En attendant l`ambassadeur

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En attendant l’ambassadeur
Les persans ignorant tout des consignes fixées à Paris, se
préparaient déjà à semer les grains de leurs rêves et de leurs espoirs
aux pieds de cet ambassadeur aux mains liées, mais tant désiré !
L’attente semblait si longue qu’elle incarnait de loin ce petit poème
français : « un seul être me manque et tout est dépeuplé » ! En effet
l’impatience du Roi et de son ministre pour rencontrer cet auguste
hôte, était telle qu’avant même que le Comte de Sercey mette le
pied sur le sol de la Perse, déjà Mohamad Shah commençait à louer
les qualités, la silhouette et les vertus de son ambassadeur. Voici
l’extrait d’une lettre du Roi à l’ambassadeur Félix Edouard Comte
de Sercey, avant de l’avoir rencontré :
« Personnage illustre et puissant, doué de sagacité et de perspicacité, de
vigueur et d’énergie, colonne des grands du peuple de Messie, crème des
hommes illustres de la nation de Jésus, grand ambassadeur du bel empire de
France, honoré des faveurs toutes particulières de notre cœur rempli de
bienveillance, saura que lorsque la nouvelle de sa nomination au poste
d’ambassadeur et de son arrivée aux frontière de ce puissant Empire nous fut
apportée, vu le parfait accord et la bonne harmonie qui existent entre depuis de
longues années entre les deux empires qui n’on fait que s’affermir graduellement,
ainsi que les rapports présentés à notre Cour sur le comte de Son Excellence, qui
l’annoncent comme un personnage distingué, également pour sa noble extraction
et par sa valeur personnelle, aussi bien que par son habileté dans les affaires,
Notre bienveillance s’est bientôt manifestée à son égard »1.
Sercey ne se mit en route que le 30 novembre 1839. Les
persans s’étaient mis en quarte pour recevoir cet auguste hôte, et lui
procurer aide et confort, les persans. L’entourage du Shah se mit à
préparer un « faste oriental ». On dépêcha vers les frontières et en
grande pompe, un illustre « homme d’Etat »2 accompagné d’une
« suite nombreuse » pour l’attendre et de « lui faire rendre tous les
hommages d’usage » 3. En plus, on désigna 200 cavaliers pour
qu’ils lui rendent « l’honneur militaire ». Ou encore, on plaça tout
au long de son parcours des serveurs, portant de grands plateaux de
friandises et du sirop ! Même « les chevaux du roi, ce qui ne se
1-
Mohamad Shah à Sercey, novembre 1839, in : Une Ambassade Extraordinaire,
op. cit. p. 118
2 - Nazar Ali Khan.
3 - Marius Outrey au au Maréchal Dalmatie : « Concernant un envoyé du Roi en
Perse », 26 Novembre 1839, do. No.41 (Trébizonde, Cor. Consl.)
1
faisait pas habituellement, avaient été envoyés pour toutes les
personnes de l’ambassade» 4.
Dans son voyage, Sercey était accompagné de Maxime le fils de
Marius Outrey le consul de Trébizonde, qui avait étudié le persan
en Turquie, et puis d’un nommé Lambert en tant que secrétaire,
d’un médecin nommé Lachèse, de Casimirski de Bibersteine jeune
orientaliste polonais, du Capitaine Daru attaché à la Ministère de la
Guerre, de Pascal Coste architecte, qui a laissé un rapport inédit et
fort important5 et d’ Eugène Flandin peintre qui donna plus tard
un récit détaillé de son voyage6, Parmi la suite de l’ambassadeur,
figurait aussi un missionnaire nommé Scafi qui allait jouer un rôle
important dans l’implantation des écoles des missionnaires
catholiques en Perse.
Il va sans dire que l’arrivée de cet ambassadeur
« extraordinaire », constituait un grand évènement pour les persans.
A peine avait-il mis le pied sur le territoire, qu’un officier de la
Cour7 se présenta devant lui en tant que maître de cérémonie, muni
d’une lettre de Mohamad Shah, dans laquelle, le roi, emporté par un
élan d’enthousiasme, et dans un style fleuri, composée presque en
une seule phrase, souhaitait la bienvenue à l’ambassadeur Comte
de Sercey. L’accueil était tellement chaleureux, qu’un témoin
français notait : « il faut dire à la louange du cabinet persan », qu’il
réserva à Sercey « le traitement de la nation la plus favorisée » 8.
Arrivé à Tauriz (Tabriz) en 1839, Sercey fut bloqué par une
neige abondante. Le prince gouverneur (Kamran Mirza), impatient
de rencontrer l’envoyé de France, lui dépêcha un message, dans un
style romantique, afin qu’il retarde d’un jour son départ, à cause de
la neige. En voici un extrait : « Les roses de l’amitié souffrirait de la
tempête. Les fleurs de nos cœurs se flétriraient au souffle des
vent », ce qui voulait dire tout simplement qu’il était dangereux de
prendre la route sous la neige!
A Tauriz, l’ambassadeur se trouva confronté à quelques
difficultés cérémoniales. Le gouverneur de la ville lui demanda
4-
A.H. : « Ambassade de France en Perse », in : Revue de L’Orient, tome II, 1843,
p. 100.
5 - « Rapport de monsieur Pascal Coste architecte sur la mission scientifique en
Perse 1840 », (Perse, Mémoires et documents).
6 - Eugène Flandin : Voyage en Perse, Paris, 2 volumes, Librairie Editeur, 1850.
7 - Shah Abbas Khan
8 - A.H. : « Ambassade de France en Perse », Revue de l’Orient , tome II, 1843, p.
100
2
d’enlever ses bottes avant d’entrer dans la salle d’audience. Sercey
refusa en arguant que « le roi de France avait reçu l’envoyé du Shah9
et sa suite, le bonnet sur la tête, quoique ce soit tout à fait contraire
aux usages européens. La France peut donc, à son tour recevoir
l’ambassadeur français et ses attachés avec leurs bottes »10. Les
persans bien que un peu choqués, durent respecter le choix de
Sercey et on n’en parla plus. Ou encore, fatigué déjà par le voyage,
il ne trouvait pas un moment pour se reposer. Car, il était à tout
moment entouré par des « curieux » qui
venaient le
« complimenter » sur son arrivée11.
Au cours de son séjour à Tauriz, l’ambassadeur, suivant les
consignes de son gouvernement, se renseigna sur la population de
la ville, qui d’après certains témoins, s’élevait à 800,000 habitants
« tant chrétiens que musulmans et qui vivaient en fort bonne
intelligence »12. Cette constatation importante, ainsi que nous allons
voir, l’encouragera un peu plus tard, à solliciter du Shah, un
firman, reconnaissant l’égalité des droits entre les sujets chrétiens
et musulmans, dont nous avons reproduit dans les pages
précédentes.
Cependant Sercey venait de constater avec une certaine
amertume que les diverses sectes chrétiennes « se faisaient une
guerre acharnée » et que les catholiques moins nombreux que les
autres étaient souvent « victimes de la jalousie de la haines des
schismatiques »13. Sachant « qu’il n’y avait pas beaucoup à craindre
de la versatilité du caractère persan » , il avait acquis la certitude,
qu’à Tauriz, les français pourraient facilement fonder non
seulement des écoles mais aussi « des établissements fort
avantageux au commerce français »14. Par contre « le détachement
des officiers et des sous-officiers en plein mésintelligence » »
installés à Tauriz avant l’arrivée de Sercey lui suscitaient des craintes
- Mirza Hosseyn Khan Adjoudan Bachi que nous avons déjà cité dans les pages
précédentes
10 - E. Flandin : Voyage en Perse, op. cit. p. 203.
11 - Sercey : Une ambassade, op, cit, p. 123.
12 - ibid, p. 132. Cependant, étant donné qu’à cette époque la population de la
Perse ne dépassait guère, 6 millions d’âme, il est certain que le chiffre donné à
Sercey était erroné.
13 - ibid.
14 - « La mission de Monsieur de Sercey en 1840 », (Mémoires et document).
9
3
«pour l’avenir 15». Il sollicita donc au Shah un nouveau contrat en
1840.
Sercey arriva à Téhéran le 7 mars 1840, accompagné d’Eugène
Flandin et de Pascal Coste, alors que le Shah se trouvait à
Ispahan, en conflit avec les chefs religieux16 .En attendant la
rencontre, on l‘amena visiter le palais de Négarestan, pour faire
revivre encore une fois le souvenir de Napoléon. En effet, dans une
salle, au milieu des jardins, on pouvait contempler « des peintures
représentant Fath Ali Shah, recevant les hommages des
ambassadeurs » de l’empereur, notamment « le général Gardane
ainsi que les personnes attachées à son ambassade »17.
Mohamad Shah attendait son ambassadeur avec beaucoup de
ferveur. Il lui promettait d’avance de recevoir toutes ses demandes :
« Que votre Excellence sache aussi qu’en attendant le moment de
sa présentation, Elle pourra nous faire savoir ses demandes et
qu’elles seront accueillies avec une parfaite bienveillance »18
La lettre du Premier Ministre, était encore plus éloquente et
plus lyrique. On aurait dit Mirza Agassi attendait plutôt un messie
et non point un ambassadeur ! En voici un extrait:
« Tant que le courrier du firmament de la marche fortunée, (je veux dire le
Soleil), jettera par l’ordre du créateur la lumière sur le ténèbres du couchant …
puisse le palais aux colonnes solides de l’empire être éclairé par le flambeau de
votre personne … pleine d’illustration, de force de gloire et de splendeur … dans
très peu de temps nous participerons au bonheur de vous voir et de vous
exprimer nos sentiments… Quoique vous m’aviez écrit que vous aviez le désir
de nous voir, il est impossible que le désiriez plus que moi. Quelque hâte que
vous mettiez à nous arriver, ce sera toujours trop tard pour moi ! »19.
Sur la route d’Ispahan, plusieurs fêtes furent organisées en
honneur de l’ambassadeur de France. La réception était
accompagnées des dîners copieux, arrosées du « vin de Georgie »,
suivies des feux d’artifice, et l’arrivée des « poètes populaires » qui
venaient chanter des vers »20en honneur de l’ambassadeur. A son
arrivée à Ispahan pour se rendre au campement du Shah « toute les
- « Situation des officiers et de sous officiers français autorisés à prendre le
service en Perse », (Perse, Mémoires et documents, M.A.E.F.).
16 - Marius Outrey à Louis Adolphe Thiers [nommé pour la 2 e fois en 1840,
ministre des Affaires Etrangères], 12 mai 1840 (Trébizonde, Cor. Pol. doc. no. 20).
17 - Sercey : Une ambassade.., op. cit. p. 201.
18 - Mohamad Shah à Sercey, Ispahan, début février 1840.
19 - Sercey: Une ambassade, op. cit. p. 204-205.
20 - ibid, p. 208.
15
4
troupes étaient rangées en bataille» pour lui souhaiter la bienvenue.
Le troisième jour de Shah le reçut cordialement, et parla surtout de
l’animosité des anglais envers le peuple persan. Mais sur ce sujet
épineux et pour ne pas trahir les « les consignes » de Dalmatie,
Sercey garda le silence, au dépend de l’enthousiasme débordant des
persans à son égard. Mais comment pouvait-il se montrer
impassible quand il entendait les membres du gouvernement
répéter sans cesse : « Les persans sont les français de l’Orient »! Il
allait aussi constater que qu’ils n’ n’étaient pas non plus « ennemis »
des usages occidentaux « contrairement aux autres peuples » de
lOrient et ne ressentaient aucune « antipathie pour les coutumes
européens »21.
Concernant sa première rencontre avec le Shah, Sercey
témoignait : « Nous fûmes enchantés de la manière toute gracieuse
dont nous étions reçus par la cour de Perse ». En effet, peu de
temps après le Shah attribua à Sercey le titre honorifique de Khan é
kabir (le grand seigneur). A son tour, le premier ministre le
surnommait : « le plus beau bouquet de la nation chrétienne » !
Dans ses articles satiriques envoyés en France, l’ambassadeur tout
en imitant le style fleuri de Mirza Agassi, concluait ainsi son
rapport : « Au revoir! La rose de votre souvenir sera toujours fleurie
dans le jardin de mon coeur, et j’espère quel la neige de l’oubli ne
couvrira jamais la terre de votre mémoire » ! Signé : « Sercey Khan»
22
.
Malgré cet accueil chaleureux, bien qu’il avait beaucoup
d’estime pour le gouvernement persan, Sercey, ainsi que nous
avons signalé se trouvait de temps à autres, dans une situation
inconfortable. Par exemple, le premier ministre ne cessait d’insulter
le anglais, allant jusqu’à déclarer dans un ton sarcastique : « qu’il
allait envoyer une armée à Calcutta pour s’emparer de la Reine
Victoria et de la livrer à la brutalité de ses propres soldats »23. Il
était facile à deviner la perplexité de l’ambassadeur face à de tels
propos !
De même, un traité de commerce fut signé entre les deux pays
en 183924,le gouvernement persan s’engea à octroyer aux
- ibid, p. 252-253.
- « Notre ambassade en Perse », Le Messager, Paris, 4 février 1840 (signé : Sercey
Khan)
23 - ibid, p. 247.
24 - « Note sur le traité de commerce avec la Perse 1839 », (Mémoires et documents,
tome 11).
21
22
5
commerçants français « des avantages exceptionnels », dans un
firman décrété en 1840 par le Roi, qui avait « prohibé, dès 1836,
l’entrée en Perse des manufactures européennes », allant jusqu’à
interdire « à des gens de sa Cour de s’habiller en étoffes nationales,
ce qu’il a fait exactement lui-même »25. Le traité en question
s’avérait donc comme une faveur exceptionnelle accordée aux
français, qui avantageait les commerçants français au dépend des
persans et le commerce national.
En suivant les consignes données par le duc de Dalmatie,
l’ambassadeur sollicita du Shah « une manifestation publique de sa
protection » à l’égard des catholiques de Perse. Dans ce domaine il
obtint un « firman solennel » qui leur assurait « la bienveillance
particulière » du gouvernement persan. En plus, sachant que la
France possédait autrefois des églises à Ispahan, Sercey mena des
recherches pour les découvrir. « Le gouvernement persan s’associa
lui-même à ces recherches ». On découvrit d’abord un couvent que
le Shah remit aux français dans un firman solennel. Sercey envoya
ledit texte à la Congrégation des Lazaristes qui avait « l’intention de
fonder des écoles en Perse »26 . Ainsi grâce au décret du Roi,
l’ambassadeur réussit à récupérer aussi la vieille église de Djoulfa
d’Ispahan, qui appartenait jadis aux capucins et qui datait de
l’époque de la dynastie des Séfavide. Voici la traduction française
de ce firman :
Comme du temps des Rois (Safavides) nos prédécesseurs, que dieu
illumine leurs tombes, l’église française, située à Djulfa d’Ispahan
appartenaient aux padrés (pères) et les moins du rite catholiques, et qu’il
est dans nos vues bienveillantes que les hommes de toute nation et de
toute religion entretenant des rapports avec notre Empire d’éternel duré
et venus à cause de notre bonté et nos faveurs, mènent une vie tranquille
et pleine de sécurité et fassent des vœux pour la durée de notre Empire,
ces sentiments envers les catholiques, ont été plus fort et plus vif par
rapport aux hommes appartenant au bel Empire de France.
Par conséquent dans ce moment où le très noble et très illustre
seigneur le Comte de Sercey est venu à cette Cour, renouveler la vielle
amitié des deux Empires, nous avons voulu uniquement, pour montrer à
son égard une preuve de notre ultime affection, en transférant ladite
- Marirus Outrey à Louis Mathieu Molé, 10 Janvier 1836 (Trébizonde, Cor.Cons.
tome 2).
26 - « Avantages accordés par le gouvernement persan en faveur de nos
nationaux, au point de vue commercial et religieux » in : (Mission de Monsieur de
Sercey, 1840, Mémoires et document.).
25
6
églises avec toutes ses attenances aux padrés et moins de France, qui
seront libres d’exercer leur culte conformément à leur religion. En
conformité de cet ordre, les gouverneurs présents et futurs d’Ispahan
abandonneront l’église susdite aux padrés et moins français et ne
souffriront pas que les Arméniens forment quelques prétentions que ce
soit à la dit église»27.
En 1840, d’autres concessions furent accordées aux français, à
savoir que pour une durée de quinze ans « toutes les personnes qui
voudraient aller s’établir en Perse et y fonder une industrie, jouirait
du privilège de ne payer aucun droit pendant ce laps de temps. Ce
firman donnait l’espoir aux Français de fonder en Azerbaïdjan des
« établissement de commerce ». Cette demande était appuyée
surtout par le gouverneur d’Ourmiah (Malek Gassem Mirza), un
francophile cultivé et progressiste, qui avait déjà fondé en 1837 une
école pour les chrétiens, dirigée par un arménien dans un des
villages28de sa ville29.Nous parlerons longuement de ce gouverneur
dans les chapitres concernant les missionnaires. .
Enfin l’ambassadeur profita de l’occasion pour demander au
gouvernement persan, la nomination de Mr. Botta (consul de
France à Mossoul) en tant qu’agent consulaire à Bouchehr , afin
qu’il puisse veiller sur les « intérêts français »30. Cette demande fut
refusée par le gouvernement, surtout par le premier ministre,
témoin des agissements dévastateurs des consuls anglais dans le
même port. Sercey envoya la réponse Mirza Agassi à son
gouvernent mais sans commentaire.
Au grand regret du gouvernement persan, le séjour Sercey était
de courte durée. Il prit la route de retour le 1er juin 1840, et avant de
quitter la Perse, il trouva l’occasion de recommander vivement au
gouvernement persan la protection du jeune missionnaire Eugène
Boré, qui avait déjà fondé deux écoles à Tauriz et à Ispahan.
Encore une fois la Perse se trouva seule et sans allié.
Il était certain que l’ambassadeur était épuisé par divers
obstacles dressés contre sa mission par les anglais et les russes. Par
- Mohamad Shah : firman, Seau Impérial, Ispahan, Avril 1840/ 1256 H.
traduit par Albert Biberstein interprète de la Mission, Avril 1840/ 1256 H. (Perse,
Cor. Pol. tome 20,. doc. no. 21, M.A.E.F.) . Nous avons modifié certains mots de
la traduction française, notamment moaltéfât (affection) au lieu de « bienveillance».
28- Le village de Shishevan
29- Justin Perkins : Residence of Eight Years Among the Nestoriens, Andover, New
York, 1843, p. 301.
30 - « Avantages accordés… » op. cit.
27
7
exemple ses dépêches étaient quelquefois contrôlées par les anglais.
Ou encore, la correspondance de pascal Coste avec son frère avait
été confisquées à Istanbul. Bien que Coste déposa une plainte, il
n’obtint rien.31. En plus les consignes données par le duc de
Dlamatie, qui lui interdisaient de s’opposer aux anglais, lui avait
enlevées toute autorité d’agir à sa guise. D’ailleurs les anglais
réjouissant de ce départ,
tentèrent de s’approcher du
gouvernement persan, alors que le gouvernement persan était
presque en deuil, surtout le premier ministre qui craignait une
revanche de la part des anglais. En effet, Marius Outrey le consul
de France à Trébizonde signalait qu’il y avait, des raisons de croire
que « le gouvernement anglais a fait une nouvelle tentative auprès
de Mohamad Chah pour établir ses relations officielles avec la Perse
et y faire rentrer sa mission »32. Mais le gouvernement persan ne
céda point.
En 1843, le successeur de Sercey, le comte de Sartiges,
diplomate à Istanbul, se prépara à franchir les frontières en
destination de la Perse. Mais du jamais vu dans les conventions
internationales, les anglais osèrent le retenir pendant un certain
temps afin de l’empêcher de quitter Istanbul33. D’ailleurs le
nouveau consul de France à Trébizonde, venait de recevoir « une
lettre de Téhéran » qui disait : « Si vous connaissez bien monsieur
Sartiges, dites lui de se méfier des européens de Perse » dont
certains « sont engagés » de la part des anglais à épier le
comportement de cet ambassadeur34. Or, Sartiges ignorait l’étendu
de l’animosité des adversaires de la Perse. On lui indiquait que
même les membres de la famille du Shah subissaient des
maltraitances »35.
Enfin après avoir franchi ces obstacles, Sartiges arriva à
Téhéran le 3 Aout 1844. Le Shah craignait déjà qu’à l’instar de
Sercey, ce nouvel, ne reste pas longtemps en Perse. Il le priait
donc de prolonger son séjour, dans ces termes :
- « Personnel de l’Ambassade de France», Téhéran, 12 mai 1841 (Affaires
diverses politiques, dossier no. 5).
32 - Marius Outrey à Guizot, 6 janvier 1841 (Trébizonde, Cor. Cons. doc. no. 1).
33 -Sartiges : « Comte rendu de la mission envoyée à Téhéran en 1844 » (Perse,
Mémoire et document, tome 9).
34 - Clairambault à Guizot,le 9 aout 1844 (Trébizonde, Cor. Com. et Cons., doc. no. 4).
35 - Goépp Consule de France à Erzéroum) à Guizot, 23 avril 1847 (Erzéroum,
Cor. Cons. doc. no. 35).
31
8
« Depuis que vous êtes arrivé dans notre illustre et brillant royaume,
votre intelligence, votre esprit, votre connaissance et votre amour pour le
bien des deux pays d’éternelle durée, tout a contribué à augmenter du
jour en jour, les liens de l’amitié et de raffermir les liens de l’amitié et
raffermir les bases de l’union qui existent entre les deux royaumes. Ce qui
fait que j’ai acquis à votre égard une sincère amitié et une parfaite
affection
En conséquence je vous prie de prendre la peine, après la permission
obtenue du puissant empire de France, de prolonger votre séjour ici, d’y
donner un certain tenu et de ne pas mettre de l’empressement dans votre
retour en France, afin que nous puissions affermir les liens de
connections et consolider plus qu’il ne l’était précédemment le fondement
de l’amitié et de sympathie qui existent entre les deux royaumes.» 36.
Commençons par les premiers entretiens de Sariges avec le
premier ministre qui démontrent à quel point les persans
comptaient sur la France et combien ils étaient attachés à ce pays.
Voici un résumé de ces entretiens, recueillis par l’ambassadeur de
France :
- Mirza Agassi : Nous avons besoin de France. Nous avons besoin de
mettre notre confiance à un émissaire du gouvernement français, digne de
confiance. D’ailleurs à ce propos je vais écrire une lettre à Monsieur Guizot.
- Sartiges : Vue qu’il n’y a pas encore un traité signé, concernant nos
concitoyens, je désire que le gouvernement persan assure la protection et la
sécurité des marchands et des industriels français qui se rendent en Perse.
- Mirza Agassi : Très bien, je vais en tenir compte dans ma lettre [à
Guizot]!
- Sartiges : Je veux que le traité en question soit conforme à celui
signé avec la Belgique[ qu avait été signé au mois de mai 1841]37
- Mirza Agassi : Je désire que le contrat soit encore plus avantageux
et plus complet que celui avec la Belgique, car la France est une nation
noble et nous avons toujours eu la pleine confiance en elle.
- Sartiges [en faisan allusion aux anglais] : Nous ne pourrons pas
signer les mêmes traités que Napoléon avait signés avec la Perse. Au
temps de l’empereur le monde était en guerre alors qu’aujourd’hui il vit en
paix.
- Mirza Agassi : Aucune importance. Je sais comment gagner l’appui
de votre gouvernement afin qui ne soit pas mécontent ! Les marchands
français seront les bienvenus dans notre pays, à condition qu’ils nous
-Sartiges à Guizot , Téhéran, 19 Décembre 1844 ( Perse, Col.Pol. tome 19, doc. no.
46)
37 -Outrey à Guizot, 19 mai 1841 (Trébizonde, Cor. Com. et Cons. tome 5, doc. no 24).
36
9
vendent des produits utiles ! Mais ce que je désir le plus, c’est que la
France nous envoie des instituteurs pour éduquer notre armée38.
Peu de temps après l’arrivée de l’ambassadeur, les adversaires
se mirent à l’oeuvre pour le décourager. Par exemple, les arméniens
orthodoxes, incités par les anglais et les russes attaquèrent le siège
des missionnaires lazaristes à Ourmiah, prétextant que Cluzel et
Darnis, les chefs de la mission catholique avaientt franchi les
frontières, sans visas et qu’ils devaient être expulsés. Dans les
chapitres suivants nous allons constater les grands efforts déployés
par Sartiges, pour les faire retourner à Ourmiah.
En 1845, Sartiges réussit à obtenir du Shah un firman qui
promettait aux commerçants français « le droit d’importer dans le
royaume », sous le paiement des droits acquittés, des
« marchandises utiles ». Plus important encore, qui promettait du
gouvernement persan dans le but de relancer les relations
commerciales,
Sartiges avait aussi proposé au gouvernement de Perse,
d’envoyer un ambassadeur à Paris, bien que « les anglais et les
russes » s’y opposaient39. Cette demande fut acceptée aussitôt par
le premier ministre qui désigna un émissaire en tant que « ministre
plénipotentiaire » à la Cour du Roi de France40. Mais aussi
surprenant que cela puisse paraître, cet ambassadeur n’arriva jamais
à sa destination. Le gouvernement turc, appuyé par les anglais,
avait barré la route au départ de cet émissaire. Le premier ministre
présenta ses excuses à Sartiges en espérant que « grâce à Dieu, la
paix sera bientôt restaurée entre les deux pays » et que l’envoyé de
Perse, pourra reprendre son chemin. Mais comme diraient les
anglais, ce n’était qu’un wishful thinking! L’émissaire
resta
introuvable!
Il voulait aussi s’informer sur le sort des officiers français en
Perse. En effet Mithford, l’agent anglais avait répandu la rumeur
que le gouvernement persan s’était abstenu de payer les salaires de
ces soldats. Après des investigations, Sartiges découvrit l’infondé de
cette calomnie. « Il est vrai, disait-il au premier ministre, que vous
payez régulièrement payé nos officiers » mais vous ne les avez pas
engagés dans votre armée ! C’était le tour de Mirza Agassi de lui
répondre : Vous considérez des gens comme Buissier et Damas qui
- Propos recueillis par Sartiges, Téhéran décembre 1844.
- Sariges à Guizot, Téhéran, 19 décembre 1844, op. cit.
40 - Mirza Abol Hassan Khan, surnomé Iltchi.
38
39
10
ont si mal agi à l’égard de vos compatriotes comme des officier ?
Non, la Perse a besoin des instituteurs comme ceux qui avaient été
jadis « par Napoléon » 41!
Sur les transactions commerciales de la Perse avec la France,
Sartiges rédigea un rapport détaillé à destination de son ministre. Il
constata que le commerce de la Perse avec l’Europe avait acquis
depuis une quinzaine d’années « une extension considérable »,
surtout avec l’Allemagne et l’Angleterre, mais nuisible pour le
commerce national. Or, nous avons signalé dans les pages
précédentes, le Shah avait déjà prohibé l’importation de ces
marchandises européennes dans ses états. Dans ce but, il avait
fermé le port de Kalé pour faire barrage aux anglais. « Mais les
persans tenaient beaucoup aux cotonnades peintes de
l’Angleterre »42, et dans ce domaine les aspirations nationaliste du
gouvernement allaient à l’encontre des l’intérêt populaires.
Cependant en 1845, Sartiges avait réussi à obtenir du
gouvernement persan quelques garantis pour les commerçants
français. A savoir que désormais ils avaient le droit d’importer dans
le royaume des marchandises « en excluant des objets futiles de
nature à amollir les habitants »43 . En contre parti, le Roi de France
« pour être agréable » au premier ministre lui envoya « un obusier
de montagne porté à dos du mulet avec son fourgon » comme celle
que la France possédait en Afrique44.
Parmi les demandes adressées à Sartiges, le Shah avait sollicité
au gouvernement français de lui envoyer « un médecin personnel »
afin que qu’il puisse remplacer les anglais. Cette demande fut
acceptée sans problème. Le ministère de la Justice nomma docteur
Cloquet pour exercer « les fonctions de médecin du souverain »
avec un salaire de 36000 francs par an45. Le toubib en question
prononcé ar les persans « Moussiou Glouki », se mit aussitôt en route.
Le premier ministre était déjà aux anges et tel point que qu’il faisait
pleuvoir ses louanges avant de rencontrer le toubib. Dans sa lettre
41-
Entretien communiqué par Sartiges à Guizot, Téhéran, 19 décembre 1844
(Perse, Cor. Pol.tome 19).
42 -Sartiges : « Aperçu général sur les rapports commerciaux de la Perse »,
Téhéran, 18 décembre 1844.
43 - « Perse, législation de douane », décembre 1847, Note remise par Monsieur
Dano (Perse, Mémoires et documents).
44 - Minitère de la Guerre au Ministre des Affaires Etrngères, paris, 13 mars 1845
(Perse, Cor. Pol. doc. no. 340)
45 -Ministère de la Justice, lettre de nomination, Paris 17 juin 1846.
11
de remerciement, il certifiait déjà que « la perspicacité rayonnait »
sur la physionomie de ce « grand médecin» ! En plus il rassurait
Guizot que ce médecin sera bien traité et bien payé46 (30,000
toumans par an) En effet docteur Cloquet reçut « un traite
considérable », épousa une arminienne, et vécut à la Cour jusqu'au
195547 .
En 1846,
grâce aux efforts déployés par Sartiges, le
gouvernement de Perse, nomma un autre ambassadeur, nommé
Mohamad Ali Khan Shirazi, qui avait déjà visité Paris en 1818. Cet
ambassadeur se mit en route, muni des lettres sophistiquées et
incompréhensibles, comme d’habitude, adressées à Louis
Philippe « le jeune pousse du jardin du royaume » ! Par
l’intermédiaire de cet émissaire, on envoya trois étudiants à Paris,
parmi lesquels figurait le célèbre Mirza Haosseyn Khan Sépahsalar
qui accéda plus tard au poste du premier ministre sous le règne de
Nasseredin Shah48. Francophile par excellence, ce grand homme
politique, lancera l’idée d’un gouvernement constitutionnel,
encouragera la fondation des écoles francophones, ainsi que la
création des écoles juives, malgré une forte opposition des
émissaires anglais. Parmi les boursiers du gouvernement, il y’avait
aussi Yahya khan, le frère de Sépahsalar qui occupa lui aussi
plusieurs postes, entre autres, celui du ministre de la justice. Dans
une
lettre au Ministre de l’Education, Mirza Agassi lui
recommandait de protéger ces deux étudiants49, surtout Mirza
Hosseyn Khan50. Un peu plus tard trois autres51 étudiants suivant
les premiers, rirent le chemin de Paris, pour y « apprendre les arts et
les sciences », et de les pratiquer lors de leur retour en Perse.52
Concernant la nomination de Mohamad Ali Khan, Sartiges, de
même que le gouvernement persan, craignaient fort que celui-ci
subisse le même sort que son prédécesseur. Pour en avoir le cœur
46
- Mirza Agassi à Guizot, Téhéran octobre 1846.
-Bourré à Walewski (le ministre des Affaires Etranères), Téhéran, 1 novembre
1855 (Perse, Cor. Pol, tome 25).
48 - Le fils du roi : Nasser-ed-din Shah qui régna de 1849 à 1896.
49 - Mirza Agassi au ministre de l’éducation Téhéran, 1846 lettre manuscrite.
50 - La plupart des historiens persans se sont trompés sur la date de l’envoi des
ces deux étudiants France, et ont indiqué l’époque de Nasser-din Shah, au lieu de
Mohamad Shah. Voir entre autres : Bamdad, Les biographies des hommes célèbres,
pour Hosseyn Khan, tome 1, p. 406 et pour Yahya Khan, tome 4, p.438.
51 - Hosseyn Goli Khan, Mirza Taghi et Mirza Reza
52 - Le premier sera destiné au génie militaire, le second au génie civil et le e
troisième à la peinture et la fabrication des cristaux et de porcelaines
47
12
net, Sartiges envoya une lettre à Goepp, le consul de France à
Erzéroum, sollicitant son aide à l’égard de l’émissaire du Shah.
Dans sa réponse, le consul promit assistance, tout en énumérant les
dangers de ce voyage53. Mohamd Ali Khan arriva à Trébizonde le
28 juin 1847. Les protestations de deux puissances ne se firent pas
attendre. Sartiges ordonna Mohamad Ali khan de ne pas prolonger
son séjour à Istanbul. Mais le consul russe divulgua l’arrivée de
l’émissaire du Shah dans la capitale54. Cette annonce facilita la tâche
des anglais pour empêcher Mohammad Ali Khan de continuer son
voyage en lui signalant que «le voyage à Bagdad est plus important
que d’être ambassadeur à Paris...gagner notre amitié te sera plus
profitable que celle des français qui ne sert à rien !»55
Enfin au mois d’octobre de la même année, Mohamad Ali
Khan réussit enfin à obtenir, on ne sait comment, l’autorisation de
quitter Istanbul pour se rendre à Paris. Les Consul de France à
Trébizonde annonçait que « les anglais ne cachent pas que c’est à
leur instiagation q’un tel changement eut lieu dans la mission de
Mohamad Ali Khan. Les anglais faisaient même courir le bruit que
le Sartges était sur le point de quitter Téhéran, ne pouvant avoir
une réparation à l’insulte faite à la France »56 L’émissaire obéit et se
mis en route.
De son coté, le premier ministre dans une longue lettre
adressée à Mohamad Ali Khan, énuméra quelques consignes
notamment celle, de ne s’arrêter longtemps à Istanbul,57 de
remettre à Monsieur (moussa) Guizot, les courriers et les cadeaux du
gouvernement persan, et de le « persuader de la « grande
affection » que la Cour de Perse témoignait pour la France, de le
convaincre qu’il était « tellement dévoué et sincère » à l’égard de
France, que les français ne trouveraient jamais « un ami aussi
affectionné » que lui. En fin il sollicitait de Guizot, l’envoi de
quelques « industriels expérimentés » pour une durée de « six à sept
ans » et de conclure un traité à ce sujet. Bien sur « nous serons très
vexés » écrivait encore le premier ministre, si les industriels
désignés par Moussa Guizot n’étaient pas « qualifiés »58.
- Goepp à Guizot, 23 avril 1847 (Erzeroum, Cor. Com. tome 1, doc. no. 35).
- Clairambault à Guizot, Trébizonde 21 mars 1847 (Trébizonde, Cor. Com. et
Cons. tome 6).
55 - Cairambault à Guizot, 21 mai 1847 (Trébizonde, Cor. Com. et Cons. tome 6).
56 -Clairambault à Guizot, Ttrébizonde, 18 juillet 1847 (ibid).
57 -Mirza Agassi à Mohamad Ali Khan, Téhéran, 1846 (lettre manuscrite)
58- Mirza
53
54
13
Enfin Mohamad Ali Khan réussit à quitter Istanbul et Sartiges
lui envoya une note pour le féliciter de ce départ: « L’annonce de
votre départ de Constantinople a produit le meilleur effet à la
Cour du Shah. Ainsi le premier ministre « a parlé à tout le monde
de votre honorable conduite à Constantinople et a promis que
« après votre retour vous serez nommé ministre des Affaires
Etrangères »59 !
L’émissaire du gouvernement persan, arriva à Paris le 17
octobre 1847, accompagné de ses secrétaires et des ses serveurs. Il
remit au Roi de France les cadeaux ainsi que es lettres du Shah et
celles du premier ministre. En tant qu’écrivain et poète, il se rendit
à la Bibliothèque Nationale de Paris, qu’il avait déjà visité au cour
de son premier voyage. En guise de remerciement il dédicaça
quelques lignes aux gérants de la bibliothèque. En voici un extrait :
« Depuis mon premier séjour, la bibliothèque s’est développée et
contient plus de livres, sur les nations et les religions. C’est ici que
j’ai réussi à rencontrer des érudits et des savants de la France».
Parmi ces ouvrages qu’il consulta, il y apprécia surtout les
manuscrits persans de l’époque Mongole60. Enfin il composa un
long poème sur la beauté de la ville de Paris et la beauté des
femmes françaises.
Par l’intermédiaire de cet émissaire le premier ministre
proposa au gouvernement du Roi, le développement les relations
commerciales entre les deux pays, lui annonçant que le Shah dans
un firman, venait de promettre « sécurité et protection » aux
marchands français ainsi que l’autorisation d’importer « pour la
consommation du pays » des marchandises « utiles ».61 Au mois de
juillet de la même année un nouveau traité de commerce en 6
articles et « sans limitation de durée » fut signé entre les deux pays.
Il était conclu que les français en Perse et les persans en France
« jouiront en tout et pour tout, du traitement de la nation la plus
favorisée. Ainsi les spéculations du commerce français pouvaient se
diriger « avec avantage » vers le Golfe Persique62.Voici un extrait de
la réponse de Guizot à Mirza Agassi concernant les relations
commerciales :
-Sartiges à Mohamad Ali Khan, de Téhéran à Constantinople, 15 octobre 1847
(Perse, Mémores et documents, tome 11)
60 - La dédicace de Mohamad Ali Khan à la Bibliothèque Nationale de Paris,
manuscrit persan, Paris,1847/1263.
61 - Mirza Agassi à Sartiges, Téhéran, 13 avril 1844.
62 - « Note remise par Monsieur Dano », op. cit.
59
14
« J’ai reçu la lettre que vous que vous m’avez fait l’honneur de
m’écrire et j’ai été très sensible à l’expression qu’elle contient de vos
sentiments pour moi. Votre Excellence ne saurait douter de la haute
estime et de l’amitié sincère dont je serai toujours heureux de lui
renouveler. Votre Excellence en me faisant part de la disposition de
l’empereur de Perse à donner un Firman qui assure aux négociants
français dans ses états, les traitements des nations les plus favorisées,
exprimant le désir que Monsieur de Sartiges fût autorisé à vous remettre
une déclaration réciproque du Roi en faveur des négociants persans qui
viendraient en France»63.
Sartiges reprit encore une fois la demande faite jadis par Sercey
concernent la nomination d’un agent consulaire en Perse. Mais le
premier ministre qui n’avait jamais rien refusé aux français, se
montrait hésitant à ce sujet. Tout en plaisantant et en visant les
anglais il répondit ainsi à l’ambassadeur
« D’abord vient dans notre pays un voyageur, que dis-je, un peintre et
dessine les arbres, les maisons et les forteresses. Le voyageur s’en va, une
année après il revient et il dit : « je suis médecin ». Il soigne et guérit les
malades gratis, tâte notre pouls et se rend comte de notre agonie. Le
médecin s’en va. Un an après il revient et dit cette fois : « Je suis consul »,
il s’établit dans un port de mer64 où arrivent les marchandises de son
pays, il s’élève quelques difficultés avec les douanes, il y fait venir une
petite escadron, et puis il prétend que le pays est faible, il a des ennemis,
il faut le protéger par l’armée et colonise ainsi notre pays »65.
L’on sait qu’à la suite de la révolution de 1848, un
gouvernement républicain prit le pouvoir en France et Louis
Philippe fut remplacé par Louis Napoléon. Le 22 avril, Sartiges, un
peu mal à l’aise et hésitant, présenta au Roi le circulaire du
gouvernement révolutionnaire. A sa grande surprise non seulement
le souverain, salua la circulaire de la République, mais en plus
- Guizot à Hadji Mirza Agassi, Paris le 17 Avril 1847 (Perse, Cor. Pol. Tome 23).
- Il fait allusion au consul anglais à Boushehr qui régnait dans la région comme
un monarque et était muni de navires de guerre et de plusieurs escadrons.
65 -Sartiges à Guizot, Téhéran, Shémiran, 30 aout 1844 (Perse, Cor. Pol. doc. no. 2).
De cette lettre existe aussi une version persane qui diffère un peu de la version
française. Ainsi j’ai ajouté « tâte de nos pouls et se rend comte de notre agonie »,
ne se trouve pas dans la version française.
63
64
15
prenant sur son portefeuille la circulaire en question, se mit à louer
la Révolution :
« La France est une épine dans le pied de nos ennemis et mon vœu
ardent de la voir grandir, prospérer et faire rendre justice aux autres
nations. Que Dieu vous soit en aide et vous fasse vainqueur de nos
ennemis, Quant à moi, je tiens plus que jamais à l’amitié de la France et il
ne tiendra qu’à elle pour que relations deviennent chaque jour d’un nature
plus cordiale et plus intimes»66
C’était le tour du premier de donner son opinion. Il parcourut
le circulaire plein d’ardeur et s’adressa à Sartiges dans ces termes :
« Que Dieu bénisse votre gouvernement pour les paroles secourables
et sympathiques qu’il fait entendre en faveur des faibles et des opprimés.
Nous ne sommes pas forts et l’on s’efforce de nous affaiblir encore. Aussi
nous prenons avec bonheur acte de votre déclaration à venir à l’aide aux
opprimés et d’en hâter la délivrance. Oui, nous aimons la France et nous
tenons plus que jamais à conserver et à fortifier nos bonnes relations
avec elle »67
Mohamad Shah décéda le 4 septembre de 1848 « d’une vive
irritation d’intestin qui s’est compliquée d’une attaque de goutte à
l’estomac qui a enlevé ce prince après une courte maladie de douze
jours68. Mirza Agassi quitta la capitale le 14 Octobre pour la ville de
Gom, alors que bien avant il avait deviné son sort et en avait parlé à
Sartiges :
« Je sais qu’après votre départ, et pour se venger de l’amour que nous
portons pour la France, ils vont me destituer. Au moins, quand vous
retournerez chez vous, racontez à vos compatriotes tous ces évènements.
Car après votre départ, et dans le but de me destituer ils vont rapporter ce
qui s’est passé à leur manière en déguisant les faits. J’ai donc besoin de
France et de la protection des français »69.
Les impressions laissées par Sartiges sur la Perse étaient
élogieuses. Il réjouissait de sa mission. Il avait le faveur du Roi ait
- Sartiges à Guizot, Téhéran 17- mai 1848 (Perse, Cor. Pol. Tome 23).
- ibid.
68 - Sartiges à Guizot, 8 septembre 1848 (Perse, Cor. Pol. Tome é », doc. No. 15).
69- Sartiges à Guizot, Téhéran, 30 Septembre 1844 (Perse, Cor. Pol. doc. no. 48, tome
19.). Le consul de France à Trébizonde a donné la date de 6 septembre :
Clairambault à Jules Bastide, 25 Octobre 1848 ( Trébizonde, Cor. Pol. tome 6)
66
67
16
du premier ministre. Contrairement à Sercey, il se sentait libre. Il
n’était pas harcelé par les consignes de Dalmatie. Il osait prendre la
défense de la Perse, face aux attitudes malveillantes des anglais et
les russes. Il jouissait « particulièrement » des faveurs du Roi et du
premier ministre. Pour lui les français n’avaient « nul intérêt de voir
la Perse s’amoindrir » au profit de ses adversaires. Par contre, la
France pouvait profiter de ces relations si chaleureuses. Ainsi par
le « bon vouloir » et des bénéfices » qui en pouvaient « revenir à la
Perse », l’attitude a France devrait être attitude « bienveillante » afin
de soutenir « cette puissance »70.
Avec l’avènement du nouveau monarque Nasser-ed Din Shah,
la Perse bascula dans camp anglais. Le clergé leva de nouveau la
tête. Le 28 octobre , « Tous les juifs de Shiraz » furent massacrés71.
Les Anglais y organisèrent un soulèvement populaire et la tête de
Monsieur Ferrier était mise à prix par les religieux et un certain
Caveh chef des loutis. Le gouverneur de la ville (Hosseyn Khan) ami
des français « se renferma dans la citadelle ». La situation était
« effrayante »72.
Ainsi les « relations diplomatiques entre la France et la Perse »
étaient rompues le 13 mai 1849. Les anglais insinuaient au nouveau
monarque que les « Français avaient l’intention d’établir en Perse,
un gouvernement révolutionnaire »73. Ainsi les historiens anglais
continuaient à prêcher que « les idées » propagées par Mohamad
Shah et son premier ministre « étaient de nature impies »74, et
contraire à l’islam. L’ère de sécularisme avait pris fin et l’islam
gagnait du terrain.
Il serait donc propice, de consacrer quelques pages à ces
adversaires incontournables, qui ont toujours eu pour l’habitude, de
bâtir leur bonheur sur le malheur des autres ! Aujourd’hui encore,
dans chaque intrigue et dans chaque complot les iraniens voient « le
doigt des anglais »75 !
Au dix neuvième siècle, la politique des anglais en
Perse consistait à soutenir le clergé et d’acheter les
- Sartiges à Guizot, Téhéran, 19 décembre 1844 (Perse, Cor. Pol. tome 19)
- Cairambaul à Bastide, 15 Janvier 1849 (Trébizonde, Cor. Com. Et Cons Tome 6).
72 - ibid
73- Sartiges : « Le compte rendu de la mission », 15 janvier 1849, op. cit.
74 - Hamed Algar : Religion and State in Iran 1785-1906, U.C.P, p. 108.
75 - même dans l’instauration du Gouvernement Islamique
70
71
17
gouverneurs. C’est pourquoi ils supportaient mal le
gouvernement séculier de Mohamad Shah. Ils traitaient le
premier ministre de « cruel, tricheur, fanatique et ennemi
des chrétiens » et « détesté » par le peuple76.
Contrairement aux français, presque tous les
chroniqueurs anglais, allant de Curzon à Sykes ont
condamné l’époque de Mohamad Shah. Il traitait le Shah
comme « homme vil », et le premier ministre comme
« ignorant, fanatique, brutal, insolent, mal habillé » qui
avait mené son pays au bord de l’abîme.77 Un autre
diplomate reprenant presque les mêmes termes, attestait
que ce ministre était « cruel, traître, fanatique, corrompu,
oppressif…ayant causé la ruine de son pays et le
mécontentement de son peuple »78. Enfin c’était le tour
de Lord Curzon de reprendre le même refrain : « Le Shah
était démuni de tout talent, inapte dans l’art politique et
militaire » 79. Même au vingtième siècle, Hamed Algar,
historien anglais converti à l’islam, condamnait la
politique de Mohamad Shah, à l’égard du clergé, jugeant
que « les idées religieuses » de ce monarque ainsi que de
son premier ministre « étaient de nature impies »80 !
Le premier ministre, Mirza Agassi qui avait passé sa
jeunesse dans sa ville natale Erivan, avait été témoin
oculaire des agissements des anglais, au cour des guerres
entre la perse et la Russie (1804-1812 et 1826-1828).
Résidant à la Cour en tant qu’instituteur des princes, il
avait observé le déroulement de ces guerres et les
intrigues des agents britanniques. « En 1826, c’étaient les
anglais », racontait-il, à l’ambassadeur de France, « qui
- Henri Layard : The Earley Adventures, op. cit, p. 93
- S.P.Sykes : History of Persia, 2 volume, London 1858, vol. 2, p. 328 et 338.
78
-H. Layard : Early Adventures in Persia, Susiana and Babylonia, London, J.
Murray1894, p. 93
79
- Curzon : Persia and the Persian Question, 2 volumes, London 1892 (traduction
persane), vol. 2, p. 487.
80 - Hamed Algar : Religion and State in Iran 1785-1906, U.C.P, p. 108.
76
77
18
nous obligèrent de nous lancer dans une guerre contre les
russes. Mais dès lors que nous avons eu besoin d’eux, ils
se sont bien gardés de nous secourir. Donc, nous ne
pouvons pas oublier cette trahison et nous ne croirons
plus à leurs promesses »81. Cependant, on pouvait détecter
quelques exceptions parmi les agents anglais. Par exemple
Henri Willock qui avait vécu onze ans en Perse s’opposa
au conflit persan- o- russe. « J’ai essayé, écrivait-il de
détourner Abbas Mirza d’un tel projet » Or, dès que le
gouvernement anglais apprit la position de ce diplomate,
il le convoqua à Londres pour le punir, mais il décéda
avant de prendre la route !82
Pour déclancher cette guerre, les anglais avaient
recruté quelques instigateurs parmi certains chefs
religieux et certains gouverneurs. En effet les anglais
cherchaient l’appui des religieux afin qu’ils puissent
déclancher le Djihâd (la guerre sainte).
La anglais avaient choisi certains hommes d’état,
notamment un certain Assef-ed-dowleh, en tant que leur
collaborateur allant jusqu’à le nommer «The British
Asefoddowleh » 83. On lui avait donné pour mission,
de se rapprocher des chefs religieux, afin de lancer
des fitwas (firmans religieux) contre les russes84. D’après
Yermelof, le commandant de l’armée russe « les anglais
étaient prêt à tout » pour gagner le cœur du prince héritier
Abbas Mirza. En sa présence ils s’assoyaient par terre sur
le tapis, « enlevaient leurs chaussures », et s’apprêtaient
- Sartiges à Guizot, Téhéran, 19 décembre 1844, op. cit.
- G. Fowler : Three Years in Persia, 2 volumes, London, H.Colburrn 1841, vol.
2,p. 191
83- Colonel Sheil à Palmerston, Foreign Office, F.O . 60/146, in : Fereydoun
Adamiyat : Amir Kabir va iran [Amir Kabir et l’Iran ],Téhéran, Publications
Karazmi, 1361/1982, p. 202.
84 -Mehdi Bamdad : Charhé halé rédjalé Iran [les biogramphie des grands hommes
politiques d’Iran), 6 volumes, Téhéran, Publications Zavvar, 3 e édition, volume
1, 1863/1984.
81
82
19
« a lui donner deux millions tomans, « pour qu’il entre
en guerre contre les russes » 85
Rappelons qu’en 1828, la défaite de la Perse dans les
deux guerres par les russes avait causé et la perte de 17
villes, avait no seulement envenimer les relations des
persans avec la Russie,
mais aussi affaiblit le
gouvernement persan. Alors que les anglais ayant assisté
au déroulement de la signature du traité86, approuvaient
discrètement, au profit de leur propre commerce, la perte
de la ville d’Erivan, qui présentait le centre des
transactions internationales de la Perse. Désormais, ils
pouvaient, sans concurrent, faire écouler librement leurs
propres marchandises dans tous les coins de Perse et
oeuvraient
donc à faire échouer un probable
rapprochement entre les persans et les russes.
Cependant, le prince héritier, ainsi que le Roi87 dans
l’espoir de récupérer une partie es provinces perdues,
tâchaient d’entretenir des relations amicales avec leur
voisin. Ainsi, une correspondance était établie entre Tsar
Nicolas et la Cour de Perse88. Or, les anglais
appréhendant ce climat de détente, se mirent à préparer
une troisième guerre entre les deux pays, prétextant que le
mouvement décabriste de Russie en 182589, se présentait
comme une bonne occasion pour attaquer les russes !
D’après les documents « secrets » du ministère des
Affaires Etrangères de la Grande Bretagne (Foreign Office),
-Youri Tynianov : La mort du Vizir Mokhtar, Paris, Gallimard, 1970, p.282.
Le traité de Turcomantchay, signé le 1er février1828, entre la Perse et les
russes.
87- Les correspondances de Abbas Mirz le prince héritier et du roi Fath-Ali
Shah,avec le tzar Nicolas1er, en persan, les manuscrits de la Bibliothéque du Senna de
Téhéran..
88- Hoam Nategh et Bill Royce : « The Will of Prince Abbas Mirza », rédigé au
mois de juillet 1830: in Studia Iranica, no. 10, 197O, pp. 20- 25.
89- Sur « Les guerres irano-russe », voir : Homa Nategh : Az mast ké bar mast
[Vient de nous ce qui arrive à nous] Téhéran, Edition Agah 1937 /1959, pp.1242.
85
86-
20
les « instigateurs » de ladite guerre se nommaient : le
docteur Cormick le médecin du Shah qui avait vécu 20
ans en Perse, ainsi que le Major Hart l’agent de
Compagnie des Indes et surtout l’ambassadeur anglais,
sir John MacNeill90.
Le projet des anglais, consistait à rallier une partie de
l’armée persane à celle des ottomans, sous le
commandement de leur fidèle allié, le prince gouverneur
de Khorassan91. En contre partie, ils promettant à celui-ci
l’accès au trône, et la création d’un état indépendant
comprenant la province de Khorassan et la ville de
Herat qui à cette époque, était tributaire de la Perse!
Pour éviter le déclanchement de cette guerre, les
russes, déjà en conflit avec les ottomans, s’approchèrent
pour la première fois, du gouvernement persan en lui
promettant de leur « rendre une grande partie des villes
conquises » durant la guerre. Aussi surprenant que puisse
paraître, l’émissaire de la Grande Bretagne,
Sir
Macdonald, dans une lettre adressée
au « Secret
Commitee » du ministère des Affaires Etrangères, tâchait
de faire obstacle à ce projet, en annonçant :
« Je vais tout faire pour empêcher que les russes
cherchent un rapprochement avec le prince héritier en
contrepartie des provinces qu’ils veulent rendre à la
Perse »92.
Heureusement cette tentative se voua à l’échec, par la
faute de l’armée ottomane, qui n’avait pas pu rejoindre les
persans à la date prévue93. Cependant, l’ambassadeur
- Willock to Caning, 27 June 1826 (Public Record Office, F.O. 60/27)
- Hassan Ali Mirza
92- Sir Macdonald to Secret Commitee, Confidentiel, Téhran, 8 May 1828 (Public
Rocord Office, F.O, 60/30) .
93- Homa Nategh : « Jang hayé iran o rouss » , (les guerres perso russes), in : Az
mâst ké bar mâst, op, cit, p. 25.
90
91
21
MacNeill avait si bien camouflé son jeu, qu’il avait
réussi, on ne sait comment, gagner encore une fois le
cœur des russes et obtenir même une « décoration
honorifique »94 du gouvernement du tzar, mais en
s’adressant aux persans, ils changeait de ton prétendant
que si les persans avaient choisi un autre prince pour
diriger la guerre « ils auraient pu récupérer certaines
villes »95 .
Plus grave encore, les anglais, à l’aide des éléments
religieux du bazar,
provoquèrent le l’assassinat
d’Alexandre Griboïedov, l’auteur de Le malheur d’avoir de
l’esprit96, inspiré du Misanthrope de Molière. nommé
ministre plénipotentiaire en Perse, qui débarqua en perse
en 1829. Les anglais voyaient dans cette nomination, un
rapprochement entre les deux pays. L’on sait que ce
célèbre poète décabriste, était. L’on sait aussi que pour
avoir écrit cette comédie satirique, on le jeta en prison, et
mieux encore, on l’extrada en Perse, s afin qu’il ne puisse
jamais retourner chez lui. Le poète avait déjà à ce sujets,
quelques mauvais pressentiments: « On veut m’envoyer à
l’étranger, écrivait-il à un ami, devine où ? En Perse ! J’ai
fait tout pour éviter ce voyage, mais en vain »97. Il avait
aussi confié à Pouchkine : « Vous ne connaissez pas ces
gens-là : vous verrez qu’il faudra jouer de couteau !» 98
En effet, le 1er février 1829, et dans un massacre
collectif, organisé par les religieux du bazar de Téhéran,
- Mahmoud Mahmoud : Ravabet e Siassi yé Iran o englisse dar garn é nouzdah [Les
relations politiques entre l’Iran et l’Angleterre au 19 e siècle], 8 volumes, Téhéran,
2’ édition, Publications Egbal, 1346, vol. 2, p. 475.
95- Jhon MacNeill : Progress and Present Position of Russia in the East, London, J.
Murray, 1838, p. 83.
96 - Griboïedov : « Le malheur d’avoir de l’esprit » Paris ,Bibliothèque de la
Pléiade, 1937, pp. 5- 105. Cet ouvrage a été traduit en anglais sous le titre de The
Misfortune of Being Clever.
62 - Voir aussi : Youri Tynianof : La mort du Vizir Mokhtar Paris, Gallimard,
1969.
98-Pouchkine : Voyage à Erzéroum pendant la campagne de 1829, Bibliothèque de la
Pleïade,op, cit, P. 498
94
22
Griboïedov fut déchiqueté et mis en morceaux, en
même temps que les 30 autres membres de son
ambassade. On porta les morceaux méconnaissables des
corps au cimetière des arméniens. Cependant on reconnut
celui de Griboïedov, par la bague qu’il portait toujours au
doigt. Le gouvernement persan, qui n’avait pris aucun
part dans ce massacre, fut obligé d’envoyer un émissaire
auprès du tzar, le prince Khosrow Mirza, pour solliciter
son pardon et lui payer des indemnités99 L’on sait qu’on
transféra les débris des corps à Tiflis, sous le regard
ému de son ami Pouchkine
Banni des son pays, Griboïedov, avait commis la
grande imprudence d’avoir noué des relations amicales
avec le prince héritier Abbas Mirza surnommé par les
anglais « le valet des russes » ! Il est vrai qu’au lieu de
s’occuper sérieusement des affaires politiques, le poètel
passait son temps à jouer du piano dans les palais du
prince héritier qu’il admirait en louant surtout « la beauté
de ses dents » !
A part, le rôle joué dans cet évènement
tragique ???Commençons par leur alliance avec les
ulémas. De nombreux documents, notamment les
archives du Ministère des Affaires Etrangères de France, celles
de Foreign Office ainsi que les récits des voyageurs,
démontrent documents à l’appui, qu’en Perse, le
mouvement protestataire des chefs religieux , était
ouvertement
alimenté et soutenu par les agents
britanniques. Encore aujourd’hui, et concernant l’époque
de Mohamad Shah, l’historien anglais, Hamed Algar,
converti à l’islam, condamne le comportement du
gouvernement persan de l’époque à d l’égard du clergé,
attestant que « les idées religieuses » de ce monarque ainsi
que de son premier ministre
« étaient de nature
- Kosrow Mirza : Safar nameh [le récit de la mission], Téhéran, Editions
Kharazmi, 1349 / 1970.
99
23
impies »100 et contraires aux principes de l’islam.
Autrement dit, il soutenait, les agissements des agents
britanniques, notamment, l’ambassadeur John MacNeill
et Lord Henry Layard diplomate anglais, pour avoir noué
une « union sacrée » avec les chefs religieux d’Ispahan.
Layard avouait : « J’ai pris par deux fois contact avec le
chef religieux d’Ispahan… il m’a reçu avec beaucoup de
courtoisie » et nous avons eu « un entretien politique »
important101. Bien sur, le contenu de cet entretien n’était
pas difficile à deviner !
Contre une telle union, le gouvernement persan s’est
vu obligé
de porter plainte auprès des autorités
britanniques, par le biais de son envoyé spécial à Londres,
pour réclamer la convocation de l’ambassadeur «Mr.
MacNeill ». Dans une longue lettre à Palmerston102,
l’envoyé du chah, protestait aussi contre les agissements
de MacNeill qui « en se ralliant aux chefs religieux ne
cessait de nouer intrigues et manœuvres »103 contre le
gouvernement de Perse. Enfin, mais « de quel droit,
ajoutait il, MacNeill se permet-il de correspondre avec les
ces ulémas contre le gouvernement du Shah », de quel
droit «se mêlait-il des affaires intérieures de notre
pays ?104
Les consignes du ministre des affaires étrangères de
Perse à son envoyé allait dans le même sens :
« Vous serez pari à Londres. A en juger par la
conduite du ministre anglais [MacNeill], on peut croire,
que les anglais n’ont plus l’intention d’être nos amis.
- Hamed Algar : Religion and State in Iran 1785-1906, U.C.P, p. 108.
- Henry Layard : Earley Adventures in Persia, Susiana, and Babylonia, London , J.
Murray, 1894, p. 126.
102
- Henry Temple Palmerston, Ministre des Affaires Etrangères d’Angleterre
(1830-1841).
103
- Mirza Hosseyn Khan Adjoudan Bachi : Charh é Mamouriat (le compte rendu
de ma mission), Téhéran 1343 / 1964, p.41.
104
- ibid, p. 438.
100
101
24
Cependant votre départ pour Londres es indispensable. Il
faut que les autres gouvernements sachent que la
violation des traités et les procédés contraires à la bonne
l’intelligence ne proviennent point de nous… »105 etc.
Un peu plus tard, une autre révolte religieuse éclatait à
Tauriz contre les russes, toujours avec l’appui des anglais.
Il va sans dire que cet évènement présentait un danger
pour les écoles et les établissements des missionnaires
catholiques installés dans la région. Le consul de France à
Trébizonde en rapportant les évènement écrivait : « Une
multitude
de malfaiteurs armés de pierres et de
bâtons…se dirigèrent vers le quartier des arméniens et
brisèrent les croisées des maison » 106. Encore le 23 août
de la même année une autre révolte éclata à Shiraz par
l’instigation du prince Hosseyn Ali Mirza Farmanfarma
107
connu en tant que l’ami favori des anglais. La plupart
des historiens persans ont évoqué « ses relations intimes
avec les les agent de l’Angleterre »108 .
Les anglais contestaient
en plus, l’intégrité
territoriale de la Perse. En 1838 ils occupèrent l’ile de
Khark, bien que selon un traité signé en 1809 entre les
deux pays le gouvernement anglais s’était engagé à ne pas
« intervenir dans les affaires de Kharkh et de Herat »109.
Non seulement ils oublièrent leur promesse, mais en plus
« Ils se mirent à y construire des forteresses », en
- Masoud Mirza à Hosseyn Khan, Téhéran 21 mai 1839 .
- Marius Outrey au Maréchal Dlamatie, 11 septembre 1839 (Trébizonde, Cor.
Cons. Tome IV, doc. no. 28, M.A. E.F.)
107
- Cinquième fils de Fath Ali Shah, gouverneur de la province de Fars. Ils se
déclara Roi, refusa de reconnaître Moamad Shah. Trois mois après, il décéda à
Shiraz en 1835
108 - M.Bamdad :
Sharhé halé rédjal e Iran (Les biographie des hommes
céblèbres d’Iran, 19e et 20e siècles) », 6 volumes, Téhéran, Pumblications
Zavvar, 1363/1981, vol. 2, p. 439
109
- Pour le texte de ce traité voir : Mohamad Mochiri : Charhé mamouriat
Ajoudanbachi [Le récit de la mission de Ajoudanbachi], Téhéran, Publication
Achrafi, 1356/ 1978.
105
106
25
prétextant « la chaleur »110 ! Ils avaient aussi assiégé à
l’aide de « cinq aux six bâtiments… et de navires de
guerre »111 le port de Bouchehr dans le Golfe Persique.
De même ils envahirent la ville de Herat qui à cette
époque était tributaire de Perse, en arguant que si cette
ville tombait aux mains des persans » l’influence russe se
développerait en Asie »112 Le Shah envoya une expédition
pour libérer la ville, mais sans succès. Les anglais
proposaient ouvertement en l’autodétermination des
tribus. Par exemple, appuyé par le gouverneur de la
province de Fars113 « ils cherchaient à fermenter la révolte
chez la tribu des Bakhtiaris, espérant de les décider à se
rendre indépendants du Shah »114.
En ce qui concernait leurs jugements à l’égard du
gouvernement de Mohamad Shah, qui accéda au trône
cinq ans après lesdits évènements, les historiens anglais
traitaient le Shah d’un homme « vil », et considéraient le
premier ministre comme « ignorant, fanatique, brutal,
insolen , mal habillé » qui avait mené son pays au bord de
l’abîme.115 Un autre diplomate reprenant presque les
mêmes termes, attestait que ce ministre était « cruel,
traître, fanatique, corrompu, oppressif…ayant causé la
ruine de son pays et le mécontentement de son
peuple »116. Enfin c’était le tour de Lord Curzon de
reprendre117 le même refrain : « Le chah était démuni de
- Féreydoun Mirza à Mohamad Shah, avril, 1836, in : E. Safai : «sad sand é
tarikhi (cent documents historiques), o, cit, do. No15, p.
39 – Outrey à Molé, 26 juin 1838 (Trébizonde, Cor. Cons. doc. no. 2, M.A.E.F.)
112
- Geirges Sumner : «L’Afgahanistan et les Anglais », Revue de L’Orient,
Tome V, 1866, p. 63.
113
- Le prince Hosseyn Ali Mirza Farmanfarma, op. cit.
114
- E. Falndin :Voyage en Perse, 2 volume, op, cit,, vol. 1, p. 302.
115
- S.P.Sykes : History of Persia, 2 volume, London 1858, vol. 2, p. 328 et 338.
116
-H. Layard : Early Adventures in Persia, Susiana and Babylonia, London, J.
Murray1894, p. 93
117
- Curzon : Persia and the Persian Question, 2 volumes, London 1892
(traduction persane), vol. 2, p. 487.
110
26
tout talent, inapte dans l’art politique et militaire ». On va
voir que les voyageurs français étaient témoins que de
cette « haine » féroce des anglais contre la Perse.
Flandin : « Les anglais cherchaient à fermenter la
révolte chez les Bactyaris, espérant les décider de rendre
indépendants du Chah( vol. 2, p. 47
Flandin : « cinq ou 6 bâtiments viennent annuellement
dans ces parages. Des navires de guerre de la même
nation s’y montrent également de temps en temps3 Vol.
2, p. 302
Layard : « The Persian Governement had long been
jaleous of the power of Moamad Tahi Khan … and
suspected him of a design to throw off his allegiance
altogether » A man of enlighted views » p. 194
« I pointed to him how this could be best done » p.194
Homa Nategh
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