Avant de juger des dangers de récupération d'une telle recherche par certains apprentis sorciers
issus de sectes pour le moins bizarres ou de quelques « médecins » soit disant soucieux du bien-
être de leurs patients, donnons la parole à la défense et posons la question de savoir où nous en
sommes aujourd'hui dans la mise au point d'une telle technique.
copyright Inra
Il est certain qu'un chercheur tel que Jean-Paul Renard qui, au sein de son laboratoire, produit
des clones de vaches, de souris et de lapins, peut découvrir des phénomènes biologiques
importants liés au développement de l'embryon. Par exemple : en transférant le noyau d'une
cellule dans un ovule, il s'est rendu compte que les évènements moléculaires qui se produisent
au tout début du développement de l'embryon peuvent avoir des conséquences beaucoup plus
tard dans l'histoire du développement du fœtus et même de l'individu après sa naissance. Ces
recherches sont primordiales pour savoir quels sont les risques encourus par un individu cloné.
Par ailleurs, on observe chez la vache que les embryons clonés commencent à se développer
apparemment normalement pendant la première semaine, avant que ne se mette en place le
processus qui conduira à l'implantation de l'œuf dans l'utérus de la mère porteuse. La proportion
d'embryons qui commencent ainsi à se développer est voisine de celle que l'on obtient après
fécondation in vitro On a constaté qu'il en est de même chez la souris jusqu'à 80% des
embryons clonés peuvent s'implanter
Et puis, très souvent tout commence à dérailler : la formation du fœtus devient anormale et le
développement s'arrête. Pour la souris, le phénomène se produit rapidement après l'implantation.
Pour la vache, c'est plus tard et plus progressif. On constate l'arrêt du développement du fœtus
au bout du deuxième mois pour certains, du troisième ou du quatrième pour d'autres, et même
pendant le dernier trimestre de la gestation alors que ce n'est pratiquement jamais le cas dans
les conditions naturelles ou après transfert d'embryons issus de fécondations in vitro. Finalement,
il n'y a qu'environ 5 à 10% des embryons transplantés qui se développent à terme. Comme un
tiers environ des embryons reconstitués sont transplantés, ce n'est pas beaucoup.
A-t-on des explications à ce phénomène de « rejet » de la part de l'organisme ?
On a des explications pour le tout début du développement, lorsqu'il n'y a encore que quelques
divisions cellulaires. La cause est liée aux remaniements que subit le noyau lorsqu'il arrive dans
l'ovule, des erreurs qui se produisent lorsque la cellule commence à se diviser. Si le noyau
transféré n'est pas parfaitement bien reconstitué, la mécanique de division de la cellule œuf
s'arrête vite et les premières différenciations cellulaires n'ont pas le temps d'apparaître.
S'il n'y avait que cette raison ce serait assez simple. Ce qui est beaucoup plus troublant, c'est
qu'il y a des embryons qui commencent à se développer apparemment tout à fait normalement.
Chez la vache par exemple, où l'on peut suivre le développement du fœtus pendant les premiers
mois de la gestation (par échographie, comme on le fait chez la femme) on voit le fœtus qui se
forme et grossit, le cœur qui bat et les bourgeons des membres qui apparaissent et deviennent
de petites pattes. Plus tardivement, vers six ou sept mois, et même quelquefois, juste avant la
mise bas, on constate que le fœtus se met à grossir beaucoup trop vite : les « poches des eaux
», formées par les structures placentaires peuvent devenir énormes, deux fois plus que la
normale A tel point qu'à la naissance, le veau peut peser le double du poids normal et la vie de la
vache être mise en grand danger. Il y a ainsi environ 30% des veaux qui meurent juste avant ou
dans les quelques jours qui suivent la naissance.
On constate que ces veaux ont développé une ou plusieurs anomalies anatomiques ou
physiologiques, de façon plus ou moins marquée selon les individus: anomalies du système
cardiovasculaire, foie plus gros que la normale, reins atrophiés ou anormalement développés,
langue trop grosse, rate énorme et aussi glycémie dérégulée (diabète), hypertension artérielle,
poumons incapables de commencer à fonctionner, déficit immunitaire, température plus élevée
que la normale (40° à 42°C au lieu de 38°C) pendant une à deux semaines. Dans ce dernier cas
par exemple, on croyait au début que ces veaux souffraient d'une maladie infectieuse et qu'ils
avaient de la fièvre, et on les traitait aux antibiotiques, ce qui ne servait strictement à rien.
Malgré tout, on constate qu'il y a des animaux qui peuvent naître sans présenter aucune de ces
anomalies. Et avec ceux qui présentaient des anomalies et qui arrivent à passer le cap des
premières semaines on s'aperçoit que tout finit par se réguler et par rentrer dans l'ordre. Ils sont
alors d'apparence physiologique tout à fait normale.
Avez-vous des pistes sur l'origine de ces déraillements ?
Pour l'instant nous accumulons les indices et nous faisons beaucoup de constats. Nous savons
que l'environnement du fœtus joue un rôle très important et l'hypothèse que nous faisons est la
suivante : tout se passe comme si, avec ces animaux, il y avait eu au cours de leur vie fœtale
une désynchronisation entre leur état de développement et les apports nutritifs que leur fournit la
mère, via le placenta. Quand on en discute avec des médecins, on réalise que les maladies ou
anomalies que nous décrivons évoquent, en les exagérant, les symptômes que manifestent
certaines femmes chez qui la grossesse évolue mal, parce que leur régime alimentaire pour une
raison ou une autre s'est trouvé déséquilibré, trop pauvre ou trop riche, à certains moments de la
vie du fœtus qu'elles portent. Ces médecins nous disent que ces perturbations de la physiologie
du fœtus quand elles ne sont pas immédiatement graves disparaissent après la naissance, mais
peuvent réapparaître beaucoup plus tard, au cours de la vie adulte de ces bébés. Quarante ans
après leur naissance, ils seraient plus sujets que les autres à des maladies cardiovasculaires ou
à certaines formes de diabète ! Ces médecins sont très intéressés par nos travaux sur l'animal,
car ils pourraient permettre de comprendre beaucoup mieux l'origine fœtale de nombreuses
maladies. On croyait qu'elles étaient surtout déterminées génétiquement, et il se pourrait que
l'environnement embryonnaire et fœtal ait un rôle très important. Et que ce rôle s'exerce sur le
fonctionnement des gènes très tôt, dès le début de la vie embryonnaire.
Qu'est ce que ces recherches vous ont appris ?
Avec le clonage, nous réalisons encore un peu mieux que nous ne sommes pas que le produit de
nos gènes ! Nous sommes aussi le résultat d'une discussion permanente entre l'ensemble des
gènes (le génome) dans le noyau et leur environnement cellulaire (le cytoplasme), entre
l'embryon et son environnement utérin. D'où l'intérêt de ces recherches pour comprendre l'origine
de certaines maladies comme le diabète ou les maladies cardiovasculaire. Il est tout à fait
possible qu'en étudiant le développement des clones, nous puissions un jour apporter beaucoup
à la médecine, en terme de recommandations nutritionnelles pour les femmes enceintes par
exemple.
Est-ce que l'étude de cet environnement du noyau vous a déjà permis de
découvrir des choses intéressantes ?
Et comment ! On peut dire, schématiquement, qu'avant le clonage on considérait que le noyau de
cellules différenciées (comme le sont les fibroblastes de peau) ne pouvait pas retrouver un état
embryonnaire. Lui faire récapituler à nouveau toutes les étapes du développement jusqu'à la
naissance d'un jeune viable était considéré comme biologiquement impossible.
Ayant admettre, depuis la naissance du mouton Dolly, qu'un noyau de cellule différenciée
(une cellule adulte) pouvait redonner un être vivant apparemment normal, des chercheurs
d'autres disciplines ont observé leurs cellules en culture avec un tout autre regard. Et ils ont
découvert ainsi qu'il existait dans l'organisme adulte, des cellules qui restaient à l'état
indifférenc (c'est à dire un peu comme les cellules embryonnaires). On en a trouvé dans
différents tissus du corps comme le cerveau, les muscles, la moelle osseuse, la peau. On s'est
aperçu qu'en mettant ces cellules indifférenciées, celles du cerveau par exemple, dans un
environnement de cellules musculaires, elles commençaient à se transformer en cellules
musculaires. On appelle ces cellules adultes indifférenciées : « cellules souches ».
Elles nous montrent en premier lieu, que la plasticité de fonctionnement d'une cellule et de son
noyau est beaucoup plus grande que ce que l'on croyait jusqu'à maintenant. La découverte de
ces cellules souches dans différents tissus, comme par exemple le tissu nerveux, est une
découverte fondamentale. Et c'est bien parce que le clonage vernait de démontrer que le noyau
de cellules différenciées pouvait retrouver un état embryonnaire que ces recherches ont été
engagées ! Un nouvel état d'esprit vis à vis de la différenciation cellulaire, et ce sont des
nouvelles questions fondamentales pour la biologie qui deviennent accessibles à
l'expérimentation. La réponse à ces questions ouvre aussi des perspectives nouvelles pour de
nouvelles applications thérapeutiques.
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