu de
temps après le Shah attribua à Sercey le titre honorifique de Khan é
kabir (le grand seigneur). A son tour, le premier ministre le
surnommait : « le plus beau bouquet de la nation chrétienne » !
Dans ses articles satiriques envoyés en France, l’ambassadeur tout
en imitant le style fleuri de Mirza Agassi, concluait ainsi son
rapport : « Au revoir! La rose de votre souvenir sera toujours fleurie
dans le jardin de mon coeur, et j’espère quel la neige de l’oubli ne
couvrira jamais la terre de votre mémoire » ! Signé : « Sercey Khan»
22
.
Malgré cet accueil chaleureux, bien qu’il avait beaucoup
d’estime pour le gouvernement persan, Sercey, ainsi que nous
avons signalé se trouvait de temps à autres, dans une situation
inconfortable. Par exemple, le premier ministre ne cessait d’insulter
le anglais, allant jusqu’à déclarer dans un ton sarcastique : « qu’il
allait envoyer une armée à Calcutta pour s’emparer de la Reine
Victoria et de la livrer à la brutalité de ses propres soldats »
23
. Il
était facile à deviner la perplexité de l’ambassadeur face à de tels
propos !
De même, un traité de commerce fut signé entre les deux pays
en 1839
24
,le gouvernement persan s’engea à octroyer aux
21
- ibid, p. 252-253.
22
- « Notre ambassade en Perse », Le Messager, Paris, 4 février 1840 (signé : Sercey
Khan)
23
- ibid, p. 247.
24
- « Note sur le traité de commerce avec la Perse 1839 », (Mémoires et documents,
tome 11).
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