S'il n'y avait que cette raison ce serait assez simple. Ce qui est beaucoup plus troublant, c'est
qu'il y a des embryons qui commencent à se développer apparemment tout à fait normalement.
Chez la vache par exemple, où l'on peut suivre le développement du fœtus pendant les premiers
mois de la gestation (par échographie, comme on le fait chez la femme) on voit le fœtus qui se
forme et grossit, le cœur qui bat et les bourgeons des membres qui apparaissent et deviennent
de petites pattes. Plus tardivement, vers six ou sept mois, et même quelquefois, juste avant la
mise bas, on constate que le fœtus se met à grossir beaucoup trop vite : les « poches des eaux
», formées par les structures placentaires peuvent devenir énormes, deux fois plus que la
normale A tel point qu'à la naissance, le veau peut peser le double du poids normal et la vie de la
vache être mise en grand danger. Il y a ainsi environ 30% des veaux qui meurent juste avant ou
dans les quelques jours qui suivent la naissance.
On constate que ces veaux ont développé une ou plusieurs anomalies anatomiques ou
physiologiques, de façon plus ou moins marquée selon les individus: anomalies du système
cardiovasculaire, foie plus gros que la normale, reins atrophiés ou anormalement développés,
langue trop grosse, rate énorme et aussi glycémie dérégulée (diabète), hypertension artérielle,
poumons incapables de commencer à fonctionner, déficit immunitaire, température plus élevée
que la normale (40° à 42°C au lieu de 38°C) pendant une à deux semaines. Dans ce dernier cas
par exemple, on croyait au début que ces veaux souffraient d'une maladie infectieuse et qu'ils
avaient de la fièvre, et on les traitait aux antibiotiques, ce qui ne servait strictement à rien.
Malgré tout, on constate qu'il y a des animaux qui peuvent naître sans présenter aucune de ces
anomalies. Et avec ceux qui présentaient des anomalies et qui arrivent à passer le cap des
premières semaines on s'aperçoit que tout finit par se réguler et par rentrer dans l'ordre. Ils sont
alors d'apparence physiologique tout à fait normale.
Avez-vous des pistes sur l'origine de ces déraillements ?
Pour l'instant nous accumulons les indices et nous faisons beaucoup de constats. Nous savons
que l'environnement du fœtus joue un rôle très important et l'hypothèse que nous faisons est la
suivante : tout se passe comme si, avec ces animaux, il y avait eu au cours de leur vie fœtale
une désynchronisation entre leur état de développement et les apports nutritifs que leur fournit la
mère, via le placenta. Quand on en discute avec des médecins, on réalise que les maladies ou
anomalies que nous décrivons évoquent, en les exagérant, les symptômes que manifestent
certaines femmes chez qui la grossesse évolue mal, parce que leur régime alimentaire pour une
raison ou une autre s'est trouvé déséquilibré, trop pauvre ou trop riche, à certains moments de la
vie du fœtus qu'elles portent. Ces médecins nous disent que ces perturbations de la physiologie
du fœtus quand elles ne sont pas immédiatement graves disparaissent après la naissance, mais
peuvent réapparaître beaucoup plus tard, au cours de la vie adulte de ces bébés. Quarante ans
après leur naissance, ils seraient plus sujets que les autres à des maladies cardiovasculaires ou
à certaines formes de diabète ! Ces médecins sont très intéressés par nos travaux sur l'animal,
car ils pourraient permettre de comprendre beaucoup mieux l'origine fœtale de nombreuses
maladies. On croyait qu'elles étaient surtout déterminées génétiquement, et il se pourrait que
l'environnement embryonnaire et fœtal ait un rôle très important. Et que ce rôle s'exerce sur le
fonctionnement des gènes très tôt, dès le début de la vie embryonnaire.
Qu'est ce que ces recherches vous ont appris ?
Avec le clonage, nous réalisons encore un peu mieux que nous ne sommes pas que le produit de
nos gènes ! Nous sommes aussi le résultat d'une discussion permanente entre l'ensemble des
gènes (le génome) dans le noyau et leur environnement cellulaire (le cytoplasme), entre
l'embryon et son environnement utérin. D'où l'intérêt de ces recherches pour comprendre l'origine
de certaines maladies comme le diabète ou les maladies cardiovasculaire. Il est tout à fait
possible qu'en étudiant le développement des clones, nous puissions un jour apporter beaucoup
à la médecine, en terme de recommandations nutritionnelles pour les femmes enceintes par
exemple.