On avait vu comment du temps de Ben Ali ce lobby médical avait mobilisé l'ensemble de la profession contre
l'instauration de la Caisse nationale l'assurance maladie (Cnam), et quels intérêts politiques il s'était finalement
révélé servir. Et la question est là : si l'état de santé détérioré du Dr Sami Hamrouni devrait poser la question
de l'arrêt de sa détention préventive en raison de considérations humanitaires, jusqu'à la conclusion de son
procès, la justice pourrait arguer de la cruauté de la peine endurée par la famille de la victime pour s'y opposer,
mais c'est l'ampleur du mouvement de protestation du corps médical, et en particulier de ses collègues
anesthésistes réanimateurs, qui surprend.
Quand on fait partie d'une corporation, se retrouver régulièrement sous les feux crus de l'actualité dans une
position défavorable face à un journalisme accusateur souvent peu scrupuleux, peut contribuer à développer un
syndrome victimaire poussant les différents membres à s'identifier aux victimes de ce que l'on estime être une
ou des injustices. Cela on le comprendrait.
Et encore: en 1985, suite au décès d'une patiente au décours d'une anesthésie, à l'hôpital de Poitiers, et aux
accusations du chef de service, deux médecins anesthésistes réanimateurs avaient comparu devant les assises
en état d'arrestation, mais nul parmi leurs collègues n'avait invoqué une quelconque nécessité à entreprendre
une action collective en vue de l'exiger leur libération; ils avaient d'ailleurs été acquittés.
Evidemment ce que l'on entend à présent, c'est que si les médecins ne se défendent pas eux-mêmes, comme le
font désormais toutes les corporations, ils seront jetés dans la fosse aux lions; argument évidemment tiré de la
réalité quotidienne du pays, et des actions entreprises avec plus ou moins d'opportunité par d'autres corps
professionnels, comme les avocats ou les enseignants, pour ne pas dire les syndicalistes. Mais avec les
syndicalistes, les enseignants, les avocats, il n'y avait assurément pas eu décès d'êtres humains.
Quand le dernier sera parti sans éteindre les lumières
La réalité plausible dans cette affaire, c'est cependant que le lobby médical juge nécessaire de batailler pour
sauver un obscur médecin anesthésiste réanimateur, de Gabès, qui ne soit même pas issu de l'activité libérale;
voilà qui devrait attirer l'attention sur la pertinence des mobiles animant ses thuriféraires.
Jean-Jacques Rousseau avait écrit ces mots : «Si vous voyez un banquier Suisse se jeter par la fenêtre, jetez
vous derrière lui, il y a sûrement quelque chose à gagner.»
Pourrait-on en dire autant de la corporation médicale? Lorsque un article inique de la loi des finances 2017 a,
en violation du principe d'égalité constitutionnelle, accordé aux cliniques le droit de communiquer à
l'administration fiscale le détail des services fournis par chaque médecin, personne n'a protesté ni porté plainte
auprès du tribunal administratif (il n'y a pas encore de cour constitutionnelle) contre le caractère incongru de la
nécessaire inégalité qui en découlerait, favorisant une fois encore les médecins gros actionnaires détenteurs du
pouvoir de décision, et depuis des années, de monopolisation des malades tout venants dans les cliniques, et
qui quoique étant de loin ceux qui gagnent le plus d'argent au sein de la profession, soient à même de ne faire
communiquer de leurs bénéfices, et de ceux de leurs amis, à l'administration fiscale, que ce qu'ils estimeraient
nécessaire.
Et lorsqu'un responsable du syndicat des spécialistes libéraux soulève la question, ce n'est nullement pour
l'aborder sous cet angle, mais pour exhorter ses collègues à se faire débiter leurs prestations directement auprès
des patients. Cette revendication simultanée donc d'un code de la profession médicale et de la défense d'un
collègue détenu ne semble finalement ne constituer pour les fractions les plus influentes de la corporation
qu'un false flag, capable de mobiliser l'ensemble du corps médical autour de motifs valables, mais dont
naturellement ils seraient les plus grands bénéficiaires.
Quels seraient ces bénéfices? Influer sur le verdict final des affaires de matériel périmé en cours où les intérêts
engagés sont très importants? Dissuader les autorités de se mêler des relations complexes établies entre les