PMO 001 FONDEMENTS HISTORIQUES DE L’ISLAM CLASSIQUE et ISLAMOLOGIE 2002-2003 Monsieur Mahmoud AZAB + POLYCOPS INALCO + EXPOSES Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 1 /131 PROGRAMME I) L’AVENTURE DE L’ISLAMITE (Vè - XIIIè siècle) I-A) « Un pouvoir nouveau dans un monde ancien » I-A-1) L’Arabie avant l’Islam I-A-2) Mahomet (v.572-632) I-B) Naissance d’un empire ( 632-750) I-B-1) Les enjeux de la succession ( de la mort de Mahomet à l’installation du pouvoir Omeyyade) I-B-2) Les conquêtes I-B-3 tensions internes et révolte abbasside I-C) Un empire musulman (750- 1055) I-C-1) Le califat abbasside I-C-2) Eclatements politiques I-C-3) La civilisation classique I-D) Nouveaux empires (969-1258) I-D-1) Le califat fatimide d’Egypte I-D-2) Le sultanat seljoudique I-D-3) Zenguide et Ayyoubides : la contre - croisade II) ISLAMOLOGIE ET NAISSANCE D’UNE TRADITION CULTURELLE ISLAMIQUE 1) Situation religieuse au Moyen-Orient avant l’Islam. 2) Vie de Mahomet et prophétologie 3) Vulgate coranique et commentaires 4) Le Hadith 5) Le dogme 6) Le Kalam 7) Les pratiques (les piliers de l’Islam) 8) La Loi ( fondements du droit ; écoles juridiques ; contenu et limites de la Loi) 9) La question de l’autorité : le califat selon Mawardi. 10) La question de l’autorité : les thèses Chiites 11) Le soufisme 12) La pensée philosophique. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 2 /131 I) L’AVENTURE DE L’ISLAMITE ( V – XIII S) I-A) «Un pouvoir nouveau dans un monde ancien» I-A-1) L’Arabie avant l’Islam I-A-1-1) langues et civilisations Pour aborder notre sujet il faut voir plus large que la période , connaître le passé historique et celui des langues sémitiques. La péninsule arabique est le berceau des langues sémitiques, mais l’observation sémitique n’est pas scientifique car on manque de sources sures : on ne peut faire autrement. La péninsule arabique s’étend du Yémen aux frontières nord de l’Irak, de la Syrie, jusqu’à la mer Rouge , c’est le territoire des sémites. Ce terme « sémite » a été créé par SCHLÖZER à la fin du XIXè S. ( SEM – ŠEM en hébraïque et en arabe م+ أ+ ) سen référence à l’un des trois fils de NOË ( SEM, CHAM et YAHVE) : ce sont les descendants de SEM qui nous intéressent. Cette dénomination n’est pas très exacte, nous le savons aujourd’hui, mais on la conserve , faute de mieux. Les peuples de langue et civilisations sémitiques peuvent être classés, * en EST( Mésopotamie, littéralement pays entre les deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate) * et OUEST , avec subdivision N/O et S/O L’EST, la Mésopotamie c’est la civilisation la plus ancienne, l’akkadienne, avec AKKAD pour capitale, l’histoire nous parle d’HAMOURRABI, la première loi du talion, « œil pour oeil, dent pour dent » ; on l’appelait le « roi soleil » , il recevait la loi de Dieu et la transcrivait sur des tablettes, qu’on a retrouvé entières (sumérien). Cette loi on l’a retrouvée dans l’ancien testament et plus tard dans le Coran, sourate V-45… « nous leur avons prescrit : âme pour âme, œil pour œil, nez pour nez, oreille pour oreille, dent pour dent, compensation pour les blessures, quiconque à titre d’aumône ( renoncerait à la compensation) cela vaudrait pour expiation »…, à chaque fois plus complète. L’OUEST, Tout d’abord le N-O, les phéniciens (au Liban), les « ougaritiques » ( dont on a retrouvé tablettes , langue et civilisation il y a 40 ans , OUGARIT au nord de la Syrie actuelle sur le littoral), les cananéens ( en Palestine) dont la langue était l’araméen d’où découle le syriaque . Cinq remarques le premier alphabet est le phénicien , les autres découlent de lui, puis est venue la lange guèze l’araméen était la langue dominante, dans l’ancien testament des parties entières sont en araméen et pas en hébraïque, elle a été la concurrente de la langue grecque… le syriaque a joué un grand rôle puisque pour traduire les sciences grecques, les traducteurs étaient les prêtres syriaques trilingues ( arabe, langue de l’état, syriaque, langue maternelle et grecque, langue de la religion) , ils ont donc traduit du grec au syriaque , puis du syriaque à l’arabe ( note 1). Il est intéressant de remarquer que plus tard, à Tolède et à Palerme ce sont les juifs qui vont prendre le même rôle , à l’envers, pour apporter à l’occident la culture orientale en passant de l’arabe à l’hébreu, puis de l’hébreu au latin…. à cette époque les fatwas de l’islam préconisaient aux musulmans de confier l’éducation de leurs enfants aux chrétiens , car ils détenaient la science. Au S-O, on distingue l’Arabie du nord et le sud arabique, Au nord, deux grandes tribus, voisines à la Syrie et à l’Irak , les Ghanassides, convertis au christianisme, influencés par les byzantins ( base du christianisme en Arabie) , et les Manadira ou Lakhamites près de la frontière arabo-persane, bilingues arabe + langue byzantine Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 3 /131 Au sud , le Yémen anté-islamique était riche de civilisations, par exemple SABBA ( note 2), histoire de la reine avec le roi Salomon, une sourate en entier dans le Coran, qu’il faut lire. Les civilisations yéménites sont successivement, Sabba, Mecine, Himyar( note3), Qatabane, Hadramoute. Des tribus arabes ont traversé la Mer Rouge pour aller en Ethiopie ( à une date qu’on ignore) avec leur langue Gueze, seule langue sémitique écrite de la gauche vers la droite et qui est à l’origine de la langue amharique. Les mots de ces langues successives sont à l’origine de tous les malentendus religieux, à l’intérieur du monde sémitique d’abord, Exemple le nom de Dieu Alla’t en sud Arabie, Allah en arabe, Allaha en syriaque avec « el » en élément commun. « El » est le cerf, symbolise la force, voilà la relation entre chef et Dieu. Le seigneur est le chef de la famille, seigneur = Rab et en syriaque fils = Bar. Les langues sémitiques sont basées sur une racine de 3 consonnes : les deux cahiers de David Cohen avec toutes les racines font 100 pages chacun. A partir de la racine de 3 consonnes on réduit à la racine sémitique et si on ne le peut pas alors le mot est sûrement d’origine étrangère. L’Islam, on le verra plus tard naît dans ce cadre comparé et reconnaît ses sources…« cela existait déjà dans les premières écritures, celle de MOÏSE »…La Bible est l’une des références du Coran, il vient pour la compléter. L’ancien testament n’est pas une innovation, lui aussi, il a trois sources, la civilisation mésopotamienne, loi Hammourabi développée, berceau original des Hébreux,(note4) les syro-libanais et les phéniciens, surtout la poésie du Cantique des Cantiques ( alors que l’on croit que c’est le Roi Salomon qui l’a écrit) et l’Egypte puisque Moïse est égyptien , est allé à l’école en Egypte, le monothéisme vient d’Egypte… Il y a donc dans cette région une pyramides des cultures la langue araméenne qui a envahi toute cette région et a empêché l’hébreu de pénétrer jusqu’en Palestine ( le Christ parle en araméen , c’est la langue officielle de l’Egypte, des princes et des pharaons ) puis le syriaque , qui n’a pas de géographie unique, les syriaques sont en Irak, Syrie et Liban, l’hébreu qui est une langue biblique de prières ( et qui évolue maintenant depuis un siècle), puis l’arabe qui est sorti de l’Arabie par la religion et s’est enrichi des influences des langues des nouvelles régions. L’arabe est une langue et une culture , au Xè siècle, les juifs ont traduit l’ancien testament en arabe I-A-1-2) LA MECQUE La Mecque( note 5) a son histoire, mais on n’a pas de documents écrits, seulement une transmission orale, mélange de réalités historiques et de mythes : il ne faut pas prendre les textes sacrés pour historiques , leur but est la religion pas la science historique. Le prophète avait compris que les textes précédents avaient soufferts de la transmission orale aussi il a « fermé » le Coran Coran , sourate V-3…» Aujourd’hui j’ai parachevé pour vous votre religion, parfait pour vous mon bienfait en agréant pour vous l’Islam comme religion »… La Mecque , station d’Abraham ? Coran…sourate III-91..»Là est la station d’Abraham. Quiconque entre dans son enceinte est à l’abri de tout danger. En faire le pèlerinage est un devoir envers Dieu»…, Abraham( note6) est reconnu par les 3 religions…mais l’histoire ne parle pas d’Abraham : c’est un modèle de la foi, un modèle à suivre, le bien aimé de Dieu. Quelques historiens comparent Abraham et Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 4 /131 Aménophis IV, thèse d’Akhenaton, pourquoi pas le point de départ ??? On dit aussi que Moïse serait le frère adoptif de Ramsès II …Cela ne touche pas la foi… Le Coran ( sourate………) s’accorde à 90% avec l’exode , mais attention, quand on compare il y a toujours des différences : exemple la vie de Moïse, sa naissance, élevé chez les pharaons, il tua un égyptien lors d’une dispute en défendant un homme de sa famille contre un étranger, il fuit, va en SinaÏ, se réfugie pendant 10 ans chez un prêtre arabe (…………, un des trois seuls prophètes arabes) il garde les moutons avec sa femme, son fils, et il reçoit la révélation d’un monothéisme, sorte d’adaptation du monothéisme égyptien . Lire EL TABARI il a rassemblé tout ce qu’on disait dans ces régions, bible et culture persane compris : même différentes ces cultures sont inséparables. L’Egypte était en contact avec l’Asie aussi par le Sinaï, ( c’était le grenier à blé de la région),…Abraham vient en Egypte chercher du blé… Donc pas d’écrit sur la Mecque, le Coran ne parle pas de la fondation de La Mecque. Une source est à l’origine de cette création , le puits «zamzam» est une réalité…la mère d’Ismaël ( note 7) l’aurait retrouvé alors qu’elle cherchait de l’eau pour son fils… Kamal el Saibi a écrit un livre « La Thora est venue de l’Arabie » parce que « baryat faran » est le lieu où Abraham a abandonné son fils et où il retournait le revoir…la Bible s’arrête quand l’ange de Dieu calme Abraham et les musulmans reprennent le fil, le Coran dit, nous avons montré à Abraham le lieu de la maison sacrée, la Mecque, qui devient un centre commercial , religieux et culturel. S’y trouve la pierre noire : pierre sanctifiée du siège de la Kaâba qui renfermerait le pacte céleste que Dieu aurait transcrit à l’intention des hommes. La légende féconde en la matière prétend qu’à l’origine cette pierre d’origine céleste était blanche mais les péchés des visiteurs l’ont chargée de leurs noirceurs… («…la pierre tantôt décrite comme de la lave, tantôt comme du basalte sa nature exacte est difficile à déterminer à cause des nombreux attouchements . son diamètre est d’environ 30 cm. Sa couleur est noire avec tendance rougeâtre, et des parties rouges et jaunes…» cf. EI…) Elle est sacrée et tous les musulmans doivent la toucher : OMAR ne voulait pas toucher cette pierre , ce qui est bien la preuve qu’il a toujours existé un courant rationaliste dans l’islam.. Les musulmans ont un respect sacré pour la pierre noire car ce seraient les restes de la 1 ère maison de Dieu. La Kaâba a plusieurs fois été détruite et reconstruite dans son histoire Tous les arabes venaient à La Mecque, il y avait la Kaâba, la maison de Dieu, il y avait les divinités des arabes (360), chaque tribu avait sa statue, son idole, et à la fin de la saison ( ?) il y avait le souk ( ‘ukad). Le pèlerinage existait avant l’islam, chaque tribu venait avec son poète ( qui tenait un rôle important dans la tribu , sorte de mémoire, ministre de la culture, archiviste…) et ils récitaient leurs poèmes devant le plus vieux : le vieux disait le gagnant , on écrivait son poème en lettres d’or et on l’affichait sur les murs du temple ce sont les mouhallakat. Il y en avait 7 au début de l’Islam, 3 autres ne sont pas reconnus. Dans ce climat culturel, commercial et spirituel existait la tribu des Koraïchites dont le grand père de Mohammed était chef de la Mecque, responsable de la Kaâba , même si ce n’est pas la tribu la plus riche, c’est la plus considérée. I-A-2) MAHOMET ( vers 572/632) I-A-2-1) sa famille, son enfance Son grand père, Abd el Moutthaleb exerçait les deux fonctions de «siquaïa» ( intendance des eaux et en particulier celle du puits de zemzem) et de «hadjaba» ( intendance de la Kaâba ) quand il eut son 10ème fils Abd Allah : il avait fait le vœu , alors qu’il n’avait qu’un fils et qu’il le déplorait qu’il immolerait aux dieux le 10ème s’il avait de nouveaux fils (note n° 9)…et le 10ème fut Abd’Allah…au moment du sacrifice les koraïchites lui conseillèrent d’aller voir une devineresse , elle demanda quelle était l’amende pour un meurtre et comme on lui répondit 10 chameaux elle dit de mettre 10 chameaux d’un coté, Abd’Allah de l’autre et de tirer au sort et de mettre autant de fois dix chameaux jusqu’à ce que le sort soit contre les chameaux…comme le sort fut dix fois contraire Abd el Moutthaleb racheta sa promesse contre cent chameaux…depuis ce jour le prix du sang humain fut fixé à 100 chameaux parmi les arabes…. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 5 /131 Puis Abd’Allah se maria avec Amina et de ce mariage naquit Mahomet. : son père mourut deux mois après, sa mère six ans plus tard, il fut confié à son grand père qui mourra quand il avait 9 ans , et il fut alors confié à son oncle Abou Talib : il est élevé avec les enfants de son oncle, garde les moutons, est joint au commerce dans les caravanes conduites par son oncle. Il fait une mission pour Khadija, riche veuve et réussit pleinement , elle le demande en mariage ,elle a près de 40 ans, lui 25. Parmi les récits et légendes … avant la naissance de Mahomet son grand père avait fait un rêve ( les prophètes bibliques rêvaient et chez les musulmans un rêve de prophète et une révélation…) il avait vu une chaîne d’or descendre du ciel jusqu’à son dos et cette année là il avait eu son 10ème garçon Abd’Allah… dans son enfance alors qu’il jouait avec deux camarades dans la plaine il fut isolé par deux hommes en blanc qui lui sortent le cœur, le lavent, le replacent après avoir enlevé un point noir ( …celui du mal…), Abd el Moutthaleb s’aperçut que son petit fils était né circoncis à la naissance… Alors qu’il avait 12 ans environ lors d’un passage à Bosra avec la caravane, le moine arabe Bahira reconnut en l’enfant Mahomet le futur prophète et montra à son oncle la sceau de la prophétie marqué dans son dos . Il conseilla à son oncle de protéger Mahomet , ce que ce dernier fit jusqu’à sa mort même s’il n’adopta jamais la religion de son neveu. L’esclave de Khadija qui rend compte régulièrement à sa maîtresse des travaux de Mahomet qu’il accompagne raconte que dans la traversée du désert ils ont été accompagnés par un nuage qui leur faisait de l’ombre et les protégeait… Les textes fondateurs, Coran et hadith ne parlent pas beaucoup de l’enfance de Mahomet ; quelques hadith en parlent mais les musulmans ne sont pas d’accord. Quand le prophète était vivant il interdisait l’écriture des hadith, en disant qu’il dictait le Coran ou pas , le reste n’étant que parole d’homme, le prophète est un être humain parmi les autres qui reçoit et transmet la révélation. I-A-2-2) la prophétie Mahomet avait pour habitude de se retirer dans une grotte , pour méditer . Un jour , il avait 40 ans ( 40 ans pour les musulmans à l’époque c’est l’age de la prophétie, on peut recevoir, on peut diriger) , c’était un mois de ramadan qui existait déjà chez les arabes il mène une réflexion libre, …le ciel, les étoiles, l’univers, d’où je viens, où je vais,,ça vient d’où ? ça va où ? ou réflexion abrahamique , (Abraham est le père des prophètes dans le Coran) et une nuit il a une révélation , c’est la « leïla teqadr » ou nuit du destin le prophète a dit : Coran ,XCVI,1 à 5 : «… je m’étais endormi dans la grotte de Hira, lorsque l’ange Djebraïl m’apparut, et déployant devant mes yeux une longue étoffe de soie brodée avec des caractères d’écritures : Lis me dit il—je ne suis pas de ceux qui lisent répondis-je. Il me saisit aussitôt, enserra mes membres, ma bouche et mes narines dans les replis de cette étoffe, avec une telle violence que ma respiration fut suspendue et que je crus arrivé pour moi l’instant de la mort. Puis, m’ayant relâché, il répéta : Lis ! –Je ne suis pas de ceux qui lisent, répondis je encore.. Il m’enserra de nouveau et je sentis mon dernier souffle prêt à s’échapper de ma poitrine. Enfin il desserra son étreinte et pour la 3è fois il me dit , Lis !. Et que dois je lire ? lui demandai-je dans mon épouvante d’une troisième étreinte à la quelle mon souffle n’aurait certainement pas résisté. Alors il me dit : Lis au nom de ton Seigneur qui a tout créé, qui a créé l’homme d’un grumeau de sang, Lis : et ton Seigneur est le plus généreux, Lui qui a enseigné à l’homme l’usage du Calame, qui a enseigné à l’homme ce qu’il ne connaissait pas… Je récitai ces paroles après lui, il disparut, et m’étant réveillé en sursaut je ressentis cette impression qu’un Livre tout entier venait d’être gravé dans mon cœur. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 6 /131 A son retour il raconte la scène à Khadija qui fait venir le lendemain son cousin le prêtre chrétien Waraqa Bnu Nawfal qui le rassure, …« n’ai pas peur , c’est la tradition des prophètes »…. Puis Mahomet va recevoir de l’ange Gabriel ( Djébraïl) les versets de temps en temps , de façon sporadique. I-A-2-3) commentaires Quelques thèses, hors de l’islam, attribuent toute la révélation à Khadija et dans ce cadre polémique disent que les moines Waraqa et Bahira ont appris à Mahomet tout ce qu’il disait, peut on croire cette thèse ? = Non. Aucune thèse ne confirme que Mahomet savait une langue pour traduire les écrits antérieurs ; Bahira parlait le syriaque, l’ancien testament était en grec. Mahomet savait il lire ou écrire ? La Mecque ne pouvait pas être un pays de non savoir, mais les syriaques n’ont pas dit que Mahomet savait le syriaque… D’autres exagèrent quand ils veulent tout ramener à la culture judéo-chrétienne : dans le Coran il y a beaucoup de judéo-chrétien , mais il y a plus . … « Je suis venu pour compléter…» Les savants n’attribuent aucun miracle , sauf la révélation du Coran. Lire Ibn Ishaq , son ouvrage « LA SIRA » , c’est à dire la biographie de Mahomet : .Ibn Ishaq a tout ramassé, tout écrit, n’a pas vérifié, même le contradictoire. On a donc tous les témoignages, rationnels ou irrationnels, parfois une dizaine de versions pour le même événement …d’où le travail considérable que doit faire un chercheur musulman. Ibn Ishaq ne juge pas. La transmission chez les arabes est devenue une science, les chiites l’appellent la science des hommes ( ‘ilm el rijel)…mais quels critères doit on accepter ? On doit vérifier avant de croire *. voir comment Averroès vérifie les textes ( le discours décisif fasl el maqal) I-A-2-4) la nature de la révélation Chez les musulmans la révélation ( wahyoun ) est le contraire de l’inspiration poétique ( ilhamoun ). Les musulmans croient avoir un contact direct avec Dieu, avec l’ange Gabriel (Djébraïl), car Djébraïl = Coran = Dieu, et Dieu ne parle avec personne sauf par révélation ou avec un messager. Le Coran reconnaît que dieu parle à Moïse. La révélation est elle parole et sens divin ou parole seulement ? Trois thèses, Le Coran est divin, sacré, donc la langue arabe est divine, sacrée, donc c’est la langue d’Adam, c’est aussi celle du paradis, Le Coran est seulement de sens divin et la parole est humaine.: le Coran a été dit à Mahomet et Gabriel l’a fait descendre sur son cœur, pas sur sa langue, donc la parole peut être humaine. Ces thèses sont , entre autres, celles de Au XIVè siècle, AL ZARKASHI (livre= al burhan= la preuve) Au XVIè siècle AL SUYOUTI (livre = al ilqal = le perfectionnement) Le Coran est de sens divin et la parole est celle de l’intermédiaire, l’ange Gabriel, donc Gabriel parlait arabe, donc il savait toutes les langues quand il parlait à chaque peuple, donc la langue arabe n’est pas une langue sacrée. Le Coran répondait aux besoins de la société musulmane et avec son évolution s’est posé le problème des versets qui en annulent d’autres, les sciences du Coran distinguent l’abrogé et l’abrogant, Coran II-100 ,…Nous n’abrogeons aucun verset de ce livre, ni n’en ferons effacer un seul de ta mémoire sans le remplacer par un autre ; meilleur ou pareil. Ne sais tu pas que Dieu est tout puissant ?… Coran XVI,103…Si nous remplaçons dans ce Coran un verset par un autre ( Dieu connaît mieux que qui que ce soit ce qu’il révèle), ils disent que tu l’inventes toi même. Non ; mais la plupart d’entre eux ne savent rien. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 7 /131 L’ordre de la révélation n’est pas celui que l’on a dans le Coran. Comment en est on arrivé là ? Les savants disent que Gabriel disait à Mahomet l’ordre des versets, donc, les musulmans croient que l’ordre est sacré.. Les savants savent nous donner l’ordre chronologique de la révélation. Ces livres, ainsi que la SIRA, parlent des problèmes, des événements, des scribes qui étaient une dizaine …Mahomet répétait les versets, les apprenait par cœur, les dictait aux scribes, d’où des nuances entre les exemplaires. Cela existe , est connu et on sait le traiter. Le Coran a un coté esprit et foi, mais aussi une dimension sociale d’une grande civilisation. Il y a une science qui s’appelle les lectures coraniques. La révélation s’est faite de la nuit du destin au dernier pèlerinage à la Mecque, Coran, V,5…Aujourd’hui j’ai parfait votre religion et mis le comble à mes bienfaits pour vous. Il m’a plu de vous donner l’Islam pour religion…selon les commentateurs sunnites , le mot aujourd’hui employé dans ces versets, s’applique non pas à tel ou tel jour précis, mais à tout le temps de la mission de Mahomet. A la mort du prophète le Coran devient intouchable. Le prophète interdisait à ses disciples d’écrire des hadith : donc ils ne sont pas sacrés, on a commencé à les écrire au IIIè siècle de l’Hégire, voir El Ghazali : la critique des hadith. Le prophète n’a pas laissé une interprétation du Coran ; donc les interprétations ne sont pas sacrées. Il y a une grande diversité dans les cultures musulmanes et les savants sont responsables de rechercher et réinterpréter le texte coranique. NOTES 1) la langue syriaque a joué un rôle de grande importance. Quand l’Islam s’installe à Bagdad, EL MAAMOUN, roi d’une mère persane et d’un père arabe , le fils d’Haroun El Rachid ( …les Milles et une nuits…) a établi la DAR EL HIKMA , la maison de la sagesse, et il a invité les syriaques chrétiens. Ces prêtres syriaques traduisaient les langues grecques, le syriaque étant intermédiaire entre l’arabe et le grec. Les arabes restent presque un siècle à traduire et lire, puis, a. EL KINDI, 1er philosophe et penseur arabe musulman ( une tribu kinda avait donné le plus grand poète anté-islamique, Umru’ el Qays, b. ABOU MANSOUR EL FARABI, le 2ème maître après Aristote, c. AVICENNE, a vécu aux alentours de l’an 1000 ( naissance en 980 près de Boukhara et mort à Hamadhan en 1037) …science fondée sur la raison…la maîtrise du savoir repose essentiellement sur l’intuition et, en second lieu sur l’instruction… d. EL GHAZALI, qui marque la fin de la philosophie en orient. Il écrira »la réfutation des philosophes » et Averroes ( IBN RUSH) lui répond par « la réfutation de la réfutation » et reprend et réfute un à un les 18 points d’El ghazali. e. SAADDYA GA’ON, égyptien du Fayoun et créateur au Xème. de la philosophie juive, les juifs écrivaient en arabe mais en caractères hébraïques. f. MAÏMONIDE écrit le « guide des égarés », « Dahlil el haylil »… g. IBN TOUFAYL , le maître d’IBN RUSH, tente de répondre à cette question , la raison humaine est elle capable d’arriver toute seule à la vérité ou a t’elle besoin de Dieu ?…En 1182 il démissionne de sa charge de médecin du sultan et Averroes le remplace. h. AVERROES, IBN RUSH,( né à Cordoue en 1126, mort à Marrakech en 1198) commence à traduire l‘œuvre d’Aristote à 16 ans, la majeure partie de ces œuvres ont été brûlées, mais on en trouve des traces chez ses adversaires .Deux ou trois ont été sauvées , dont le «Discours décisif» , «Fasl el Maqal», relation entre la philosophie la raison et la foi et «le dévoilement des méthodes des preuves». Il a été trahi deux fois, au moment de sa traduction en latin , et par le choix de textes traduits qui n’étaient certainement pas «innocents». Aujourd’hui les chercheurs marocains et égyptiens travaillent sur ce sujet, savent comment ont été choisies et traduites ses œuvres… 2) sur le royaume de SABA, environ 950 av J.C. : règne supposé du roi Salomon à Jérusalem, entre 960 et 920 : règne supposé de la légendaire reine de SABA ( … » le royaume de Saba existe bien, en partie arraché aux sables. Et la reine ? Aucun Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 8 /131 historien ne semble plus croire à son existence. Quel dommage … » par Jeau Luc POUTHIER entre le VIIIè et le VIIè av J.C. :: début des royaumes caravaniers dont celui de Saba. Le mukkarib ( confédérateur ) de Sanaa construit la partie ancienne du grand sanctuaire Mahram Bilqis de Marib 715 ava J.C. : VIIè siècle Saba construit le royaume voisin d’Awsanpuis étend sa domination sur presque toute l’Arabie méridionale. Entre le VIIè et le VIè siècle : les Sabéens colonisent une parrtie de l’Ethiopie et naissance du royaume minéen fondé par un souverain sabéen. 300 après J.C. : dernière inscription laissée par un souverain sabéen à Mahran Biliqis. Ier au VIè siècle après J.C. : successions de confédérations tribales qui s’emparent du pouvoir mais adoptent la langue sabéenne. 3) sur Himyar vers 290 la tribu yéménite de Himyar unifie l’ensemble de la péninsule arabique du sud-ouest ( le Yémen actuel + une petite partie de l’Arabie Saoudite et de l’Oman et le premier souci des rois himyarites a été de renforcer l’unité de ce nouveau royaume, par usage de la langue himyar ( le sabéen) , l’utilisation du calendrier himyarite…. Et les rois ne pouvaient négliger la religion : vers 384 la région passe du polythéisme au monothéisme et désormais toutes les inscriptions royales sont monothéistes, sans que l’on sache vers quel monothéisme incline le roi, judaïsme, christianisme ou religion propre aux arabes.. De 380 à 530 environ les inscriptions sont nettement des formules juives, et entre 529/530 à 570/575 la région est chrétienne ( d’après Christian ROBIN, directeur de recherche au CNRS, Les religions de l’Arabie avant l’Islam) 4) sur ce sujet les ouvrages de Moshati, « la Thora hiérogliphique » de Fouad HASSANI « le folklore dans l’ancien testament » de James FREIZER 5) «…d’après la tradition arabe la Mecque fut édifiée par Adam, le père du genre humain. Détruite par le déluge, elle fut reconstruite sur les mêmes fondations par le prophète Abraham, aidé par son fils Ismaïl, l’ancêtre des arabes. Et depuis, maintes fois réparée dans les mêmes formes et les mêmes proportions, la Kaâba fut le but de pèlerinage des arabes venant y adorer Allah l’unique , puis peu à peu ce culte s’était altéré dans le souvenir des pèlerins qui lui avaient associé le culte des idoles, au nombre de 360, lorsque Mohammed fut envoyé pour les détruire »… d’après DINET et Sliman Ben BRAHIM in La vie de Mohammed encyclopédie de l’Islam ,2, page 333… « en dehors des traditions musulmanes, l’on ne sait presque rien sur le passé de la Kaâba . Seule la mention de La Mecque par le géographe Ptolémée sous le nom de Macoraba laisse supposer qu’au IIè siècle la Kaâba existait déjà…la vénération du sanctuaire s’était déjà constituée quelques générations avant Mohammed en un culte exactement réglé…» 6) à Médine après 622, est affirmée l’antériorité de la religion d’Abraham sur le judaïsme et le christianisme : Abraham, ni juif ni chrétien, adhère au monothéisme originel ( hanîf) et est réellement un musulman ( sourate III-67). Cette référence à Abraham et à la religion originelle devient ainsi un signe de la distance qui sépare les musulmans des juifs et des chrétiens. 7) cette séquence rappelle le sacrifice d’Abraham : sur ce sujet TABARI donne 10 pages avec toutes les transmissions qui disent que c’est Ismaïl, et 10 pages avec toutes les transmissions qui disent que c’est Isaac…dans l’ancien testament on dit que c’est son fils aîné ? Les musulmans disent que l’aîné est Ismaïl , alors qu’Isaac est le fils de Sarah , la femme d’Abraham alors que Hagar est la mère d’Ismaïl puisque Sarah était trop vielle pour enfanter …L’islam accepte que le sacrifice soit celui d’Isaac… Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 9 /131 I-B) Naissance d’un empire ( 632-750) A la mort du prophète 3 lignes se disputent le pouvoir les omeyyades,…le pouvoir doit rester aux mains des arabes,… les médinois,…les ansârs, nous avons accueilli le prophète,… les émigrés à Médine, les muhadjirûns et la famille,… nous sommes les premiers compagnons… Avant, les tribus avaient leur indépendance, mais , avec Mahomet, il avait les deux pouvoirs civils et religieux Va donc être instauré le califat qui durera jusqu’en 1924 avec la chute du dernier sultan ottoman, mais que faire quand il n’y a plus de califat ???c’est la question posée lors de la grande réunion de 1924 à El Azhar au Caire. Etymologiquement califat vient de la racine ﻑ+ ﻝ+ ﺧ, qui signifie succéder, mais succéder à qui et pourquoi ?? I-B-1) Les enjeux de la succession, de la mort de Mahomet à l’installation du pouvoir omeyyade Le politique n’est pas cité dans le Coran . Le prophète n’a pas nommé ou mentionné quelqu’un après lui, mais les sunnites tentent d’interpréter que le fait de faire la prière à la place du prophète induise la succession. La succession , au sens de khalafa, ne se veut que continuation de l’oeuvre de Dieu en général. Les omeyyades aussi interprètent : et ils recherchent dans les versets ce qui est favorable à Ali. Le Coran est très large , il est porteur de facettes et il peut porter beaucoup. Un auteur a dit le Coran est une ligne écrite dans un livre et il est lu par les hommes qui le prononcent…et l’agrandissent. Il s’agit de succéder au prophète pour diriger la communauté. La disparition de Mohammed n’a pas entraîné la destruction de la jeune communauté musulmane : - Les adeptes étaient sincères dans leur majorité - Deux hommes forts ont accepté la succession du Prophète Il a donc été possible de maintenir un temps la cohésion de la communauté : autorité et expansion hors de l’Arabie. Les Médinois, les Mekkois, plus généralement les sédentaires ont reconnus Abu Bakr comme calife. En revanche, les tribus bédouines ont choisi de faire sécession. Ce mouvement est connu sous le nom de Ridda, littéralement apostasie. Ces tribus, géographiquement éloignées des villes se sont crues libérées du lien moral et politique qui les rattachait à Mohammed.. Il est à noter qu’elle n’avaient pas participé à l’élection du nouveau calife. Elles se sont aussi senties libérées de toutes contribution financière. En outre, d’autres courants religieux possédant leur prophète propre que la mort de Mohammed a encouragé à vouloir jouer le même rôle. Ils sont généralement traités avec mépris par l’Islam. (Mousaylima). Contre les mouvement sécessionnistes, Abu Bakr a employé la manière forte. Il importait de consolider l’unité de l’Arabie et d’assurer la suprématie de l’Islam sans délai. Cette tâche fut confiée à Khalîd ibn al-Walîd. Celui-ci triompha des tribus Asad et Ghatafan, des Banû Tamîm (dont la prophétesse Sadjdja prêchait la lutte contre les musulmans), puis des Banû Hanîfa. Ensuite il soumit les tribus du Bahrayn et la côte du golfe persique. Un autre chef musulman ‘Ikrima ramenait les tribus bédouines du ‘Oman dans le giron de l’Islam. Moins d’un an après la mort de Mohammed, Abu Bakr avait triomphé des résistances locales de façon plus large encore que du vivant du Prophète. Il se devait d’agir vite et de frapper les esprit par la force Il devait s’imposer comme le chef de la communauté et affirmer le triomphe de l’Islam. Cette attitude revenait à mettre au centre de ses préoccupations une vaste campagne d’expansion déjà lancée du vivant du Prophète. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 10 /131 ================================================================== EXPOSE : Benoist Julie LA SUCCESSION DE MAHOMET INTRODUCTION Les quelques trente années qui suivent la mort du prophète sont déterminantes pour l’histoire de l’Islam. Elles ouvrent une période d’expansion et de conquête mais surtout, avec la question de la succession, elles sont à l’origine de la profonde division du monde musulman, encore souvent vécue de manière combattive. La disparition de Mahomet est suivie d’une grande confusion car la nouvelle communauté n’a aucune indication explicite sur la manière d’élire un dirigeant politique et religieux et Mahomet n’a donné aucune consigne quant à son souhait concernant son successeur. Grâce à Mahomet, l’état musulman était devenu une théocratie, et la sharia, les principes religieux et moraux de l’islam, la loi du pays. Il était admis que les califes, successeurs de Mahomet, devaient être des dirigeants à la fois laïques et religieux. Ils n’avaient pas, cependant, le pouvoir de promulguer des dogmes parce qu’il était admis que la révélation de la foi par Mahomet avait été complète. Il est bien important de comprendre que le calife n’est pas un prophète. Chef de la communauté mais absolument pas messager de Dieu, il ne pouvait pas se proclamer porte-parole d’une « suite » des révélations. Une aura de sainteté et de choix divin entoure malgré tout la personne et la charge des premiers califes, et ils revendiquèrent de fait une certaine autorité religieuse. Mais surtout au delà de l’autorité religieuse, Abu Bakr et ses successeurs se retrouvèrent vite appelés à exercer le pouvoir à plus vaste échelle que ne l’avait exercé le Prophète. Et de fait, il y avait un universalisme implicite dans l’enseignement et les actes de Mahomet : il revendiquait l’autorité universelle, le haram qu’il avait établi ne connaissait pas de frontières naturelles. Dans ses dernières années, il avait lancé des expéditions militaires contre les marches de l’Empire byzantin, et l’on suppose qu’il avait envoyé des émissaires aux dirigeants des grands Etats pour les appeler à reconnaître son message. Quand il mourut, les alliances qu’il avait passées avec les chefs de tribus menacèrent de se dissoudre, certains d’entre eux cessant alors de le reconnaître comme prophète, ou refusant du moins le contrôle politique de Médine. Face à ce défi, la communauté dirigée par Abu Bakr affirma son autorité par l’action militaire (les guerres de la « ridda ») ; c’est ainsi qu’une armée fut créée, et la dynamique de l’action la porta dans les régions frontières des grands empires, puis, la résistance se révélant faible, en leur cœur. A la fin du règne du second calife, Umar ibn al-Khattab (634-644), toute l’Arabie, une partie de l’Empire sassanide et les provinces syriennes et égyptiennes de l’Empire byzantin avaient été conquises. Le reste des territoires sassanides fut occupé peu après. Le deuxième fait d’une importance considérable lié à la succession est bien évidemment le schisme de l’Islam entre les chi’ites et les sunnites, principalement. Ainsi, les sunnites (adeptes de la sunna, l’ensemble des coutumes islamiques ou voie du Prophète), qui représentent la majorité des musulmans, considèrent la période des quatre premiers califes comme l’âge d’or de l’Islam. En s’appuyant sur les exemples des quatre premiers califes « bien guidés » et les compagnons du Prophète, les sunnites formulèrent des exigences concernant le califat : Le calife doit être un Arabe de la tribu de Mahomet, les Quraychites ; Il doit être élu à cette dignité et son élection approuvée par un conseil des anciens représentant la communauté musulmane Il doit faire respecter la loi divine et répandre l’islam par tous les moyens nécessaires, y compris la guerre. Cependant, dans l’histoire du califat, ces exigences furent rarement remplies. Alors que par opposition, les chiites, qui croient que le Prophète lui-même avait désigné son gendre Ali comme son successeur temporel et spirituel, n’acceptent pour prétendants légitimes au trône du califat que les descendants d’Ali (par Fatima, fille de Mahomet) Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 11 /131 Dans cet exposé, j’ai décidé de développer deux parties. La première partie est une présentation rapide des quatre califes dits « bien guidés », les quatre califes seront présentés de la même manière, tout d’abord les premières années de leur vie et leur conversion, leur réalisation, puis leur mort et la question de leur propre succession. La deuxième partie s’attardera sur deux points forts de cette période, les conquêtes territoriales et le schisme. I La présentation des « biens guidés » A. Abu Bakr Le début de sa vie « Personne n’avait été un meilleur compagnon pour moi qu’Abu Bakr » dit le saint prophète dans son dernier sermon. C’est une grande récompense amplement méritée pour Abu Bakr qui toute sa vie durant, fut aux côtés du Prophète sans se soucier de sa propre vie. Abu Bakr était de deux ans le cadet du prophète, et appartenait à la branche des Quraysh. Dès les premières années de sa vie, Abu Bakr fut connu pour sa nature bonne et juste et grâce à cela, les gens le respectèrent. Ces grandes qualités lui permirent de servir la cause la plus noble du monde et Abu Bakr devint le soutien le plus fort du prophète. Il deviendra le premier des Compagnons et permettra que l’Arabie et, par la suite le reste du monde, soit prêts à recevoir l’Islam après la mort du Prophète. Abu Bakr fut toujours très proche du Prophète, et ainsi, il fut le premier homme à croire en sa mission. Lorsque le Prophète lui dit qu’Allah l’avait désigné comme messager, Abu Bakr ne se contenta pas de réfléchir mais se convertit tout de suite. Ainsi le prophète put dire de lui : « J’ai appelé les gens à l’Islam. Tout le monde y pensa pendant au moins un moment. Mais ce ne fut pas le cas d’Abu Bakr. Au moment où je lui présentais l’Islam, il l’accepta sans aucune hésitation. ». Abu Bakr fut toujours aux côtés du prophète même dans ses moments les plus critiques (par exemple : la fuite à Médine), de même il fut de tous les champs de batailles que mena le Prophète. La proximité d’Abu Bakr et du Prophète et son dévouement à l’Islam sans limites lui valurent un respect universel. Il n’était pas seulement le premier homme à adhérer à l’Islam mais il fut aussi le premier des Musulmans à soutenir la cause de l’Islam. Ainsi, lors de l’ultime maladie du prophète, qu’il devint trop faible pour guider les prières lui-même, il désigna Abu Bakr et ce fut un véritable honneur d’être désigné pour remplir la plus haute fonction de l’Islam. Son élection Le saint Prophète occupait une place unique dans son peuple. La vie sans lui semblait être vide de sens. La nouvelle de la mort du Prophète fut un choc terrible pour tout le monde. Il était malade depuis plusieurs jours mais sa mort était incroyable. C’est dans cette atmosphère qu’Abu Bakr (grand conseiller du Prophète avec Umar) entra dans la mosquée et commença son fameux discours : « Ô les gens ! Si quiconque parmi vous adorait Mahomet, qu’il sache que Mahomet est mort. Mais si quiconque parmi vous adore Allah, qu’il sache qu’il vit et qu’il ne mourra jamais. Rappelons-nous tous les versets du Coran. Il dit « Mahomet est uniquement un messager d’Allah. Il y en eut d’autres avant lui. Qu’en est-il maintenant, vous détournerez-vous de l’Islam, s’il meurt ou est tué ? » En un clin d’œil, la confusion s’évanouit et les mots du Coran effacèrent tous les doutes des esprits des gens. Un réunion eut lieu à Médine, avec les muhajirines et les Ansar. Les Ansar souhaitaient devenir les successeurs du Prophète estimant qu’ils l’avaient accueilli à un moment difficile de l’Islam. Les émigrés de la Mecque, qui sont les premiers croyants, ne purent accepter cette solution. Umar décida de nommer Abu Bakr et la question de la succession fut réglée. Il est cependant nécessaire de noter qu’Ali sera le seul a s’occuper du corps de son cousin (c’est aussi de là qu’est partie la croyance des chi’ites) et ne sera donc pas en mesure de s’exprimer sur ce choix, de même les ommeyades (qui sont les chefs de la Mecque) ne seront pas tout à fait en accord avec ce choix mais ne le commenteront que plus tard. Ses réalisations Abu Bakr fut Calife seulement pendant 2 ans trois mois et dix jours. Pendant cette courte période, il eut le temps de réaliser de grandes œuvres pour l’Islam qui l’élevèrent parmi les plus grands hommes Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 12 /131 de tous les temps. A l’arrivée d’Abu Bakr, l’Islam était confiné en Arabie, et là aussi son poids était faible. Dans plusieurs régions du pays l’Islam n’était même qu’un nom. De nombreuses tribus considéraient le saint prophète comme un simple roi et essayèrent de renverser sa domination dès qu’il mourut. Abu Bakr donna à ces peuples une leçon durable. En 633, les généraux prirent le contrôle total de l’Arabie ouvrant la voie aux grandes conquêtes musulmanes qui enlevèrent la Syrie, la Palestine et l’Egypte à l’empire Byzantin, ainsi que l’Irak et l’Iran aux sassanides zoroastriens. Abu Bakr reste un des califes les plus appréciés par son honnêteté, son humilité et sa foi inébranlable. Il fut le premier des successeurs du prophète à vivre selon ses préceptes et enseignements, et de même il passa chaque minute de son Califat pour le bien de sa communauté. La question de sa succession Lors de la 13ème année de l’Hégire, Abu Bakr tomba malade. Il fut clair pour le calife âgé que la fin était venue. Lors de ses derniers jours, la pensée qui troublait Abu Bakr était l’avenir de l’Islam. Il avait dépensé la moindre de ses énergies à calmer les tempêtes d’insoumission qui avait éclatées après la mort du prophète, il ne voulait pas que cela se reproduise après sa mort. Une des questions les plus importantes fut de savoir comment et qui devait être nommé à la succession d’Abu Bakr. Après maintes réflexions, il choisit de nommer Umar. Il proposa son choix aux autres Compagnons et la plupart d’entre eux acceptèrent la proposition. Lorsque tous furent d’accord, Abu Bakr fit appeler Uthman et lui annonça la nomination de Umar. On alerta le peuple, alors Abu Bakr apparut à sa fenêtre soutenu par deux hommes : « Sur ma foi, je n’ai choisi aucun de mes propres frères et parents pour Calife. J’ai choisi un homme qui est la meilleure personne parmi vous. L’approuverez-vous ? » B. Umar Les premières années de sa vie Umar était le cadet du saint prophète de douze ans. Umar avait 27 ans lorsque le prophète entama sa mission. Il faisait partie de ceux qui ne prêtaient pas attention au message de l’Islam car il était en faveur de l’ancien mode de vie. Les années passant l’Islam faisait de lents progrès et cela exaspérait Umar. A la sixième année de la mission, alors qu’un certain nombre de musulmans partit pour l’Abyssinie, cela mit Umar hors de lui, il pensa même du prophète : « Voilà un homme qui a divisé le peuple alors qu’il vivait paisiblement. Il est apparu et a séparé le fils du père et le frère du frère. Maintenant, ses disciples fuient vers un autre pays. Mahomet est certainement la cause de tous ces ennuis. Je dois le tuer et mettre fin aux problèmes. » Lorsqu’il apprit que sa sœur et son beau-frère s’étaient convertis à l’Islam, cela eut pour effet de modifier la cible de sa colère et lorsqu’il ouvrit leur porte, ceux-ci étaient en train de lire le Coran. Après les avoir frappé, Umar fut pris de remords et demanda à consulter le Coran. De ce jour, il devint un homme différent, la crainte d’Allah avait envahi son cœur. Umar reçut bientôt le titre de farooq ‘celui qui fait la différence’, car alors que la plupart des musulmans avaient gardé leur conversion secrète, leurs prières silencieuses, celui-ci entreprit de libérer les musulmans de leur peur des chefs de la Mecque, si bien que lors de l’Hégire, Umar alla provoquer les chefs de la Mecque pour un combat loyal dans la vallée. Aucun d’eux ne se présenta. De sa conversion, Umar fut des toutes les batailles et les expéditions. Il ne laissa jamais aucun lien de sang ou d’amitié ternir cet amour, et la mort du prophète fut pour lui un choc étourdissant. Ses réalisations Umar fut calife pendant dix ans et demi. Cette période apparaît comme l’âge d’or de l’Islam. L’idéal pour lequel le prophète avait prié pendant tant d’années était devenu réalité, Umar avait rendu l’islam fort et grandiose et de ce fait il avait immortalisé son nom par son œuvre. L’étonnant succès de Umar était dû à deux raisons : sa crainte envers Allah et son amour pour le prophète. Il suivit toujours strictement l’exemple donné par le prophète. De ce fait, Umar devint le plus puissant administrateur de son temps. Ses armées vainquirent deux puissants empires, mais luimême mena toujours une vie frugale et simple. Umar veillait aux affaires du peuple, jusque dans ses moindres détails. Tous les citoyens, Umar compris, étaient égaux devant la loi. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 13 /131 Le plus grand souhait de Umar était de voir les bienfaits de l’Islam se répandre sur tous les hommes dans toutes les contrées qu’il gouvernait. Umar avait sous sa responsabilité un vaste empire. Il se montra plus qu’à la hauteur de la tâche en supervisant de grandes campagnes militaires simultanées, lancées à l’est et à l’ouest. Il releva ce défi et obtint des résultats impressionnants. Quand il fallut pacifier et ordonner ce vaste empire, il sut remplir la tâche avec un succès inégalé, en créant un espace de paix, de justice et de liberté tel qu’il n’y en avait nulle part ailleurs. Sa mort et sa succession Un jour, un esclave vint se présenter au calife et demanda à celui-ci de réduire la taxe que lui avait réclamée son maître. Umar refusa estimant que la taxe fixée était honnête. Le lendemain, alors qu’Umar se rendait de bonne heure à la mosquée pour diriger la prière. L’esclave se jeta sur lui et le frappa de 6 coups de dague. Durant les trois jours de son agonie, Umar, comme Abu Bakr précédemment, se posa la question de sa succession. Il décida de former un conseil de 6 personnes qui, selon le prophète devaient entrer au royaume des cieux. Ceux ci étaient Ali, Uthman, Abdur Rahman ibn Auf, Saad ibn Abi Waqqas, Zubair ibn Awam et Talha ibn Ubaydullah. Il leur demanda de s’accorder sur le nom de l’un d’entre eux comme calife et si cela n’était pas possible alors que la majorité se prononce. Les dernières paroles d’Umar furent pour le prochain calife « Crains Allah et défends les droits des Muhajirines et des Ansar. Prends la fortune du riche pour le pauvre. Traite avec bienveillance les non-musulmans et sois fidèle à ta parole. » Selon les souhaits de Umar, le conseil devait se réunir et accomplir leur tâche dans un délai de trois jours à partir de la mort du Calife. Les six hommes se rencontrèrent donc, à l’exception de Talha qui s’était absenté de Médine. Les discussions se prolongèrent un certain temps entre les membres du comité sans que l’on put parvenir à un accord. Le conseil était dans une impasse. Aussi Abdur Rahman ibn Auf dit : « Si l’un d’entre nous retire sa candidature, il aura le droit de nominer le calife. Qui va se retirer ? » Tous gardèrent le silence. Alors ce dernier dit « je retire mon nom. » Tous, sauf Ali, étaient prêts à accepter cette décision. Celui-ci demanda alors à Ali ce qu’il avait à dire. « Promets d’être juste. Promets de ne pas faire preuve de partialité en privilégiant la parenté. Promets de te laisser guider par le seul souci du bien du peuple. Si tu promets cela, je me plierai à ta décision. » Il en fit la promesse. Il était maintenant conscient de la responsabilité qu’il s’était imposé. L’annonce de la mort d’Umar avait attiré à Médine les leaders de l’opinion publique de tout l’empire ; Abdur Rahman se rendit auprès de chacun d’eux et discuta longuement de la question. Les uns soutenaient Ali, les autres Uthman. Les autres candidats étaient d’ores et déjà éliminés. Abdur Rahman s’entretint avec les deux candidats restants. « Quel est selon toi le plus compétent après toi ? » Demanda-t-il à Ali. « Uthman » fut la réponse. Il posa la même question à Uthman qui répondit que c’était Ali. On en était arrivé à la troisième nuit après le décès de Umar. Le lendemain matin, Abdur Rahman devait annoncer sa décision. Il veilla toute la nuit, s’entretenant longuement avec les 4 autres membres du conseil mais sans parvenir à avoir un avis unanime. Quand la prière fut terminée, les gens présents dans la mosquée se tinrent prêts à écouter ce qu’Abdur Rahman avaient à leur annoncer. Il se leva. Pendant plusieurs minutes, il implora Allah de le guider dans son choix. Puis il dit : « Ô croyants, j’ai réfléchi de mon mieux à la question. J’ai parlé à diverses personnes et recueilli leurs opinions. J’espère que vous ne regretterez pas ma décision. » Alors Abdur Rahman appela Uthman et lui dit : « promets d’agir selon les commandements du Coran et l’exemple donné par la Prophète et les deux califes. » « Je promets de le faire en y consacrant toutes mes connaissances et capacités. » Alors Abdur Rahman prêta allégeance à Uthman et son exemple fut suivi par tous les gens présents. Ali lui aussi prêta allégeance au nouveau calife. C. Uthman Les premières années de sa vie Uthman est né six ans environ après le prophète et sa grand-mère serait une des tantes du prophète. Il semble qu’Abu Bakr serait celui qui invita Uthman à l’Islam. Bien que le Prophète soit de la tribu des Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 14 /131 Banou Hashim, et qu’Uthman fut de celle des Banou Omayya, cela n’empêcha pas Uthman d’ouvrir son cœur à la vérité. Sitôt qu’il eut pris connaissance du message de l’Islam, il y adhéra et fut l’un des premiers convertis. D’ailleurs, le Prophète lui donna sa fille Ruqayya en mariage. Uthman fit partie des compagnons les plus proches du prophète. Il combattit lors de toutes les batailles, sauf à Badr, car Ruqayya était très malade. Uthman fut très attristé du décès de sa femme, notamment parce qu’il n’avait plus l’honneur d’être le gendre du prophète. Ce dernier lui donna alors pour épouse sa seconde fille Oum Koulthoum. Uthman comme les autres compagnons, fit don d’une grande partie de sa fortune pour le bien de la communauté mais surtout Uthman fut l’un des scribes du prophète qui consignaient des fragments du Coran au fur et à mesure de sa révélation (il s’attirera aussi l’hostilité des prêcheurs islamiques en publiant un texte officiel du Coran, avec l’ordre de détruire toutes les autres versions). Il faisaient également partie des 10 hommes à qui le prophète avait annoncé qu’ils iraient dans le royaume des cieux. Ses relations privilégiées avec le prophète valurent à Uthman un haut rang parmi les compagnons et de ce fait, il fut notamment conseillers d’Abu Bakr et de Umar durant leurs califats respectifs. Ses réalisations Le califat d’Uthman marque un certain coup d’arrêt dans les nouvelles conquêtes territoriales de l’empire musulman mais il est tout de même important de noter la création d’une flotte de combat grâce à Mu’awiya qui avait compris l’importance stratégique des îles de la méditerranée. Avec l’apport des troupes égyptiennes, la première bataille navale contre l’empereur Constantin de Byzance fut mémorable et fut le fondement de la puissance maritime musulmane Cependant, le climat du grand empire musulman n’était pas au beau fixe. En effet, des révoltes éclatent, notamment en Perse. Mais surtout le califat d’Uthman fut marqué par un terrible guerre civile qui mena à l’assassinat du calife lui-même. La fermeté d’Umar qui gouvernait d’une main de fer l’empire avait empêché les officiers d’adopter certaines coutumes antidémocratiques qui pouvaient avoir cours en Iran ou à Byzance, mais Uthman était trop faible et ainsi les troubles se multiplièrent (alimentés par la querelle de la répartition de l’impôt auxquels participent A’icha, la jeune veuve de Muhammad, et Ali, son gendre et cousin) dans les capitales provinciales (notamment parce qu’il avait placé nombre des membres de sa famille aux postes clés) et le désordre finit par reprendre dans tout le monde islamique. Il semble que le conflit entre Ali et Uthman ait été à l’origine de la guerre civile. Ali plus rigoriste, entame des querelles d’interprétation du Coran et sur les réformes politiques et sociale qu’il entend mettre en œuvre dans le nouvel empire. Des rebellions surgies d’Egypte et de Syrie, provoquent une crise politique dont Ali va tirer parti. En 654, son parti les Alides, venus d’Egypte et d’Irak (Kufa et Bassora) marchent sur Médine, encerclent la maison d’Uthman et réclament sa déposition. Deux ans plus tard, le calife est assassiné. Ali prend le pouvoir en 657, commence alors une querelle de légitimité. D. Ali Tournant décisif, l’assassinat d’Uthman laisse Ali, calife après de laborieuses négociations. Pourtant celui-ci dès le début de son califat, se heurte aux prétendants évincés, que soutient A’icha, veuve du prophète, dévorée d’ambition autant que de haine pour Ali. Le début de sa vie Ali est le cousin germain et le gendre du prophète. Il serait né à La Mecque et aurait été l’un des premiers convertis à l’Islam. Disciple le plus dévoué du prophète, il épousa Fatima, fille de Mahomet, qui lui donna deux fils Hassan et Hussein. A la mort du Calife, il revendiqua vainement un droit de succession au califat, mais c’est seulement après l’assassinat d’Uthman qu’ Ali put devenir calife. Un califat de luttes En quelques années, les musulmans s’étaient rendus maîtres d’un espace de dimensions impériales. C’était là une situation tout à fait nouvelle pour des hommes de tribu habitués à des modèles de micro socialité. Les tensions et les conflits internes qui en résultèrent, débouchèrent sur une guerre entre Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 15 /131 tribus de cinq ans qui sera nommée plus tard la « grande Epreuve », al-Fitna al-Kubra. Elle constitue jusque dans l’Islam actuel, un traumatisme culturel, religieux et symbolique majeur, senti comme la rupture de l’unité idéale et mythique de la période prophétique. Dès la première année de son califat, Ali dut faire face à une révolte fomentée par deux anciens compagnons du prophète (Talha et Zubair, membre du conseil lors de l’élection de Uthman) soutenus par A’isha, dans la ville de Bassora en Irak. Les troupes rebelles sont vaincues à la bataille dite du Chameau dès 656 après JC. Mais le règne d’Ali n’est qu’une lutte perpétuelle entre les différentes factions, car c’est maintenant Mu’âwiya, gouverneur de Syrie, qui l’accuse d’avoir laissé perpétré l’assassinat d’Uthman dont il est parent et qui conteste la légitimité de son califat. C’est le début d’une guerre civile qui voit son apogée à la bataille de çiffîn (selon une manœuvre célèbre, les Syriens placent des pages du Coran au bout de leurs lances pour refuser un combat fratricide). Lors de cette bataille en 657, la fortune des armes semble se déclarer pour le calife, mais il décide d’accepter la trêve que son adversaire lui propose. Mu’âwiya peut ainsi conserver la Syrie et étend même son pouvoir à l’Egypte. Ali est contraint de soumettre son califat à l’arbitrage, ce qui va entamer l’unité de ses partisans. Deux conceptions du pouvoir s’affrontent alors, l’une qui consistait à respecter strictement les principes coraniques et à donner une place prépondérante aux « premiers convertis », l’autre qui tenait davantage compte de l’efficacité de l’appareil gouvernemental. L’arbitrage d’Adruh lui-même, impliquait une conception du califat selon laquelle le détenteur de l’autorité devait répondre de ces actes, et la justification choisie par Mu’âwiya pour expliquer son action contre Ali était la défense des droits de son parent, calife « injustement » assassiné à l’instigation de ses adversaires politiques. Les principes de la légitimité califale sont définitivement bafoués et contre Ali, qui en fait trop bon marché, comme contre l’ ‘usurpateur’, se dressent les premiers schismatiques déclarés, les Khârijites, qui sortent du cadre imposé par la rencontre de çiffîn Leur rancune sera tenace, mais ils ne réussirent qu’à assassiner Ali en 661. Juste un petit mot de conclusion pour comprendre que cette question de succession ne fut, comme nous l’avons vu, pas un problème que pour la succession du prophète. Il est remarquable qu’avec les quatre califes, nous assistons à quatre mode de succession différents. II Les bouleversements liés au califat de Médine A. L’expansion territoriale de l’Islam En l’espace de quelques années, donc, les frontières du Proche-Orient avaient été bouleversées, et le centre de la vie politique était passé des terres riches et peuplées du croissant fertile à une petite ville située en marge du monde de la civilisation et de l’abondance. Le changement fut si brusque et si inattendu qu’il demande explication. Des témoignages archéologiques indiquent que la prospérité et la puissance du monde méditerranéen avaient décliné à cause des invasions barbares, de l’incapacité à entretenir les terrasses et autres ouvrages agricoles, et de la contraction du marché urbain. Tant les Byzantins que les Sassanides avaient été affaiblis par les épidémies de peste et les guerres interminables ; l’emprise des premiers sur la Syrie n’avait été restaurée qu’après la défaite des seconds en 629, et restait fragile. Les Arabes qui envahirent les deux empires n’étaient pas une horde tribale mais une armée organisée, dont certains membres avaient acquis des compétences, et une expérience militaire en servant ces mêmes empires, dont ils firent usage dans les combats qui avaient suivi la mort du Prophète. D’autre part l’usage du chameau comme moyen de transport les avantageait dans des campagnes livrées sur de vastes théâtres ; la perspective de terres et de richesses à prendre leur donnait un intérêt commun ; et la ferveur religieuse inspirait à certains une force d’une autre nature. L’acceptation de la domination arabe par la population des pays conquis s’explique peut-être par des arguments d’un ordre différent. Pour la plupart de leurs habitants, l’origine des gouvernants –Iraniens, Grecs ou Arabes- n’avait pas grande importance. Le pouvoir politique affectait essentiellement la vie Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 16 /131 des villes et de leur arrière-pays immédiat ; or, à l’exception des hauts fonctionnaires, des classes qui leur étaient liées et du clergé de certaines communautés religieuses, les populations ne se souciaient pas beaucoup de savoir qui l’exerçait, tant que régnaient la paix et la sécurité et que l’impôt restait raisonnable. Quant aux habitants des campagnes et des déserts, ils obéissaient à leurs propres chefs et suivaient leurs propres coutumes : que les villes fussent régies par une puissance ou par une autre ne changeait pas grand-chose à leur vie. Le remplacement des Grecs et des Iraniens par les Arabes était même avantageux pour certains. Ceux dont l’opposition à la domination byzantine avait pris la forme d’une dissidence religieuse étaient peut-être plus à l’aise sous un pouvoir impartial à l’égard des divers groupes chrétiens, en particulier si l’on pense que la nouvelle confession, qui n’avait pas encore pleinement élaboré de système doctrinal ou juridique, ne leur apparaissait peut-être pas comme étrangère (de plus il faut noter que le prophète lors des premières guerres d’expansion avait bien spécifiée qu’il ne fallait pas toucher à la nature, aux femmes, aux vieillards et aux hommes de religion) . Dans les régions de la Syrie et de l’Irak déjà occupées par des peuples de langue et d’origine arabes, il était facile pour leurs chefs de transférer leurs allégeances des empereurs à la nouvelle alliance arabe, d’autant plus que le contrôle autrefois exercé sur eux par les Etats arabes clients des deux grands empires, avait disparu. Avec l’extension du territoire conquis, la façon dont il était gouverné devait changer. Les conquérants exerçaient leur autorité à partir des camps militaires où se trouvaient les soldats arabes. En Syrie, ils se situaient essentiellement dans des cités ultérieurement existantes, mais ailleurs de nouveaux sites furent créés : Bassora et Kufa en Irak, Fustat en Egypte (d’où devait plus tard sortir Le Caire), d’autres sur la frontière Nord-Est dans le Khorassan. Ces camps, foyers d’où émanait le pouvoir, étaient un pôle d’attraction pour les immigrants venus d’Arabie et des pays conquis, et leur développement en fit des villes, dont le centre était le palais du gouverneur et le lieu de rassemblement public, la mosquée. A Médine et dans les nouvelles villes camps qui lui étaient liées par voie de terre, le pouvoir se trouvait aux mains d’un nouveau groupe dirigeant. Certains de ses membres étaient des Compagnons du Prophète, des fidèles dévoués de la première heure, mais beaucoup venaient des familles mecquoises aux nombreuses compétences militaires et politiques, et de celle de la ville voisine de Taëf. Les conquêtes se poursuivant, d’autres encore vinrent des grandes familles des tribus d’éleveurs, même celles qui avaient essayé de secouer la domination de Médine après la mort de Mahomet. Jusqu’à un certain point, ces divers groupes avaient tendance à fusionner. A l’intention de ceux qui avaient combattu pour la cause de l’islam, le calife Umar créa un système de pensions accordées en fonction de la date de conversion et de la durée du service ; il renforça la cohésion de l’élite dirigeante, ou du moins la distingua plus nettement des gouvernés ; Entre cette élite récemment enrichie et les plus pauvres, il y eut dès le début des signes de tension. En dépit de sa cohésion fondamentale, le groupe dirigeant était en proie à des querelles de personnes et de factions. Les premiers Compagnons du prophète considéraient sans indulgence les convertis de fraîche date qui avaient obtenu des postes de pouvoir. Ceux qui faisaient valoir une conversion précoce et des liens étroits avec Mahomet se heurtaient à d’autres qui arguaient de leur noblesse et d’une longue lignée d’ancêtres honorables. Les gens de Médine voyaient le pouvoir aspiré vers le Nord, vers les terres plus riches et peuplées de la Syrie et de l’Irak où les gouverneurs s’efforçaient d’acquérir plus d’indépendance. Ces tensions firent surface sous le règne du troisième calife, Uthman ibn Affan (644-656). Il avait été choisi par un petit groupe de membres de Quraysh, Umar ayant été assassiné par vengeance privée. Il semblait offrir quelque espoir de réconcilier les factions, car il appartenait au noyau dirigeant de Quraysh et s’était néanmoins converti très tôt. Mais en fait, il eut pour politique de nommer gouverneurs de provinces des membres de son propre clan, ce qui souleva un mouvement d’opposition tant à Médine, chez les fils des Compagnons et la femme du prophète A’isha, qu’à Kufa et Fustat ; certaines tribus supportaient mal la domination des hommes de la Mecque. D’ailleurs des troubles à Médine, soutenus par des soldats venus d’Egypte, conduisirent au meurtre d’Uthman en 656. Ces événements ouvrirent la première période de guerre civile au sein de la communauté. Le prétendant à la succession, Ali ibn Abi talib (656-661), était de Quraysh, converti des premiers temps, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 17 /131 cousin de Mahomet et époux de sa fille Fatima. Il se heurta à une double opposition : celle des parents d’Uthman, mais aussi d’autres qui mettaient en doute la validité de son élection. La lutte pour le pouvoir à Médine fut livrée dans les villes camps. Ali se proclama calife à Kufa, les dissidents prirent le pouvoir à Bassora ; il les vainquit, mais dut alors affronter un nouveau défi venu de Syrie dont le gouverneur, Mu ‘awiya ibn Abi Sufyan, était un proche parent d’Uthman. Les deux armées se rencontrèrent à çiffin sur le haut de l’Euphrate, mais, après s’être battues un certain temps, elles convinrent d’un arbitrage par des délégués choisis des deux côtés. Lorsque Ali accepta cette proposition, certains de ces partisans l’abandonnèrent, car ils n’étaient pas disposés à accepter un compromis qui revenait, dans leur optique, à soumettre la volonté de Dieu à un jugement humain ; l’honneur dû à l’antériorité de la conversion à l’islam était en jeu. Durant les mois de discussion entre les arbitres, la coalition qui soutenait Ali s’affaiblit et il fut finalement assassiné dans sa propre ville de Kufa. Mu ‘awiya se proclama alors calife et le fils aîné d’Ali, Hasan, s’inclina. B La naissance du schisme Il est important de comprendre que c’est dans les luttes autour du califat que prennent forme les grandes options de l’Islam. A travers leur pullulement, les sectes musulmanes ne font guère en effet que répondre chaque fois, avec des nuances diversifiées jusqu’à l’infini, à la même question fondamentale qui est le destin de la révélation de Mahomet. Le chef de la communauté est, on l’a dit, un simple successeur (calife) de Mahomet, chargé de veiller à l’application de la Loi et des règles qui en découlent pour la vie personnelle et communautaire. Chez les plus extrémistes chî’ites, on se représente le chef (imam) de la communauté comme un guide, désigné et inspiré par un décret d’origine divine expressément rendu en faveur de la descendance d’Ali. Il va sans dire que, pour celui-ci, au moins sous ces formes extrêmes, aucun successeur de Mahomet n’est légitime en dehors de Ali et de sa descendance : celle qu’il eut de Fatima, la fille du prophète, mais aussi en dehors d’elle. Qu’Ali prenne ainsi le pas sur le fondateur de l’Islam, c’est ce qu’on affirma un jour insolemment, aux marges même du chî’isme, en invoquant l’erreur de l’ange qui, chargé de transmettre à Ali la révélation coranique, se trompa tout simplement de destinataire. Le terme chî’isme vient de l’expression arabe « chiat Ali », qui signifie les partisans d’Ali. Alors que toutes sortes de notion religieuses ont été avancées, quatre croyances principales ont été acceptés par tous : - Ali a été choisi par Allah comme imam et dirigeant légitime du monde, tant musulman que non-musulman - L’existence de l’univers dépend de la présence d’un imam vivant - Tous les imams doivent être des descendants d’Ali - Ali et ses descendants imams possèdent des qualités surhumaines que les autres musulmans ne reconnaissent que dans les prophètes, telles que l’infaillibilité, des pouvoirs miraculeux et une connaissance accordée par Allah. Chez les Khârijites, le calife est choisi en dehors de toute préoccupation sociale et raciale car il est défini comme le plus digne et le meilleur croyant. Investi par un acquiescement unanime, qu’il reçoit sous la forme d’un contrat d’allégeance, il est, inter pares, éminemment soumis aux obligations des principes qu’il incarne et déposé en conséquence si sa conduite, privée ou publique, vient à y faillir. Cette « ligne dure » caractérise les khârijites, qui sont un peu les puritains de l’Islam, violents et doctrinaires, courageux et exigeants parfois jusqu’à la mort. Ils contesteront sans relâche, après çiffîn, les pouvoirs établis, sauf en de très rares circonstances, et auront un parcours jalonné d’héroïsme et de sang. Les excès de la doctrine et les répressions qu’elle eut à subir (dès 658 où Ali les écrase), expliquent pour aujourd’hui son petit nombre. Entre des deux positions extrêmes se situe, selon un échelonnement qui préserve toutes les transitions possibles, la masse musulmane : les chî’ites modérés, d’abord, mais surtout les sunnites, « orthodoxes » de l’Islam, soucieux d’unité communautaire, respectueux de l’ordre établi, et dont les prises de position, théologiques ou politiques, traduisent une instinctive défiance vis-à-vis des excès commis par les extrémistes de tous bords. Selon une définition plus positive, le sunnisme revendique Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 18 /131 la conciliation entre le Coran, l’imitation du prophète –cette sunna qui a donné son nom à la doctrineet le consentement de la communauté. Les sunnites, les chî’ites et les khârijites, même si leurs interprétations divergentes de l’Islam ne devaient être formellement fixées que bien après la mort d’Ali, font remonter l’origine de leur différends à la période de son califat. Ainsi, le meurtre d’Ali clôt la période des califes orthodoxes ; il achève de mettre en place le fameux et toujours actuel antagonisme entre les Sunnites (90 % des musulmans aujourd’hui) et Chî’ites (10%) CONCLUSION Le califat de Médine, qui dura 32 ans, meurt sans doute de n’avoir pu, en une aussi courte période, gérer, à la satisfaction des tribus qui en constituaient les forces politiques actives, la révolution capitale et sociale qui s’imposait à lui, à travers des conquêtes territoriales qui allaient au-delà des rêves d’expansion les plus fous de l’Arabie tribale. Les quatre premiers califes restent aujourd’hui comme le symbole d’un âge d’or perdu de l’Islam. BIBLIOGRAPHIE : Livres: - Encyclopédie de l’Islam HOURANI, Albert : Histoire des peuples arabes, Seuil 1993 MICQUEL, André : L’Islam et sa civilisation, Armand Colin 1990 Sites Internet : - http://www.encarta.msn.fr , encyclopédie Encarta http://www.lemonde.fr , le Monde http://imarabe.org, le site de l’institut du monde arabe http://aslim-taslam.com ================================================================= 632-634 califat d’Aboû Bakr A la réunion de la Saqifâ avec Ibn ‛Ubâda, chef de Médine, Ibn Mu‛âd,… dispute sur le pouvoir ( le Coran ne parle pas de pouvoir, donc le pouvoir n’est pas sacré) , les médinois et les émigrés le veulent. …on a complètement oublié le Mort, ‘Ali est absent… et ‘Omar voit que la situation est difficile et il tend la main à Aboû Bakr et il lui donne le Califat. ( ‘Ali est resté longtemps avant de donner son accord, il le fera obligé par sa foi, Fatima, les Ansars, et les Omeyyades ne sont pas d’accord non plus) Abou Bakr est le 1er disciple du prophète, il a sacrifié sa fortune, et Mahomet lui a demandé de diriger la prière quand il ne pouvait plus le faire. Mais le prophète avait deux conseillers, Abou Bakr et ‘Omar qu’on doit considérer comme le vrai fondateur de l’état musulman. Parfois Omar posait des questions et la révélation répondait aux demandes d’’Omar. Le lendemain de sa nomination Abou Bakr a un problème car des tribus ne veulent plus payer la zakat, au prétexte qu’elles payaient au prophète et ne doivent pas pays à une autre tribu, celle des koraïchites. Abou Bakr veut faire la guerre car si elles ne respectent pas un pilier de l’Islam, donc elles ne sont plus musulmanes , elles deviennent «muhtadun»…( ce terme est encore très discuté) …mais qui décide qui est «muhtadun» et que fait on d’une personne «muhtada»? Alors on demande à ‘Omar qui dit qu’on ne doit pas faire la guerre car le prophète a déclaré qu’on ne doit faire la guerre qu’aux gens qui ne croient pas à un seul Dieu. Abou Bakr n’accepte pas la position d’’Omar : ainsi deux compagnons ne Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 19 /131 sont pas d’accord, or ils connaissent tous deux parfaitement la révélation le problème est donc bien politique. Donc, guerre contre les tribus et surtout contre les Taqîfs et leur chef…les soldats racontent à Omar que Khaled l’a tué alors qu’il proclamait sa foi musulmane et Khaled ibn el Walîd ( plus brillant chef militaire des premiers temps islamiques) se justifiera en disant qu’il le faisait car il avait peur de mourir… 632 : révolte des tribus arabes, rapidement réprimée, 633 : incursion en Irak, prise de la capitale des Lakhmides, HIRA, 634 (07) : victoire en Palestine sur les byzantins à ADJNADAYN 634-644 : califat d’Omar Il est le deuxième successeur, donc il ne «succède» pas au prophète, et il demande à être appelé le prince des croyants. Il sera poignardé par un esclave alors qu’il est reconnu par tous pour sa probité, en mourant il nomme six personnes pour lui succéder et cite son fils en tant que conseiller. ‘Omar est reconnu par les sunnites et les chiites comme un grand homme et il laissera , à sa mort, un petit empire. Si la communauté musulmane connaît ses règles essentielles à la mort du Prophète, il n’y a que très peu, sinon pas de stipulation concernant les peuples vaincus. Il faut donc s’en référer à l’exemple de Mahomet. Le régime des tributaires n’a cependant été véritablement organisé que sous les califes. On peut d’ores et déjà distinguer les «gens de l’écriture» qui moyennant quelques obligations peuvent pratiquer leurs religions aux polythéistes. Les sabéens et les zoroastriens sont alors assimilés à des monothéistes. Il n’est pas dans l’intérêt des musulmans de massacrer des peuples qui se soumettent à leur domination et qui procurent une importante contribution économique au jeune empire. Les premiers califes ont dans une large mesure utilisé les institutions locales en les adaptant à la nouvelle législation musulmane. On ne peut cependant retirer à ‘Omar et ‘Othman la mise en place d’un certain nombre d’institutions. La première des règles fut l’astreinte des dhimmî à la djizya, variable selon la fortune. Beaucoup plus importante fut l’organisation du régime des terres conquises. Elle varia selon qu’il y eut reddition ou défaite par les armes. Ainsi en Syrie et en Egypte où la reddition fut conditionnelle, les situations locales furent respectées et les propriétaires fonciers gardèrent leurs biens. En revanche les domaines du Basileus et de sa famille furent confisqués. En Iraq, où la reddition fut sans condition, la majorité des terres fut également confisquée. Au début de la conquête, la majorité des terres furent partagées selon les exigences du Coran (VIII, 1 et 42), 1/5 revenait au Prophète ou à ses descendant et le reste était partagé. Par la suite, les versements se transformèrent en solde ou pension pour les combattants. Une administration financière, le diwân, géra les recettes de l’Etat et le problème des redistributions. Les sommes cumulées formèrent le Trésor Public. Cette organisation financière était une nouveauté pour les arabes. Un wâli fut nommé dans chaque province. On assiste alors à la naissance d’un fonctionnariat, véritable preuve de la naissance d’une administration centrale. La conquête militaire fut brutale mais la conquête administrative beaucoup plus souple grâce à la tolérance des conquérants. Il ne suffisait pas de conquérir d’immenses territoires mais également de les tenir en main. Deux moyens ont été utilisés : - l’implantation de villes nouvelles - la distribution de terres, hors d’Arabie, à des musulmans.( les bédouins ne sont pas des citadins = problème) A partir de ‘Othman il apparaît que la gestion des terres par l’Etat devient un problème et que le plus simple serait de la confier aux musulmans. On faisait d’une pierre deux coups : expansion arabe et reconnaissance des bénéficiaires (intérêt plus fort pour une terre que l’on possède). On assiste à la création d’une classe foncière, classe nouvelle, et d’un vaste clan politique dévoué aux Omeyyades. Cela suscite de nombreuses oppositions qui durent attendre 10 ans avant de se manifester ouvertement. L’armée, l’administration et le pouvoir politique sont alors aux mains de musulmans. C’est l’apparition d’une conscience de classe des élites, d’autant plus fort qu’ils se considèrent choisis par Allah. En dessous d’eux se situe la classe des non musulmans. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 20 /131 En Egypte, les arabes ont laissé en place l’administration byzantine Dans beaucoup de pays dominés, les minorités religieuses ne cachent pas leur préférence pour la domination musulmane. Il se développe alors une classe de non- arabes convertis. La collusion islam et arabisme est déjà trop forte pour acquérir les mêmes droits. Ils furent considérés comme « clients » et reçurent le nom de mawâli. Ces différences commencèrent à s’atténuer au bout d’au moins deux générations. 644-656 califat d’Othmân La désignation d’Othman est avant tout significative du redressement et de la victoire de l’aristocratie mekkoise des koraïchites et, parmi elle, celle du clan des Banou Omeyya. Du vivant du prophète il ne reçut aucune tache importante si ce n’est de diriger le petit groupe de musulmans qui trouva un refuge momentané en Abyssinie. A ce moment l’esprit tribal revient très fort, d’autant plus que tous ces hommes sont de la même génération, ou à peu près. ‘Othmân est un omeyyade , donc un cousin de Mo’âwiya, il était marié avec les deux filles du prophète, connu pour sa richesse il avait beaucoup aidé les armées musulmanes, mais on dit que chez lui le sens tribal était très fort et donc il va laisser faire les omeyyades. Les autres vont lui demander d’éloigner ses parents, mais il refusera sur les conseils de Mo’awiya d’ailleurs : il sera assassiné pour cette injustice contre les autres. Il avait demandé de l’aide à ‘Ali et ce dernier lui avait envoyé ses deux fils Hassan et Hussein, mais ils sont arrivés trop tard pour empêcher l’assassinat d’Othman. Alors explosion chez les Omeyyades et Mo’awiya prend le vêtement d’Othman et crie vengeance à Damas ( dont il est le gouverneur ) alors qu’Ali devient calife à son tour. Son népotisme est pour bonne part responsable des troubles de 656. Son accession au pouvoir s’était d’ailleurs faite à une période de troubles. L’enrichissement des gouvernants, traditionnellement austères, est déjà à l’œuvre. C’est la naissance de mouvements centrifuges. Les avantages que la calife attribue aux membres de sa famille est également au centre de mécontentements. En outre ‘Aïcha voulait jouer un rôle politique. L’affaire la plus grave fut l’établissement du texte coranique. Le nouveau texte établi sous la direction de Zayd ibn Thâbit souleva de vives critique notamment à Koufa où on accusa ‘Othman d’avoir supprimé les textes défavorables aux Omeyyades. Le texte d’ ‘Othman n’en reste pas moins la vulgate coranique. Enfin, dans les opposants il faut signaler ceux qui refusaient la légitimité de ‘Othman, effet de la propagande menée par ‘Ali. Cette propagande eut un accueil favorable en Perse et en Iraq où le pouvoir était traditionnellement héréditaire. Malgré cela, un élément doit être mis en avant : la première expansion maritime musulmane avec Chypre en 649. Cela met fin à l’hégémonie byzantine en méditerranée. L’opposition entre ‘Othman et son clan grandissait elle aussi sous la tutelle d’Aïsha. La découverte d’un appel du calife contre les insurgés provoqua la première insurrection grave en juin 656 et ‘Othman est assassiné. Cela crée un précédent lourd dans l’histoire du califat : le meurtre politique entre dans les mœurs et la personne du calife ne jouit plus de la considération morale et religieuse qui aurait du être la sienne. 656-661 califat d’Ali Moawiyya s’oppose à Ali et commence la recherche des hadith contradictoires pour justifier ou pas une succession., exemple hadith = …« il faut obéir à tout le monde »… ou hadith = … « le pouvoir doit être aux Hachems, descendants du prophète . ‘Ali , l’Iman, devient donc calife , et lui même ne prononcera jamais ce mot., Certains lui reprochent d’être de ceux qui ont fait assassiner ‘Othman ( à qui profite le crime?)… Il se trouve tout de suite en opposition, avec des tribus,’Aychas, Talha et Zoubayr et défait le clan de la femme du prophète à la bataille du Chameau en 656 ( on tue son chameau mais pas elle car c’est la femme du prophète…), ce fut la première guerre civile entre musulmans, à noter qu’on a créé un hadith pour faire dire qu’un Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 21 /131 peuple qui serait dirigé par une femme ne peut réussir. Il y avait un vieux contentieux entre ‘Aïcha et ‘Ali. Avec Mo’awiya, d’où la bataille de Siffin. Les troupes d’Ali vont l’emporter quand le chef ‘Amr ibn el ‘Ac demande à ses hommes de mettre le Coran au bout de leur lance , ce qui fera dire à Ali, «c’était une parole de vrai pour un but injuste» Ali accepte le jugement du Coran , chaque camp décide un conciliateur , et les deux décident d’enlever les deux califes( entre temps Mo’awiya a été reconnu calife en Syrie) pour pouvoir demander à la communauté de choisir Mais manipulation du camp omeyyade . Les partisans d’Ali qui n’acceptent pas cette décision le quittent les kharedjites, et finalement Omeyyades et Kharedjites s’opposent à lui .( Il sera assassiné en 661 par un kharedjite qui voulait venger à la fois le massacre de Nahrawân et le meurtre d’Othman)) , son fils est empoisonné par sa femme.. Les proches d’Ali, les chiites, appellent Hussein mais il sera tué à la bataille de Kerbala (680). ‘Ali est donc à l’origine des deux principaux mouvements de scission de l’Islam , le Kharedjisme et le Chiisme. Dates principales, 657 : révolte de Mo’awiya contre Ali en Syrie 659 : arbitrage d’Edhroh (les traditions concernant cet arbitrage sont tellement variées et contradictoires qu’on ne peut en connaître la teneur exacte) et Mo’awiya est proclamé calife par ‘Amr ibn el ‘Ac 660 : le Hedjaz rallie Mo’awiya I-B-2) Les conquêtes On l’a vu, le Coran n’impose aucune forme de pouvoir et à la mort du prophète l’Islam était arrivé vers le Nord de l’Arabie : on n’envisageait pas d’autres conquêtes. Deux petites armées étaient dans le Nord et respectaient le pacte de Mahomet …« ne tuez pas les enfants et les vieillards ,ne coupez pas un arbre ou un palmier, ne touchez pas les femmes, ne touchez pas les moines dans leurs monastères qui étudient leur Dieu et se consacrent à l’adoration…».C’est dans l’histoire la première déclaration de paix en temps de guerre. Mais comment répandre la prophétie ? Deux thèses s’affrontent , celle de la paix, celle du sang. Et tout le monde trouve des appuis dans les textes, car les textes sont mal étudiés et, ce qui est grave, c’est que l’on a essayé de trouver une sorte de sacralisation du pouvoir. Chronologiquement la situation des conquêtes est : Pas de conquête quand Mahomet est vivant : c’est un problème interne qu’il règle, celui de l’Arabie unie qu’il veut faire sortir de la vie tribale et à sa mort c’est presque fait . Le pouvoir est à Médine ou à La Mecque. A sa mort, des tribus se révoltent dans l’Arabie car elles n’avaient pas l’habitude d’un pouvoir central. Le comportement de Mahomet avec les chefs de tribus explique beaucoup de choses : le Coran respecte les dialectes, souvent Mahomet parlait dans le dialecte des tribus…Abou Bakr a réussi par la guerre a ramener les tribus qui ne voulaient pas payer la zakat , mais il a laissé beaucoup d’amertume, il a été très violent avec ces tribus… Les entreprises militaires victorieuses d’Abu Bakr puis de ‘Omar ont toujours posé des problèmes : comment des tribus bédouines, peu organisées, mal armées, ont-elles pu triompher d’Empire comme l’Empire Byzantin ou des Sassanides. Deux thèses : - l’enthousiasme de la foi - l’intérêt économique Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 22 /131 Ces deux éléments sont nécessaire mais non suffisant. D’autres éléments sont à prendre en considération : la personnalité de ‘Omar qui a su imposer une autorité hiérarchique, le dérivatif aux instincts guerriers des tribus bédouines, la qualité des chefs de guerre, l’incrédulité des grands empires face à la menace des tribus arabes, l’épuisante rivalité des grands empires entre eux. La prise de conscience du danger fut trop tardive. Conquête de la Mésopotamie En Perse Sassanide, après la défaite devant les byzantins, les nobles avaient pratiquement perdus le pouvoir. De 629 à 632, huit souverains se succèdent. De plus la frontière avec l’Arabie n’est plus protégée depuis la victoire de Khosraw II sur les Lakhmides. Enfin, la révolte grondait parmi des sujets soumis à l’impôt. La conquête a été faite à l’initiative de Mouthanna ibn al-Harîth auprès duquel Abu Bakr dépécha Khalîd ibn al-Walîd. La ville de Hirâ fut prise en 633, puis ce fut la victoire de Kharizma. A son arrivée ‘Omar décida de poursuivre. La bataille de la Qâdisiyya fut décisive. Les arabes fondèrent Baçra et Koufa. En 642 ils sont maîtres de la Mésopotamie, désormais appelée Iraq. Conquête de la Palestine et de la Syrie Comme celle de la Mésopotamie, cette conquête est due à une action locale prolongée par les musulmans. Elle est due en grande partie à la faiblesse de l’empire byzantin et des querelles religieuses (monophysite). De plus des arabes résidaient dans l’empire en contact commerciaux avec ceux d’Arabie. Suite à des difficultés financières, Héraclius avait supprimé en 630 les subsides qu’il versait aux Ghassanides ceux-ci se joignirent aux arabes. Dès 633, Abu envoya des troupes, le choc décisif eut lieu en juillet 634 près de Ramleh : Khalîd remporta une victoire absolue sur les grecs. En 635 Damas se rend. En 636, Héraclius envoie une armée dirigée par Théodore, les musulmans se replient avant de bénéficier de mutineries. Les grecs sont écrasés en août 636. A la fin de l’année Damas se rend une seconde fois, Jérusalem tombe en 638. En 639, la Syrie entière est sous domination musulmane. En 640, la prise de Césarée achève la conquête. En 642, tout le proche orient est occupé par les musulmans. Mais il n’ont pas pu franchir le Taurus, ni pénétrer en Asie mineure. Conquête de l’Egypte En 628, les grecs avaient repris l’Egypte aux Sassanides. Héraclius avait donné le commandement au patriarche d’Alexandrie Cyrus. La province était en proie à de profonde dissensions : les coptes vivaient mal la domination de l’Eglise orthodoxe. En outre ils étaient acculés par les impôts de Constantinople. En 639, ‘Amr ibn al-‘Aç, passe en basse Egypte et s’empare de Pélouse, puis triomphe des grecs à Héliopolis en 640. Babylone d’Egypte capitule en 641. La mort d’Héraclius empêche toute résistance. Le patriarche Cyrus obtient de Amr l’autogestion de la communauté chrétienne. Alexandrie est évacuée en septembre 642. Reprise momentanément par les grecs en 645 elle est rapidement réoccupée par les arabes. ‘Amr remonte en haute Egypte et fonde la citadelle de Fostât. Avec la conquête de l’Egypte prend fin la première phase de l’expansion musulmane. Les années suivantes sont consacrées à l’organisation administrative des pays conquis. C’est la tâche de ‘Omar. I-B-2-1) la période d’Omar A son arrivée ‘Omar décida de poursuivre. Il conquiert Syrie + Irak + Egypte .Il disposait d’une armée bien faite pour l’époque et de bons chefs militaires. Dates principales, 635 : prise de Damas , mais évacuation au printemps 636 636 : défaite des byzantins sur le Yarmouk, et en décembre reconquête de Damas et occupation de la majeure partie de Syrie + Palestine, 637 : prise de Jérusalem ( 3ème ville sainte de l’Islam après La Mecque et Médine) et défaite des Perses à Qadissiya 641/643 : occupation de l’Egypte et création d’une nouvelle capitale , Fostât, qui correspond aujourd’hui au vieux Caire ( Omar avait conseillé à Amr de s‘éloigner de la mer). Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 23 /131 Après Omar les arabes commencent à aller vers la mer , mais c’est aussi la période de la grande discorde ,l’assassinat d’Othman et les querelles de succession entre Ali et les omeyyades. I-B-2-2) la période d’Othman Dates principales, 647 : incursions en Cappadoce et en Phrygie, 649 : 1ère expédition maritime musulmane et débarquement à Chypre, vers 650-655: établissement de la Vulgate coranique, 651 : conquête de la Perse orientale I-B-2-3 ) la période omeyyade Après avoir connu, sous le califat d’Ali des luttes fratricides pour la succession du pouvoir , avec Mo’awiyya (Mo’awiyya 1er de 661 à 680) les conquêtes reprennent, mais il a deux adversaires, celui des opposants internes , dont il s’occupe en priorité, Hassan reconnu pieux musulman est assassiné( pourtant en 661 il avait renoncé au califat…), son frère Hussein aussi à Kerbala, Aïcha est vaincue… alors il reprend les conquêtes.. Généralement les chefs omeyyades ont connu de graves difficultés internes mais ils n’en n’ont pas moins mené la deuxième vague d’expansion arabe en effectuant des expéditions dans 3 directions : vers Constantinople et l’Asie mineure, vers l’AFN et l’Espagne et vers l’Asie Mineure Dates principales, 663-678 : incursions arabes en Asie Mineure, 670 : Oqba Ibn Nafi’ fonde le camp militaire de Kairouan destiné à protéger la route de l’Egypte et à servir de base d’action contre les berbères à l’W. 672 : occupation temporaire de Rhodes et Smyrne 674/678: sièges de Constantinople chaque été et en 678 traité de paix entre Byzance et les Arabes A cette époque la poésie est une référence socio-culturelle car elle est écrite en dehors de tout pouvoir politique et elle reste forte à Médine…La 2ème génération d’Omeyyades va chercher des savants pour interpréter le Coran, et part à la conquête, entre autres, de la Perse avec sa culture dont l’influence sera forte sur l’Islam. Vers la fin des Omeyyades vient l’héritage des «RUMS» ( = grecs) et un des califes omeyyades était lui même un traducteur Khalid Ibn Zayid. On stabilise les hadîth, et on écrit les interprétations orales du Coran en parallèle avec l’introduction de la culture grecque. La dynastie omeyyade dirigea le monde musulman pendant 90 ans de 661 à 750. L’une des tâches primordiales fut de rétablir l’autorité du calife. L’œuvre de Mo’âwiya et de ses successeurs immédiats fut de transformer l’Etat théocratique, légué par Mohammed en un Etat séculier, pris en main par l’aristocratie arabe mais sans toutefois renier les principes religieux. Le historiens arabes, tous postérieurs à la dynastie sont d’une rare sévérité. Sévérité tendancieuse dans la mesure où elle s’est exprimée durant le règne abbasside. Les omeyyades furent considérés comme malik, preuve de la non reconnaissance de leur légitimité califale. L’arbitrage d’Edhroh n’apportait rien de nouveau. La nouveauté était que les arbitres avaient pu proclamer la responsabilité et la culpabilité du calife précédent : c’est un danger qui menaçait l’unité du monde musulman. La question était de savoir si l’autorité du calife était ou non supérieure à celle de la šûrâ : - si oui : régime monarchique - si non : instabilité du pouvoir Le nouveau calife choisit tout naturellement la prééminence du Calife. Il fallait rétablir l’unité de la communauté par l’unité du commandement d’où : Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 24 /131 - centralisation gouvernementale : la capitale fut établie à Damas et non à Médine ou La Mekke - appuis sur le bédouin : compromis entre autorité absolue et pouvoirs tribaux. On voit ici une perte du pouvoir religieux du calife. Mo’âwiya établit à Damas une sorte de šûrâ des sheikh, organe consultatif et parfois exécutif. Cela aurait pu paraître dangereux mais il assurait en fait la réalité du pouvoir. Mais surtout, il introduisit la succession califale en ligne directe : il nomma son fils et son choix fut approuvé par la šûrâ. Cette consultation permis un consensus. Il utilisa au mieux le hilm: la finesse politique. Il meurt en 680. Après la mort du premier calife, on assiste à des périodes d’agitation extrême, séparée par des périodes de calme relatif. Les califes: - Yazîd (680-683) - Mo’âwiya II (683-684) - Marwân (684-685) - ‘Abd al-Malik (685-705) - Walîd (705-715) - Sulaymân (715-717) - ‘Omar II (717-720) - Yazîd II (720-724) - Hishâm ibn al-Malik (724-744) Pour continuer l’œuvre de Mo’âwiya il fallait à la fois renforcer l’autorité du calife et donner une autonomie et une initiative plus grande aux gouverneurs des provinces. Il fallait donc organiser plus profondément l’administration centrale. Les principales menaces internes virent des chiites et des Kharijites. Mo’âwiya trouva un appui précieux en la personne de Ziyâd ibn Abînî, gouverneur de Baçra (665). Les révoltes : - Kerbalâ : 10 octobre 680 ( voir exposé = la bataille de Kerbalâ) - Révolte des taouwâbîn : janvier 685 - Révolte de Moukhtar : avril 687 - Sédition de ‘Abdallah ibn al-Zoubayr : 692 La fermeté de ‘Abd al-Malik permit de maintenir les mouvement sécessionnistes, notamment les Kharijites, dont le comportement anarchique tendait à réduire leur force de frappe. Ils demeurèrent cependant une menace permanente pour l’empire. En raison de ces difficultés les califes omeyyades durent prendre appui sur différentes tribus arabes, provocant souvent des mécontentements. La fin de la dynastie fut marquée par de nombreuses révoltes. Il paraît invraisemblable que dans de telles conditions l’empire ait pu s’étendre. Il faut noter que cette expansion eut lieu en deux temps : - sous le règne de Mo’âwiya - sous les règnes de ‘Abd al-Malik et de Walîd Elle eut lieu en période d’apaisement. Comme on l’a déjà dit les expéditions se sont effectuées en 3 directions : contre Constantinople, en AFN et Espagne, en Asie mineure. Contre Constantinople L’occupation de la Syrie plaçait les Omeyyades aux frontières de l’empire byzantin, frontière marquée par le Taurus. La Cilicie fut toujours au cœur des luttes. Les différents sièges arabes, motivés par l’attaque des Mardaïtes, furent menés entre 678 et 718. - La première expédition eut lieu en 668. Il n’y eut pas de siège mais une bataille aux portes de la ville. - La deuxième eut lieu de 674 à 680 - Le troisième et dernier siège de Constantinople eut lieu d’août 716 à septembre 717. Il fut ordonné par Suleymen et arrété par ‘Omar II Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 25 /131 De nombreuses légendes trouvent leur origine dans la troisième expédition. Toutes laissèrent aux musulmans un sentiment de nostalgie . En Afrique du Nord et Espagne Les arabes avaient atteint Tripoli en 643. La campagne décisive eut lieu en 695 : Carthage tomba aux mains des musulmans. Les berbères triomphèrent momentanément des musulmans sous la direction de la prophétesse Kahina. Toutefois les arabes reprirent la ville en 698. Cette résistance berbère se stigmatisa plus tard par l’adhésion de beaucoup au kharijisme. En avril ou mai 711, Tarîq ibn Ziyâd gouverneur de Tanger, passa en Espagne où il prit Cordoue et Tolède (octobre-novembre 711). Dans les cinq années qui suivirent la quasi totalité de l’Espagne tomba aux mains musulmanes. La conquête fut facilitée par la faiblesse de la monarchie wisigothe et l’absence d’opposition des populations locales. En outre les juifs de Cordoue et de Tolède apportèrent leur soutien aux musulmans. Les troupes berbères furent arrêtées à Poitiers en 732. En Asie mineure La province de Khorasan servait de base aux expéditions en territoire infidèle. L’Afghanistan fut conquis en 699. Ces possession marquaient la limite orientale de l’empire. Samarkand notamment et Boukhara devinrent de grands centres musulmans. L’expansion musulmane dans cette région ne fut pas poursuivie après la prise de Moultân en 713. Le gouvernement central et les provinces Mo’âwiya, ancien gouverneur de Damas avait pu apprécier l’efficacité de l’administration byzantine Il avait un besoin absolu de ces fonctionnaires, les musulmans n’étant pas encore aptes à la prendre en main. La langue grecque continua d’être utilisée et Ibn Sardjoun devint le chef des finances et des armées. Ses collaborateurs étaient également chrétiens. La bonne gestion permis au calife de doubler les soldes ce qui lui permis de s’attacher l’armée. De nombreux persans se convertirent à l’islam orthodoxe, marquant ainsi leur préférence pour l’ordre face à l’anarchie chiite ou kharijite. Avec ‘Abd al Malik intervinrent les premières grandes transformations en partie imposée par le nombre croissant de musulmans. Cela eut pour conséquence l’arabisation de l’administration. L’arabe devint la langue officielle. En 695 apparaissent les premières pièces d’or, les dinars, et d’argent, les dirhem. Les byzantins les refusèrent comme moyen de paiement. L’empire, divisé au début de VIIIè siècle en 9 provinces, se constitua en 5 gouvernorats bénéficiant d’une grande autonomie et de prérogatives administratives et militaires. Ils assuraient, entre autres, le prélèvement de l’impôt. Les gouverneurs étaient les représentants du calife, ils nommaient à leur tour des chefs de régions, des agents locaux ou les qâdîs, innovation de l’empire. Avec ces qâdîs s’est développée une science juridique qui devait être une des œuvres les plus marquantes des lettrés musulmans. Les gouverneur nomme également les chef de l’armée Terres et finances Le mouvement de distribution des terres a commencé sous le calife ‘Othman. Le système de la qatî’a (concession à ferme) profita aux proches et aux familiers des califes et des gouverneurs. Les musulmans en bénéficiant payaient une dîme. Ce système aboutit à la création d’une classe de propriétaires fonciers qui pouvaient acheter ou vendre leur propriété, devenue privée. Cette mutation eut pour conséquence la baisse du revenu foncier, essentiel au revenu de l’Etat avec la capitation. La différence de statut implique une augmentation des conversions et la naissance des mawalî. Ces derniers participèrent aux mouvements d’opposition. ‘Omar II modifia le statut des «clients» : ils paieraient uniquement la dîme, pourraient entrer dans l’armée et l’administration. Ces réformes diminuèrent les revenus de l’Etat et mécontentèrent beaucoup de sujet Hishâm mit au point un autre système financier qui devint la base de la juridiction islamique : l’impôt fut lié à la terre, la terre était frappé de la dîme, elles ne pouvaient être agrandies et furent recensées. Les dhimmi payaient la djiziya et les musulmans l’impôt coranique. Le gouvernement n’a eut de cesse de résorber le problème de la terre et des finances, problèmes majeurs du monde musulman. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 26 /131 Vie sociale et économique a. Les arabes : Ils bénéficient d’un régime fiscal préférentiel. Ils peuvent entrer dans l’armée, recevoir des soldes, des pensions, des participations au butin. Ils sont en minorité dans les provinces à l’exception du siège du califat. b. Les mawâlî Ils ont rapidement cherché à être assimilés aux musulmans mais ils se sont heurtés à la résistance de ceux-ci. Ils ont été les premiers clients des arabes. Le fait de ne pas être arabe a été un obstacle majeur, leur interdisant l’accès au pouvoir. De plus en plus nombreux ils ont manifesté leur mécontentement. Certains adhérèrent au chiisme qui cessa d’être une simple opposition religieuse pour entrer dans le champ de l’opposition sociale dirigée contre l’aristocratie omeyyade. Les réformes d’Omar II visaient à les satisfaire. Elles furent leur premier pas vers l’intégration. c. Les dhimmî Les «protégés» ont connu une période relativement calme. Les chrétiens ont même connu une période privilégiée. La femme de Moâwiyya était d’origine chrétienne. Par la suite ils furent frappés par le fisc. Les juifs continuèrent à se voir interdire l’accès à Jérusalem mais furent bien traités de même que les samaritains. Cependant Yazîd supprima les exemptions fiscales. d. Les esclaves Ils constituèrent une classe en perpétuelle évolution car l’Islam encourageait l’affranchissement. Leur commerce se répand malgré tout en raison de la richesse des notables arabes. e. Les villes L’époque omeyyade est caractérisée par le développement des villes. Cela tient au caractère administratif de l’empire. Les camps d’origine deviennent peu à peu des centres administratifs. La mosquée est à la fois un centre religieux et politique .L’accroissement de la population marque la création de faubourg et entraîne un développement des activités commerciales. f. L’économie Elle est fondée sur l’agriculture. Il y eut un accaparement des terres par les arabes. g. Langue, littérature et architecture L’empire omeyyade a étendu la suprématie arabe de façon territoriale mais surtout a maintenu le caractère arabe du gouvernement et continué les tradition littéraire de l’Arabie anté-islamique. La langue arabe est instituée comme langue commune, officielle, administrative et religieuse. Les langues locales se maintiennent également. Les contacts avec d’autres civilisations modifient les vielles traditions poétiques et une prose littéraire commence à apparaître. La science religieuse prend sont essor à Médine. Peu de trace en raison des destructions postérieures. La coupole du Rocher, premier grand édifice religieux, la mosquée d’al-Aqsa, la mosquée de Damas furent construites. I-B-3) Tensions internes et révolte abbasside (note 1) A la mort de Hishâm l’empire connu plusieurs souverains incapables jusqu’à l’avènement de Marwân II (749-750). Il est alors trop tard, ses prédécesseurs ayant semé le chaos. Les révoltes éclatèrent, kharijite et chiite. Affaibli, Marwâm eut à affronter une opposition bien plus dangereuse : celle des abbassides . La haine à l’encontre de la famille régnante semble avoir été le moteur d’une vaste et incertaine coalition. La propagande commença au Khorastan. Le mouvement prit son départ avec Abû Muslim, personnage énigmatique, d’origine iranienne. Marwân II, mal soutenu par les syriens fut vaincu en janvier 750 à la bataille du Grand Zâb, quelque mois plus tard il fut tué en Egypte. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 27 /131 Si, du point de vue culturel la langue arabe va envahir la langue persane , et en retour s’enrichir de la langue perse ( Al Suyuti le dit, il compte au XVIème siècle 157 mots étrangers et arabisés avant l’Islam) aux frontières entre les perses et les Arabes existent des tensions., et très élevées vers la fin des Omeyyades. De plus les musulmans étaient amers des assassinats des membres de la famille du prophète et on commence à reparler du retour des descendants du prophète, vers une branche de l’oncle du prophète avec El Abbas. Ce sont les Perses qui préparent la fin des Omeyyades , et si au début les Omeyyades ont massacré ils vont périr de la même manière . Le fondateur de la dynastie des Abbassides est Abou El ‘Abass Es Saffar (-132H à 136H ou 749/754-), l’assassin… Un seul prince omeyyade Abd Er Rahman se sauvera par l’Egypte avec quelques compagnons et créera l’Espagne musulmane…. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 28 /131 I-C) UN EMPIRE MUSULMAN (750-1055) I-C-1) les Abbassides Raisons de l’avènement de la nouvelle dynastie : Opposition religieuse. Haine dressant la famille Omeyyade et la famille Abbasside. Essoufflement du gouvernement Omeyyade, et impuissance à lutter contre le développement de doctrines religieuses (création d’Etats indépendants dans l’est et surtout dans l’ouest). Mécontentement économique et social (Cf. les mawâlî). Evolution naturelle. Les Omeyyades étaient des conquérants, et les initiateurs de l’empire. Cela ne pouvait pas durer sous sa forme initiale vu les transformations internes de la société musulmane, à savoir les transformations de l’administration, le développement de la vie urbaine, du commerce et un essor intellectuel original. Les abbassides vont créer un empire géographique et surtout initier le vrai savoir chez les arabes. Halid Ibn Yazid est lui même un grand poète trilingue et traduira quelques sciences dont l’alchimie en arabe. Fait significatif les princes abbassides, au lieu de demander la dîme, demandent des livres et El Ma’moun envoie des bateaux pour chercher des livres en Grèce à Athènes. Il crée la maison de la sagesse ( Dar ou Bit el hikma) . On parlait à l’époque de la Hikma orientale : on s’occupait de la philosophie, des sciences, de la médecine, et toutes les sciences des grecs SAUF la politique . Pourquoi ?? On connaît Haroun El Rachid ( période des 1001 nuits) il a deux fils, (note 2) Al ‘Amin, fils de la persane Zoïbada, lui succède 2 ans, est assassiné, pourquoi ?, comment ? histoire de califat ?? Al Ma’mun, , de mère arabe, succède à son frère Al ‘Amin, et annexe les traducteurs moines syriaques. Le premier grand traducteur trilingue est Ishak Ibn Hunayn ( puis son fils et sa descendance…), ils étaient tous chrétiens , on ne leur a jamais imposé l’Islam, il y avait alors une autre logique,…sur le rôle des chrétiens à cette période lire « les religions et les doctrines » de Al-Šahrustāni ( EL MILAL WAL NIHAL) Les moines syriaques étaient de grands savants et des fatwas préconisaient de leur confier l’éducation des enfants. Pour encourager la traduction El Ma’mun payait 1 Kg d’or pour 1 Kg de papier de traductions…Cette période de traduction dénote une grandeur d’esprit de la langue et de la culture arabe, on a arabisé par la traduction, avec des grammairiens , des phonéticiens…Une science va naître, la «traductologie»…la traduction est elle une science ou un art ???…et après un siècle de traductions d’une culture presque morte arrive la philosophie arabo musulmane avec El Kindi. qui écrit en arabe( il marque les caractères de la philosophie arabe qui sera mal comprise de certains orientalistes qui ont tendance à abaisser cette philo en disant que c’est plus une théologie qu’une philosophie…). En 1924 au millénaire de Maïmonide édition d’un livre pour dire qu’il est l’un des plus grands philosophes de l’Islam, au sens de civilisation. Au début, les arabes ont un peu traduit le Coran pour les perses, mais très peu, les arabes ne traduisaient pas , c’était les autres qui étaient demandeurs…au Xème sicle Sa’adya Al Fayûnî avait traduit la Bible en arabe pour défendre le judaïsme menacé par 2 tendances contradictoires ( définition du judéo arabe = langue arabe écrite en caractères hébraïques avec esprit juif de la langue). I-C-1-1) L’APOGEE DU CALIFAT ABBASSIDE. Les Abbassides s’installent au pouvoir en 750, et leur chute date de 1258 à la prise de Bagdad par les Mongols. Un Abbasside s’établira au Caire jusqu’en 1517, date de la conquête musulmane. La vraie période où les Abbassides ont personnellement et directement dirigé les affaires de l’Empire s’étend de la moitié du VIIIème siècle à la moitié du IXème siècle. Après, le contrôle passe aux mains des mercenaires turcs, puis des vizirs iraniens, puis aux Seldjoukides. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 29 /131 Le rôle des premiers califes. Abou l’Abbas al Saffâh, consacre son règne à la chasse des Omeyyades. Al Mançour , = le victorieux (son frère), 754-775, est le véritable fondateur de la dynastie. Il pratique la chasse aux chiites, et fait tuer Abou Muslim en 755 (ce dernier avait aidé les Abbassides à arriver au pouvoir). C’est lui qui organise l’administration de l’Etat qu’il place sous la direction de vizirs. C’est également le fondateur de Bagdad. Al Mahdî (son fils), 775-785, est à l’origine d’une répression violente des sectes hétérodoxes et de la mort de leurs adeptes, (zindiq = ceux qui heurtent la foi révélée). Création d’un organisme de répression contre eux. Ceci n’empêche pas la révolution d’un adepte d’Abou Muslim : Al-mouqanna`. La révolution part du Khorasan et sétend vers Boukhara, et Samarkand. Il faudra deux ans pour la matter. Al-Rashîd, 786-809. C’est le plus connu de dynastie. Il apparaît même dans de nombreux contes (Les mille et une nuits). Sa représentation en Occident vient de ses relations avec l’impératrice de Byzance Irène, et avec Charlemagne. C’est le premier à réaliser le démembrement de l’empire en accordant aux gouverneurs de l’Ifrîqiya une autonomie proche de l’indépendance. Pourtant l’empire abbasside s’étend encore de l’Egypte à la Transoxiane, et c’est la plus grande puissance économique et politique du temps. En 803, il de débarrasse des vizirs (provenant de la famille des Barmékides), pour des raisons assez obscures. Etaient-ils trop puissants, ou bien intriguaient-ils pour amener les chiites au pouvoir ? Le calife meurt en 809 lors d’une expédition dans le Khorasan où il y avait une révolte des populations iraniennes et turques. Al-Ma’moûn (un des fils d’Al Rashîd), est calife au moment de l’apogée de l’empire abbasside. Il tente une politique de réconciliation avec les chiites. Il désigne comme son successeur `Àlî al-Ridâ, imam des Alides duodécimains. Mais après un soulèvement, celui-ci et le vizir pro-alide d’AlMa’moûn, sont tués. C’est également l’époque où Bagdad est un grand foyer intellectuel. Le calife est un homme curieux et s’intéresse aux œuvres grecques alors traduites par les Chrétiens. La méthode de raisonnement logique d’Aristote est adoptée par l’école mo`tazilite, qui prône la raison individuelle, le libre arbitre, et qui pense que le Coran est une création.Le calife essaye d’imposer leur doctrine puisque lui-même l’a adoptée. CSQ = oppositions et persécutions. Dans le même temps, les populations aux quatre coins de l’empire se soulèvent : Khorasan, Egypte, Azerbaïdjan. Al-Mou`taçim (son frère), 833-847, est important car sous son règne, deux faits graves transforment la structure du califat abbasside. Il fait appel à des mercenaires étrangers (Berbères, Slaves, Turcs) pour constituer la garde personnelle du calife qui se défie des Persans et des Arabes, trop impliqués dans les querelles dynastiques. PB :certains chefs de cette garde vont jouer un rôle croissant et parfois plus ou moins devenir les maîtres du pouvoir. Il abandonne Bagdad où la population est difficilement gouvernable, surtout parce qu’il y a une opposition au mo`tazilisme. La capitale est déplacée à Sâmarrâ où le calife est sous la protection directe de sa garde. Conséquences, Mécontentement des Arabes et des Persans qui retirent leur affection à la dynastie. Les califes abbassides sont plus ou moins pris au piège par leur garde plus spécialement constituée de Turcs. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 30 /131 C’est ainsi que le calife Al-Moutawakkil (son fils) parvient au pouvoir avec l’appui de deux chefs turcs. Al-Moutawakkil sera assassiné par des soldats turcs. Pendant son règne, il y a une réaction sunnite : le Kalam (théologie dogmatique), la philosophie et la mo`tazilisme sont interdits. Le calife s’acharne également contre le chiisme : on détruit le tombeau de Hussayn à Kerbala, et on interdit les pèlerinages. APRES AL-MOUTAWAKKIL, PERIODE DE DESAGREGATION: I-C-1-2) LE GOUVERNEMENT GOUVERNEMENTALES. ET LES INSTITUTIONS Le calife Omeyyade était un chef de tribus et le chef de la communauté. Roi arabe et force fondée sur l’armée, Le calife abbasside appartient à la famille du prophète. Donc il met en avant son prestige religieux : il est l’imam, c’est-à-dire le chef spirituel et temporel. Il est le souverain absolu. Son pouvoir est fixé par la loi de l’islam. Il y a cette idée que les califes sont au-dessus du commun des mortels. cf leur titre= représentant de Dieu sur terre. Le calife est un personnage exceptionnel, donc il se comporte comme un personnage exceptionnel. Il vit au fond de son palais entouré par sa garde. Il est quasiment invisible pour la population qui finit par lui devenir indifférente. Un des soucis majeurs du calife est sa succession. C’est le principe d’hérédité qui domine et qui est réglé par désignation testamentaire. Le calife nomme et révoque les agents du gouvernement. Toute autorité détenue par eux l’est en fonction d’une délégation du calife. Cf. le pouvoir considérable du vizir (= premier ministre). Sauf pour Al-Mançour, et Al-Ma`moûn, la plupart des califes ont vécu dans leur palais rappelant le luxe iranien. L’essentiel de l’administration abbasside a été emprunté aux Omeyyades. Mais l’influence iranienne s’est également développée grâce à l’introduction de nombreux fonctionnaires persans. Le vizir a un grand pouvoir : civil et parfois militaire. Sa puissance s’est transformée en puissance héréditaire par la création de véritable dynastie de vizirs, cf la famille Barmékide. Les bureaux de l’administration sont groupés à Bagdad. PB = cela favorise les tendances locales à l’autonomie, d’où l’importance de la poste (barîd) qui relie les provinces à l’Etat central. La fonction judiciaire est confiée parle calife à des qâdîs, qui peuvent consulter des savants spécialistes (des òulamâ’). Ils sont respectés par le pouvoir en raison du caractère strictement religieux et juridique de leur charge. A partir du IXème siècle, à l’échelon supérieur de l’administration, le favoritisme, les prévarications, et la concussion se développent. En revanche, à l’échelon des bureaux, il y a un personnel de qualité, cultivé et souvent recruté parmi les mawâlîs d’origine iranienne. Par rapport à la période Omeyyade, l’armée n’est plus une armée de conquérants, mais un instrument destiné à faire appliquer une politique dans les limites de l’empire, surtout dans les provinces. Au début, le recrutement se fait surtout parmi les Arabes et les Iraniens khorasaniens qui ont assuré le succès des Abbassides. Mais à partir du IXème siècle, les califes se défient d’eux, et recrutent des mercenaires turcs d’Asie centrale. Cela contribue grandement à une transformation politique, sociale et financière de l’empire. Le rôle de l’armée dans les premiers temps est essentiellement la lutte contre les Byzantins qui avaient repris une offensive en Syrie du Nord, en Arménie, et qui avaient reconquis Chypre. Puis le rôle de l’armée sera cantonné au maintien de l’ordre dans les provinces. I-C-1-2) Cordoue (note3) En parallèle à Bagdad , il faut parler de Cordoue : il y a une injustice au sujet de l’Islam occidental, il faut insister sur la comparaison entre les deux. Quels sont les caractéristiques de l’Islam occidental ? Les fondateurs de cette civilisation ne sont pas qu’arabes, mais aussi berbères…il y avait une concurrence entre Bagdad et Cordoue, entre les califes qui voulaient chacun accroître leur bibliothèque,… exemple un musicien de Bagdad qui ne s’entendait pas avec son maître passe en Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 31 /131 Espagne…est accueilli par Abd Er Rahman III qui lui donne un logis, une terre, et 400 dinars d’or par mois pour enseigner la musique…il crée la 4ème corde du luth…ses enfants enseignaient avec lui…il portait une ses cheveux en forme de queue de cheval, un vrai artiste !!!… A Bagdad Al ASHÂFANÎ écrit un livre référence essentielle de toute la musique arabe …mais son œuvre Kitab El Agani est publiée à Cordoue avant Bagdad… Les califes, en Islam occidental sont plus cultivés qu’en orient , les femmes sont mieux traitées, A l’époque d’El hakam il y avait une trentaine de salons de poésie…on a un recueil de poésie féminine, la poésie féminine par Al Suyuti ( Muzhal El Ğulasâ) Autre comparaison l’orient avait eu , à la fin des omeyyades un poète aussi philosophe, qui critiquait toutes les religions…El Maccari, aveugle à l’age de 6 ans, originaire d’un village près de Damas, a écrit l’Epître du pardon ( Risalât Al Gufrân)…qui est un voyage imaginaire d’un mort qui voyage au paradis puis en enfer et c’est une critique littéraire, philosophique, linguistique … on devine de suite le voyage nocturne, ce sera l’origine et base fondamentale de la Divine Comédie de Dante et on retrouve 2 vers mot à mot chez Pascal !!! son homologue en Espagne est moins virulent, Ibn ŠUHAYD écrit Er Risalat Al Tawabi, et cette fois c’est un chevalier vivant qui voit une cheval blanc, le monte, va au ciel et rencontre un poète oriental, lui montre ses vers et le critique… Sous les Almohades, sommet et décadence de cette civilisation. C’est à cette époque qu’un calife veut vulgariser la philosophie grecque pour que le grand public y ait accès ; il demande à Ibn Tufayl de le faire, mais ce dernier ( médecin, philosophe…) lui présente Ibn Rush , le quatrième = Averroes. Ibn Tufayl a écrit Hayy Ibn Yaqzan ( fils de réveillé) l’homme a t’il besoin de l’aide de Dieu pour trouver la vérité ou la raison peut elle seule trancher ??? Deux tendances opposées , il faut interpréter à la lettre l’écrit, le 1 er sens est celui qu’on voit ( Cf Ibn Hazm) ou le texte peut avoir plusieurs sens ( cf le taqwil ou ta’wîl )… et coupure entre les deux Islams, orientaux et occidentaux… les fuqahâ luttent contre Averroès … El Ghazalî , à Bagdad, déclare sa révolte contre les philosophes, il prend 18 points et les réfute par l’islam, la théologie est plus forte que la philosophie Averroès répond, point à point, la réfutation de la réfutation …meurt à Marrakech, et déclin de la philosophie chez les arabes. ========================================================================= Notes 1) d’après Claude CAHEN in L’Islam des origines au début de l’empire Ottoman …vers 740 on voit se produire de nouveaux troubles, fruits d’une maturation souterraine, qui en 10 ans entraîneront la chute de la dynastie (omeyyade) et non seulement son remplacement par une autre, mais dans une large mesure un changement même de régime…l’interprétation des événements n’a pas toujours été la même et ne peut encore être tenue pour assurée…la domination omeyyade a dû souvent paraître légère aux groupes allogènes majoritaires parce qu’elle restait très lâche, laissant aux gouverneurs de province ou aux vassaux indigènes une très grande dose d’autonomie. Cela n’empêchait pas les oppressions sociales, mais cela est une autre affaire, en ce sens que la protestation envers une telle oppression peut se faire non pas contre l’Islam, mais au contraire au nom de ses principes même…il peut y avoir en Arabie des arabes mécontents de n’avoir pas une part suffisante du gâteau impérial,…il y a la rivalité des tribus…la guerre tend à se professionnaliser, ce qui signifie aussi , le butin étant insuffisant, l’acuité du problème des soldes…l’armée coûte de plus en plus cher avec les répercussions inévitables sur l’impôt et les contribuables…les paysans peuvent se plaindre des gros propriétaires …il y a là une instabilité, un déséquilibre qui un jour ou l’autre doivent aboutir à un mouvement de bascule irréversible… …il n’est guère facile d’apprécier comment a débuté le mouvement abbasside… 2) d’après Claude CAHEN in L’Islam des origines au début de l’empire Ottoman, page 78 …Harûn à son tour organise le règne successif de ses trois fils, en nantissant chacun d’entre eux cette fois, comme garantie d’un gouvernement provincial : à Amîn , le second, mais né d’une Arabe libre, épouse légitime, il donne presque tous les pays arabes ; à Ma’mun, l’aîné, né d’une esclave persane, l’Iran ; au troisième Mu’tasim, les confins byzantins ; les trois règneront, il est vrai, mais après quels drames ! Du moins pourrait on penser que le système permet de choisir pour chaque succession, le plus apte… Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 32 /131 mais si la plupart des premiers abbassides eurent une personnalité, on verra ensuite les puissants du jour trouver avantage à installer sur le trône des fantoches ou des enfants, et cela sera une des causes du déclin de la monarchie… 3) d’après Robert Mantran in L’expansion musulmane …l’apogée de l’Espagne musulmane correspond au règne de ‘Abd Er Rahmân III ( 912/961), souverain remarquable à tous points de vue…surtout face aux ambitions fatimides il a assuré d’une part le maintien du sunnisme en occident et d’autre part affirmé l’indépendance totale de l’Espagne… …le X ème siècle fut aussi le grand siècle artistique et intellectuel de l’Espagne musulmane. Cordoue brille au premier rang des grandes cités du monde ; l’école malékite andalouse acquiert une grande réputation et maintient le prestige du sunnisme face au schiisme triomphant en orient… I-C-2) Eclatements politiques I-C-2-1) LE COMMENCEMENT DU DECLIN ABBASSIDE. Ce que les historiens considèrent comme l’âge d’or de l’Islam peut être vrai dans une certaine mesure, mais dans la seconde partie du IX siècle l’empire se lézarde : Oppositions religieuses en Iraq Hors Iraq, constitution d’émirat autonomes, voire indépendants sans l’autorisation califienne. Sous la conduite des souverains de la dynastie macédonienne, les Byzantins prennent l’offensive et remportent des succès probants. Les insurrections Dès la mort du calife al-Moutawakkil, par réaction, des mouvements de révolte sociale et des mouvements séparatistes naissent et prennent une grande ampleur. Le premier et le plus grave est la révolte des Zendj (esclaves noirs). Ce sont des négociants enrichis dans le grand commerce et qui avaient acheté des terres dans le bas Iraq, qui les avaient fait venir. Ces esclaves se voyaient imposer des conditions de vie inhumaines. C’est `Alî ibn Mohammed al-`Alawî qui les mena à la révolte. Ce dernier se prétendait descendant de `Àlî, de tendance kharidjite-zaydite et il niait la légitimité de tous les califes depuis Abû Bakr. La révolte éclata en 869 dans la région de Basra. Ici s’y rallièrent les paysans ruinés du bas Iraq, des esclaves des villes, les troupes noires de l’armée califienne, et même des tribus bédouines attirées par la perspective du butin. Tout le sud de l’Iraq et une partie du sud-ouest de l’Iran sont occupés. La révolte est écrasée en 883. en conséquence la révolte montra les faiblesses du califat, et a même failli causer sa disparition. En effet, pendant la révolte, des mouvements séparatistes éclatent au Khorasan, au Turkestan, et en Egypte. Difficile pour le pouvoir de combattre sur tous les fronts. A la fin du IX siècle, un émirat zaydite se constitue au Yémen. Pour eux la désignation de l’imam est laissé au libre choix de la communauté, mais ils réservent l’imâmat aux descendants de Fatima. Ces révoltes témoignent d’un mécontentement profond dans différentes couches de la population. Les partisans de `Àlî, rejetés lors de l’avènement des Abbassides, ont travaillé secrètement à leur retour et le début du X siècle voit apparaître deux mouvements: les Qarmates, et les Fatimides, qui contribuent à la décadence du califat abbasside. Le deuxième mouvement réussira à créer un califat, réalisant le rêve des chiites depuis la mort de `Àlî. Les émirats autonomes Ces mouvements furent l’œuvre de musulmans non arabes. Le premier à se manifester est le persan Tâhir, nommé en 820 gouverneur du Khorasan. Au bout de quelques années, il étend son pouvoir sur l’Iran oriental et l’Afghanistan, faisant de ces territoires un Etat héréditaire, et se bornant simplement à reconnaître l’existence d’un calife à Bagdad. Cette dynastie est supplantée en 873 et en 902 par deux autres : Çaffârides, puis Samânides. L’intérêt de ces mouvements séparatistes, c’est qu’ils sont iraniens, et donc qu’ils contribuent à un retour des traditions politiques, et culturelles iraniennes. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 33 /131 Le Turc, Ahmed ibn Toûloûn, nommé gouverneur de l’Egypte en 868, fait sécession et s’assure la possession de la Syrie. Moyennant un tribut annuel, il obtient du calife de Bagdad la reconnaissance comme chef de la communauté, et le droit de gouverner à sa guise les deux provinces. Ici, le cas est différent de celui des dynasties iraniennes. Il ne s’agit que d’aventures qui ont réussi grâce à l’audace et à la valeur de leur promoteur. Il n’y a pas de caractère « nationaliste », mais on peut déceler les menaces d’un éclatement du califat abbasside et le rôle qu’y joueront les mercenaires turcs. Le pouvoir abbasside est face aux Fatimides, et à des révoltes internes. Pour assurer sa défense, le califat attribue des terres aux généraux turcs et aux troupes de mercenaires, mais ceux-ci agissent plus pour leurs intérêts que pour celui de l’Etat. Les désordres religieux et sociaux ne cessent de s’accroître. Un chiite iranien, Ahmed ibn Bouwayh, entre à Bagdad en 945, et fonde la dynastie des émirs bouyides. Un condominium entre le calife abbasside sunnite et l’émir bouyide chiite fonctionna sans heurts . Mais dès 950 de violentes bagarres éclatent à Bagdad entre sunnites et chiites. Cette situation encourage les Byzantins à reprendre la lutte contre les musulmans. Les combats entre eux ne donnent pas des modifications de territoire importantes. Les califes abbassides laisseront la réalité du pouvoir à leurs vizirs bouyides qui fondent une véritable dynastie. De la Méditerranée au Khorasan, le chiisme est alors triomphant. C’est seulement au cours des dernières années du X siècle que dans l’orient musulman le sunnisme reprend l’offensive grâce aux Turcs qui feront finalement triompher le sunnisme. En Occident musulman en revanche, le chiisme n’a pu entamer les positions du sunnisme. I-C-3) La civilisation classique I-C-3-1) LA VIE ECONOMIQUE. Le commerce C’est l’un des faits les plus remarquable du monde abbasside avec le développement de la pensée philosophique et de la civilisation. Les raisons de l’expansion économique sont, Affaiblissement de l’empire byzantin. Achèvement des conquêtes. Création de Bagdad, qui devient la plaque tournante du Moyen-orient. De plus, les villes se développent, Arabes et non-Arabes s’enrichissent. Besoin de profiter des avantages matériels société de consommation. L’empire abbasside a une position stratégique entre la Méditerranée et l’océan indien. La conquête de la Crète en 827, et de la Sicile assure aux musulmans le contrôle de la navigation en méditerranée. Au IX siècle, la manifestation du commerce devient la manifestation la plus tangible de l’expansion musulmane. Le centre est le golfe Persique. L’Asie centrale est le centre de transit commercial entre le proche et l’Extrême orient. La Méditerranée est plus ou moins passée sous contrôle musulman avec la Crète et la Sicile. Donc l’empire abbasside développe un commerce avec l’Espagne, le Maghreb, l’Egypte et la Syrie. Ce commerce a pris une ampleur considérable parce que, une fois la conquête achevée, l’empire abbasside a disposé de ressources naturelles énormes, de matières premières qu’il a pu vendre ou échanger contre d’autres produits des pays étrangers. Il existe un commerce local sur des produits de première nécessité, et un commerce « international »qui porte sur des produits de luxe, matériaux pour l’activité industrielle, ou des produits fabriquées dans l’empire et exportés. A ce commerce sont liées deux activités qui le conditionnent et le complètent : L’activité industrielle. Elle est crée à partir des matières premières existantes dans l’empire (or, fer, minerais, laine, soie, coton). L’Etat s’est généralement approprié le monopole des principales industries. Puisque l’Etat contrôle le commerce, il en tire les revenus (douanes, + taxes), et il évite également la spéculation sur les produits de première nécessité. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 34 /131 Le commerce de l’argent. La valeur de la monnaie n’a pas varié jusqu’au lendemain des croisades, donc elle a été recherchée sur tous les marchés internationaux. Création de la lettre de change, du chèque, développement des opérations bancaires. développement d’un système capitaliste auquel participent musulmans et non-musulmans. Les villes L’expansion économique a drainé vers les villes toute une population qui était soit errante, soit vivant misérablement dans les campagnes. Ce sont surtout les villes d’Iraq, qui ont attiré la population. PB : miroir aux alouettes car cette attirance s’exerçait sur des individus que les conditions de vie dans les campagnes transformaient en déracinés…. BAGDAD Cours du 04/04/2003 BAGDAD fut établie par Abdû Ğaffar El Mansûr au 2ème siècle de l’hégire : parmi ses noms c’est la ville d’El Mansûr, le victorieux ; elle fut la capitale des abbassides jusqu’en 1258 , date de l’invasion mongole. C’était alors la métropole culturelle du monde musulman et, tout simplement, du monde d’alors. Après 656H / 1258 elle ne sera plus que capitale de province, puis tombera une fois encore, cette fois aux mains des ottomans et deviendra la capitale de l’actuel Irak.. C’est son histoire que nous étudierons aujourd’hui. Le nom de BAGDAD Ce nom existait dès la période anté-islamique, et n’était pas arabe : les auteurs disent que les peuplements antérieurs étaient d’origine persane. Les historiens Al-Maqdsisî et Ibn Rusta donnent divers explications , la plus connue est que Bagdad est un nom donné à Dieu , ou un nom d’idole. El Bajdadi et Al Hamawt pensent aussi au nom de Dieu mais les auteurs modernes préfèrent l’explication persane : citons Streck, Salom et Herzfeld. , Dieu en persan devient BAG. D’autres disent que l’origine est araméenne , la grande langue sémitique de la région, et Bagdad signifierait maison ou enclos des moutons ; c’est la thèse de l’historien arabe Ġanîma. Quant à El Tabarî, il penche pour l’origine araméenne aussi, avec la signification de marché à bestiaux , marché à vaches. L’allemand Delitsch est favorable aussi à l’explication araméenne. Il faut citer aussi un document juridique de l’époque du célèbre Hamûrrabi ( vers 1800 avant JC) qui mentionne une ville du nom de Bagdâdu - le suffixe du n’est pas ici l’arabisation mais la flexion de la langue akkadienne : L’historien Schorr le cite. On parle aussi d’une ville « araméenisée » à l’époque de Tiglat Pilasser III ( 745/ 727 avant JC) .On découvre que le mot bag , vers le VIIIème siècle avant JC désignait dieu et on en a composé des noms propres : Dieu intervient partout. La fondation de Bagdad On peut dire que Abdû Ğaffar El Mansûr a donné le nom officiel , celui que l’on trouve sur les cachets « madina es-sâlam », ville de la paix : il ne l’a pas choisi par hasard mais en consultant le Coran puisque dar es-sâlam y est le paradis, Coran , 6-127 …« Pour (ces gens) est la demeure du Salut , auprès de leur Seigneur. Il est leur patron en prix de ce qu’ils faisaient ( sur terre)… Coran , 10-26 Allah appelle à la demeure du Salut et dirige qui Il veut, vers une Voie droite…» Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 35 /131 Cette dénomination est dans les documents officiels et sur des monnaies. Mais Bagdad avait aussi d’autres noms : * Bagdad, * Madina es-Sâlam, * Madina Abî Ğaffar, ou la ville d’El Mansûr, * Madina El Hulafa , ou la ville des califes, ou parfois aussi on trouve , dans la poésie arabe, Al Zawrâ, la belle. Tous ces noms pouvaient être utilisés et se retrouvent chez des historiens comme Ibnal Faqîh, Yâkût ou Ibn Rusta.. Les historiens arabes ( El Tabarî, Ibn ‘Al Ğawzi et Yacqûdi…) parlent d’un petit village anté islamique, sur la rive du Tigre : ils disent que dans ce village il y avait une foire annuelle, avec du commerce , la présence de la littérature, comme à La Mekke, de l’animation , ce qui nous permet de comprendre le quartier gai de Bagdad ( Abû Nouwas) . Bagdad a souvent été confondue avec Babylone dans les œuvres au Moyen-Orient : elle existe dans la littérature talmudique aussi , dans les deux talmuds babylonien et de Jérusalem. On trouve aussi cette confusion chez les écrivains juifs tardifs : pour eux , c’est Babylone qui les intéresse. Après la chute de Damas comme capitale les abbassides cherchent à s’éloigner de la mer , qui représente toujours une menace potentielle ( exemple de l’Egypte avec l’installation de ’Amr à Fostat) , et avant El Mansûr, le premier calife abasside ‘Abu Al Abbas Es Saffâh ( l’assassin) est d’abord demeuré à Kuffa ( ville fondée par l’Iman ‘Ali) puis s’est installé plus loin encore à Anbâr. ‘Abu Al Abbas Es Saffâh fut le fondateur militaire de cette dynastie mais son successeur préfèrera s’installer à Al Hâšimiyya ( on trouve dans ce mot la racine Hâšim, le clan du prophète , marque de la prétention abasside à lier le pouvoir à la personne du prophète) , pas loin de Kuffa,.Mais cette ville est trop perméables aux courants de révoltes et il cherche un autre centre : ce sera Bagdad, pour des raisons militaires et économiques. Une colline , pour la défense, des terres cultivables entre les deux rives du fleuve, et enfin le chemin vers le Korhasan , à l’Est. C’était aussi le point de rencontre des pistes caravanières. Yacqûdi (278H / 891) donne une description bien détaillée des quartiers de Bagdad, Sirhâh ( 278H / 900) parle des canaux d’irrigation , donne la première carte de la ville , décrit la forteresse placée derrière un fossé de 20 mètres de large et profond, puis un quai de briques, puis un premier mur de 9 mètres de hauteur environ, un espace , puis un nouveau mur en briques crues de 34 mètres de hauteur environ….On témoigne , avec cette description, de la séparation entre le calife et le peuple…Il faut signaler la dimension de la mosquée, sa grandeur ; aussi le don des terrains aux militaires méritants , d’abord les terrains les plus proches aux capitaines, puis aux soldats. La ville est bâtie sur un plan « circulaire» le palais , puis la mosquée ( qui n’était pas tournée vers la direction de La Mekke) sera construite en 191 H/ 807 puis Harûn El Rachid la fera détruire et reconstruite en briques crues et elle sera à nouveau reconstruite en agrandie d’une cour en 900. La carte de la ville montre la préoccupation sociale avec des responsables ( bâtiments?) administratifs et culturels dans chaque quartier : le quartier arabe, le quartier persan, le quartier asiatique….; et le rôle important des marchés puisque 4 rues , allant des murailles vers le centre sont dotées d’arcades et boutiques… A l’époque la construction de Bagdad revient à 18 millions de dinars d’or. Puis El Mansûr établit un second palais sur la rive du Tigre et sur le chemin du Khorasan : les yeux des abassides se tournent vers l’Est ! Pour des considérations stratégiques et le manque d’espace le camp de militaires est installé sur le coté est du Tigre à El Rûsâfa : beaucoup de savants sont originaires de ce quartier. Puis , par le développement des activités de la ville et la pression du peuple sur la partie «est» la ville va s’élargir. Yahya ‘Al Barmaki ( catastrophe des barmaniqa) a bâti un grand palais qu’il nomme la palais de la terre. Sur le coté « ouest » et le grand sûk ( le khan) s’étend jusqu’au fleuve…………. Puis les ennuis commencent: conflit entre les deux fils d’Harûn El rachidguerre civile, siège de la ville pendant 14 mois et destruction de toutes les maisons des opposants, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 36 /131 Après la période d’or du califat d’El Ma’moun ( construction de la maison de la sagesse, apogée de la pensée et de la culture musulmane…) attaque des Turcs - la ville n’arrête pas de souffrir - et le calife El Mustacîn ( 251H/ 865) , celui qui cherche l’aide de Dieu, se réfugie à Bagdad mais il est poursuivi par ‘Ibn Al Mu’tazz et la ville est «bombardée»… Période de calme ensuite, les banlieues prospèrent, s’élargissent, Rûsafa s’étend encore et prend le nom de Samawal ( déformation de Samuel , grand nom d’un poète juif)…Al Mu’tamid rétablit le palais en 278H /892…à l’époque on comptait, disait on 27.000 bains , puis Al Muqtadir élargit de nombreux bâtiments, consolide les fortes murailles , il y avait ( déjà) des passages secrets, au milieu d’une place un arbre d’argent de 18 branches : Bagdad atteint alors le sommet de la civilisation. La cité est organisée avec un muhtasib( cf. Polycop Inalco Les Abbassides ( fin)) pour chaque marché…chaque métier avait son syndicat avec des fabricants et des maîtres ( ûstâd) C’est alors un monde cosmopolite , mélange de religions , de langues, de couleurs dont on ne sait pas précisément le nombre d’habitants : on parle de 300.000 mosquées, on dit aussi que ce chiffre est exagéré, on parle de 27.000 ou 17.000 bains , on estime que chaque famille , par maison, était de cinq personnes, et vraisemblablement il y avait, à l’époque, 1.500.000 habitants…( aujourd’hui 5.000.000)… C’est l’époque où Al Muqtadir nomme Sinân Ibn Tâbit syndics et maîtres des médecins pour l’acceptation de ceux ci dans les hôpitaux : il en a admis 860 !. Hôpitaux Bima oustra Es Saïda ( on l’appelle la Saïda) El Muqtadini Grand centre intellectuel aussi:, Ecoles du fiqh : hanbalite , hanafite, de nombreuses et importantes bibliothèques Puis vient la période des Bouwayihidi qui envahissent la ville ( 335H /945) sous le règne de Mu’izz Al Dawla connu pour avoir restauré les canaux et les ponts, et ensuite le déclin ( 448H /1056) , anarchie, désordre, voleurs et gangsters attaquent Bagdad et font peur à la population, période de famine , assassinat de El Hallağ… Le calife Toughil Big ( 450H /1058) essaie de restaurer les remparts autour de Bagdad….mais arrive le 10/02/1258 ( 4 saffar 656) et l’invasion des Mongols : en une semaine on assassine des milliers d’habitants , sans distinction,…on perd tous les livres , mais la mémoire reste….On a alors beaucoup perdu ….Prions pour Bagdad, pour le peuple , et pour les valeurs humaines… I-C-3-2) VIE INTELLECTUELLE ET ARTISTIQUE Ce qui a assuré le prestige du califat abbasside, au moins du point de vue de la postérité, c’est le développement intellectuel, et des sciences de la fin du VIII siècle, jusqu’à la fin du XI siècle, l’âge d’or se situant au IX siècle. La langue arabe est désormais adoptée par tous les écrivains de l’empire, y compris par les populations non-musulmanes (grand rôle de l’Islam, par l’accroissement du nombre de convertis, de + la langue du Coran devient la langue commune à tous les sujets de l’empire). Bagdad sous l’impulsion des premiers califes abbassides (al-Ma’moûn y fonda une Bayt al-Hikma, Maison de la sagesse, sorte de bibliothèque et de lieu de rencontre des lettrés) devient véritablement la capitale intellectuelle de l’Empire. Deux des quatre écoles d’interprétation juridique du coran sont nées à Bagdad : le hanéfisme et le hanbalisme. Les sciences Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 37 /131 Grâce aux savants arabes, l’esprit humain a fait des progrès énormes que l’occident chrétien ne connaît que plus tard par l’intermédiaire de l’Italie et surtout de l’Espagne. Cf Al-Kindî, Al-Fârâbî, Ibn Sînâ. La géographie a également été une base de connaissances pour l’homme «cultivé», grâce aux découvertes du monde par les conquérants arabes, et par les descriptions des marchands. La géographie a également servie l’administration . Il faut retenir qu’il y a là un phénomène d’acculturation réciproque. Des Arabes jusqu’alors étrangers à toute spéculation scientifique, et ne pratiquant que des genres littéraires limités, ont eu accès à des domaines nouveaux pour lesquels ils ont montré des dispositions remarquables. Par surcroît, ils ont adapté leur langue, qui est devenue, outre son rôle de véhicule religieux, un instrument de culture. Des non-Arabes ont apporté leur antécédents intellectuels et culturels, adopté l’arabe, et contribué à faire progresser cette langue. Littérature et sciences religieuses Développement de l’investigation historique (avant que l’histoire ne devienne une science en ellemême). éclairer la vie du prophète, rassembler les traditions orales relative au prophète et à ses compagnons, pour obtenir une vue d’ensemble de l’histoire des musulmans. Cf Tabarî, histoire universelle. Développement également d’une littérature de cours et de la poésie, = reflet intéressant de la société musulmane pendant l’empire. Codification de la musique. Les sciences religieuses ont une telle importance qu’on les considère comme la « science » proprement dite (compilation des traditions Boukhârî, Mouslim ; commentaire et étude du Coran òulamâ’ ; développement des bases essentielles du droit musulman fouqahâ’). Plus de centres avec les chutes de Bagdad et Cordoue…arrivée des Fatimides I-D) Nouveaux empires (969-1258) I-D-1) Le califat fatimide d’Egypte I-D-2) Le sultanat seljoudique I-D-3) Zenguide et Ayyoubides : la contre - croisade Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 38 /131 II) ISLAMOLOGIE ET NAISSANCE D’UNE TRADITION CULTURELLE ISLAMIQUE II-1)Situation religieuse au Moyen-Orient avant l’Islam. II-2)Vie de Mahomet et prophétologie II-3)Vulgate coranique et commentaires II-4)Le Hadith II-5)Le dogme II-6)Le Kalam II-7) Les pratiques (les piliers de l’Islam) II-8) La Loi ( fondements du droit ; écoles juridiques ; contenu et limites de la Loi) II-9) La question de l’autorité : le califat selon Mawardi. II-10) La question de l’autorité : les thèses Chiites II-11) Le soufisme II-12) La pensée philosophique. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 39 /131 II-1) Situation religieuse au Moyen-Orient avant l’Islam. Avant d’étudier la situation religieuse du Proche-Orient dans les 30 premières années du VIIè siècle, regardons l’organisation politique des pays de la région à l’époque. Trois pays, la Syrie, la Palestine de population araméenne, l’Egypte de population copte, se trouvaient sous la domination de l’Empire grec Byzantin, avec Constantinople pour capitale. Un pays , l’Assyrie, de population araméenne, était placé sous la domination de l’empire perse Sassanide, avec pour capitale Seleucie-Ctésiphon. Dans ces 4 pays, les populations autochtones, araméenne et copte, écrasées d’impôt, haïssaient les occupants étrangers, grecs et persans, qu’ils fussent fonctionnaires ou militaires, et elles aspiraient à l’indépendance. Quant à l’Arabie, qui ne connaissait pas d’unité politique, on y trouvait, au Nord 2 petits royaumes, celui des Lakhmides, (capitale : Hira) , vassal des Sassanides, et celui des Ghanassides (capitale : Jabiya), vassal des byzantins, au centre un ensemble inorganisé de tribus indépendantes, dont la plus puissante était celle des Qouraychites, établie au Hidjaz, dans la région de La Mecque, au sud, le royaume himyarite du Yemen ( capitale : Sanaa), qui, après avoir été sous la dépendance des Byzantins et des Abyssins était devenu une satrape Sassanide. DES DIVERGENCES DOCTRINALES Le christianisme orthodoxe était la religion officielle de l’empire Byzantin et le mazdéisme celle de l’empire Sassanide ; et dans les 2 empires, les autorités persécutaient les sujets qui ne partageaient pas la religion officielle. L’organisation ecclésiastique du Proche-Orient chrétien comprenait 4 circonscriptions calquées sur les divisions administratives le patriarcat d’Antioche et de tout l’Orient, d’origine apostolique, le patriarcat de Jérusalem, détaché d’Antioche en 451, le catholicosat de Séleucie-Ctésiphon, qui s’était autoproclamé indépendant d’Antioche en 410 le patriarcat d’Alexandrie, d’origine apostolique. Ces circonscriptions étaient elles mêmes divisées en plusieurs centaines de métropoles et d’évêchés. C’est un christianisme profondément divisé qui s’était répandu dans les pays du Proche-Orient au début du VIIè siècle. Cette division était la conséquence des ruptures intervenues , 2 siècles plus tôt, à la suite des conciles œcuméniques d’Ephèse en 431 et de Chalcédoine en 451. Ces ruptures avaient abouti à la formation de 3 doctrines qui divergeaient sur l’union de la divinité et de l’humanité dans le Christ : le nestorianisme, qui distinguait une personne humaine et une personne divine dans le Christ, le monophysisme, qui ne distinguait qu’une seule nature divine dans le Christ, le chalcédonisme qui distinguait une nature humaine et une nature divine dans le Christ. A partir de ces 3 doctrines, 3 églises s’étaient constituées à l’intérieur de chaque circonscription ecclésiastique, une église chalcédonienne , répandue dans les 3 patriarcats d’Antioche, de Jérusalem et d’Alexandrie, et surnommée «melkite» c-à-d «impériale» parce que sa doctrine était celle de l’empereur, une église monophysite, répandue dans les patriarcats d’Antioche et d’Alexandrie, ainsi que dans le catholicosat de Séleucie-Ctésiphon, et surnommée «jacobite» du nom de Jacques Baradée , l’évêque syriaque qui l’avait organisée au VIè siècle, une église nestorienne, répandue dans le catholicosat de SéleucieCtésiphon et surnommée ainsi du nom de Nestorius, patriarche de Constantinople (428-431) qui avait été à l’origine de sa doctrine. Ces chrétiens, clercs et laïcs, s’entre-déchiraient, se disputant les évêchés, les églises et les monastères, et n’hésitant pas à faire appel au pouvoir en place , byzantin ou sassanide, pour persécuter les chrétiens des autres confessions. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 40 /131 En Arabie, les nestorianisme avait été introduit au nord, dans le royaume des Lakhmides, et dans la région du Bahrein, du Qatar et de l’Oman, tandis que le monophysisme avait été introduit au nord dans le royaume des Ghanassides, et au sur dans le royaume himyarite.. A l’ouest , en revanche, dans la région du Hidjaz, le christianisme n’est pas profondément implanté, à la différence du judaïsme solidement installé dans les oasis de Yathrib et de Khaybar. LES CONQUÊTES PERSES Telle était la situation politico-religieuse du Proche-Orient lorsque les armées de l’empereur sassanide Chosroès s’emparèrent d’Antioche et de la Syrie en 611. Damas tomba en 613 et les perse avancèrent jusqu’à Jérusalem. Après un siège de 20 jours la ville fut prise le 5 mai 614, les habitants massacrés et l’église de la résurrection incendiée. Le général perse s’empara de la Vraie Croix et l’envoya à Chosroès. Quant au patriarche Zacharie, qui avait tenté de négocier la reddition de la ville il fut emmené en captivité à Séleucie-Ctésiphon. Après s’être saisis de Péluse, les Perses pénétrèrent en Egypte en 617et, malgré la résistance du préfet Nicétas ils s’emparèrent d’Alexandie en 618. Le préfet et le patriarche chalcédonien s’enfuirent et la chute de la capitale entraîna la conquête de toute l’Egypte en 619. L’occupation des pays chrétiens du Proche-Orient par les Perses mazdéens eut des conséquences importantes du point de vue religieux, car les populations monophysites, araméennes et coptes de ces pays purent exercer plus librement leur culte sous une domination plus tolérante envers elles que celle des empereurs byzantins. Sauf en Palestine, les Perses favorisèrent le clergé monophysite, les chalcédoniens étant considérés comme les alliés de l’empire byzantin. En Syrie, le patriarche chalcédonien d’Antioche, Anastase II qui avait été assassiné par les juifs en 609 ne fut pas remplacé, et ce fut le patriarche monophysite Athanase le Chamelier ( 595-631) qui exerça l’autorité. En Egypte le patriarche chalcédonien d’Alexandrie , JeanII l’Aumonier, (610-619) s’était réfugié à Constantinople, et le patriarche monophysite Andrinocus (610-626) en profita pour s’installer à Alexandrie. En Palestine, Chosroès restitua aux chrétiens leurs églises et leurs monastères et les autorisa à reconstruire les édifices qui avaient été détruits…. UNE RELIGION UNIFICATRICE EN ARABIE Puis l’empereur byzantin Héraclius entreprit à partir de 622 la reconquête des pays de son empire occupés par les perses, mais tandis que les chrétiens nestoriens, monophysites et chalcédoniens se disputaient au sujet du nombre des personnes, des natures et des opérations qu’il convenait de distinguer dans le Christ, une nouvelle religion émergeait dans la région occidentale de la péninsule arabique, le Hidjaz, dont le centre économique était La Mekke… La religion des arabes païens de cette région était un polythéisme qui consistait dans l’adoration de divinités auxquelles on sacrifiait des animaux et dont on vénérait des idoles dans le temple de la Kaaba, objet d’un pèlerinage annuel. Mais au dessus des divinités, dont les trois principales étaient al-Lât, Ouzza et Manât, les arabes de cette époque commençaient à admettre l’existence d’une divinité suprême, Allah, que certains croyants se réclamant d’un abrahamisme primitif, le « hanafisme » adoraient à l’exclusion des autres divinités. C’est l’un d’eux, Mohammed, qui devait prêcher un monothéisme absolu et communiquer à ses congénères une révélation exprimée en langue arabe « claire »…….. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 41 /131 II-2) Vie de Mahomet et prophétologie L’Islam est né en Arabie, le long de la mer Rouge, dans le Hedjaz. C’est à La Mekke, que Muhammad reçu les premières révélations et commença à prêcher. Toutefois il dû d’installer à Yathrib pour pouvoir véritablement poser les fondations de son œuvre, jeter les bases d’une nouvelle religion et instituer un nouvel ordre moral, juridique et politique. L’émigration, al-hijra, eut lieu vers la fin du mois de septembre 622 mais la date retenue afin qu’elle coïncide avec le premier mois du calendrier en vigueur est celle du 16 juillet 622. Yathrib est dès lors désignée comme la cité du Prophète : madînat al-nabî. Le temps de l’Islam Selon la doctrine islamique, le temps historique dans lequel s’inscrit l’Islam succède au temps cyclique de la prophétie. Muhammad, présenté comme le sceau des Prophètes (Coran 33 :40) s’insère dans ce cycle. Il vient clore la prophétie afin d’assurer l’avènement de l’Islam. Une autre représentation se superpose à celle-là dans la tradition. C’est celle qui fait précéder l’Islam d’un état d’ignorance, la jâhiliyya, équivalent arabe de la gentilité. Il ne faut plus se référer à cet ordre ancien. La révélation marque une césure. Avec elle commence l’âge d’or dont on peut distinguer trois phases : - D’abord la guidance spirituelle et politique que le Prophète exerça dans la cité idéale de Médine jusqu’à sa mort en 632 - Ensuite celle du Califat des quatre Bien-dirigés, al-râchidûn : Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthlmân, ‘Ali qui lui succèdent jusqu’au meurtre de ‘Ali en 661 - Enfin la phase des Salaf, des pieux anciens c’est-à-dire les compagnons du Prophète et les deux générations de musulmans qui suivirent. Cet âge d’or n’est pas un idéal à atteindre ou à imiter, il s’est accompli, reste à le reproduire et à le restaurer. L’opération est à la fois un retour sur le sacré par lequel le croyant musulman tente de retrouver l’islam juste, celui des origines. Le discours des militants de l’Islam d’aujourd’hui s’ancre toujours dans ces représentations. La jâhiliyya n’est pas qu’une séparation temporelle marquant un avant et un après. Elle est aussi une fracture spatiale : elle divise l’espace. Une partie du monde est occupée par les musulmans, l’autre par ceux qui refusent ou dévient de cette voie. La jâhiliyya, selon cette perspective est donc susceptible de surgir à tout moment dans le temps historique de l’Islam. Faute de source, il est difficile de décrire la jâhiliyya et l’Arabie du Vème siècle. Cependant il est quasiment certain que le passage de cet état d’ignorance à l’Islam ne fur pas la cassure radicale suggérée par des représentations qui relèvent du dogme de l’Islam et non pas d’une démarche historique. L’Arabie ne passa pas, sans étape ni transition d’un paganisme débridé au monothéisme le plus achevé. L’avènement de l’Islam fut favorisé par plusieurs facteurs : - Un malaise au sein des sociétés citadines qui appelait à une réforme des mœurs et des valeurs morales : le développement du mercantilisme avait permis le développement de l’individualisme au détriment des valeurs tribales. - L’ancienne religion des Arabes subissait des influences du monothéisme chrétien et juif.. À Médine, les juifs étaient ainsi très influents. Cependant au regard de l’histoire, la Révélation de l’Islam présente bien un caractère d’instantanéité, puisqu’elle s’étale sur une vingtaine d’années seulement. La révélation (al-tanzîl) C’est l’Image de la pluie qui se cache derrière le mot tanzîl qui est utilisé pour désigner l’ensemble des séquences révélatoires. Dieu fait descendre, anzala, le Coran aux hommes, par étape successives et par l’intermédiaire de son Prophète. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 42 /131 Il est admis que les premières séquences révélatoires ont eu lieu vers 610 et qu’elles ont été rendues publiques vers 613. La révélation s’est poursuivie jusqu’en 632. L’ordre des sourates descendues reste improbable. Selon la tradition, Mohammad aurait reçu la première sourate lors d’une retraite sur le mont Hîra’. Gabriel lui serait apparu et aurait ordonné : CORAN, (96;1-5) « Lis, au nom de ton Seigneur qui créa, Créa l’homme d’un caillot de sang Lis car ton seigneur est le très généreux Qui enseigna au moyen du qalam Enseigna à l’homme ce qu’il ne savait pas ». L’interposition de l’ange semble avoir été rajoutée a posteriori car il n’apparaît dans le Coran que dans des sourates très tardives. Ces versets contiennent les idées forces de la nouvelles religion : - Dieu est présenté comme un créateur - Il se montre généreux envers l’homme - Il lui apprend ce qu’il ne savait pas : la Révélation. On voit clairement l’opposition ignorance/savoir récurrente dans le Coran - Le contenu essentiel y est souligné : le monothéisme. Cependant la notion de monothéisme ne s’est pas imposée d’emblée. Mohammad professait une religion répandue dans son milieu : le hanifisme, avant d’en fonder une nouvelle. L’idée de monothéisme contrariait aussi des données économiques et s’opposait à certaines positions de pouvoir. Ceci pourrait expliquer la descente des fameux versets sataniques. Contredites par 53 ;19-23 «Elles ne sont que les noms dont vous et vos pères les avez nommées; Dieu n’a fait descendre en elles aucun pouvoir». Première véritable affirmation monothéiste. Coran (109 -1-6) «Dis: «Ô dénégateurs Je n’adore pas ce que vous adorez Et vous n’adorez pas ce que j’adore … A vous votre religion, à moi ma religion» Abrahamisme, Hanîfisme et islam La plus grande différence entre la religion de Mohammad et celle de la plupart des mekkois réside dans le refus d’associer au Dieu créateur des divinités mineures. Bon nombre de séquences révélatoires affirme l’existence d’un Dieu unique et fustige l’associationisme (chirk) et les associant (muchirkûn). Le message de Mohammad est de promouvoir un culte pur. Muhammad n’est alors pas seul à professer le monothéisme. D’autres personnages célébraient un Dieu unique et adoptaient une conduite ascétique. Tout comme Mohammad, c’étaient des Hanîfs et affirmaient leur adhésion à la religion d’Abraham (dîn Ibrâhîm). Toutefois les Hanîf ne formaient pas un mouvement organisé mais poursuivaient individuellement leur quête spirituelle. Une forme de hanîfisme pouvait cependant s’accorder avec l’associationnisme. Ce n’était pas le cas du monothéisme de Mohammad. CORAN , 3 :67) « Abraham n’était ni juif, ni chrétien, mais il était hanîf, soumis (à Dieu : muslim). Il n’était pas un associant » L’Islam ne se définit de toute façon que par rapport à d’autres religions révélées : le judaïsme et le christianisme. La révélation de l’Islam prétend venir confirmer les révélations antérieures. La véritable religion d’Abraham avait été jusque-là altérée. Elle est contenue dans le livre archétypal, la Mère du livre (Umm al-kitâb), dont la nouvelle révélation est l’émanation. Cependant les attaques contre Muhammad continuent. Ceux qui refusèrent de se soumettre furent appelés les dénégateurs (al-kâfirûn). Après la mort da Abû Tâlib, l’Oncle de Muhammad, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 43 /131 celui-ci se retrouva sans protection. L’organisation tribale était telle qu’un individu ne pouvait pas demeurer isolé, sans appartenance clanique. Muhammad fut contraint de partir et après avoir tenté de s’imposer à Ta’if, il décida de s’expatrier à Yathrib en 622 : c’est l’hégire. La fondation de la nouvelle communauté Yathrib avait été peu avant déchirée par des luttes inter-claniques dont elle se relevait à peine. Il se peut que certains aient vu en Mohammad l’homme charismatique capable d’arbitrer les conflits. Son arrivée fut bien préparée. Mohammad s’installa à Yathrib avec les muhâjirûn auprès des ansâr. Ensemble ils formèrent le groupe des croyants. A cette communauté appelée Umma, Mohammad ajouta, dans une série d’accord appelée la «constitution de Médine», certaines communautés juives locales. De nouveaux liens de solidarité furent institués au sein de cette nouvelle entité, liens qui transcendaient les tribus et participaient à la fondation d’une nouvelle structure sociale. A partir de l’hégire les séquences révélatoires se firent plus longues et plus détaillées, complétant le système de croyance partiellement mis en place à la Mekke. La sourate de «la Vache» fut ainsi révélée durant cette période. La nouvelle communauté se conforma aux ordres divins. Mohammad jusque-là présenté comme le compagnon ou le contribule (sâhib) passa au statut de messager divin et de Prophète Coran, 3-32 « Dis : Obéissez à Dieu et à son messager » L’insistance de certains versets engageant à faire appel au Messager, à son arbitrage,…, montre qu’il ne fut pas d’emblée accepté comme le chef de la communauté. Mohammad était avant tout perçu comme un chef spirituel dont la tâche consistait en l’édification d’une nouvelle religion. Les obligations cultuelles furent établies de façon plus précise : slât, zakât, sawm, hajj. Ces obligations furent adaptées au cours du temps, la ka’ba ne fut ainsi pas toujours l’orientation de la prière. Le premier pèlerinage musulman fut conduit par Abu Bakr en 631, l’année suivante Mohammad le dirigea lui-même. Peu à peu les musulmans se dotèrent de leurs propres institutions religieuses. De la même manière un nouvel ordre moral fut instauré. Il ne s’agissait pas de bouleverser les coutumes auxquelles les arabes étaient attachées : bon nombre de règles tribales furent conservées et islamisées comme la loi du Talion. En outre Mohammad édicta les règles morales qui devaient assurer le vivre ensemble, la cohésion et l’ordre au sein de la nouvelle entité. Ainsi, sans pour autant viser à l’élaboration d’un système juridique, Mohammad devint un prophète législateur. Parallèlement, il parvint à s’imposer en tant que chef politique, et cela lui permis d’achever son œuvre fondatrice : unir les tribus arabes sous sa bannière et installer à Médine un Etat. MAHOMET A MEDINE Du qawm à la umma La nature du groupe constitué par les premiers musulmans change progressivement à Médine. Un document permet de mesurer cette évolution, le Pacte de Médine ou «constitution» de Médine, rapporté dans la sîra d'Ibn Ishâq. Une controverse oppose les historiens quant à la datation exacte du texte : avant ou après la babille de Badr ? Après une étude fouillée de son contenu et de son style, Watt pense pouvoir affirmer que les 47 articles du document ne remontent pas tous à la même période ; les plus anciens (les articles Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 44 /131 15 à 23) sont tout à fait dans l'esprit des serments d'Aqaba, les autres peut-être postérieurs à Badr. L'analyse du texte permet de préciser quelques traits de la nouvelle umma qui s'organise. - De même que le qawm ou la tribu, la umma n'est pas une réunion d'individus mais un groupement de clans qui demeurent notamment responsables du versement du prix du sang (diya’) ou des rançons. - La nouvelle umma reproduit les comportements de la tribu ; elle passe notamment des alliances (hilf) avec d'autres groupes. Mais ses bases sont radicalement différentes de celles de la tribu, puisqu'elle est fondée sur les liens de la foi et non plus sur ceux du sang et de la parenté. Elle regroupe ceux que le texte nomme les croyants (mu’minûn) et définit ses ennemis principaux comme idolâtres ou associationnistes (mushrikûn). Elle accorde enfin à ses membres et à ses alliés « la dhimma de Dieu ». Qui s'intègre à la umma fait réellement ou symboliquement sa hijra, il rompt les liens naturels et hérités pour choisir d'adhérer à la foi nouvelle et donc à la communauté nouvelle. - Le Pacte de Médine témoigne également du statut nouveau du prophète. Le préambule du texte le qualifie de «Prophète» et les articles 23 et 42 lui reconnaissent un rôle d'arbitre dans les différends susceptibles d'éclater à Médine (cf. art. 23 «Quand survient entre vous un différend, remettez-vous en à Dieu et à Mahomet que la paix soit sur lui». Mais si ce rôle d'arbitre qui semble reconnu par tous est spécifié, c'est aussi que Mahomet ne détient pas à Médine un pouvoir absolu, ce qui dispenserait le texte de préciser son rôle particulier d'arbitre… - Le Pacte de Médine permet enfin d'aborder la question du rapport des premiers musulmans avec les juifs médinois. L'article 25 affirme notamment : «Les juifs des Banû Aws forment une communauté semblable à celle des croyants. Que les juifs aient leur religion (dîn) et que les croyants aient la leur (...) » Le document atteste donc de la liberté religieuse reconnue aux juifs, de leur dignité de communauté religieuse. A ce titre, Watt pense que l'on peut considérer qu'ils appartiennent à la umma tout en conservant leur culte propre. Mais il fait également remarquer que le texte ne nomme expressément aucun des trois grands clans juifs de Médine : les Banû Qaynuqa, les Banû al-Nadîr, et les Banû Qurayza. En réalité les clans juifs ne sont pas cités dans le texte par leur nom mais par celui du clan arabe auquel ils sont confédérés (Ex. «Les juifs des Banû Aws»). Il reste que les trois principaux clans juifs n'apparaissent pas dans le texte ce qui fait dire à Watt que les articles concernant les juifs sont postérieurs à l'expulsion ou au massacre de ces groupes, dont les rapports avec la umma ont beaucoup évolué avec le temps. Les clans juifs de Médine semblent avoir été présents dans la ville avant même l'arrivée des deux grandes tribus arabes des Aws et des Hazrag. Certains pensent que ce sont vraisemblablement des Arabes judaïsés. Quoiqu'il en soit, le prophète semble avoir espéré, lors de son arrivée à Médine en 622, rallier les juifs à son message : les premiers musulmans prient alors tournés vers Jérusalem et non vers la Ka’ba mecquoise encore idolâtre, et jeûnent le même jour que les juifs, le 10 du mois de muharram (jour de la ashûra). Pour des raisons mal connues cette politique échouera, entraînant la rupture entre la umma et les juifs de Médine. Dès février 624, les musulmans prient tournés vers La Mecque et en mars, au lendemain de la victoire de Badr, le prophète instaure le jeûne du mois de ramadân, mois des premières révélations. Or c'est aussi au lendemain de Badr que le conflit éclate avec les Banû Qaynuqa, confédérés au clan arabe d'Abdallah Ibn ‘Ubayy de Hazrag. Il semble qu'il ait fait suite à une simple bagarre ; d'aucuns prétendent aussi que les clans juifs avaient refusé à Mahomet un prêt qu'il sollicitait. Quoiqu'il en soit, les Banû Qaynuqa doivent quitter la ville en abandonnant leurs biens. Après la défaite d’Uhud, alors que la jeune communauté traverse une grave crise interne, un nouveau conflit éclate avec les Banû al-Nadîr, accusés d'avoir comploté avec les ennemis mecquois ; ils doivent à leur tour quitter Médine pour l'oasis voisine de Khaybar. Même si ces incidents n'ont pas nécessairement des causes économiques, les propriétés des clans juifs viennent enrichir le patrimoine foncier des musulmans. Au lendemain de la bataille du fossé enfin, le dernier conflit éclate avec les Banû Qurayza qui sont assiégés durant un mois dans le quartier qu'ils occupent à Médine. Le prophète désigne finalement un médiateur pour statuer sur leur sort, Sa’d Ibn Mu’at, le premier converti médinois, le Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 45 /131 chef des ansâr à Badr ; il décide le massacre des hommes et l'esclavage pour les femmes et les enfants. Précisons que ce type de pratique était courant à l'époque, plus encore dans les grands Empires voisins de l'Arabie que dans la péninsule elle-même. Il est surtout intéressant de noter que ceux qui ont prêché (en vain) la clémence ont fait valoir pour la justifier les alliances tribales existant entre clans juifs et clans arabes. Les partisans de l'exécution se seraient donc à l'inverse montrés insensibles aux liens traditionnels, privilégiant désormais clairement les liens nouveaux fondés sur une foi commune. Le ralliement de l'Arabie En 628, Mahomet décide de faire à La Mecque le « petit pèlerinage » (‘umra), à la suite d'un rêve, nous dit la tradition musulmane. La même tradition prétend que son chameau se serait arrêté aux limites du territoire sacré (haram) refusant obstinément d'aller plus loin. Quelles qu'en soient les causes réelles, l'affrontement est évité avec les Mecquois et les musulmans passent avec eux un nouveau pacte connu sous le nom de «serment du bon plaisir» (bay'a al-riwân), «serment de l'arbre» ou encore «serment de Hudaybiyya», en mars 628. Ce pacte prévoyait une trêve de dix ans entre les deux camps et autorisait, l'année suivante, les musulmans à effectuer le «petit pèlerinage», les Mecquois évacuant la ville pendant trois jours pour l'abandonner aux musulmans. Au-delà même des clauses du pacte, Mahomet venait pour la première fois de traiter d'égal à égal avec les Mecquois. A l'issue des négociations qui suivirent, l'importance des conversions à l'islam atteste du changement dans le rapport de forces : se convertiront Abû Sufyân, les deux grands généraux ‘Amr Ibn al-‘Âç et Khâlid Ibn al-Wâlid et sans doute aussi ‘Abbas, l'un des oncles du prophète. En décembre 630, en plein mois de ramadân, Mahomet rompt la trêve pour des raisons inconnues et attaque La Mecque ; la résistance paraît faible hormis celle du clan de Makhzum. Le Prophète épargne la vie et les biens des habitants (il n'y aura qu'une exécution) et leur rend immédiatement la liberté (lorsqu'une ville était prise les habitants étaient automatiquement réduits en esclavage) ; il fait en revanche détruire les «idoles» de la Ka’ba et effacer les fresques qui la décoraient. Il soumettra peu après la tribu des Hawazin de la région de Ta’if, lors de la bataille de Hunayn. L'an 9 de l'Hégire (630-631) est connu sous le nom de «l'année des députations» car elle voit le ralliement successif de la plupart des tribus d'Arabie. Il y a toutefois deux types de ralliement : certaines tribus se soumettent par conversion à l'islam, ce sont le plus souvent celles qui se trouvaient déjà dans la sphère d'influence de La Mecque ou de Médine. D'autres se contentent de se soumettre à l'autorité de la umma et de payer tribut sans se convertir. C'est notamment le cas des Banû Ghassân, des Banû Lakhm ou des chrétiens de Najrân. En mars 632 enfin, le Prophète entreprend «le pèlerinage de l'Adieu» (al-wadâ’a), un grand pèlerinage cette fois, au cours duquel il fixe les règles futures du hajj. Après son retour à Médine et une dernière expédition militaire vers le nord, il meurt en juin 632 (rabi’ al-awwal de l'an 11 de l'Hégire) chez son épouse préférée ‘Â’iša. Précisons que Mahomet, monogame à La Mecque, est devenu polygame à Médine ; dès lors qu'il était chef de communauté, il contracta très naturellement de nombreux mariages politiques. Il est enterré à Yathrib, devenue depuis lors madînat al-nabî, la ville du Prophète, d’où le nom de Médine. De la confédération tribale à l’Etat Avec la « Constitution de Médine », Mohammad instaura une entité qui n’était plus fondée sur le lignage, mais sur le territoire (cf : définition de l’Etat moderne). En effet étaient associés : les qouraych, les aws, les Khazraj, des tribus juives,… Le but de cette constitution était d’instituer une unité territoriale se substituant à l’ordre tribal : autant dire les bases d’un Etat. Restait à assurer une viabilité économique à cet Etat, ce sera le but des expéditions militaires, les pillages permettant de faire vivre la nouvelle communauté. La razzia fut changée en Jihad. Les ennemis furent désignés: les associants et les juifs non convertis. Les premières expéditions furent lancées contre des caravanes mekkoises, mais sans succès. En mars 624, Mohammad livra bataille à Badr. Ce fut la première véritable bataille menée par les Musulmans, assortie d’une victoire. Dieu aurait été l’artisan de cette victoire et en aurait promis Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 46 /131 d’autres. En 627, les mekkois marchèrent de nouveau vers Médine, sans succès. L’événement permis à Mohammad de se débarrasser de l’opposition interne médinoise et de stopper les agissements des munâfiqûn, les hypocrites. En 630 la Mekke se rend sans problème. Mohammad a donc unifié les tribus, assuré la sécurité sur un vaste territoire et garanti une nouvelle forme de solidarité. A la mort du prophète certaines adhésions se révélèrent fragiles, la sécession à la fois politique et religieuse fut appelée ridda. Le terme prit le sens d’apostasie. L’Etat fondé pouvait s’étendre. Cependant Mohammad n’avait pas laissé toutes les instructions nécessaires à son organisation (administration, justice, police). La révélation, dont il était l’unique messager avait cessé : les musulmans devaient désormais gérer cet héritage sans lui. LE PROPHETE MAHOMET DANS LA DEVOTION MUSULMANE L'étude peut en être menée à travers différentes sources musulmanes traitant de la vie du Prophète: maghâzî, sîra, hadîth. Il semble que l'on puisse établir une généalogie historique de ces sources et suivre ainsi, à travers leur évolution, les étapes de la constitution progressive d'un savoir sur la vie du Prophète : - La première étape serait constituée par les maghâzî, récits des premières conquêtes de l’islam qui racontent les guerres du Prophète et permettent d'établir une chronologie approximative, précieuse pour l'historien, des débuts de l'islam. - La deuxième s'incarnerait dans le genre sîra, biographie édifiante offerte à la méditation du croyant, qui conserve une structure chronologique de narration. Il s'agit de récits de la vie du Prophète dont le plus ancien qui nous soit parvenu, de manière fragmentaire, est celui d'un mawlâ de Médine, Ibn Ishâq (704-761). L'auteur termine un recueil de récits consacrés aux « anciennes nations » par une vie de Mahomet très mêlée de traditions juives (isra ‘iliyyât) et chrétiennes. Son ouvrage semble avoir rencontré la faveur des milieux populaires mais avoir au contraire suscité de sérieuses réserves dans les milieux de savants traditionnistes (compilateurs de hadîth). C'est sans doute ce qui a incité un traditionniste de Basra, Ibn Hishâm (mort vers 830) à soumettre le texte d'Ibn Ishâq à une sévère critique, en l'expurgeant notamment des «isra‘iliyyât» et des «qussas» (légendes populaires) qu'il contenait. - La troisième étape est constituée par les recueils de hadîth, de dits du Prophète, qui, à la différence des deux genres précédents, ne sont pas des récits chronologiques et datés. On serait ainsi passé de la narration des événements à des récits de vie édifiants et finalement à une compilation de propos du Prophète, décontextualisés et érigés en normes du comportement musulman. L'ensemble de ces sources nous permet notamment d'analyser: - Les signes de la prophétie mahométienne. - La place grandissante de Mahomet dans la dévotion musulmane. I- LES SIGNES DE LA PROPHETIE Avant d'aborder les signes de la Prophétie, il est bon de dire un mot rapide de la question des signes du divin. A cet égard, si l'on compare l'islam avec le christianisme, on est frappé par la faible place du miracle en islam. Le seul véritable miracle est le Coran lui-même dans son inimitabilité (i’jâz). Hormis le miracle de la Parole divine, il vaut donc mieux parler de signes du divin (âyât). Le Coran en rapporte quelques uns : - La «lune tendue» (54, 1), signe de l’approche du Jugement dernier. - La défaite des «Hommes de l'Eléphant», sans doute ces Abyssins qui auraient lancé une expédition malheureuse contre La Mecque, l'année même de la naissance du Prophète (1O5, 1-5) : Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 47 /131 « N'as-tu point vu comment ton Seigneur a traité les Hommes de l'Eléphant N'a-t-il point fait tourner leur stratagème en confusion ? N'a-t-il point lancé contre eux des oiseaux, par vols, Qui leur jetaient des pierres d'argile En sorte que ton Seigneur en fit comme feuillage dévoré ?» - Plus tard à Badr, le Coran fait allusion là encore à une intervention de Dieu aux côtés des musulmans (8, 17) : «(Croyants) Vous n'avez donc point tué (ces Infidèles), mais c'est Allah qui les a tués. Tu n'as point visé quand tu as visé. C'est Allah qui a visé afin de faire éprouver aux Croyants une faveur venue de Lui. Allah est audiant et omniscient.» Badr est également nommé «yawm al-furqân» c'est à dire le jour où la vérité se distingua de l'erreur. Il reste que le signe par excellence du divin est le Coran lui-même. Les signes de la prophétie quant à eux abondent dans les sources consacrées à la vie du Prophète et dans l'enfance du Prophète d'abord. Ainsi la sîra d'Ibn Ishâq fait-elle référence à une voix qui annonça aux juifs la venue d'un Prophète : « Les hommes de la tribu racontaient que Hassan, fils de Thabit, avait dit : « J'étais déjà un robuste garçon de sept ou huit ans et je comprenais tout ce qui se disait autour de moi, quand j'entendis un Juif clamer de sa voix la plus haute, du haut de la forteresse de Yathrib : « Ô mes frères les Juifs! » jusqu' à ce qu'ils furent tous rassemblés et qu'ils lui eussent demandé : « Qu'as-tu à crier ainsi, que se passe-t-il ? » Sur quoi il répondit : « Ce soir s'est levée l'étoile sous laquelle naîtra Ahmad. » (Le Loué) Le même texte rapporte que, avant même la naissance du Prophète, alors que Âmina était enceinte, « il émana d'elle une lumière et, dans cette lumière, elle vit les forteresses de Bosra en Syrie.» Plus tard, la présence de l'enfant apporte la bénédiction sur les troupeaux de sa nourrice Hâlima : « Et parce que l'enfant était avec nous, mon troupeau donna du lait en abondance. Nous trayions nos bêtes et buvions leur lait, alors que les autres membres de notre tribu n'en avaient pas une goutte et que le pis de leurs bêtes était vide (...) Nous ne cessâmes pas de remercier Dieu des bontés dont Il nous combla au cours des deux ans où j'allaitai l'enfant, puis je le sevrai. » Un certain nombre d'épisodes du récit de l'enfance de Mahomet dans Ibn Ishâq paraissent des réminiscences chrétiennes. Ainsi: - La présentation de l'enfant à la Ka’ba par son grand-père qui rappelle la présentation de Jésus au Temple : « Il paraîtrait que ‘Abd al-Muttalib prit l'enfant, l'amena à la Ka’ba et là il fit ses dévotions à Allah et le remercia du don qu'Il lui avait fait. » - La fugue de Mahomet enfant à La Mecque, ramené par Waraqa Ibn Nawfal (luimême chrétien ?) : « Certains racontent, mais Dieu seul connaît la vérité, que lorsque sa mère nourricière l'amena à La Mecque, il s'échappa au milieu de la foule alors qu'elle le ramenait aux siens. Elle le chercha et, ne le trouvant pas, elle se rendit auprès de ‘Abd al-Muttalib et lui dit : « J'ai ramené Mahomet ce soir et alors que je me trouvais dans la partie haute de La Mecque, il s'est échappé et je ne sais pas où il est. » ‘Abd al-Muttalib se rendit alors à la Ka’ba prier Dieu de le leur rendre. On raconte que Waraqa, fils de Nawfal, fils d'Asad, ainsi qu'un autre homme qui était de Quraysh, le trouvèrent et l'amenèrent à ‘Abd al-Muttalib et lui dirent : « Nous avons retrouvé ton fils dans la partie haute de La Mecque. » ‘Abd al-Muttalib prit l'enfant et, le mettant sur son épaule, retourna à la Ka’ba le mettre sous la protection de Dieu et prier pour lui ; puis il l’envoya chez Âmina, sa mère. » Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 48 /131 Ibn Ishâq fait enfin état de la rencontre entre le futur Prophète devenu marchand caravanier et un moine syrien du nom de Bahîrâ qui reconnaît en lui un Prophète, déjà mentionné dans les Ecritures : « En le voyant paraître, Bahîrâ l'examina attentivement, cherchant sur son corps, et les trouvant, les marques de la description qu'il avait lue (dans ses livres chrétiens) (...) Et le moine se prit à lui demander ce qui lui était arrivé pendant son sommeil, quelles étaient sa vie, ses occupations, et ce que lui répondit le Prophète coïncidait avec ce que Bahîrâ en connaissait d'après la description qu'il en avait lue. Puis il lui examina le dos et vit, entre ses omoplates, à l'endroit exact décrit dans son livre, le sceau du Prophète. » Au total ce qui frappe dans les récits de l'enfance du Prophète, ce sont : - Le merveilleux qui entoure constamment le récit. - L'importance des réminiscences chrétiennes (notamment dans Ibn Ishâq). Mais les deux principaux signes de la prophétie, qui tous deux (à la différence des récits d'enfance) ont une base coranique (fût-elle allusive) amplifiée et magnifiée par la Tradition, sont : l'ouverture de la poitrine et le voyage nocturne (cf. cours précédent). II- PLACE DE MAHOMET DANS LA DEVOTION MUSULMANE La piété musulmane à l'égard de la personne du Prophète n'a cessé de grandir au cours des siècles. Avec le développement des compilations de hadîth à partir du IIe siècle de l'Hégire, Mahomet est considéré à la fois comme : - Le meilleur commentateur (et non plus seulement le transmetteur) du Coran dans la mesure où l'ensemble des hadîth peut être considéré comme le premier commentaire de la Parole. - Le «beau modèle» (al-uswa al-hasana) (33, 21). La sunna du Prophète devenant un ensemble de normes du comportement idéal pour tout musulman et pour les sunnites en particulier, qui se revendiquent ouvertement de l'imitation du modèle prophétique. Outre la constitution d'une Tradition du Prophète qui ne tarde pas à devenir la seconde source scripturaire en islam après le Coran, se développe une dévotion croissante à la personne du Prophète, fondée sur un genre nouveau, les shamâ’il al-mustafa (les bonnes qualités de l'Elu) dont les représentants les plus connus sont les ouvrages de al-Tirmidhî (mort en 892) ou un peu plus tard d'Isfahânî (mort en 1017). Dans le cadre de la floraison de ces ouvrages apologétiques, se développent des thèmes nouveaux, parmi lesquels deux questions au demeurant controversées dans le milieu des oulémas, celui de l'impeccabilité du Prophète et celui de son pouvoir d'intercession en faveur des hommes. L'impeccabilité du Prophète, la ‘isma, absence de faute et infaillibilité tout à la fois, n'apparaît nulle part dans le Coran ni dans les hadîth. Dans la Tradition, on voit au contraire à plusieurs reprises Mahomet émettre des regrets et un hadîth célèbre lui fait dire « Aslama shaitânî » (mon démon s'est soumis) célébrant ainsi sa victoire sur les tentations. Toutefois, certains oulémas sunnites ont tendu à introduire peu à peu quelques éléments d'impeccabilité : ainsi al-Tabarî considère-t-il que Mahomet n'a pu commettre de fautes majeures. Al-Bâqillânî considère qu'il était protégé du mensonge au moment de la révélation. Mais aucun n'affirme que le Prophète ait été doté d'une impeccabilité originelle et totale. En revanche, les chiites professent l'impeccabilité parfaite de Mahomet, car comment professer celle de ‘Ali et des imâm sans faire de même pour le Prophète qui les a investis ? Par Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 49 /131 ailleurs, le thème de l'impeccabilité prophétique se répand dans les milieux populaires sunnites sous l'impulsion du soufisme confrérique. Un autre thème se développe avec le temps, celui de la shafâ’a, le rôle intercesseur du Prophète. Dans le Coran, il n'est question d'aucune médiation ni intercession en faveur de l'homme au jour du Jugement (53, 38-39 : « L'âme accablée d'un fait ne portera pas celui d'un autre et l'homme n'aura que ce qu'il a accompli. ») Mais certaines traditions affirment pourtant que Mahomet, premier des ressuscités, portera témoignage contre quiconque aura refusé d'entendre son avertissement. S'il est témoin contre les infidèles, est-il possible qu'il ne le soit pas en faveur des croyants ? Certains oulémas sunnites acceptent ce raisonnement, d'autres le récusent. Un hadîth nous montre les hommes au jour du Jugement s'adresser successivement à tous les Prophètes, à commencer par Adam, pour implorer leur intercession auprès de Dieu, tous la refusent, seul Mahomet accepte par ces mots : « Ô Dieu, ma communauté, ma communauté. » Là encore, c'est pour l'essentiel la piété populaire qui s'est emparée de ce thème et l'a diffusé. On peut considérer par ailleurs que la tasliya, pratique développée à partir du XIIIe siècle qui consiste à faire suivre le nom du Prophète de la formule : « Que Dieu le bénisse et lui donne la paix » (« Salla allâhu ‘alaihi wa sallam ») est un moyen, en appelant la bénédiction de Dieu sur le Prophète, de s'attirer aussi la faveur de Mahomet afin qu'il intercède à son tour auprès de Dieu. D'une manière générale, la dévotion à la personne de Mahomet s'est développée dans deux directions, autour du Mahomet des mystiques et autour du Mahomet de la piété populaire. Le Mahomet des mystiques est très loin du Mahomet historique. C'est chez les premiers sûfî que se développe la notion de Nûr muhammadi, Lumière de Mahomet, qui serait une réalité d'avant la création, une colonne de Lumière à partir de laquelle Dieu aurait créé Adam. Ce qui signifie symboliquement que le Mahomet historique et sa prédication seraient la manifestation dans le temps de la Vérité et pour le mystique qui s'élève par étapes vers Dieu dans une longue ascèse spirituelle, l'ultime étape est l'union avec la Vérité mahométienne (Haqîqa muhammadiyya). Très loin des élaborations complexes des grands mystiques, dans la piété populaire, la figure de Mahomet prend une place croissante manifestée notamment par le développement d'une fête nouvelle, le mawlid, la célébration de la naissance du Prophète, le 12 du mois de rabi’ al-awwal. Pour certains historiens, elle serait apparue dans l'Egypte fatimide, en monde chiite ismaïlien, mais elle ne prend une véritable ampleur qu'à partir du XII-XIIIe siècle. Il faudrait y ajouter la vénération des reliques du Prophète, son manteau, ses sandales, les poils de sa barbe, conservés notamment au Dôme du Rocher à Jérusalem. Un genre littéraire enfin s'est développé qui valorise les qualités à la fois physiques (sa beauté) et morales du Prophète, les Hilya (Ornements). Si le Mahomet des mystiques et celui de la piété populaire sont très différents, le premier n'en est pas moins passé dans le second sous une forme dégradée, via le soufisme confrérique. Le développement de la vénération du Prophète a par ailleurs suscité des condamnations violentes de la part de certains oulémas sunnites rigoristes au premier rang desquels Ibn Taymiyya (1263-1328). Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 50 /131 LE VOYAGE NOCTURNE DE MUHAMAD Commentaire du texte de Buhâri = POLYCOP INALCO INTRODUCTION Abu Abdallah Muhamad al-Buhân est né à Bouhiira en 194/810 dans une famille d'origine persane et mort près de Samarkand en 256/870. A l'âge de 16 ans, il s'installa à La Mecque pour y recueillir des hadit et voyagea dans le même but dans de nombreux pays musulmans où il acquit une très grande réputation d'enseignant. Son célèbre recueil de hadit, le Sahth,( Le recueil authentique) est considéré comme le premier des recueils canoniques de traditions du Prophète en monde sunnite. Il est divisé en 97 chapitres de longueur très variable, eux-mêmes divisés en sections. Comme dans tous les recueils de traditions, chaque hadit se compose de deux parties, l'isnâd ou chaîne de transmission (ici réduite à l'extrême) et le matn, le texte même du hadit Buhâri, à la différence des autres traditionnistes, y ajoute le plus souvent, avant l'isnad, une targu indiquant le sens que l'auteur a voulu donner à la tradition rapportée (elle est toutefois absente du tex-te considéré). Le texte rapporte deux épisodes célèbres de la vie du Prophète: l'ouverture de la poitrine et le voyage nocturne, tous deux rapportés par d'autres traditionnistes ou dansdes récits de sira (celle d'Ibn Ishaq notamment) avec de légères variantes. Ces deux épisodes ont une base coranique, souvent allusive, reprise et magnifiée par la tradition et apparaissent comme les signes par excellence de la prophétie. I. L'OUVERTURE DE LA POITRINE: UN RITE DE PURIFICATION. La base coranique de l'épisode n'est qu'une allusion dans la sourate 94v. 1-3 « N'avons-nous pas ouvert ta poitrine Et déposé loin de toi le faix Qui accablait ton dos? » Il se place, selon les auteurs, à des moments différents de la vie du Prophète - Ibn Ishaq le place dans l'enfance de Muhamad, chez Hàlima, sa nourrice: « Quelques mois après notre retour, son frère et lui faisaient paître nos agneaux derrière les tentes lorsque son frère arriva tout courant et nous dit: « Deux hommes vêtus de blanc se sont emparés de mon frère, l'ont jeté à terre, lui ont ouvert le ventre et sont en train de le vider. Nous courùmes auprès de lui et nous le trouvâmes debout, le visage livide. L'ayant pris dans nos bras, nous lui demandâmes ce qui s'était passé et il nous répondit: » Deux hommes vêtus de blanc se sont approchés de moi, m 'ont jeté à terre, m'ont ouvert le ventre et y ont cherché je ne sais quoi. » Alors nous le prîmes et le ramenâmes à notre tente. ». Dans d'autres récits, l'épisode se place au début de sa vocation prophétique, lors des retraites au mont Hira. Dans le Sahih de Buhâri, il se place juste avant le voyage nocturne (lignes 1 à 8 du texte). Le récit est placé dans la bouché même de Muhamad et revêt une signification symbolique plus marquée que dans Ibn Ishaq. Il n'est pas fait référence à des hommes vêtus de blanc mais à une simple voix, leventre du Prophète est purifié avec l'eau de la source de Zem-Zem et « rempli de sagesse et de foi ». L'épisode apparaît comme un rite de purification qui rend Muhamad apte à recevoir la révélation. Il joue à cet égard, dans l'économie de la révélation musulmane, le même rôle que les tentations de Jésus au désert dans le christianisme . II LE VOYAGE NOCTURNE (ISRA' et MI'RAG). 1) L'ANALYSE DU RÉCIT. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 51 /131 - La principale base coranique de l'épisode se trouve dans la sourate 17, v. 1., Il donne du reste son nom à la sourate, qui s'intitule Le Voyage nocturne ou Les fils d'Israël. « Gloire à celui qui a transporté son serviteur, la nuit, de la mosquée sacrée à la mosquée très éloignée autour de laquelle Nous avons mis notre bénédiction, afin de lui faire voir certains de Nos signes. Il est l'Audient et l'Omniscient. » L'exégèse dan son ensemble tient ce verset pour mecquois (avec de possibles additions médinoises) Ibn Ishaq le place vers la fin de la période mecquoise (peut-être vers 617). Mais son interprétation a fait l'objet de nombreuses controverses. L'accord est toutefois unanime sur deux points: - L'expression « Son serviteur » désigne bien le Prophète Muhamad. - L'expression « La mosquée sacrée » désigne bien le haram mecquois. Les divergences portent à la fois sur la nature du voyage, sa destination et ses modalités. a) La nature du voyage. Pour certains, il s'agit d'un voyage réel, physiquement effectué par Muhamad. Le Prophète a été miraculeusement élevé au ciel dans son enveloppe corporelle. Peut-être s'agissait-il de réduire au silence les Mecquois sceptiques ou critiques qui semblent l'avoir nargué en lui reprochant précisément de n'avoir pas été élevé au ciel comme d'autres Prophètes avant lui.. Pour d'autres, il s'agirait d'une pure vision intérieure. Muhamad aurait été ravi en esprit ou en rêve. C'est la position à laquelle paraît se ranger Buhari lorsqu'il évoque ici le Prophète « auprès de la Ka'aba dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil » b).Destination et modalités. Le terme employé pour qualifier ce voyage dans le titre de la sourate 17 est le terme isra 'qui signifie voyage nocturne . Les traditions parlent d'isrà' ou de mi'rag qui signifie ascension. Buhâri dans cet extrait, comme la plupart des musulmans des premières générations, ne distingue pas entre isr'a et mi 'rag et semble concevoir une élévation nocturne de Muhamad à partir de La Mecque vers les sept cieux. Cette élévation se fait ici au moyen de Burâq (Lumière de l'éclair), le cheval blanc ailé. Dans d'autres traditions elle se fait au moyen d'une échelle dressée vers le ciel. Dans le cas où l'isrà' est ascension nocturne du Prophète à partir du haram mecquois, la destination du voyage est le sanctuaire céleste, ce que le texte coranique nomme « la mosquée très éloignée » et le récit de Buhari: « la maison fréquentée « Toutefois certains commentateurs ont voulu voir dans « la mosquée très éloignée » de la sourate 17, la mosquée Al-Aqsa (la plus lointaine) de Jérusalem. Dans ce cas, ils dissocient l'isrà' qui serait le voyage nocturne du Prophète de La Mecque à Jérusalem, du mi'rag, l'ascension d'Al -Aqsa vers les sept cieux qui, dans certaines versions, se fait au moyen d'une échelle. Peut-être faut-il voir dans cette deuxième interprétation la marque de la période ommeyyade et la volonté de donner à Jérusalem et à la Syrie une place éminente dans la géographie de l’Islam 2. SIGNIFICATION DU VOYAGE Notons que le voyage nocturne du Prophète s'effectue sous la conduite de l'ange Gabriel, vecteur de la révélation, qui, à chacune des étapes de l'ascension, doit répondre à la même insistante question: « At-il été mandé? ». C'est le mandat ou la mission prophétique de Muhamad qui lui permet ainsi d'être accueilli. Peût-être faut-il voir là le témoignage du fait que l'épisode se place après le début de la révélation, à moins qu'il ne faille plutôt le comprendre, par-delà toute considération de temporalité, comme le signe même de la mission. La progression de Muhamad à travers les sept cieux s'accompagne de la reconnaissance du Prophète de l'islam par sept des Prophètes antérieurs reconnus par le Coran. Son ascension dessine une hiérarchie des Prophètes qui le conduit d'Adam, Père des hommes à Abraham, Père des croyants , qui tous deux le saluent « comme :fils et comme Prophète ». Entre le premier et le dernier ciel, il est accueilli , cette fois « comme frère et comme Prophète », par Jésus et Jean, par Joseph dont la beauté est mentionnée dans la sourate 12 v. 31 et dont la tradition ajoute qu'il est beau comme le sera la communauté de Muhamad au dernier jour), Idris, Aaron (qui doit sa position à sa proximité avec son frère Moïse), Moïse enfin, l'interlocuteur de Dieu, lui aussi messager porteur d'une Loi. Son Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 52 /131 antécédence se marque ici par le rôle qu'il joue, an nom de son expérience des hommes, dans la négociation par Muhamad du nombre de prières canoniques quotidiennes, passé de 50 à 5 (signe que l'islam prend acte des limites de l'humain). Les larmes de Moïse devant le triomphe à venir de l'islam (cf « il y aura plus de gens de sa communauté que de gens de la mienne à entrer au paradis ») et, d'une manière plus large, l'importance prise par les Prophètes juifs dans ce récit, incitent certains commentateurs à penser que l'épisode pourrait se situer à la période médinoise. Quoiqu'il en soit, l'ascension de Muhamad dans la hiérarchie des cieux et l'accueil qui lui est fait marquent son inscription dans la lunée des Prophètes précédents qui le reconnaissent comme l'un des leurs et viennent authentifier sa mission prophétigue. Notons enfin que la volonté de souligner les parallélismes entre la mission de Muhamad et celle des Prophètes précédents apparaît à diverses reprises dans le Coran. A cet égard, l'histoire des Envoyés antérieurs, de l'incompréhension qu'ils ont suscité et de leur triomphe final, joue le rôle de paradigme par rapport au destin de Muhamad lui-même. b. Allégorie de l'ascension spirituelle du Prohète. Au-delà de l'authentification de la mission prophétique de Muhamad, le voyage revêt une autre signification puisqu'au terme de son ascension, le Prophète parvient jusqu'à « la maison fréquentée » dans laquelle « chaque jour, soixante-dix mille anges font la prière » jusqu'au sanctuaire céleste et audelà encore jusqu'au « lotus de la limite »; Buhâri précise que « ses fruits sont comme des cruches de Hadjar, se feuilles comme des oreilles d'éléphant » Des quatre fleuves qui coulent à ses pieds deux sont des fleuves terrestres, le Nil et l'Euphrate (qui encadrent en quelque sorte le Proche-Orient, terre de prophétie), tandis que les deux autres « ont leur cours dans le Paradis »: de même que le sanctuaire céleste apparaît comme le référent du haram mecquois, les fleuves du paradis sont le référent des deux grands fleuves terrestres. Le lotus (ou jujubier) de la limite (sidratu I-muntahà) reprend une allusion coranique contenue dans la sourate 53 (QI-hlagvm, l'Etoile) entre les versets 13 et 18.( dans la traduction de R.Blachère) « Certes il 1 'a vu une autrefois, près du jujubier d'al Muntahâ ' près duquel est le jardin d'al -Ma'wa quand couvrait le jujubier ce qui le couvrait Sa vue ne s'est ni détournée ni fixée ailleurs Certes il a vu l'un des signes les plus grands de son Seigneur » Dans la traduction de J. Berque: « Or il l'avait vu en une autre rencontre près du lotus des confins où se trouve le Jardin du refuge quand couvrait le lotus ce qui le couvre... Son regard n'a pas dévié, non plus qu'outrepassé parmi les signes de son Seigneur, il a vu les plus grandioses ». Commentateurs et traducteurs se sont interrogés sur la nature de ce que le Prophète a vu: ce « il » est-il Dieu lui-même,( ce qui pose le problème de la ru 'ya, de la vision du divin) ou son Ange et la plupart d'entre eux se sont rangés à cette dernière interprétation. En revanche la différence entre les deux traductions proposées ci-dessus atteste des divergences d'interprétation concernant la signification du lotus et du jardin. Pour Blachère qui suit l'orientaliste Caetani, il pourrait s'agir de lieux-dits près de La Mecque, c'est pourquoi il ne les traduit pas; pour Berque en revanche, mais aussi pour de nombreux commentateurs, il s'agit du jardin du paradis et du lotus de la limite ou des confins, au-delà desquels réside l'inaccessibilité de l'Essence divine. Il faut donc voir dans le voyage nocturne un dévoilement aux yeux (ou au coeur) de Muhamad des signes du divin. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 53 /131 Dans cette perspective, le voyage nocturne peut être lu comme une allégorie de l'ascension spirituelle du Prophète, parallèle à la descente sur lui de la révélation divine. C'est bien ainsique l'ont compris les mystiques de l'islam qui ont attaché à l'épisode une importance toute particulière et ont identifié leur ascèse et leur recherche d'une élévation spirituelle à l'ascension nocturne de Muhamad. CONCLUSION. L'épisode du voyage nocturne, comme l'ensemble des signes de la prophétie développés dans les traditions et les récits édifiants de la vie du Prophète, ont servi d'aliment et de support à la progression en islam d'une véritable dévotion à l'égard de la personne du Prophète, parfois sévèrement jugée par des puristes comme Ibn Taymiyya. Elle est notamment attestée par le développement d'un genre nouveau, les sama'il al -Mustafà, les « bonnes qualités de l'Elu » ou par la célébration (peut-être pour la première fois dans l'Égypte fatimide ?) de la fête du mawlid an-nabi, célébrant la naissance du Prophète. Cette dévotion s'est développée à deux niveaux: dans la piété populaire comme dans les courants mystiques et le Muhamad des mystiques est en partie passé (sous une forme dégradée) dans le Muhamad de la religion populaire par le biais des confréries. Cette dévotion s'est notamment manifestée par l'introduction graduelle (et nuancée chez certains `ulamas) de deux notions concernant le Prophète: son impeccabilité ( `isma) et sa capacité d'intercession en faveur des croyants (safâ 'a). Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 54 /131 II-3)Vulgate coranique et commentaires L’Islam peut se définir comme la religion du Livre puisque , selon le dogme musulman, il est tout entier parole incréée … « comme une dictée surnaturelle enregistrée par le Prophète inspiré…», le prophète n’étant que transmetteur, selon une formule de Louis Massignon. Ce livre , le Coran, constitue la première référence dans tous les domaines sociaux, culturels et spirituels, et cette place justifie la recherche d’élaboration , sinon d’une doctrine majoritaire, au moins d’une démarche méthodique pour limiter au maximum les risques d’interprétations plus ou moins subjectives en « collant » au plus près du texte coranique , d’abord, et des hadith , ensuite : est donc née une « science » du commentaire du Coran. Malgré des divergences de terminologie la plupart des commentateurs conviennt de distinguer deux domaines d’études , , le tafsîr et le ta’wîl , au sujet desquels les sunnites ont coûtume de dire:… «…le tafsîr, c’est ce qui repose sur le recours à la tradition , le ta’wîl, c’est ce qui repose sur l’effort de réflexion….» I- TAFSÎR et TA’WÎL - Tafsîr. Etymologiquement, signifie l'action de dévoiler quelque chose de caché : s'emploie pour le ciel lorsque s'écartent les nuages ou pour une femme que l'on dévoile. Veut dire ici dévoilement de la signification littérale ou obvie du texte (zâhir). A ce titre, inclut l'analyse, pour chaque verset, de sa place dans la sourate, des références auxquelles il peut faire allusion, des circonstances de sa révélation (asbâb an-nuzul) ; le tafsîr inclut l'ensemble des remarques, déductions, considérations que le verset inspire au commentateur. - Ta’wîl. Etymologiquement, signifie l'action de faire revenir à l'origine et donc au sens premier, entendu comme le sens profond. C'est une exégèse soucieuse de saisir la signification ultime d'un texte ou son sens caché (bâtin). Car les mots du Coran ont des sens concrets qui sont parfois le signe de réalités d'un ordre plus profond, évoquées de manière allégorique. II- INSTRUMENTS DU COMMENTAIRE Plusieurs moyens sont mis au service de l'interprétation du Coran. - Le Coran lui-même : c'est la première source de l'interprétation ; le Coran doit être commenté par le Coran, car seul Dieu détient les clefs ultimes de l'interprétation de sa propre Parole.. - Un verset ou une sourate doivent ainsi être mis en perspective dans l'ensemble du Livre. - Les travaux de grammaire et de lexicographie appliqués au Coran constituent l'un des instruments les plus précieux du commentaire. - En matière proprement grammaticale, la recherche porte notamment sur la syntaxe et en particulier sur la place possible du mot dans la phrase à partir de l'étude des flexions (i'râb). - En matière lexicographique, c'est l'analyse de l'ensemble des significations et connotations possibles du mot. - Le deuxième instrument est constitué par la tradition (sunna) et d'abord les hadîth du Prophète, considérés comme le commentaire vivant du Coran : le premier tafsîr n'est autre que la transmission orale des hadîth. Ce mode d'interprétation est appelé tafsîr bi l-ma’tûr. II s'appuie notamment sur (16 ; 44): « Nous avons fait descendre (synthétiquement) vers toi l'Invocation, afin que tu expliques aux gens ce qui a été descendu (analytiquement) vers eux (et cela) afin qu'ils comprennent. ». Ce verset fait du Prophète, médiateur de l'ensemble du message révélé (synthétiquement), l'exégète (analytiquement) de chacun de ses fragments. La tradition c'est aussi l'ensemble des ahbâr des Compagnons puis des Suivants. Car, d'une manière Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 55 /131 générale, la vérité est dans les origines, comme si - L'origine portait potentiellement en germe l'ensemble des développements uItérieurs. - La connaissance s'amoindrissait par dégradation, entropie, au fur et à mesure que le temps nous éloigne de l'irruption du message divin dans l'histoire des hommes. - Le troisième instrument est surtout valable pour les premières générations musulmanes ; c'est la science des Gens du Livre. L'utilisation de ce moyen s'appuie sur un hadîth qui conseille: « De ce que je vous transmets, faites parvenir ne fût-ce qu'un verset et rapportez ce que vous disent les Fils d'Israël, il n'y a pas de mal à cela. » Les Compagnons ont ainsi fait appel à des juifs yéménites convertis parmi lesquels - Ka'b Ibn al-Ahbâr - Wahb Ibn Munabbih A permis d'élucider les thèmes communs à l'Ancien Testament et au Coran mais aussi des récits populaires, historiques ou légendaires (qissas). - Le quatrième instrument est controversé ; c'est l'interprétation par le jugement personnel, l'effort personnel de compréhension (iğtihâd). II fut condamné par un hadîh qui affirme : « Celui qui parle à propos du Coran en se fondant sur son opinion personne!!e, qu'il s'attende au Feu. » Pourtant ce moyen s'est développé à l'époque des Compagnons, même s'il n'a jamais été unanimement accepté. III- VERSETS CLAIRS / VERSETS OBSCURS - Les versets clairs, solides, sans ambiguïté, sont dits muhkam. Ils sont généralement spécifiques dans leurs références et descendus en réponse à un problème particulier. - Les versets obscurs, mutašâbih, les plus nombreux, sont susceptibles de plusieurs interprétations et ont des références générales ; ils ne répondent pas à un problème spécifique et clairement identifiable. IV- SCIENCE DE L'ABROGEANT (NÂSIH) ET DE L'ABROGÉ (MANSÛH) Lorsque deux versets portant sur un même problème donnent des réponses différentes, voire contradictoires, on considère que le verset révélé postérieurement abroge le précédent. Une véritable science de l'abrogation s'est développée, qui repose sur la chronologie de la révélation ; elle est surtout importante dans le domaine juridique (beaucoup plus que dans le domaine dogmatique ou rituel). Il y a plusieurs formes d’abrogation : - La plus courante consiste en ce qu'un verset concernant un problème légal soit remplacé par un autre, postérieurement ; le premier demeure dans le texte et continue d'être récité mais ce qu'il commande ou interdit est supprimé. - Dans d'autres cas, le verset est supprimé à la fois dans sa récitation et son application. - Il y a enfin des cas où le verset est supprimé dans sa récitation mais reste opératoire dans son application. Malgré l’existence de différentes listes de versets abrogeants et abrogés, il n'y a pas de consensus en la matière. D'une manière générale, et pour conclure sur les règles du commentaire, précisons que l'islam n'a admis : - Ni magistère unique légiférant en matière de dogme ; - Ni corps collectif organisé (comparable aux conciles) investis de pouvoirs dogmatiques ; - Mais il a en revanche éprouvé la nécessité d'unifier la pluralité potentielle des interprétations dans le cadre du consensus (iğma') des docteurs ; tout commentaire tient ainsi sa valeur de la caution qu'il reçoit de l’iğma’. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 56 /131 V- EXEMPLES DU COMMENTAIRE DE TABARÎ M. Ibn Ğarîr at-Tabarî est né à Amal dans le Tabaristan (nord de la Perse) en 224 / 839. Fit de solides études religieuses et fut notamment l'élève de Ibn Hanbal à Bagdad. Après avoir beaucoup voyagé en Irak, en Syrie et en Egypte, à la recherche de la science, il se consacra à l'enseignement et à la composition de son oeuvre. Il est surtout connu pour deux ouvrages monumentaux : - L'Histoire des Envoyés et des Rois (kitâb ahbâr ar-rusul wa I-muluk) - Le Commentaire coranique (Ğami’ al-bayân fi tafsîr al-qur'ân) environ trente volumes qui rassemblent toutes les données exégétiques qui avaient cours en son temps ; c'est pourquoi il est volontiers considéré comme le « père de l'exégèse ». Loin d'en être l'initiateur, il clôt au contraire l'époque du tadwîn (enregistrement) qui s'étend sur le III°s.H. et le début du IV°. Il offre donc une somme de l'exégèse qui récapitule l'ensemble des données précédentes. COMMENTAIRE DE (2 ; 7) - Tabarî souligne le problème posé par le verset : ici, la signification de l'image du sceau. - Puis il passe en revue l'ensemble des interprétations déjà données, par une méthode accumulative. Chaque donnée commence, comme dans le hadîth, par une chaîne de transmetteurs (isnâd) qui remonte toujours à un personnage appartenant à l'une des trois premières générations musulmanes. Ainsi Mugahid est un disciple d'Ibn 'Abbas et Abu Hurayra un Compagnon. Les interprétations semblables sont regroupées. Ici, dans le premier ensemble d'interprétations rapportées, le sceau signifierait les péchés ; dans le deuxième ensemble, il signifierait en revanche la volonté de se détourner de l'écoute de la Parole. - Puis il donne son avis personnel en choisissant entre ces diverses interprétations ; il justifie son choix : - Soit en se rangeant à l' avis d'une autorité prestigieuse, ici Abu Hurayra ; - Soit en argumentant ; (soit les deux, comme il le fait dans ce texte) Il démontre d'abord que le deuxième avis ne lui paraît pas possible, car si l'on fait du sceau la manifestation d'un refus humain et volontaire d'écouter la Parole, on contredit le début du verset (c'est Allah qui a scellé leur cœur et leur ouïe) ; donc le fait que l'incroyant se détourne ne peut être que la conséquence ou la manifestation d'une initiative qui est en réalité divine. Pourtant, la volonté divine n'efface pas toute responsabilité humaine ; l'affirmer reviendrait à contredire la fin du verset (« ils auront un châtiment terrible ») ; Tabarî prend ici le contre-pied des tenants de la prédestination qui ont voulu voir dans ce verset une preuve du fait que c'est Allah qui crée (ou détermine la disposition à) l'infidélité dans le cœur des hommes. Selon Tabarî, l'homme est bien tenu d'accomplir ce qu'il ne peut faire qu'avec l'aide de Dieu. Tabarî pratique une exégèse traditionnelle (i.e. il fait une large place au tafsîr bi l-ma'tûr), mais ce n'est pas pour lui une fin en soi, c'est un moyen de comprendre la Parole. COMMENTAIRE DE (2 ; 256) - Le problème posé est ici de savoir à qui se réfère le précepte énoncé dans ce verset. - Après avoir fourni une précision grammaticale prouvant que la religion dont il s'agit est bien l'islam, il présente les deux interprétations en présence : - Selon les uns (appuyés sur une tradition rapportée par Sa'id Ibn Gubayr, disciple d'Ibn 'Abbas) le verset se réfèrerait à certains Ansâr qui, avant l'islam, auraient fait élever leurs enfants dans le judaïsme ou le christianisme et tenté ensuite de les contraindre a embrasser l'islam. - Selon les autres, il se réfèrerait aux Gens du Livre et signifierait qu'on ne saurait les contraindre à embrasser l'islam s'ils s'acquittent de la capitation (jazîya) et de l'impôt foncier (harâğ). Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 57 /131 - Tabarî choisit l’une des interprétations, sans révoquer tout à fait l’autre, car il s'agit ici d'un verset dont le sens littéral est général et le référent, considéré comme spécifique (qu'il s'agisse des Ansâr ou des Gens du Livre). Dans tous les cas il s'est référé ici seulement à la tradition. VI- LES GRANDES TENDANCES DU TAFSÎR En dehors du tafsîr fondé sur la tradition, dont le meilleur représentant est Tabarî, il existe : - Un tafsîr de type rationaliste, dont les premiers adeptes sont les mu’tazila et dont l'un des représentants prestigieux sera aI-Zamahšârî (qualifié de ğâr Allâh pour avoir beaucoup vécu à La Mecque). - Un tafsîr de type philosophique, représenté notamment par ar-Râzî, l'un des esprits les plus brillants de son temps. Son commentaire est récusé par de nombreux 'ulama sunnites, qui l'accusent d'être un philosophe plus qu'un exégète. - Un tafsîr mystique comme celui très ésotérique d’Ibn 'Arabî. - Un tafsîr chiite qui a des caractères propres : ainsi les imâm ont hérité du savoir prophétique de Mahomet et le tafsîr chiite se fonde principalement sur les hadîth des imâm dont le poids est égal aux hadîth du Prophète. Selon les chiites, le Coran a été altéré : - Dans son interprétation pour la majorité ; - Dans son texte littéral pour certains (par adjonction ou omission) afin de nier les droits des imâm. Le 5ème Imam , Mohammed al-Baqir ( mort en 114 H /731), principale source des traditions chiites, aurait notamment affirmé : « Si des choses n'avaient pas été ajoutées au Livre de Dieu et d'autres omises, nos droits n'auraient pas été obscurcis aux yeux de tous ceux qui ont du discernement.» CONCLUSION Place du Coran dans l'islam : - De par son contenu, il est guide du croyant et de la communauté (cf. cours ultérieur concernant Ie contenu du Livre). - Il est aussi en lui-même source de bénédiction pour le croyant et à ce titre le Coran est sauveur dans la mesure où il peut être intercesseur au jour du Jugement pour qui fut dans sa familiarité, notamment les « porteurs » du Coran. Ce thème du Coran intercesseur a été tout particulièrement développé dans les milieux chiites et dans la piété populaire d'une manière générale ; ainsi, toute une littérature s'est développée concernant la façon de se comporter avec les exemplaires matériels du Livre, que l'on ne saurait aborder qu'en état de pureté. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 58 /131 EXPOSE La recension du Coran La recension du Coran On entend généralement par « recension » la vérification d’un texte par les manuscrits : il faut comprendre , au sujet du livre du CORAN que la question est plus précisément d’étudier comment un texte oral est devenu écrit. C’est donc l’histoire de la collecte et de l’actuelle présentation du Livre à partir des sources orales ou écrites , telles que nous pouvons en avoir connaissance à ce jour . Ou plutôt la recherche , à travers les traductions en langue française, des textes et thèses connus sur ce sujet, ce qui est déjà, une forme de limite. La deuxième limite de ce travail est que généralement, en face d’une tradition ou de faits réputés connus peuvent être placés plusieurs textes parfois contradictoires: . Exemple, celui du premier message de la révélation , dont la signification est évidente, 3 auteurs , Ibn Ishaq , Ibn S’ad et El Bokhâri , 3 versions , une lutte de Mohammed avec un archange , une apparition dans la pleine clarté, ou encore une vision en songe … Quand on cherche d’autres sources pour se faire une « religion » l’incertitude se confirme: quelle est la première révélation transmise sur le mont Hirâ? …et là encore on peut formuler trois hypothèses ,, *1) d’après une tradition qui est donnée comme remontant à Mohammed lui même ce serait le début de la sourate 2 = LXXIV, *2) d’après un récit dont l’origine serait ‘Aïcha , l’épouse du prophète, ce serait les cinq premiers versets de la sourate 1 = XCVI, *3) et la sourate 18 = LXXXI nous renseigne différemment…( classement R.Blachère) et l’incertitude grandit quand on cherche ou parle des écrits anciens , puisqu’ils n’ont pas été conservés ( parfois volontairement nous dit-on) ou n’ont pas été encore découverts : pourquoi ne pas penser en effet que des découvertes restent à faire , puisque on aurait retrouvé, par exemple, l’écriture la plus ancienne du nom de JESUS en octobre 2002 (1) Il faut aussi signaler que les ouvrages de valeur sur l’histoire du Coran datent du IV-Xème siècle et qu’à quelques exceptions près les savants musulmans n’ont guère manifesté d’intérêt pour une reconstitution historique de la recension du Livre. Nous étudierons la question de la collecte du CORAN à partir des 3 axes , l’écriture, puisque l’insuffisance de l’écriture , puis son amélioration explique l’évolution par une précision de plus en plus grande des écrits, les écrits, puisqu’il s’agissait bien pour cette nouvelle communauté de produire un écrit sacré authentifiant le message du prophète , la lecture, puisque le Coran est d’abord un texte oral , connu par cœur des premiers disciples , mémorisé et récité au fil des premiers siècles à l’aide d’un écrit incomplet du point de vue graphique mais suffisant comme aide mémoire pour ne rien oublier du texte. Et au fur et à mesure de ces développements je citerai la position de la tradition et les faits ou écrits majeurs qui sont susceptibles d’éclairer ce sujet, Sachant que la tradition est une collecte et la mise en forme du texte à partir des sources orales ou écrites connues : on admet en effet que du vivant du prophète la forme orale est bien connue, et la mise par écrit a commencé tôt, du vivant du prophète ou peu après sa mort., Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 59 /131 I) l’établissement du texte complet est réalisé sous le règne ‘othmanien , entre 644 et 656, la vocalisation finale , à partir de plusieurs lectures différentes, pour unifier les textes en un seul accepté de tous, est finalisée au IV/X ème siècle.. L’ECRITURE A l’entrée du VII ème siècle les arabes savaient écrire depuis longtemps et les traces de cette écriture sont anciennes , et nombreuses ( inscriptions de fondations, monuments royaux, pierres tombales, épithaphe en écriture nabatéenne du tombeau d’Imru l-Qays …« fils de ‘Amr roi de tous les arabes » en 328…. Balâdhuri cite sept noms d’hommes qui savaient écrire «lorsque l’Islam pénétra chez les Quraïsh »…’Omar,’Othman, ‘Ali, Abû Sufyân et son fils Mo’âwiyya, Zaïd fils de Thâbit et Ubayy fils de Ka’b». La tradition, elle, nous dit qu’à l’époque du prophète une quinzaine de personnes savaient lire et écrire la langue arabe de l’époque à La Mekke : de quelle écriture s’agit-il ? quelle est sa forme ? , son évolution ? le prophète utilisait il cette écriture ? I-I) La forme c’est une écriture raide , anguleuse , avec des caractères «penchés» notamment pour l’écriture hedjazienne ( si différente de l’écriture coufique qui se généralisera plus tard) qui ne représente que les consonnes, sans distinction de consonnes ayant la même apparence graphique mais une prononciation différente, aucune marque ne différencie b, t, th, n, et y , aucune voyelle longue , â, î, ou û ne sont marqués, à ce titre elle est qualifiée par Régis Blachère de …«scriptio defectiva» si imparfait qu’il soit ce système suffit aux courtiers et aux préteurs de cette cité d’affaire (La Mekke). Au fond si le système est rudimentaire il répond au petit nombre d’emplois auxquels on le destine : tenir une comptabilité, consigner des créances rédiger des contrats divers, des lettres très brèves…» on trouve les premières traces de cette forme d’écriture dans des inscriptions placées dans des sanctuaires , une dans la région d’ALEP (512) l’autre dans la région de DAMAS (568), sur les premiers Corans ou parties de livres qui nous sont parvenus et dont certains sont à la BNF sous les références 326 à 338 , cf en annexe I copie d’une page du CORAN référencé 328 . Les plus anciens Corans ne comportent ni ponctuation diacritique, ni vocalisation, et selon A. de Prémare…« l’un des plus anciens date , au mieux, de la fin du VIIème siècle »… Puis va se développer un autre style plus rond avec une écriture droite, voire penchée à gauche. I-II) L’évolution de l’écriture C’est tout d’abord une évolution de forme avec l’apparition de l’écriture coufique à COUFFA ( bas Irak) dont la première manifestation est une stèle (652) conservée au Musée du Caire, puis elle est utilisée pour l’écriture de l’inscription de la coupole du Dôme du Rocher (688-691), et, enfin, cette forme sera retenue pour les textes coraniques à partir d’une époque qui semble correspondre au règne du calife ‘Abd-el-Malik ( 685-705), puis le style coufique sera réservé à l’écriture du livre sacré en se perfectionnant, et se développera un style plus familier pour les écrits profanes. L’utilisation régulière de l’écriture arabe , au début en double avec le grec est attestée à partit de 642 sur des documents administratifs, et sur des pièces de monnaies arabo-persannes datées de 641, on connaît une soixantaine de documents plus ou moins bien conservés datant du règne de Wâlid 1er (707-715). Puis l’écriture sera progressivement améliorée par adjonction aux consonnes connues de signes «améliorateurs», des traits obliques permettent de distinguer des consonnes, puis des points différencient les consonnes , système finalement adopté, et dont l’origine remonte vers 704 sur des pièces de monnaie mais l’introduction des ces points se fera plus tard Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 60 /131 dans les Corans puisque les plus anciens exemplaires connus n’en sont pas pourvus, qu’ils soient d’écriture hedjazienne ou coufique, puis des voyelles brèves sont notées, au début des points marquaient les voyelles, le a était un point au dessus de la lettre, le i un point au dessous et le u un point à gauche et ce qu’on nommera tanwîn sera marqué aux mêmes endroits par deux points, d’après Al ‘Askari. Puis création de la consonne hamza marquée par un point d’une couleur différente de celles des autres puis des voyelles longues û et î, et enfin le â long qu’on ne savait pas «rendre» et que l’on a écrit finalement par un …y…ce qui a donné…l’alif maqsûra., ensemble de perfectionnements jusqu’au 3ème siècle qui aboutit à la scriptio plena indispensable à une recension parfaite de tout texte. Mais concernant l’utilisation de ces améliorations du système de l’écriture appliqué au livre saint de nombreuses résistances apparaîtront et on estime que les milieux « conservateurs » utiliseront des corans dépourvus de voyelles brèves jusqu’au 5ème siècle. I-III) MOHAMMED savait il écrire ? Il est admis que le prophète ne savait pas écrire, donc il ne savait pas lire, donc il ne pouvait pas connaître les textes antérieurs, donc la révélation lui a bien été communiquée par l’Ange Gabriel : CQFD. Disons simplement, qu’il était le rédacteur de la Charte de Yathrib, …« document rédigé par Mohammed pour asseoir les bases de sa confédération et de certains thèmes de son contenu…’Ali , dit-on avait conservé le document dans le fourreau de son sabre »…( citation A. de Prémare, page 88) que nous trouvons dans le texte final du Coran plusieurs allusions assez claires au sujet d’un livre ou d’une écriture au moins partielle d’éléments coraniques sous la direction du prophète, ainsi, XXV-5…« Ceux qui sont infidèles disent…Ce sont des histoires de nos aïeux qu’il s’est écrites et qui lui sont dictées matin et soir»…. X-I…”A. L R. Voici les versets du livre plein de sagesse…commentaire de Si Hamza BOUBAKEUR, tome I, page 651 ..."» de quel livre s’agit il ? L’exégèse propose d’abord le Coran, l’archétype du même livre inscrit sur la table bien gardée au ciel… », XLI-3… » Livre dont les versets ont été exposés en détail en une lecture arabe pour les hommes qui savent… »… On pense donc très tôt à un écrit , il s’élabore du vivant du prophète : certains auteurs pensent même que le principal de la collecte du Coran était achevé du vivant du prophète, mais on trouve aussi le contraire, puisqu’il s’agissait d’une révélation le prophète ne pouvait pas faire de livre de son vivant puisqu’il était alors en état de toujours recevoir un message de l’ange Gabriel… Le prophète savait certainement lire et écrire, comme tous les grands marchands et notables mekkois ( se souvenir qu’après leur défaite contre les médinois les mekkois ont été épargnés par Mohammed, certains d’entre eux n’ayant la vie sauve qu’à la condition d’apprendre à lire et écrire chacun à 10 médinois…La Mekke ne pouvait pas être un centre de «non culture». Citons aussi la tradition …« c’est ainsi qu’au moment où à El Hodaïbiyya- 627- le Prophète et le délégué mekkois Sohaïl décident de rédiger un pacte, Mohammed fait venir son scribe et commence à dicter une formule liminaire. Mais Sohaïl arrête net le Prophète et lui dit : Ecris ! comme tu écrivais jadis!»… En fait la vraie question n’est pas le Prophète savait il écrire mais pourquoi le Prophète n’ a pas écrit ou n’a pas fait écrire de son vivant le texte de la Révélation ? Parce qu’il estimait être un sacrilège de copier la table d’en Haut ? Parce qu’il faisait confiance à la mémoire humaine qui aurait, génération après génération, transmis le texte sacré? Parce que l’entreprise était matériellement difficile et que la Prophète savait que certaines révélations devaient être remaniées ? Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 61 /131 Il semble que l’on ait voulu minimiser la part prise par Mohammed dans l’établissement d’un texte écrit pour mettre en valeur la part prise par ‘Othman, donc la famille omeyyade…ce qui tendrait à prouver, à contrario, que le texte coranique commence à être écrit du vivant du prophète. II) LES ECRITS Donc, à la mort du Prophète il n’existe pas vraiment de texte, plutôt quelques courts écrits, et la Révélation , est connue en totalité par cœur par une poignée de fidèles – la tradition indique 7 noms , 7 comme les 7 jours de la semaine, les septimanains, les sept lectures du Coran….. est partiellement connue d’autres fidèles … « les bédouins, dont la religiosité est si médiocre selon le Coran lui-même se contentent d’en retenir quelques versets … » R.Blachère page 28. Les récits musulmans traditionnels citent les noms des différents personnages qui contribuèrent à l’élaboration de la Vulgate : certains secrétaires du prophète, des réalisateurs et détenteurs de collections écrites partielles antérieures à la mise au point de la Vulgate, les réalisateurs de corpus complets mais divergents de la Vulgate et donc écartés quand la Vulgate fut imposée. II-I) Abou Bakr D’après Suyûti in « La maîtrise des sciences du Coran » , Abou Bakr connaissait le Coran par cœur mais ne l’a pas collecté, mais d’après d’autres sources il aurait conservé jusqu’à sa mort les textes écrits par Zayd et certains auteurs précisent que le support était des rouleaux de papyrus. Ce serait ‘Omar qui aurait incité Abou Bakr à commander ce travail, Abou Bakr le commanda à Zaïd ibn Thabit, il recopia tous les textes en sa possession il ajouta les textes recueillis de la mémoire des meilleurs fidèles D’après R.Blachère , page 33, … « les traditions sur la réunion de la révélation en volumes sont transmises par une huitaine de voies différentes ; elles disent, en gros :Abû Bakr est celui qui a la plus de mérite, en ce qui touche les volumes ( du Coran) car il est le premier à avoir groupé ce qui est entre les deux tablettes ( formant couverture) »… II-II) Omar et sa fille HAFSA ‘Omar a possédé les documents confiés par Abou Bakr. A sa mort ces documents passent à sa fille Hafsa , épouse du prophète. Elle savait écrire, et avait un esclave affranchi qui savait écrire aussi : on rapporte qu’elle employa son scribe à l’écriture d’un codex et qu’elle rajouta un passage concernant la prière de l’après midi. Si bien qu’Hafsa aurait eu en sa possession ses propres documents et ceux que son père détenait d’Abou Bakr !!! ce sont ces dernières qui auraient été utilisées par Zayd Ibn Thâbit et ses collaborateurs pour établir la vulgate ‘othmanienne et qui lui auraient été ensuite restituées. Le calife Marwân ( 684-685), cousin germain d’’Othman était gouverneur de Médine sous Mo’awiyya et à la mort d’Hafsa en 665 il obtint sur ordre les documents d’Hafsa et les brûla…« de toute façon le contenu de ces feuilles avait été consigné par ‘Othman dans son codex, puis j’ai craint qu’avec le temps quelque sceptique n’émette des doutes sur ces feuillets ou qu’il ne dise que quelques passages de ces feuillets n’avait pas été consigné…», d’après A. de Prémare, page 292. II-III) Ali ‘Ali aurait dit avoir collecté un Coran dans un codex aussitôt après la mort du prophète, d’autres disent qu’il aurait commencé du vivant du Prophète ; par sa position de scribe auprès du prophète il est certain qu’il était l’un des mieux placé pour faire le travail le plus correct. De plus, son jeune age , comparé à ‘Omar et ‘Othman lui posait un problème politique pour le califat et il avait tout intérêt à conforter sa position par la possession d’un Coran . Très tôt circuleront des recensions attribuées à Ali, parfois divergentes par l’ordre des sourates. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 62 /131 II-IV) ‘Aïcha Une tradition nous informe qu’à l’époque d’Othman… « Aïcha épouse de Mohammed aurait eu chez elle les cuirs sur lesquels était le Coran qui fut écrit de la bouche de l’envoyé de Dieu »…mais Zayd n’en parle jamais II-V) Obayy Ibn Ka’b ( mort en 643) Médinois, très vite compagnon du Prophète, scribe des tribus, il est réputé pour avoir une mémoire extraordianaire et il élaborera un corpus adopté à Damas ( il y était si célèbre qu’on lui bâtit un tombeau fictif) et dont des exemplaires auraient subsister à Bassora à la fin du Xème siècle. On dit aussi que son fils à qui un visiteur lui demandait de lui montrer le codex de son père aurait répondu : ‘Othman l’a saisi. II-VI) ‘Abd Allah ibn Mas’oud ( mort vers 650) Ancien berger…il ne savait pas écrire…pourtant serviteur du Prophète il est au plus près de la Révélation et, aurait il dit … « aucune des sourates du Livre n’a été révélée, sans que je sache où elle a été révélée; pas un verset n’a été révélé sans que je sache à propos de quoi il a été révélé »…On pense qu’il a réalisé sa recension en la dictant, et , outre que l’ordre des sourates n’est pas la même que celle de la Vulgate, il manque les sourates I,CXIII et CXIV , donc la liminaire, la première, et les deux dernières. II-VII) Al Miqdâd Ibn ‘Amr ( mort en 653) A écrit un texte dont on sait qu’il fut suivi à Homs en Syrie sans être sûr qu’il s’agisse vraiment d’une recension ou d’une forme de lecture II-VIII ) Mousa El Ach’ari ( mort en 672) Proche d’Ali, sa recension était connue surtout à Bassora et passe pour être proche de celles d’Obayy et d’Ibn Mas’oud. II-IX) ‘Obqa ibn ‘Amir ( mort en 679) Ancien compagnon du prophète et gouverneur de l’Egypte a procédé à une recension dont une copie existait encore en 313 de l’H. II-X) ‘Abd Allah Ibn ‘Abbâs (mort en 687) On reconnaît généralement l’ autorité de ce cousin du prophète qui aurait composé un texte du Coran, mais d’origine médinoise il sera vite supplanté par la recension d’Abou Bakr. Ainsi donc, nous savons que de nombreux textes se sont constitués, avec, pour certains d’entre eux, les principaux d’ailleurs, de nombreux détails révélant les divergences, sur des mots ou leur orthographe, ainsi le mot hanifiyya utilisé à la place du mot islam pour désigner la vraie religion, selon Obayy et Ibn Mas’oud sur des versets mentionnant ’Ali le gendre du prophète et sa descendance, sur les titres, le nombre et l’ordre des sourates. Pour donner une idée des divergences reproduisons une partie de texte de R.Blachère ( page47) Ordre de la Vulgate X ALR. , Jonas XIII XIV Le Tonnerre ALR. Abraham Ordre de la recension d’Ibn Mas’oud Les Abeilles ( 16ème dans la Vulgate) La Caverne (18ème dans la Vulgate) Le Voyage nocturne (17ème dans la Vulgate) Ordre de la recension d’Obbay Immunité ( 9ème dans la Vulgate) Les Poètes ( 26ème dans la Vulgate) Le Pèlerinage ( 22ème dans la Vulgate) Donc malgré la pluralité d’écrits , selon une tradition acceptée c’est le Calife ‘Othman qui fait réaliser la recension «officielle» connue sous le nom de Vulgate ‘othmanienne : incité par Hudhaïfa qui commande les troupes en Arménie vers 645 et choqué des récitations diverses de troupes constituées Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 63 /131 d’hommes d’origines régionales différente déclare …«Rattrape cette umma, avant qu’elle ne diverge sur le Livre comme ont divergé les juifs et les chrétiens »… il nomme une commission de 4 scribes, un médinois Zaïd Ibn Thâbit et trois mekkois, ‘Abd Allah Ibn az-Zobaïr, Sa’îd Ibn al-‘Ac et Abd er Rahmân ibn el Harith il fait emprunter les feuilles en possession d’Hafsa et il décide que le dialecte mekkois est la langue de la révélation.. Mais …« cette histoire ne résiste pas à une analyse critique…on admet maintenant que le Coran n’est pas dans le dialecte qoraïch, donc la commission n’a pas joué de rôle… selon EI, page 406 La tradition dit que la Vulgate a pour base unique les feuilles de Hafsa alors que d’autres données indiquent qu’on a ajouté d’autres textes , voire que l’on a procédé à une consultation générale ( cf R.Blachère , pages 54/55). Et ‘Othman fait faire 4 copies et ordonne de détruire tout ce qui n’était pas sa recension…. C’est la principale critique de ses opposants, qui lui reprochent d’avoir ainsi fait disparaître tout passage du texte favorable à Ali, toute trace de ces textes. Sans évoquer les pluralités de versions sur ce sujet posons la question de R.Blachère :…« comment les fidèles de cette époque ont ils eu le courage d’anéantir ces objets qui évoquaient d’une manière si directe le fantôme du Maître, ses gestes, ses paroles ? On peut dire que cette recension ‘othmanienne, tout en suivant le mouvement amorcé sous le califat d’Abou Bakr obéit aussi à des considérations d’ordre politique : les omeyyades ont conquis le pouvoir face à ‘Ali, et sa descendance, et ils devaient le défendre , aussi la réalisation de l’écriture sainte ne pouvait que conforter le pouvoir politique : la référence au Livre de Dieu joue un rôle essentiel sous ‘Othman, quand commence l’expansion territoriale à l’extérieur et une montée de l’opposition à l’intérieur pour des raisons sociales, politiques , ou tout simplement familiales et tribales. Enfin, puisque les plus anciens fragments manuscrits du Coran qui nous sont parvenus sur parchemins ne sont pas datés, et ne peuvent pas l’être de façon même approximative puisque le même type d’écriture est utilisé jusqu’au 9ème siècle les textes religieux les plus anciens de l’Islam sont, les inscriptions du Dôme du Rocher ( 688-691) avec la définition de l’unicité de Dieu … « Dis, Allâh un, il n’a pas engendré et n’a pas été engendré; et il n’a, comme équivalent, personne.»…et autres inscriptions principalement dirigées contre le dogme trinitaire… » c’est lui ( Dieu) qui a envoyé son apôtre ( Mohammed) avec la direction et la religion de la vérité (Islam) pour la faire prévaloir sur la religion dans sa totalité contre le gré des mushrikûn…»…Ce caractère polémique et apologétique s’explique bien: le Dôme du Rocher était un monument de prestige et d’affirmation de la puissance islamique en plein cœur de Jérusalem …où les chrétiens étaient majoritaires. Le contenu des textes inscrits fait partie de hâdith attribués au Prophète et l’on en retrouvera des formulations dans le Coran achevé… ( A. de Prémare pages 298/299) certaines pièces de monnaie frappées en 697. III) LES LECTURES Puisque le texte est écrit par une graphie incomplète la lecture n’est possible qu’à la condition d’en connaître déjà la teneur. Ainsi le texte apparaît comme un «guide», permettant de ne pas en oublier une partie. L’exemple cité par R. Blachère manuscrit de Paris n° 326 = édition du Caire = est révélateur. Le document écrit est plus un guide , qu’un véritable livre. La récitation devient lecture et rend nécessaire une amélioration de l’écrit pour que la qualité de ce dernier égale le texte récité : les lecteurs seront donc, souvent, aussi grammairiens. Mais en passant d’une récitation d’un texte connu par cœur d’un fidèle, à une lecture d’un manuscrit insuffisamment calligraphié le monde islamique va connaître une autre évolution , celle du bénévolat Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 64 /131 du fidèle au professionnalisme du lecteur, dirions nous aujourd’hui. . Ainsi les « lecteurs » vivent de ce « travail », leur moralité s’en ressentira,, et à ce discrédit moral s’ajoutent, les luttes intestines entre les schismatiques chiites , qui défendent le texte d’Ibn Mas’oud et les sunnites orthodoxes qui ont adoptés la vulgate ‘othmanienne, et, conséquences de ces luttes, la résistance tenace des lecteurs des recensions écrites d’Ali, Obayy et Ibn Mas’oud. Si bien qu’un ordre devient nécessaire , la pluralité des lectures est admise : 150 ans après la mort du prophète la science des lectures, fait un classement des lectures, pour en supprimer un certain nombre, en lectures établies (mutawâtira), lectures sûres ( sahîha ) et lectures isolées, donc à rejeter (ŝadda) opère un compromis en admettant 7 lectures, qui seront officialisées en 934 (323) , le chiffre 7 bien sur, dont les maîtres appartiennent aux 5 centres les plus connus, Médine , La Mekke, Damas, Bassora et Couffa. Puis étendra le nombre de lectures autorisées à 10, puis 14. L’importance, au regard de notre sujet, est le rôle joué par les lectures et les lecteurs sur l’établissement définitif du texte coranique. En effet, très tôt , la qualité de lecteur va de pair avec celle de grammairien : Naçr Ibn ‘Açim (mort en 707) et Yahya Ibn Ya’mor de l’école de Bassora dont l’un des maîtres fut Abû ‘Amr Ibn el ‘Ala ( 689-770). L’école de Couffa aussi sera réputée dans les deux sciences , la lecture et la grammaire… et la « hiérarchie » des lectures va aider à l’unité du texte final, car les différences entre les lectures basées sur le texte othmanien ne sont pas importantes Les progrès de l’écriture complèteront ce nécessaire processus d’unification, puisque… « les commentaires d’ al Tabari ( mort en 311)…sur des variantes montrent que le texte du Coran n’était pas fixé ne variétur de son temps»…EI , page 407 . Ce n’est qu’après lui, en codifiant les variantes autorisées dans la lecture du texte reçu à partir de traditions antérieures différentes que l’on fixera un texte définitif en 934 ( 322H). Et la forme la plus aboutie est le texte publié au Caire, sous le patronage du roi d’Egypte Faoud 1er en 1924…« il est compréhensible que l’édition du Coran officielle en Egypte en 1924 d’après la lecture de ‘Açim transmise par Hafs n’ait pas été fondée sur d’anciens manuscrits du Coran mais qu’elle est – chose assez remarquable à première vue- le résultat d’une reconstruction faite d’après les données des ouvrages sur les lectures»…. EI, page 130 CONCLUSION Le texte coranique est donc l’aboutissement d’un processus complexe de mémoire, d’écriture, de grammaire, d’ingérences politiques sans doute , dont on n’a pas beaucoup de certitudes historiques et qui s’est déroulé sur une période de 3 siècles après la mort du prophète. Le Coran est la parole incréé de Dieu transmise aux hommes par la bouche du prophète : Ibn Hanbal (780-855) considéré comme l’un des meilleurs représentants de l’héritage du Prophète résistera au calife Al-Ma’moun (786-833) qui voulait imposer la thèse d’un Coran «créé», et dans le même temps il écrit son œuvre principale le Musnad dans laquelle il révèle toutes les incertitudes liées à l’histoire du texte coranique , sans que jamais les deux questions n’interfèrent : la parole de Dieu relève de la foi , la composition du texte coranique de l’histoire. Mais une réflexion théologique peut elle fonctionner sans être articulée avec les connaissances historiques, et donc , comme dit le professeur Mohammed ARKOUN , comment lire le Coran aujourd’hui ? On ne peut pas au XXème siècle lire des mots et les comprendre si on ne les replace pas dans un contexte d’idée générale, il faut savoir dégager les mythes et la symbolique, pour comprendre le sens du texte. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 65 /131 Et Mohammed ARKOUN invite à dégager le sens de la doctrine …« la sacra doctrina en soumettant le texte coranique et tous ceux qui dans la pensée islamique ont cherché à l’éclairer à un examen critique propre à dissiper les confusions …pour mettre en relief…des enseignements toujours valides……et à définir des critères… « où seront analysés les motifs que l’intelligence contemporaine peut alléguer soit pour rejeter, soit pour maintenir les conceptions étudiées »…effort comparable aux travaux des catholiques tels J. DANIELOU , Jacques Maritain …ou de la pensée protestante avec Barth, Bultmann…. Ni l’histoire, ni les sciences auxiliaires qui en découlent ne sont des sciences exactes, ce qui n’empêchera pas les croyants de croire, les passionnés de se passionner, les philosophes de philosopher…ni les rêveurs de rêver. PC/23/02/2003 (1) André LEMAIRE , directeur d’études des sciences historiques et philologiques à l’Ecole Pratique des hautes Etudes estime qu’il s’agit de l’inscription sur le tombeau de ‘Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus » de Jacques le Juste désigné comme «frère de Jésus» par les évangiles ce qui voudrait dire que c’est la première mention épigraphique de Jésus de Nazareth. Bibliographie Encyclopédie de l’Islam , nouvelle édition, tome V , al KUR’AN , pages 401 à 434 tome V , KIRA’A , pages 129 et suivantes Introduction au Coran , de Régis BLACHERE , 1947, Maisonneuve et Larose LE CORAN par Albin KAZIMIRSKI, préface de Mohammed ARKOUN Le CORAN , de SI HAMZA BOUBEKER, 1979 , Fayard Les fondations de l’Islam , de Alfred de PREMARE , 2002, Seuil. PJ = annexe 1 = copie d’une page du Coran manuscrit n° 328, BNF, qui serait de la seconde moitié du VIIe siècle Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 66 /131 II-4) Le Hadith L’histoire = el târîh, existe chez les arabes depuis le 2ème siècle H, quelle est l’origine de ce mot , sémitique ou éthiopien?. Elle est liée à l’histoire de la religion et de la vie du prophète, exemple le Sîra d’Ibn Ishraq. Le Coran et la tradition sont de tradition orale : les hâfiz savaient le Coran par cœur, et , chronologiquement on a d’abord consigné le Coran , puis au les IIème H on a commencé l’écriture des hadith. La vulgate coranique aurait été terminée vers 35 H, puis pour les hadith on s’est basé sur deux éléments, l’isnâd ou chaîne des garants, soit une période de 30 ans environ par génération , le texte même du hadith , ou matan. Les muhaddithun devaient apprendre par cœur la chaîne et le texte. L’histoire a été influencée par l’unité qu’on devait transmettre : le habar. El Tabarî , lui, dit qu’il va donner toute l’information qui lui a été transmise, fidèlement, et il n’hésite pas à donner plusieurs versions du même événement : sa 1ère histoire est « histoire des Peuples et des Rois » Ce n’est qu’à la fin du XIVème de l’ère chrétienne que l’on se posera des questions sur la méthode et naîtra une nouvelle méthode, plus rationnelle , avec esprit critique El ‘Aql = la raison L’auteur de la Muqaddima , Ibn Khaldoun ( mort en 804 H) a été influencé par Al Mas’ûdî qui a écrit «Les Prairies d’Or », ouvrage traduit par CH. PELLAT qui a cherché et « priorisé » le vrai, scientifiquement accepté. ========================================================================= EXPOSE : HADITH Mes principales recherches se sont basés sur l'encyclopédie de l'islam et sur un ouvrage intitulé « introduction à l'études des hadith. Avant de commencer l'exposé je veux vous dire que la science des hadith et très compliquée, que des savants passent toute leur vie à étudier les hadith donc je vous expliquerai les hadith explicitement. I DEFINITION QUELLE EST LA RACINE DU MOT HADITH? La racine vient du mot hadith mot haddassa qui signifie « récit »(au sens large) il à été ensuite utilisé de manière plus spécifique sous le nom de hadith pour les paroles du prophète (saw) 1) les types de hadith Pour expliquer la notion du hadith il existe 2 types de hadith - les hadith Kudsy - Les hadith Nabawi mais je détaillerais plus les hadith Nabawi. a) Les hadith Kudsy sont des traditions saintes ou sacrées appelé aussi « Hadith ilahi ou Rabbani » (tradition divine), est une catégorie de traditions contenant des mots prononcés par Dieu, a la première personne mais restent des Hadiths. Ils diffèrent du Kur'an qui à été révélé par l'entremise de l'ange Gabriel, est inimitable, récité dans la salat. Les hadith Kudsy ne viennent pas nécessairement par l'entremise de Gabriel, mais peuvent venir par inspiration ( ILHAM) ou en songe, Allah révéla ces traditions au cour de la nuit du MI’RADJ (c'est le voyage nocturne) Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 67 /131 Ces traditions ne peuvent pas être employés dans la salat (prière) Il existe quelques recueils compilés à partir de 6 livres Sunnites et d'autres ouvrages. Le recueil le plus volumineux est : AL-ITHAFAT AL-SANNIYYA FI L-AHADITH AL KUDSYYYA Par Mohammad al -Madani mort en 881/1476 qui contient 858 traditions divisés en 3 groupes - Celle qui commence par KALA - Celle qui commence par YAKULU - Celle qui au nombre de 603, sont classés par ordre alphabétique b) Les hadith Nabawi Les hadith Nabawi désignent l'ensemble des récits qui relatent les paroles, les actes et les approbations du prophète Muhammad (saw), constituant ce que l'on appelle aussi la tradition ou base de la Sunna du prophète (saw), qui sont considérer comme une source fondamentale du droit musulman ou Fiqh. II L'HISTORIQUE DU HADITH Comment les hadith se sont développés ? Le prophète avait fait une forte impression sur des contemporains, et l'islam, non seulement lui avait survécu, mais s'était rapidement étendu bien loin de l'Arabie. Il est donc tout à fait naturel que ceux qui l’avait connu aient eu beaucoup de choses à raconter sur son compte. De nombreux compagnons s'établirent dans des pays conquis où l'on peut supposer qu'ils étaient interrogés sur le prophète ; Mais il ne devait rien n’y avoir d'officiel dans la narration des détails qui concernaient le prophète et l'on ne s'occupa guerre de les consigner. A cette époque on ne trouvait aucun intérêt à transcrire les hadith, le prophète interdisait que l'on écrive ses paroles car il ne voulait pas que les gens prennent ses paroles pour des paroles sacrées. De plus certains soutenaient la théorie que la Sunna ne devait être transmise qu'oralement et non par écrit. Puisqu'il n'y avait aucune trace écrite la Sunna avait moins d'importance que le Kor’an . A la mort du prophète en 632, le Kor'an resta le seul guide écrit et ce fut à la longue, quand de nouveaux problèmes se posèrent, que certains éprouvèrent d'un complément du Kor'an écrit .Donc des personnes dans diverses régions conçurent de l'intérêt pour la tradition et de nombreux « traditionnistes » appelés les « Muhaddithun » entreprirent des voyages pour recueillir des traditions de la bouche de ceux qui ont vécut avec les compagnons du prophète « les Tabi'in » et ceux qui les ont suivis s'appellent « les Tab Tabi'in » . La nécessité de présenter Les Tabi'in et les Tab Tabi'in garantissant les traditions devint de plus en plus claire. Car les gens ont pris conscience de l'importance du hadith puisqu'ils pratiquaient plus mais ce n'est seulement qu'à la fin du 2eH/ 8e siècle que l'on se souciait de la certitude de ces hadith, qu'ils remontaient bien jusqu'à la source. Donc il fallait disposer d'une chaîne complète pour garantir l'authenticité du hadith. Ibn Ishaq (mort en 150 ou 151) cite des autorités dans sa biographie du prophète, mais pas toujours avec une chaîne complète. Lorsque l'on arriva à composer les livres de traditions ils possédaient deux traits indispensables - la chaîne que l'on appelle « Isnad,ou Sanad », c'est une chaîne de garant des transmetteurs des hadiths - puis le Matn qui est le texte Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 68 /131 Lorsque les « traditionnistes » (les Muhaddithuns) collectaient des traditions dont ils essayaient de vérifier l'isnad , d'autres n'étaient pas prêt à beaucoup insister sur l'importance de la tradition. Donc il y avait des disputes entre diverses parties mais grâce à Al- Shafi'r (mort en 204 H) qui fait partie d'une des 4 écoles et qui a beaucoup insisté sur la tradition remporte la victoire et les hadith furent dès lors reconnus comme un fondement de l'islam immédiatement après le kor'an. Donc les hadith ont été autorisés à être enseignés à partir du 2e` siècle. Après avoir parlé de l'historique du hadith nous pouvons se demander comment les hadiths sont venus à nous qui sont les transmetteurs et les successeurs des transmetteurs ? II Les transmetteurs 1) les compagnons les transmetteurs sont les compagnons du prophète (saw) appeler les « Sahabas » qui transmettent à leur tour à d'autres personnages ( les tabi'ins, les tab tabi'ins ...) et c'est ce qui a créé l'isnad . je cite 3 compagnons les plus reconnus et pour ceux qui ont rapporté le plus de hadith sont : Abou Hourreira , Ibn Abbas et Aicha. Abou Houreira est mort en 59 /578 , c'est l'un compagnons qui traduit le plus de hadith ,il compila 5374 traductions . Hamman Ibn Mouabih qui est mort en 101/719, à été disciple d'Abou Hourreira il à compilé des hadith, c'est un Tabi'in puisqu'il n'a pas vu le prophète mais c'est de la bouche d'Abou Hourreira qu'il à entendu tous les chapitres de son recueil. Son titre est Sahifa de Hammam de 137 Hadith c'est un ancien hadith du 2ème siècle Ibn Abbas Aicha étaient l'une des femmes du prophète elle compila 2220 hadith elle est mort en 58/677. Le premier rassemblage officiel s'est fait, rapelons sous le nom de la demande de Omar Ibn Abdelaziz ( 8'ème souverain des omeyyades, c'est à dire pendant la mort d'Ali). Son règne ne dura que 2 ans (99/l0lde l'hégire)). C'est un Tabi'in petit fils du Calif 0mar, craignant la disparition où l'oublie des hadiths, il demanda au gouverneur de Médine, ville du prophète et donc lieu de sa tradition, d'inviter les savants à collecter les Hadihs. C'est Az-zouri mort en (124/741) un savant érudit de Médine qui se chargea de compiler les hadiths. Les compagnons ont mémorisér les hadith ce qui à permis de propager leur sciences à un grand nombre de personnes. Les raisons pour laquelle les compagnons hésitaient à retranscrire par écrit les traditions sont de diverses raisons - Le prophète au premier jour de sa mission avait défendu qu'on écrive quoi que se soit sauf les paroles d'Allah - Citation on rapporte que le prophète (saw) à dit à ses compagnons « N'écrivez rien de moi sauf le kor'an » C'était pour éviter que les gens confondent les révélations du kor'an avec les traditions. Lorsque le kor'an était presque fini et que le peuple à appris à distinguer entre les deux . Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 69 /131 Puis les gens délaisseraient la lecture du kor'an. Malgré toutes ces hésitations pour la trace écrite des hadith ils furent bien écrit et nous verrons la manière dont ils ont été compilés. 2) la compilation des hadith Les premiers livres furent composés du type dit « Musnad » c'est un livre qui contient des hadith rapporter par différents compagnons. Cette disposition n'était pas pratique, des gens qui voulaient consulter le Musnad sur des sujet particulier devaient en effet lire tout au long des chapitres sans aucun intérêt pour eux avant de découvrir ce qu'il cherchaient. Il y a des ouvrages tel que ceux D `Ahmed Ibn Hanbal mort en 241 qui fait partie de la 3e génération après les Sahabas , il était un véritable encyclopédiste du hadith, il connaissait 75000 hadith par coeur ; de plus il était fondateur de la 4e école, cet érudit a classé ses hadith selon les compagnons qui les rapportaient , son ouvrage est intitulé Al-Musnad. Nous avons aussi Tayalisi un Sahabas mort en 203 . Leurs ouvrages sont classés selon cette méthode du type Musnad. Malik Ibn Anas appartenait à la 2è générations des musulmans après les compagnons donc c'est un Tabi'in, il était fondateur de la 2'eme écoles après Abu Hanifa l'un de ses disciples. Malik avait disposer son ouvrage « Muwatta » la caractéristique de ses 500 hadith qu'il a fait environ c'est qu'ils sont classés par thème et c'est à cet époque du 3 e` siècle qui fut les plus important Musannaf (se sont des oeuvres classés par matière), et à l'intérieur de ces matières il y a des sous sections appelé `ala 1-abwab. Six de ses Musanaf prennent définitivement le pas sur les autres. Nous avons les Sahih D'Al-Boukhari et Muslimet les 4 sunnan Abu Dawud ,Al Tirmidi,Al-Nasa'i et Ibn Madja. Al-Boukhari est né en 194/809 mort en 256/869 à Samarcande, il a commencé à apprendre les hadith avant l'âge de 10 ans, il à voyagé dans villes où enseignait les savants des Hadith. Il a fallu 16 ans pour élaborer son recueil de 7397 dont 2602 non reformuler. Les caractéristiques de ces hadith c'est qu'ils sont classés par thème et que c'est des hadith Sahih (saint) traduit en français et Anglais. Puis le 2'è` Sahih est Muslim Ibn Hajjaj né en 204/819 mort en le 261/874 à Nichapour, il voyagea dans divers pays tel que l'Irak, Korassan en Arabie,en Egypte pour recueillir les traditions qui lui semblaient valable. L'ouvrage qu'il composa est intitulé Al-Sahih (ou l'authentique comme celui d'Al-Boukhari),son oeuvre se distinguait des ouvrages par son introduction, qui traite la science du hadith, ainsi que par un chapitre préliminaire sur la foi qui constitue un des exposés les plus anciens de la théologie musulman Puis nous avons les 4 autres Musannafs appelé « les 4 Sunnan » - Abu Dawud - Al-Tirmidi - Al-Nasa'i - Et Ibn Madja Abu Dawud Al-Sijistani né 817 mort en 899 Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 70 /131 Il passa la plus grande partie de son existence à Basra et l'on sait à quoi correspondait son apellatif de Sijistani ou origine de Sijistan une province Iranienne . AI-Tirmidhi né en 824 mort en 892 à thermez voyage, aussi dans divers pays pour recueillir les traditions prophétiques (c'est à dire ré montant à Muhammad (saw) ). II avait été le disciple de Abu Dawud. A1 Nasa'i ce savant dont la vie resta obscure voyagea aussi dans divers pays pour recueillir des traditions .Il séjourna en Egypte puis à Damas où il serait mort à la suite d'un mauvais traitement. On lui reprochait d'être favorable à Ali et hostile au Ommeyyades. Ibn Madja est le traditionniste qui vécut à l'âge d'or des califats des Abbassides. Lui aussi est reconnu d'un des 6 livres qui sont à la base de la science du Hadith. Les ouvrages des 4 sunnan sont intitulés Kitab-al-Sunna (le livre de la tradition prophétique) Ils possèdent divers degré de valeurs (ils onts des hadiths sahih et d'autre faible) donc leurs ouvrages ont été reformulé par Naçeredine Al-Albani(savant de hadith). Les Sahih contiennent des données biographiques et des commentaires sur le Kor'an en plus des détailles sur les pratiques religieuses, le droit, le commerce et certains aspects de conduite publique et privé qui constituent le principale intérêt des Sunnan. Le corpus de la tradition (la trace écrite) fournis des détails sur réglant tous les aspects de la vie en ce monde et préparer les fidèles à la vie future. En théorie les traditions d'Al-Boukhari et Muslim sont saine. Il n'y avait pas de corps constitué pour donner aux livres un caractère officiel. Vers le 4''°'e /10"" siècle, les recueils d'AI-Boukhari et de Muslim furent à peu près généralement reconnu et les autres ne le furent que plus tard. Par exemple Ibn khaldun (mort en 808) ne reconnaît pas la Sunna d'Ibn Madja. III La critique du Hadith Avant la composition du recueil reconnus, le corpus de la tradition avait énormément grossi et des savants sérieux avouaient qu'une bonne partie des traditions étaient forgée Les Kussas (c'est un sermonnaire populaire) sont les gens qui inventaient les plus extraordinaire tradition auxquelles ils ajoutaient des isnad. En apparence impeccable leur but étaient d'étonner les hommes et de se faire de l'argent avec leur histoire. D'autres fabriquaient des traditions pour répandre des doctrines fausses, et la «forgerie» était parfois si bien faite qu'elle avait aucune chance de ne pas être détectée ???. Des hommes pieux étaient si troublé dans par le laxisme de leur temps qu'ils inventaient des traditions pour exhorter à vivre vertueusement. Yahya b.Said mort en 143 aurait dit « Je n'ai jamais vu plus de mensonge que chez ceux qui ont une réputation de vertu » Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 71 /131 Abu `Asim Al-Nabile mort en 212 avait dit la semblable déclaration « Je n'ai jamais vu d'hommes pieux mentir plus qu à propos du hadith » Le fait que différents types de personnes inventaient des traditions prouve l'importance du hadith. Il y avait des critiques adressées aux transmetteurs pour diverses raisons, -certains étaient accusés de négligences dans la transmission, -d'autres de commettre des erreurs dans leur vieillesse donc mémoire déficiente. Les efforts déployées pour rechercher l'authenticité des traditions conduisit à la composition d'ouvrages biographiques concernant les individus qui apparaissent dans l'isnad. Il était important de connaître, -la date de leur lieu de naissance, -celle de leur mort pour savoir s'ils pouvaient avoir rencontré les personnes qu'ils sont censés citer -des jugements sur leurs degrés de confiance En fait il fallait une bonne qualité de transmetteur. Les ouvrages biographiques ne furent pour la plupart composés qu'à partie du 3ème siècle. La critique des traditions donna bientôt naissance à une série de termes techniques dont un certain nombre se trouve dans les 6 livres. Al-tirmidhi apporte une contribution notable à la critique de la tradition, car non seulement il fournit des notes sur la grande majorité de ses hadith, mais encore il étudie certains points dans un chapitre de conclusion (voir Varieties of the hasan tradition, dans le Journal of Sémitic Studies (1961)). L'emploi de termes techniques semble s'être peu à peu développé mais bien qu'un terme donné puisse être utilisé différemment selon les époques, un accord à peu prés général sur la plupart d'entre s'est réalisé. Donc les hadith étaient divisés en : - Sahih (sain) - Hasan (bon) - Da' if (faible) (Les sahih comportaient 7 degré ) Les traditions Hasan ne sont pas considérées comme tout à fait aussi fortes, mais elles sont nécessaires pour établir certains points de droit et une grande partie des traditions de caractère juridique sont de ce type. Les hasan ont plusieurs variétés . Les traditions faibles sont également de divers degrés. L'utilisation de ces traditions faibles est permise quand il s'agit d'exhortations, d'histoires, de bonnes conduites, mais pas pour ce qui touche à des questions de droit ou des points comportant autorisation ou interdiction. La plupart des termes techniques suivants, principalement relatifs à l'Isnad, ont acquis une certaine stabilité sémantique. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 72 /131 II-5)Le dogme Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 73 /131 II-6)Le Kalam Cours du 20/12/2002 Après la période des traductions on assiste à la naissance des sciences , et des sciences de la religion : ilm el kalam on appelle le discours théologique la parole , c’est le génie de la langue arabe …Avec la naissance de ses écoles théologiques apparaissent les mutakallim (ûn) ========================================================== D’après C.Cahen… »le terme kalam qui désigne le raisonnement théologique en Islam et d’une manière générale le groupe des hommes qui s’y adonnent doit être connu non seulement en raison du constant emploi qui en est fait, mais aussi de son sens propre, la parole, donc d’abord la parole de Dieu, le Logos, le Verbe… …on appelle mutakallim(ûn) les spécialistes de cette étude, que nous pouvons appeler théologiens , sous la seule réserve de comprendre que, pour le musulman, la foi est dans son principe entièrement raisonnable et qu’il n’y a donc pas théoriquement la même dissociation partielle foi-raison que connaît par exemple la philosophie chrétienne…» ====================================================================== D’aprèsR. Mantran … « restent les sciences religieuses, nées du développement des connaissances historiques, philosophiques et juridiques. Elles ont une telle importance dans le monde musulman qu’on les considère comme la science proprement dite, ‛ilm , le point de départ en est le Coran, puis les traditions ( hadîth) pour lesquels des savants tels que Boukhârî et Mouslim ont entrepris des compilations extraordinaires,. D’autres savants se sont spécialisés dans l’étude du Coran, de ses commentaires, de ses traditions : ce sont les ‘oulalâ’ ; d’autres tirèrent des mêmes sources les bases essentielles du droit musulman ( fiqh) qu’ils développèrent largement, ce furent les fouqahâ’ . Mais comme des opinions multiples et diverses avaient surgi, opinions parfois orthodoxes, admettant des principes et des raisonnements en contradiction avec la révélation coranique et la sunna , les juristes cherchèrent à codifier le droit musulman , et finalement 4 écoles d’interprétation orthodoxes furent admises, celle de Malik ibn Anas ( mort en 795) celle de Aboû Hanîfa ( mort en 767) celle de Al Shâfi‛i ( mort en 820) et celle de Ibn Hanbal ( mort en 855) Aujourd’hui encore ces écoles sont seules reconnues comme orthodoxes. L’islam a connu aussi ses mystiques qui furent probablement à l’origine influencés par les mystiques chrétiens. Mais peu à peu ils se dégagèrent des es influences pour constituer un mouvement typiquement musulman, le soufisme ( du nom du vêtement de laine blanche, souf, que portait les premiers mystiques… » Parmi les maîtres des premières écoles, l’école de AL AŠ‛ARI et AL MÂÎURÎDÎ. Le premier expliquait à ses élèves le destin et la destinée, est ce que tout vient de Dieu, ou bien l’homme a t’il le choix quand l’un de ses meilleurs élèves lui demanda : -… « un enfant d’un athée meurt jeune, va t’il au paradis ou en Enfer ? Le maître répond : - il va en Enfer…. - Mais, continue l’élève, s’il avait vécu cet enfant aurait embrassé la foi, et le maître répond: Dieu sait qu’il ne l’aurait pas fait - et l’élève dit, c’est injuste., c’est comme si on jette à l’eau un enfant pieds et mains liés et on lui dit ne te mouille pas… Le lendemain cet élève, WÂSL IBN AŢÂ continue cette discussion avec d’autres disciples, retiré dans un coin , le maître arrive , voit qu’ils sont séparés et les nomme les Mu‛tazila, ce qui va devenir l’école théologique des Mu‛tazilites. Donc la première question qu’ils posent est le destin ; au début ils n’acceptaient pas ce terme mais il sera finalement adopté.. On assiste alors à la création d’un hadith … «la meilleure parole est celle de Dieu, la meilleure guidance est celle de Dieu, les plus mauvaises choses sont des innovations, toute innovation est un égarement…» Or ceci va à l’encontre de l’effort pour trouver de nouvelles règles, l’idjtihâd il faut toujours rechercher dans quel contexte historique on a entendu un hadith pour la première fois… Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 74 /131 Sur les Mu‛tazilites plusieurs livres dont d’AL ŠAHRUSTANI , : « al milal wa al nihal » les religions et les doctrines. Les mu‛tazilites sont l’école de la raison AL ‛AQL . Sur tout sujet le Coran dit AL NAGL , pais vient la réflexion , AL ‛AQL donc. Exemple : (1) Dieu est unique , le Coran le dit (2) puis : si 2 Dieux ne sont pas d’accord c’est contradictoire donc tout choix de Dieu est d’un seul et Dieu est tout puissant donc il n’a besoin de personne , donc Dieu est unique , c’est le raisonnement. Cette école dit que les anciens n’avaient pas toujours raison et on doit continuer leur œuvre, alors que pour la sunna les anciens sont sacrés. Et ils ont trouvé un hadith divin , Dieu l’a dit, et donc il y a deux sortes de hadith , le hadith qudsi ou divin et le hadith nabawi ou du prophète et les mu‛tazilites disent le hadith qudsi est d’essence divine et il est parole humaine, on ne peut pas prier avec un hadith qudsi, donc il est secondaire, on ne peut prier qu’avec le Coran donc ils trouvent = Dieu quand il a créé la raison il a dit vient elle vient, va elle va , donc il faut respecter la raison, surtout que le Coran s’adresse à l’homme doué de raison, on trouve au moins 40 fois dans le Coran la notion de raison, réflexion Mais dans le TAFSIR DE TABARI c’est la position AL NAGL qui est la gagnante ( Tabari) a tout transmis). Il faut citer le Coran, Coran , III ,5 : C’est lui qui t’a envoyé le Livre de sa part. Il s’y trouve des versets immuables , qui sont comme la mère du Livre, et d’autres qui sont métaphoriques. Ceux dont le cœur dévient de la vraie route courent après les métaphores, par envie du désordre et par envie de l’interprétation ; mais il n’y a que Dieu qui en connaisse l’interprétation….il n’y a que les hommes doués d’intelligence qui réfléchissent. Relativité du savoir : au dessus de chaque savant il y a un autre savant ; toute parole divine a sa source chez Dieu - oulm el kitab , c’est la tablette bien conservée chez Dieu – il fait descendre à chaque période sur chaque prophète ce dont l’humanité a besoin == AL LAWH AL MAHFÛZ , les tablettes bien gardées, toutes les écritures sont dans ces tablettes… Il n’y a pas que les mu‛tazilites, mais les chiites aussi, et des fractions , on en compte 72 ou 73, d’ailleurs un hadith légitimise cette diversité… « ma communauté va se diviser en école et la meilleure sera sauvée de l’enfer…»,… un groupe s’est même nommé les sauvés de l’enfer….. Les chiites ont un hadith…» tu seras tué par un groupe injuste…». Chaque école avait son poète : la poésie est l’arme la plus tranchante dans l’histoire des arabes, jusqu’à la fin de la période abbasside ; les poètes chiites sont connus et ont donnés les traits principaux de l’école mu‛tazilite qui sera chassée par les califes qui n’aimaient pas sa rationalité , sauf El Ma‛moun…on sait que chaque peuple suit son roi, ou encore de votre propre état vous aurez ois gouvernants… Donc El Ma‛moun pose aux oulémas la question : Le Coran existe depuis quand ? est il accidentel ? où était il avant le prophète ? Dieu est ancien, existait avant et existera après, ses attributs sont ils hors de lui ? Avec une semaine pour répondre. Ce sera un conflit extraordinaire, les mu‛tazilites deviennent intolérants, les chiites ont le droit de chercher ( l’idjtihâd c’est le devoir islamique essentiel , l’effort ), et ils sont infaillibles…donc richesse extraordinaire des consciences et des philosophies sous l’époque abbasside. Mais la chute de Cordoue marque le début du déclin : Ibn Khaldoun, le premier qui fasse de l’histoire, vient à ce moment , dans la décadence, il réfléchit , il en discute. Il parle de la civilisation de la cité en face des bédouins : il dit que les bédouins ont fait du mal à l’Islam, ils détruisent les murs pour faire du feu, leur fanatisme est le premier virus qui a fait mal à l’Islam. Les défauts étaient cachés puis sont apparus au fur et à mesure du déroulement de l’histoire. Il n’y a pas de civilisation éternelle , il y a des cycles. Il reconnaît les défauts de la civilisation Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 75 /131 islamique, la civilisation est humaine , Ibn Khaldoun l’a bien vu. Quand l’Islam est au sommet les peuples conquis se réveillent, à l’est de Bagdad et au nord de Cordoue, l’Egypte ne bouge pas , les peuples turcs et iraniens résistent à l’arabisation. D’où des drames à Bagdad , révoltes à l’intérieur de l’empire, les Zinjs, les Seldoujiques et les Qarmates. Et problèmes religieux aussi , groupes de religions , sectes (assassins) , interprétation des textes, ont fait du mal au monde musulman . Drame d’EL HAJJAJ voir Massignon valeur des orientalistes , ils ont traduits les manuscrits anciens et ont aidé les états de l’époque , donc les états « colonialistes » et ont donc un coté négatif pour certains musulmans, mais dans l’histoire du savoir on compte beaucoup sur eux…il y a dix ans on s’est posé la question de savoir en Egypte si on allait fêter l’expédition de Bonaparte ??? Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 76 /131 II-7) Les pratiques (les piliers de l’Islam) Islam , que signifie ce mot ? C’est un masdar infinitif d’un verbe de la 4ème forme, ‘aslama ( م+ ﻝ+ س + ) أ, qui veut dire , à partir de la racine trilitère S-L-M en arabe et Š-L-M en hébreu et araméen, être en paix , être sauvé., par l’ajout de la hamza de la 4ème forme, se donner la paix, se pacifier, être soumis , puisque le sens devient transitif. A qui est on soumis ? Pour l’Islam, à Dieu. La quinzaine de fois où on a ce verbe dans le Coran il signifie être soumis à Dieu. Le Coran dit que Moïse, Adam, Dieu, Salomon….les prophètes étaient musulmans. Cela induit un concept simple de communauté. Il y a aussi , Iman , la foi , les disciples sont donc des mu’minun L’Islam apparaît comme une religion qui demande à ses fidèles de suivre des obligations cultuelles nommées les piliers de l’Islam : prière cultuelle, aumône prescrite, jeûne prescrit, pèlerinage à La Mekke . Assez fréquemment on compte 5 et pas 4 piliers de l’Islam et l’on énumère d’abord la «profession de foi». On a la trace des cinq piliers de l’Islam dans le Coran, mais pas dans le bon ordre. Pour les 5 piliers , qu’est ce qu’il y a derrière le monothéisme ? le monothéisme musulman a t’il des points communs avec les autres monothéismes ? Que représente le personnage d’Abraham ? les historiens disent qu’il n’est autre qu’Akhénaton ! on a de grands problèmes avec des historiens, Bible et Coran donnent des interprétations, derrière le Coran il y a des problèmes politiques et économiques pour résister aux Perses et autres voisins…Il faut lire Mohammed ARKOUN , les lectures du Coran , Maisonneuve et Larose, 1982, … Les « islamisants » n’ont pas vu la profondeur de la foi…Quelles est la nature du texte coranique, accidentel ou éternel ? Entre foi, les 5 piliers, et la pratique il y a des confusions. 1) La ŠAHÂDA Par cette profession de foi le croyant témoigne qu’il n’y a qu’un seul Dieu et que Mohammed est son messager , selon la formule traduite littéralement:…» j’atteste qu’il n’y a pas de divinité si ce n’est Dieu et que Mohammed est le messager de Dieu »…Cette phrase suffit pour devenir musulman condition de la prononcer avec une intention pure. Šahâda = croire , témoigner, tout cela à la fois , voir avec les yeux du cœur…. Les premières sourates ne parlent que de l’unicité de Dieu : Mohammed n’était pas le premier à le proclamer, avant, il y avait eu le judaïsme et le christianisme ( même s’il y a la trinité). Même l’ancien testament a ses sources, rien ne vient du vide. Le Dieu unique remonte à l’Egypte ancienne , Aménophis IV était peut être le 1er monothéiste, pour quelle vraie raison ?? politique et économique toujours.. Le nord de l’Egypte avait ses idoles , mais le sud avait les siennes aussi, et quand il a fallu unifier on a cherché le monothéisme : il faut chercher et comprendre….Moïse est né en Egypte, il allait à l’école avec Ramsès II…il est allé dans le désert chercher ses racines, et est revenu avec un monothéisme sémitique. Les racines de chaque monothéisme ne sont pas comparables : l’aspect culturel de l’Arabie pour l’Islam est à prendre en compte, il faut compter sur ces circonstances culturelles, économiques, l’histoire de l’Egypte n’est pas comparable avec l’histoire sémitique. Juste avant l’Islam La Mekke était un centre culturel, commercial, et économique : les historiens disent qu’il y avait plusieurs kaâba, mais La Mekke était le centre avec chaque année un pèlerinage, un concours de poésie…Mohammed était disposé à partager la Kaâba avec les autres histoire de l’abrogation, d’un coté les musulmans, de l’autre les associateurs, on a retrouvé des versets, les versets sataniques. Le jour de la conquête de la Mekke le prophète a cassé toutes les idoles, la Kaâba est devenue unique pour les musulmans, Dieu est unique . Il y a Dieu et pas les idoles, il est partout et nulle part ailleurs, on donne une abstraction à Dieu , le Coran insiste sur ce point…alors qu’il y a l’idée de fils de Dieu chez juifs et chrétiens, ce n’est donc pas la même chose. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 77 /131 Sourate XXXIX ,42,43 … « (les impies) prendront ils des intercesseurs en dehors d’Allah ? Dis leur : « et si ces intercesseurs ne détenaient rien et ne raisonnaient point ?. Dis : » A Allah revient l’intercession toute entière. A lui la royauté des Cieux et de la Terre. A Lui enfin vous serez ramenés Les arabes expliquaient qu’ils n’adoraient les idoles que comme intermédiaire de Dieu et justifiaient ainsi leur paganisme et le prophète comme un berger ramène les moutons sur le chemin ; c’est une explication, il faut tout étudier Lire : Les hommes à la découverte de Dieu par Mohammed Abdallah DRAZ ( courant de pensée d’EL AZAHR. Le mot monothéisme – WÂHID – ne se trouve pas dans l’anté Islam : pour parler de monothéisme avant l’Islam il faudrait trouver des documents il faut parler avec des mots d’aujourd’hui de situations anciennes c’est injuste…il faut faire attention aux mots.. On n’a pas beaucoup de détails dans la religion « abrahamique » mais il y avait une religion monothéiste. Mohammed a pensé dans le désert , les prophètes viennent des déserts ,…je crois plus à ces prophètes qu’à ceux des villes !!!!! L’homme doit se convertir à l’Islam, pas la femme , il en est ainsi dans toutes les religions sémitiques.. Il doit se convertir avec le cœur ; les docteurs du Coran insistent beaucoup sur ce point .Un hadith que Monsieur TARDY, le directeur des études arabes à l’INALCO enseigne régulièrement dit cette notion de degré dans la foi . Abdallah raconte:… « on était avec le Prophète et un homme avec des vêtements blancs, cheveux noirs , aucun signe d’avoir voyagé donc, mais personne ne l’a jamais vu ni ne le connaît, arrive vers nous et demande au prophète c’est quoi l’Islam ? R : Mohammed dit, témoigne, dis qu’Allah est unique, que je suis son prophète, donne la zakat, fais la prière, observe les règles… mais dis moi, c’est quoi la Foi ? R : c’est que tu crois à Dieu, ses anges, ses livres, ses écritures, ses prophètes, le destin… tu as raison , mais c’est quoi la perfection ? R : Tu adires le Dieu comme si tu le voyais car si tu ne le vois pas , lui te voit, tu as raison, mais c’est quoi le jugement dernier ? R : et Mohammed dit , je ne sais rien de plus que toi, mais donne moi l’un des signes ? R : Mohammed dit , les enfants traitent les parents comme des esclaves , les hommes s’enrichissent….. Et en « montant » ainsi de degré en degré on va à la recherche de la Vérité :le soufisme savant interprète le Coran de façon plus large…en laissant tomber les interdits….à partir de ce hadith la foi n’a pas ses racines dans le texte coranique or les hadith ont été écrits pour des raisons politiques…et les hadith cachent le Coran… Le prophète a donné une autre définition de la foi : si tu fais quelque chose et que tu ne sens rien dans ta poitrine alors c’est bien , si tu sens quelque chose le mal est là, alors interroge ton cœur ! Mais les musulmans ne distinguent pas le stable et le variable :le climat n’est pas sain pour la pensée libre. Parmi les 40 hadith reconnus par tous les docteurs de l’Islam ( cf. Al ‘Arba’ûn al Nawawiyya ) un est rapporté par Ibn ‘Umar sur l’Islam , la foi et les bonnes oeuvres, mais on peut aussi discuter de l’historicité de ce hadith. Aujourd’hui on vérifie tout et les chercheurs ont des problèmes : le texte coranique est authentique mais les hadith influencent et cachent le texte fondateur. La définition de la foi pose de vrais problèmes. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 78 /131 2) La prière Il y a le mot prière 200 fois environ dans le Coran, mais aucune description de cette prière.: c’est Mohammed qui a montré aux premiers fidèles.. Le terme şalât vient du verbe ouasala = lier , d’où être en liaison avec Dieu, et certains auteurs le rendent par service divin ou liturgie. Le musulman doit faire 5 prières /jour, nombre révélé au prophète lors de son « ascension » ( on lui avait d’abord demandé 50, puis 40….) et divers sourates coraniques parlent de 2 ou 3 prières, , des hadith en mentionnent 5 et expliquent que le prophète, de son vivant les réunissait par deux….c’est Moïse qui lui aurait dit mon peuple n’a pas pu pratiquer autant de prières, demande 5…Il y a là confusion entre le patrimoine israélite et le patrimoine musulman…influence de la culture juive sur les textes fondateurs de l’Islam : elle est étudiée par une science , la ‘isrâ’îliyyat.. Tabari a deux sources , hébraïque et perse. Le Coran dit les actes d’ablution qu’il faut faire avant pour se mettre en état de pureté et selon le degré d’impureté à effacer l’ablution sera partielle ou totale. Durant la prière le visage doit être tourné vers la Kaâba , ç’est à dire vers La Mekke. In L.Gardet , L’islam , religion et communauté …« C’est vraiment l’office divin de l’Islam que célèbre le musulman qui « prie » , même seul. Mais il reste recommandé aux croyants de se réunir quand ils le peuvent, si possible à la mosquée….La prière faite ainsi en communauté , en « assemblée » (jamâ’a) prend une incontestable valeur et portée sociale, Elle est l’acte par excellence de l’ummat al-nabî , le peuple, la nation du prophète….L’accomplissement de la şalât est la première et la plus notable des actions bonnes qui seront pesées au Jugement dernier….la fidèle observance des 5 prières quotidiennes, dit le hadith, assure l’entrée au paradis…..» Comment appeler à la prière ? Il fallait quelque chose de différend par rapport aux précédentes coutumes connues des autres religions, puisque la religion était différente : comme on «disposait» du meilleur chanteur éthiopien , on l’a choisi , et on appelle à la prière 5 fois par jour. Un musulman peut prier n’importe où la terre est une mosquée… La mosquée = masjid , de masjada = se prosterner. Alors pourquoi le prophète a construit une mosquée ? pour des pratiques politiques, on y parlait de guerres de paix, de détails, c’était aussi une école, exemple El Azhar. Aujourd’hui on fait plus, des fêtes, des mariages , de la vie culturelle…. La prière est individuelle au niveau de la foi, profonde, la prière de la nuit est la plus profonde, le rôle de la prière du Vendredi est plus social. Pour les fouqahas, les docteurs des 4 doctrines , les musulmans croient que c’est le pilier fondamental. Il faut se souvenir qu’à la mort de Khadija, succède la mort de l’oncle du prophète, Mohammed était triste , et Dieu pour le consoler fait le « voyage nocturne »…c’est dans cette «visite» qu’il a donné l’ordre de la prière…histoire mythique, tous les musulmans le croient, le prophète a prié avec tous les autres prophètes… . Voir la sourate « Isra » et la sourate «L’étoile»… 3) la zakat de la racine zkâ = purifier,…purifier l’être et l’avoir…il y a zakât et sadaqa. Omar se comporte en vrai gouverneur: il arrange le détail de l’argent public, et du budget militaire. Il organise, il nomme les gens qui voyageaient et collectaient la zakât car l’Arabie possédait une richesse extraordinaire. Il décide de donner aux enfants une somme d’argent, il limite le nombre des soldats et il crée un système de vacances de 3 mois avec leurs familles , après avoir consulté les femmes de Médine qui ont donné leur avis …il fait un pacte avec le Patriarche de Jérusalem. Mais que fait on de la zakât ? si on interprète la sourate IX …on en donne aux non musulmans pour rapprocher leur cœur : Omar dit NON , on arrête , donc le texte du Coran est évolutif aussi. La zakât , c’est le cœur qui donne, on paie impôts et aumône à la fois. ( c’est pourquoi certains religieux veulent, de nos jours, interdire les impôts…). Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 79 /131 ====================================================================== In L.Gardet , L’islam , religion et communauté … « Payer l’aumône légale ou zakât « purifie » le croyant dans «l’accroissement» de ses biens. Quant au terme sedaqa , il évoque l’idée de justice. En hébreu la sedaqa désignait ce devoir religieux essentiel qu’était l’aumône pour l’israélite….Selon le contexte tantôt sedaqa sera synonyme de zakât et tantôt elle désignera l’aumône libre , les versets 58,12-13 emploient les deux termes, sadaqa au sens d’aumône volontaire et zakât au sens d’aumône prescrite… » ====================================================================== Plus tard les fouqahas vont donner les règles de zakât sur tous les biens qui ne circulent pas ,tels l’ or, l’argent, les terres…on a les détails pour chaque pays…La dîme est comparable à la zakât : avec la zakât les musulmans paient pour le développement de leur société. Coran IX, 104 …prélève sur leurs biens une aumône (sadaqa) par laquelle tu les purifieras et tu les repurifieras ! … Aussi Coran IX,80 La mendicité est interdite dans le Coran, on reconnaît le pauvre par son regard digne et c’est au riche d’aller chercher le pauvre. Le Coran dit à qui doit aller l’argent de la Zakât et de quelle manière donner, à 9 catégories, d’abord aux indigents, puis aux pauvres, puis à ceux qui travaillent pour le trésor public, puis les non musulmans pour les attirer, puis les garants , puis pour les « chemins » de Dieu, établissements scolaires, hôpitaux et pour eux on légitimise l’intérêt bancaire…. Et on doit donner de manière discrète, la main gauche doit ignorer ce que fait la main droite… Les 9 chemins ont changé pendant la vie de la communauté musulmane. Avant la fin de la fête du ramadan tout le monde doit donner à plus pauvre que lui…même le nouveau né compte, c’est laissé à la générosité de chacun ; Mohammed a dit, ceux qui ne paient pas la Zakat du ramadan, alors le jeûne ne compte pas. On donne ce qu’on a….La zakât est ouverte toute l’année, les juristes ont donné des détails, car le capital ne doit pas circuler seulement entre les riches,, l’or porté est interdit pour les hommes , le juge avait le droit de saisir la totalité d’une fortune qui ne circulait pas . Nasser a interrogé les Imans avant de nationaliser, son socialisme explique les nationalisations . L’Islam est plus socialiste que capitaliste….Mais aujourd’hui, dans les pays pétroliers on fait le contraire… Rechercher dans l’EI chacun des termes des 5 piliers . 4) Le jeûne Du verbe şâma = jeûner, le masdar = sawmun ou siyâmun. : cela veut dire s’abstenir de faire quelque chose. Le jeûne existait avant l’Islam, parfois de la même manière, parfois différend.. Pour l’Islam c’est ne pas manger , ne pas boire, pas de plaisir physique, durant un mois, le 9ème mois de l’année hégirienne. On pouvait faire la guerre pendant le mois de ramadan. Le Coran parle de deux sortes de jeune, 1)…» au cours des sourates mekkoises, mention est faite d’un jeûne voué au Seigneur par Marie le jour de la naissance de Jésus ( Coran XIX,26) . Mais ce sont les sourates médinoises, spécialement la sourate II, qui prescrivent l’institution du jeûne musulman. Comme pour les autres pratiques cultuelles, les hadîth d’abord, l’élaboration des écoles juridiques ensuite en précisèrent, à partir des bases coraniques, les conditions…»… 2)…au sujet de Zacharie, les anges lui disent , c’est une bonne nouvelle tu vas avoir un enfant et lui répond comment est ce possible, je suis vieux et ma femme est stérile…donne moi un signe…que tu ne parles à personne pendant 3 jours et 3 nuits… Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 80 /131 Les détails n’existent pas dans le Coran, quelques une dans la sourate II, CORAN II,179 à 183… « O vous qui croyez ! le jeûne vous a été prescrit comme il a été prescrit à ceux qui furent avant vous ( espérant que) peut être vous serez pieux…..»…. Le jeune est une obligation , «…le jeune vous a été prescrit comme il a été prescrit à ceux qui furent avant vous…»…on peut manger et boire …»…jusqu’à que se distingue pour vous le fil blanc du fil noir, à l’aube…» c’est pendant le mois de ramadan qu’ a commencé la révélation…» le mois de ramadan dans lequel on a fait descendre la Révélation comme direction pour les hommes…»… Au début le jeûne durait une journée entière de 24 heures et le prophète a trouvé cela difficile, puis on a interdit pendant 30 jours les actes sexuels, maintenant interdits dans la journée seulement . Rien ne doit entrer dans le corps, fumer par exemple, on doit se laver la bouche avant la prière, certains disent NON car une goutte d’eau pourrait tomber au fond de la gorge, d’autres disent que ce n’est pas un problème car il n’y a pas intention…Les fouqahas rapportent beaucoup de détails , il faut par exemple lire le Coran dans la journée, donner la zakat aux pauvres…on offre aux pauvres…il faut beaucoup donner pendant ce mois de ramadan. Il faut aussi chercher une raison sociale derrière le jeûne : on ne doit pas faire de mal , pas dire de mal, répondre éventuellement moi je fais le jeûne, Une fois que le soleil est couché il faut boire et manger, et ensuite prier…se souvenir qu’à l’époque on mangeait peu. Pendant la nuit de ramadan il y a des traditions : une réunion familiale, on récite le Coran, 1/30ème, la nuit était une belle occasion pour la prière, …on travaillait la nuit dans ces régions très chaudes , les cours à El Azhar se donnaient la nuit…à cause de la chaleur. Aujourd’hui, on mange trop, société de consommation , on s’éloigne de l’Islam. Il existe des exceptions en cas de mois très chauds, la femme enceinte, le malade, le vieillard, si prise de médicaments…le voyageur aussi peut être dispensé, mais les fouqahas ne sont pas d’accord sur les règles : quel type de voyage ? grand ? long ? petit ? chacun peut décider et très souvent on peut « rattraper »… A partir de quel âge ? les textes des fouqahas disent qu’il faut très tôt exercer l’enfant , à partir de 6/7 ans il peut commencer à jeûner jusqu’à 12 heures de suite, à partir de 7 ans l’enfant distingue le bien du mal, il doit faire ramadan dès qu’il est homme ou femme , en âge de se marier, notion élastique… Quand commence le mois de ramadan? …croissant…Lune….tradition de chants…les juristes donnent une condition = voir le croissant, deux hommes doivent venir voir le qadi et dire on a vu. Aujourd’hui mesures modernes et comme dans certains pays on ne peut pas voir facilement le croissant on prend la mesure du pays musulman le plus proche : en France on fait comme au Maghreb… A la fin du ramadan on doit donner de suite l’aumône aux pauvres…on donne à toute personne qui a besoin , la faim ne distingue pas entre croyants et non croyants….( voir zakat) 5) El Hajj, le pèlerinage. Ce terme demande une étude historique : il existe dans toutes les langues sémitiques. En hébreu il signifie «fête», en arabe classique hijja = 1 année , car on fait le pèlerinage une fois par an . L’histoire du pèlerinage est très ancienne et remonte aux cananéens. D’où nous viennent tous les détails qu’on nous donne aujourd’hui sue cette période ? Reste du paganisme ? Le pèlerinage existait avant l’Islam chez les arabes et chez les païens. L’Islam a voulu lui donner un sens différent. Mais il reste un coté de « paganisme » et c’est à ce sujet que les soufis ne sont pas d’accord. On doit prier et toucher la pierre : mais ‘Omar ne voulait pas la toucher …je la touche dit il parce que Mohammed le fait alors je fais… et les soufis disent que la pierre c’est de l’idolâtrie. Dieu n’a pas de maison , la maison de Dieu est le cœur des hommes., des fidèles. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 81 /131 Lire la sourate XXII , Le pèlerinage… « cette sourate serait mekkoise selon l’exégèse sauf les versets 20 à 24, qui seraient médinois…»…Appelle , parmi les hommes au Pèlerinage Ils viendront à pied ou sur toute monture au flanc cave. Ils viendront par tout passage encaissé, pour attester les dons qui leur auront été faits et invoquer le nom d’Allah à des jours connus, sur des bêtes de troupeaux qu’Allah leur a attribuées. Mangez de ces bêtes et nourrissez le miséreux et le besogneux…» Le pèlerin doit se comporter comme dans la tradition anté-islamique : un certain jour, sur le djebel Arafa à l’est de la Mekke, les mêmes habits qu’au jour du jugement dernier càd vêtu de blanc, épaule droite nue….Celui qui a fait le pèlerinage en revient comme si sa mère venait de le mettre au monde. On fait des sacrifices pendant le pèlerinage : c’est la fête du fith, ou Aïd el kebir,, la fête du sacrifice ‘aïd el ‘išra. Dans les livres des docteurs des 4 écoles Dieu ne reçoit rien de la chair des victimes, il attend la piété des hommes .En fait les sacrifices étaient faits pour nourrir les pauvres !!!Il faudrait encore retourner étudier Abraham : Seigneur envoie les cœurs vers eux et donne leur la nourriture. On fait ce geste de sacrifice à la maison pour faire comme les pèlerins. L’histoire du sacrifice remonte à Abraham, vois ancien testament, Israël , Ismaël…Est ce le reste des sacrifices d’humains par d’autres humains, ou est ce la fin de ce comportement ?Est ce que le sacrifice humain était arrêté avant ou cette histoire commence : lire Le Folklore de l’Ancien Testament par James FREIZER… Chez les peuples musulmans les hommes plongent leur main dans le sang et badigeonnent les murs : ça vient d’où ?…chez les sémites le sang était une forme de témoignage,… j’ai fait ce que Dieu m’a demandé de faire… En fait les pèlerins , au début, aidaient cette région : les pauvres de la maison sacrée de Dieu attendaient les pèlerins du monde entier : cette activité améliorait leur sort. Aujourd’hui , c’est le contraire :après le sacrifice on envoie la viande aux pauvres d’ Asie ou d’Afrique !!!Comme les pauvres de la maison de Dieu ne sont plus pauvres , mais immensément riches du fait du pétrole, peut on arrêter les sacrifices ? Quelques chercheurs le disent : On n’écoute pas , on continue d’appliquer à la lettre la tradition…On a aujourd’hui de nouvelles interprétations , par exemple on peut visiter toute l’année le lieu saint. Il faut avoir la possibilité matérielle de faire le hajj, càd la sécurité de le faire, subvenir aux frais du voyage, aux frais pour entretenir la famille restée au pays,… Tout musulman , homme ou femme, doit faire le hajj au moins une fois dans sa vie . Le pèlerinage coûte cher, aux pays pauvres, et l’argent va au pays le plus riche !!!Va t’on restreindre , voire interdire l’un des 5 piliers ??? Frais + vie + cadeaux , cela coûte une fortune, et cela pose encore une fois la question du stable et du variable dans l’Islam : on n’arrive pas à éclaircir, à distinguer. Lire ( traduit en français) ADÛNÎS : Le stable et le variable (Al Tâbit wal mutahawwil ) Mohammed la IQBÂL La modernisation de la pensée islamique Fatima MARNÎSÎ La femme et son statut en Islam Les penseurs disent que le comportement des intégristes est une fixation du stable. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 82 /131 II-8) La Loi ( fondements du droit ; écoles juridiques ; contenu et limites de la Loi) Loi = Fiqh Fiqh est un masdar infinitif de F.Q.H., racine trilitère, en arabe moderne faqiha = comprendre, donc fiqh = compréhension, savoir , intelligence. Avec l’arrivée du Coran beaucoup de mots passent d’un emploi sémitique à un emploi général comment est on arrivé là ? Dans le Coran on retrouve 30 fois ce verbe, dans des expressions , dans l’espoir qu’ils comprennent, si vous voulez comprendre… D’après un hadith le prophète avait un jeune cousin a qui il souhaitait sagesse et compréhension de la religion : c’est le premier faqih. Le Coran n’édicte pas toutes les règles : il voulait donner l’esprit et pas les détails. Tout est ouvert jusqu’à aujourd’hui. A l’époque il n’y avait pas le mot fiqh. Il y a quatre sources du droit musulman, Le Coran, La Sunna, tradition du prophète avec ses œuvres, sa parole . Parfois la foi, parfois la pratique et la vie économique et sociale, L’Ijmâ’ , le consensus, l’accord, Les Quyâs, l’analogie. Plus précisément, Le Coran, il faut revenir à l’analyse, la critique de l’interprétation : les hommes font parler le texte, La Sunna, il faut poser le problème de l’authenticité des hadith, certains étaient ponctuels , valables durant la vie du prophète, ‘Omar parfois n’était pas d’accord et les chiites utilisent ce point . Le prophète n’utilisait pas le mot fiqh. La sunna n’est pas stable, le prophète avait dit qu’il n’était infaillible que pour le texte du Coran. Il faut rechercher l’authenticité des hadith avec cette règle, a. foi =stable, b. vie économique =variable L’Ijmâ’, il faut poser la question de savoir comment arriver à un consensus unanime et pas quels représentants ? Va t’on laisser tout le monde décider ou une certaine élite ? Au début de l’Islam des gens pouvaient décider, le prophète avait désigné ceux qui iraient au Paradis…ils décidaient au coté du prophète mais comment définir les critères de représentativité depuis la mort du prophète ?, Le Qiyâs, ou raisonnement analogique au cas où l’événement d’aujourd’hui n’a pas d’équivalent à l’époque du prophète. Exemple, les intérêts bancaires , au début ils étaient permis. Au temps de Mahomet les riches prêtaient aux pauvres et si les pauvres ne pouvaient rembourser on prenait leurs filles comme esclaves…c’est pour cela que les hommes enterraient les filles vivantes ( pour qu’elles ne soient pas prises dans les razzias aussi)…Pour Mohammed Abduh on n’a pas les mêmes circonstances,, l’argent circule dans la société, l’argent revient, donc l’intérêt ne doit pas être interdit. Plus tard avec les banques la question est revenue. On commence à revoir les commentaires et interprétations du Coran, le Coran est très large, beaucoup de facettes, les interprétations ne sont pas stables. Or, on peut voir aujourd’hui ce qu’on ne pouvait pas voir hier. Le Coran Les règles du Coran sont minces , la source est faible, en quantité, puisque c’est la foi qui prime dans le Coran. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 83 /131 Pourquoi un verset est révélé ? qu’est ce qui est éternel et qu’est ce qui est variable ? Comment au XXIème siècle concilier foi et progrès ? La sunna La tradition : on pouvait dire la tradition de ma tribu et les hadith nous montrent que cela a encore cette signification aujourd’hui. On dispose de trois axes de la tradition du prophète : sa parole = qawl. C’est ce qui pose le plus de problème : même si on connaît tout on n’arrive pas à valider quand, comment, et si cela a été dit. A l’exemple du hadith apparu quand ‘Aïcha se battait contre ‘Ali « un peuple dirigé par une femme ne va jamais réussir »…On voit bien ici que le politique n’a rien à voir avec la šari’a , comment se fait il qu’on n’ait pas entendu ce hadith avant ? …certains prétendent que le prophète avait prononcé cette phrase à la mort d’un roi de Perse!…Il faut se poser la question de savoir si certains hadith qui concernent la vie sociale sont toujours valables , les chercheurs sont brimés…A l’époque le prophète parlait de palmiers parce que c’était la base de l’économie de l’époque, alors aujourd’hui doit on monter au sommet de la tour Montparnasse pour voir la lune ?…Il faut pratiquer l’adaptation avec la modernité = lâ îjtihâd ma’a al-nass ses actes = fi’l autre exemple , en Arabie Saoudite les fouqahas s’opposaient à la T.V.: on les a invité à dîner et pendant le dîner le roi a fait éloigner leurs grosses voitures climatisées et a fait placer des chameaux , quand ils sont sortis et ont réclamé leurs véhicules on leur a fait remarquer que les constructeurs de T.V. étaient les même que ceux des voitures…la T.V a été acceptée… son acceptation = taqrîr, le prophète a vu faire et n’a pas interdit. L’Ijma’ Qui fait l’Ijma’ ? Toute la société ? je suis d’El Azhar, j’ai voyagé….un collègue qui n’a pas voyagé croit Ghazzali infaillible : alors… lui ou moi…? Aujourd’hui 70 savants de toutes disciplines constituent le groupe d’El Azhar , avec un 2ème rang de femmes et d’hommes qui font de la recherche et travaux ponctuels….quel est le sens de leur avis ??? Il faut savoir qu’en Egypte 2 femmes sont ministres, aux affaires sociales et familiales…A partir de quels critères choisit on les membres de l’Ijma’??? Critères scientifiques, sociaux, spirituels, qui connaît les contextes économies….peut on avoir des membres non musulmans? ( dans le passé un des grands professeurs était copte, cela a existé…) Qiyâs On mesure par rapport à ce qui se passait à l’époque du prophète avec une règle qui dit si une question est illicite à 99% et licite à 1% alors elle est licite : Al’ aslu fia ‘ašya ‘alhil… Aussi, éloigner la punition quand vous avez une petite incertitude car l’homme est né innocent par nature. Exemple : dans une actualité récente, au procès d’un musulman qui recherche l’ijtîhad, savant qui étudie les textes, le qadi demande « as tu l’intention d’agresser l’Islam ? » et le musulman répond : non!, alors tout doit être fini ,après trois jours de réflexion, le savant doit être relaxé ( il est en exil aux Pays Bas) car il est dit :…. « si tu pratiques l’ ijtîhad et tu trouves ,deux compensations , si tu ne trouves pas , alors une compensation…». Autres exemples celui de ‘Omar et la lapidation, ou encore la théorie de l’abrogeant et de l’abrogé, il faut bien connaître l’ordre des textes Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 84 /131 Au début qiyâs simple : exemple l’héritage, le Coran dit une règle , un grand qadi a bouleversé cette règle. On a aussi arrêté la règle de couper la main en cas de vol…il arrivait à ‘Omar d’aller contre le texte coranique. Le Qiyâs révèle l’ijtihad , ou l’effort, effort de recherche de la foi ou les règles du droit musulman. Or, pas d’effort si on a un texte cette expression assassine tous les penseurs et c’est le nœud de la pensée islamique. Pour les chiites, leurs ulémas, l’ijtihad est ouverte , c’est un degré de savoir alors qu’il y a sur ce point de gros problèmes chez les sunnites .L’ijtihad doit être possible à l’intérieur des textes.. D’autres sources, non musulmanes sont introduites dans le droit musulman à partir de cette 4ème source : le prophète tenait aux qualités de tous les arabes, même païens, et il faut se poser la question de savoir si les règles existaient auparavant, depuis la Mésopotamie : un juriste doit étudier d’où ? Des historiens disent que deux sources sont non musulmanes , le droit romain et la culture persane. On le dit mais on n’a rien de précis :l’influence culturelle oui, la région était ouverte…Pour ce qui est des sources romaines ou persanes on ne sait pas qui à pris quoi à qui, mais pour Tolède et Palerme on sait (ex.= Pascal…) Mais en général sur les sources du fiqh personne n’a écrit rien de précis, certains historiens vont même jusqu’à remonter au talmud, mais avant le talmud il y avait l’ancien testament…. Mais le fiqh est à la frontière de nombreuses sciences, puisque fiqh = compréhension, on a le fiqh de la langue, celui de la sunna c’est à dire comment comprendre les paroles du prophète, et ainsi le fiqh couvre tous les phénomènes de la vie religieuse, politique et sociale : chaque doctrine l’emploie dans sa façon de voir. Le fiqh, ce sont les lois appliquées dans la vie spirituelle et religieuse, chaque école classe chaque œuvre selon trois points de vue les mérites les relations sociales l’application, le code pénal. Il n’y a pas un chapitre pour chaque domaine : par exemple tout ce qui est vie sociale , comment se comporter, quelle est la base stable ou la variable ? Les frontières entre le fiqh et la šari’a sont les causes de confusions aujourd’hui dans le monde musulman. Chaque terme utilisé a deux niveaux sémantiques, un linguistique et un scientifique mais le mot porte toujours le parfum de son premier sens jusque dans un domaine scientifique très spécialisé…. L’origine du Fiqh Comment le fiqh est né ? quelle est la première école au premier sens linguistique * au début de l’Islam, pour répondre aux questions posées par certaines situations il y avait l’esprit : on trouve la šari’a chez les juifs et chez les chrétiens. Après la mort du prophète ses compagnons ont utilisé deux axes , ra’y, ou opinion , qui devient un effort ou ijtihad ‘ilm, le prophète ou le Coran a dit et riwâya, on raconte ce qui a déjà été dit, et ra’y ou opinion qui devient un effort ou ijtihâd. Exemple : La prière, le Coran n’en donne pas l’ordre, mais plus tard le fiqh donne des détails et les fouqahas disent ce qu’il faut faire et ne pas faire : le Coran ne donne que 4 précisions pour la toilette avant la prière, le reste le prophète l’avait pratiqué alors les fouqahas donnent plus tard des détails et plus de perfections dans cette pratique. Au début il n’y avait pas de règles, il fallait les construire, et à partir de la pratique du prophète, de ce que faisaient ses compagnons, avec le ra’y on fait le droit musulman. Et avec le ra’y car le prophète de son vivant avait déjà changé certaines habitudes , c’est pourquoi il faut se baser sur les 5 qualifications des actes humains selon le fiqh , les actes permis, indifférents moralement, les actes prescrits qui se subdivisent en recommandés ou obligatoires et les actes condamnés subdivisés en blâmables et interdits, : wag’ib = obligatoire haram = interdit gâ’îs = permis, licite makrûn = blâmable, mal vu Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 85 /131 mustahab = recommandé, neutre L’ijtihad va bien avec l’analogie ou qiyas : on compare et si les mêmes conditions existent alors même jugement. C’est ainsi que va raisonner Mohammed Abduh au début du siècle pour autoriser aux banques la pratique de l’intérêt on considérait les intérêts pour interdits ( l’intérêt est le prix de l’argent rapporté au temps or le temps n’appartient qu’à Dieu , donc il n’y a pas de prix…) et on a interrogé les ulémas qui ont dit que c’est l’usure qui était interdit, les taux à 100%, et si ce n’est pas la même chose alors cela devient licite et Mohammed Abduh à la tête des ulémas a rendu licite les intérêts bancaires. * Ibn ‘Abbâs ( 13 ans à la mort du prophète) est le premier faqih. Comme on disait, si pas de précédent alors pas de réponse directe, il cherchait à forger sa propre opinion et , après lui, l’ansar Zaïd ibn Thabit est le deuxième faqih. A coté de ces deux premiers juges il faut placer ‘Ali : ‘Omar faisait appel à ‘Ali pour les cas complexes. Il est intéressant de citer quelques positions de ‘Omar en face du droit, * quand il fait cesser la pratique de couper la main pour un vol, ce qui est un ordre direct du Coran ( une année de grande sécheresse alors que des gens avaient faim il dit que les gens doivent manger, qu’il doit y avoir des conditions pour couper une main, que les gens qui volent et ont tout, alors, s’ils volent, doivent être sanctionnés car c’est l’exagération qui doit être sanctionnée, * quand il modifie la loi sur l’héritage avec son propre ijtihâd : il est écrit dans la sunna que si un fils meure avant son père alors ses enfants sont déshérités….deux fils qui ont perdu leur père sont allés voir ‘Omar….il leur redonne le droit à l’héritage, * quand il décide de ne pas donner la zakât aux non musulmans pour chercher leur faveur, il dit non, on ne donne plus et c’est une règle appliquée aujourd’hui encore… Les sources étrangères Que peut on dire des traces du droit musulman avant et après l’Islam ? Pour la culture l’influence est certaine, les deux tribus sur les frontières se défendaient contre les attaques des tribus arabes, les ghanassides ont été parmi les premiers arabes chrétiens et les termes de leur droit ont de longues relations avec l’Islam. De même en Irak, la culture akkadienne, le code Hammourabi, la loi du talion…Mais la base étrangère est implicite. Après l’Islam, Damas devient la première capitale arabe hors d’Arabie et les arabes ont laissé l’administration aux indigènes non convertis tels les syriens de culture byzantine : c’est de là que vient la source du droit gréco-romain par les convertis et la naissance du fiqh se fait dans un cadre musulman et une culture byzantine , surtout en droit administratif et commercial qui n’existait pas chez les arabes puisque tout se faisait par oralité : on commence alors à fixer avec un esprit arabe. De même pour la philosophie grecque traduite en arabe : les traducteurs adaptent.. On peut comparer le fiqh aux règles gréco-romaines, mais on a introduit l’esprit du droit musulman et l’influence de la réflexion musulmane, surtout le raisonnement = ‘ilm el usul el fiqh. Avec Shafi’i on commence à avoir des détails : la science est née au sein de la pratique de la vie quotidienne et ce n’est que plus tard que l’on a théorisé. De même, qu’il y aura accumulation successive de politiques après le prophète il y aura explosion des écoles d’interprétations du Coran qui allaient aussi vite que le fait politique : la base du fiqh de Damas est différente de celle de Médine plus conservatrice, et l’école de Couffa dépasse Médine…. On cite aussi la source du talmud, mais sans règle calquée, le Coran les qualifiait de gens de savoir et on dit aussi que l’église orientale a donné sa part à l’écriture du fiqh. Les fouqahas , Les écoles Dès les premiers siècles il y a de nombreuses tendances, des précédents, des maîtres et des élèves, des écoles sunnites et des chîîtes. Pour ne citer que quelques une de ces docteurs ou fondateurs, il faut retenir, selon un ordre à peu près chronologique : * Zayd Ibn ‘Ali ( mort en 122H/ 740), que l’on peut considérer comme le premier fondateur, le premier à avoir écrit un recueil entier sur le sujet du fiqh, sa doctrine est surtout chîîte, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 86 /131 * Abû Hanifa, ( mort en 148H/ 767), le premier grand docteur, sunnite , grande influence en Orient et Turquie actuelle en général, son élève très connu est Abû Yûsuf * Abû Yûsuf ( mort en 182H/798), on trouve chez lui des fatwas très ouvertes, plus avancées dans le raisonnement que son maître. A un collègue célèbre, Al Šaybâni, * Al Šaybâni ( mort en 189/805), * Sûfyâ ‘Al Tawrî ( mort en 161H/ 778), école de Couffa, a une particularité en ce sens qu’il cite la diversité des fouqahas avant lui dans son recueil avant ses propositions : il est beaucoup cité par Tabari. * El ‘Awzâ’i ( mort en 157 / 774), école de Damas, * Mâlik Ibn ‘Anas, ( mort en 179/495),le deuxième grand docteur, école de Médine, son père était compagnon du prophète, a laissé une oeuvre complète = Am Muwaţţa. Il a rassemblé tous les hadith du prophète relatifs au droit musulman, ouvrage traduit par J. BERQUE et donne une description très complète de l’organisation du droit musulman à Médine à son époque. Comme la coutume y était importante l’école malékite est celle des écoles qui tient le plus compte de cette source secondaire qu’est la coutume ( ‘urf), et accorde une large place à l’îjmaa et au recours du principe de l’utilité générale ( la maslaha) Ecole et doctrine majoritaire en A.F.N. et Sahara. * Sahnûn ( mort en 240H / 857) , a repris le travail de Mâlik, s’efforce d’expliquer ce que l’on accepte ou rejette , Tunisien, son enseignement est la base de l’enseignement du droit en A.F.N. à Tunis ou Fez. * Al Šâfi’î ( mort en 204H / 820) ,le troisième grand docteur, arabe de la tribu des Qoraïch, né à Gaza, il y fait ses premières études coraniques, étudie l’école malékite à Médine, puis va ensuite à Bagdad et là donnera explications et fatwas avec le souci de faire du droit une réponse à l’actualité. Son fiqh est donc écrit à Bagdad : à chaque question posée il écrit une lettre, une rissala, son œuvre est donc une compilation de rissalas, et va au fond de la philosophie du droit musulman : qu’est ce qu’il y a derrière la méthode du raisonnement juridique ? quels sont les fondements de la jurisprudence ? Il parle des sources de la connaissance. Son œuvre majeure est « ‘Ilm ‘usûl al fiqh » . Dans ce livre, que l’on peut traduire par le raisonnement du droit musulman, ( qui sera comparable à la muqaddima écrite plus tard par Ibn Khaldoun),il répond aux fouqahas contemporains Il est connu pour sa préférence du relationnel plutôt qu’à la transmission des anciens. Ses idées vont évoluer lorsqu’il émigre en Egypte dans la deuxième partie de sa vie : par rapport à ce qu’il avait énoncé en Irak il modifie des fatwas, et quand on lui en fait la remarque il répond que l’Egypte est l’Egypte et l’Irak est l’Irak !…il y a donc deux sortes de décisions, les anciennes (Irak) et les nouvelles (Egypte). Il était contemporain de Nafîsa ( fille de l’imân Hussein et petite fille de Fâtima), elle aussi juriste et qui donnait des leçons de fiqh : il existe des dialogues intéressants entre Nafîsa et Al Šâfi’î .. Les soufis ont une adoration particulière pour Nafîsa. * Ahmad Ibn Hanbal ( mort en 241H / 855) , le quatrième grand docteur, a créé l’école sunnite du fiqh hanbalite. C’est un des disciples de Al Šâfi’î et contemporain du calife Al Ma’moun. : il vit donc à une époque d’ouverture extraordinaire de la pensée et donc, il réagit. Comme le calife avait posé la question à tous les intellectuels de savoir quelle était la naissance du Coran et la nature de la révélation (…le Coran est il parole divine ?…est ce que la tablette gardée contient toutes les paroles divines qui ont toujours existé ?…y a t’il autre chose que Dieu ?…on a vu dans un cours précédent comment la question est reprise au XVIè par Sûyûti), Ahmad Ibn Hanbal refuse de répondre et El Ma’moun le jette en prison. Puis il devient connu, et diffuse sa doctrine . Il n’apporte pas de créativité, et crée une ligne conservatrice dans l’histoire du droit musulman, inaugurant une lignée avec Ibn Taymiyya, puis Mohammed El Wahhab, avec, chez ce dernier, une tendance encore plus ferme : il était outré qu’il y ait dans son entourage une tribu qui vénérait un palmier et a appelé à une révolte religieuse contre ce regain de paganisme, prônant un Islam « à la lettre »….on s’habille en blanc car le prophète s’habillait en blanc ( il le faisait à cause de la chaleur, c’est connu qu’il vaut mieux porter du blanc qu’une couleur sombre dans les pays chauds) , le prophète avait plusieurs femmes, donc la polygamie est un devoir….Ce sont ces wahhabites qui vont s’associer aux Séoud , tribu de la région d’Hafar El Batin, pour fonder de 1901 à 1930 ce qui est aujourd’hui l’Arabie Saoudite , et grâce au pactole du pétrole découvert depuis ils « inondent » le monde de leur idéologie… Depuis cette période on assiste à la naissance de deux courants de pensée , l’une conservatrice, l’autre rationnelle. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 87 /131 Le fiqh et la šharî’a Quel est le sens du mot šharî’a ? , Dérivé de la racine trilitère šara’a = tracer un chemin , une direction ( à partir de cette racine on a le mot rue d’aujourd’hui = šharî’) ce terme signifiait au moyen-age celui qui trace et par extension celui qui émet une loi. Dans le Coran le sens est faire une religion en général : mais quelle est l’origine de ce terme ? quelle est son évolution ? On parle de šharî’a de Moïse, de šharî’a du prophète, …les 10 commandements, ….le chemin où le judaïsme marche…la šharî’a des zoroastres, le Coran reconnaît l’athéisme comme une « religion » … « je n’adore pas ce que vous adorez, vous avez votre religion…», on admet en quelque sorte qu’une croyance est une religion…les premiers commentateurs parlaient aussi de la šharî’a du Christ . Nous devons chercher le mot dans de nombreuses références : dans le Coran šharî’a = religion et pas droit. Les ordres licites ou non licites sont peu nombreux dans le Coran et appliquer la šharî’a c’est appliquer la religion, pas la loi.. Etudions ce terme dans les trois environnements religieux originaux : le fondateur de la théologie juive , au Xè , Gâ’on El Fayyûm a écrit en judéo arabe ( langue arabe écrite en caractères hébraïques) la traduction arabe de l’Ancien testament dans le but de défendre le judaïsme d’une guerre entre deux écoles juives et il utilise largement le terme šharî’a, avec le sens de religion et parfois de droit, l’Eglise orientale, avec des Evangiles écrits en langue syriaque ou araméenne utilise aussi le mot šharî’a dans le nouveau testament avec le sens de christianisme en général, dans la littérature musulmane le sens du mot s’élargit et il devient synonyme de fiqh , ce qui fait confusion. Est donc que šharî’a = loi en Islam ? Pas toujours. Et dans les recherches modernes, depuis un demi siècle on cherche à redéfinir ce mot. La šharî’a peut être l’esprit général du texte du Coran, l’étude du texte entier pour dégager la guidance, la bonne orientation. Dans le Coran il y a des limites fermes et directes et un espace libre, cela veut dire que la société musulmane peut bouger mais à l’intérieur de limites, et šharî’a ne veut pas dire obligatoirement loi mais aussi esprit ( rûh eš šharî’a). Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 88 /131 II-9) La question de l’autorité : le califat selon Mawardi. Nous allons traiter du pouvoir et de la théorie du pouvoir dans le monde musulman , c’est à dire nous poser la question de savoir depuis quand et comment les juristes ont jeté les bases théoriques d’un pouvoir dans la communauté musulmane, pourquoi faut il un calife ?, quel est le rôle des 4 sources dans la notion pouvoir ? Ce sujet est encore d’actualité : au XXème ‘Ali ben Razid, dans son ouvrage « Islam et fondements du pouvoi » développe la thèse selon laquelle califat n’est que succession et qu’il n’y a aucune fierté à retirer du fait d’être calife ! On va donc parler de plusieurs époques et de l’homme qui a laissé la première œuvre sur ce thème , Abû l-Hassan ‘Ali al-Mâwardî I) Abû l-Hassan ‘Ali al-Mâwardî Est né à Bassorah en 364H (974) et est mort à Bagdad le 30 rabi’ al awwal de 450H ( 1058) à l’âge de 86 ans. Son père fabriquait de l’eau de rose , et il a travaillé avec lui, d’où ce nom puisque mawârd = eau de roses. A cette époque les savants ne gagnaient pas leur vie avec leurs études et exerçaient une profession. Il fait ses études à Bassorah et plus tard à Bagdad, puis sera nommé professeur et juge dans divers grandes villes de la région avant d’être nommé Juge suprême. C’est un faqih de la doctrine šhafi’ite, donc un sunnite. Il exerce au moment où les problèmes commencent à Bagdad, c’est le début de la décadence du pouvoir califal donc le moment où l’on commence à réfléchir et celui où le pouvoir califal veut faire comprendre son pouvoir. Il est contemporain de deux califes Al-Qâdir ( le puissant…dans les moments de faiblesse on cherche des titres impressionnants, longs, majestueux, et on s’en moquait à Cordoue, en plaisantant à la manière de la fable du chat qui veut ressembler au lion… 991-1031) et Al Qâ’îm ( 1031-1075)… Ces deux califes vont s’intéresser au juge suprême et lui confier des missions de grande importance, diplomatiques ou politiques : on retrouvera donc son expérience dans ses écrits , à la manière d’Ibn Khaldoun dont le savoir étendu et profond était puisé dans les missions qu’il exécutait en Orient pour ses maîtres maghrébins. Les califes profitaient notamment de son expérience pour les négociations avec les bouyides., dynastie de Bagdad qui réclamait le pouvoir aux califes. Abû l-Hassan ‘Ali al-Mâwardî a laissé de nombreux ouvrages , le plus intéressant de nature religieuse puisque c’est une interprétation du Coran du point de vue juridique ( selon les auteurs le Coran est « interrogé » au sujet de la linguistique , la langue du Coran, de la grammaire, de l’histoire….) . C’est ouvrage est « ‘Al Nukat Wal ‘uyour ». Mais du point de vue de l’autorité son œuvre majeure est al-Ahkâm al-sultâniyya : c’est la plus connue II) al-Ahkâm al-sultâniyya La traduction française de cet ouvrage est de E. FAGNAN sous le titre «Les statuts gouvernementaux» Publié à Alger en 1915. et réédité en 1982 : il faut lire cet ouvrage . Il pose la question du pouvoir par rapport à la pensée islamique ou avec le fond de l’Islam. Son idée maîtresse est que l’Islam est un pilier du pouvoir : c’est à cette époque la première fois qu’une telle analyse est tentée. L’ouvrage comporte 20 chapitres, de 2 à 5/6 pages chacun , précédés d’une introduction : * L’introduction : il annonce son principe de base, Dieu exige un homme, l’Iman, qui remplace la prophétie et avec qui Dieu renforce la religion : Dieu lui donne les clés de la politique pour que sa réflexion vienne de la religion, et à deux niveaux celui de la communauté en général et celui des régions en particulier. * Chapitre I) il traite du contrat de l’Iman entre lui et sa communauté. L’Iman est nommé par les gens de savoir, les ‘ulémas, qui lui doivent allégeance, * Chapitre II) il traite de la nomination des vizirs dans chaque diwân ( à noter que le terme vizir a donné ministre, mais que sa signification première = surchargé a fait qu’il n’est pas retenu au Maghreb où on lui préfère le titre de secrétaire d’état ). Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 89 /131 * Chapitre III) il traite de la nomination des princes dans les régions et pays de l’Islam. * Chapitre IV) il traite de la nomination de l’émir du Jihad, c’est à dire, de la guerre sainte, terme problématique : s’agit il d’une guerre défensive ? * Chapitre V) il traite de la nomination d’un prince pour la guerre à l’intérieur des frontières * Chapitre VI) il traite de la nomination des qâdis des villes * Chapitre VII) il traite les cas d’injustice et des principes pour défendre la justice. * Chapitre VIII) il traite du contrôle et de la défense de la classe privilégiée. * Chapitre IX) il traite de l’Iman pour la prière, et pour la prière seulement, ce domaine est bien précisé : c’est quelqu’un qui dirige la prière. * ChapitreX) il traite de la nomination par le grand Iman du prince qui dirige le pélerinage, à charge pour lui de nommer à son tour dans chaque région un autre prince. C’est l’Emir el Hajj , chargé de la préparation spirituelle et matérielle du Hajj, et, au départ, de l’aide aux pauvres de la Kaâba et de la confection du drap brodé d’or qu’on changeait tous les ans et qui la recouvre. Ce prince était donc responsable un an , jusqu’au retour du pèlerinage. * Chapitre XI) il traite de la sadakkat et de la nomination du prince chargé d’établir les listes de ceux qui devaient recevoir selon les règles édictées par la sourate 9 : en quelque sorte un ministre du Trésor public * Chapitre XII) il traite de la nomination de celui qui injecte dans le Trésor public le butin et définit les règles d’affectation. Le prophète par exemple avait 1/5 du butin ( car on ne versait pas la sadakkat au prophète)…et les chîîtes continuent ce principe * Chapitre XIII) il traite de la dîme ou jazîya : au début les musulmans obligeaient les non musulmans à payer une dîme et cela va évoluer : par exemple, en Egypte dès qu’un homme non musulman pouvait s’enrôler dans l’armée il n’était plus assujetti à la jazîya mais Mâwardî était sévère sur ce point, dominé par les circonstances politiques autour de lui. La question qu’il faut poser à ce sujet est la situation des règles précises de la dîme dans l’ordre des sourates en fonction des règles de l’abrogation : or la science de l’abrogation est très délicate, difficile à comprendre, peu enseignée. Qu’est ce qui abroge quoi ? al nâsih, l’abrogant et qu’est ce qui est abrogé ? al mansûh, l’abrogé à l’époque de Mâwardî comment voyait on cette science ? Mâwardî était juriste et on retrouve chez lui beaucoup d’obligations aux non musulmans * Chapitre XIV) il traite des différentes règles juridiques propres à chaque société : à l’époque on recevait à la capitale les jugements et fatwas de toutes les régions pour les comparer avec ceux de la capitale. * Chapitre XV) il traite de la mise en valeur des terres désertes et de la recherche de l’eau : un individu qui sauve une terre morte en devient propriétaire à certaines conditions * Chapitre XVI) il traite des domaines protégés pour un emploi public. Exemple l’eau , personne ne peut prendre l’eau pour son seul usage. Il faut en effet garantir la subsistance à chacun sinon on admet le principe du vol. C’est ainsi qu’il est décidé que chaque homme de la communauté a le droit de sa part dans 3 domaines , l’eau, les herbes et le feu. Si , dans l’un des ses domaines quelqu’un dépasse les limites, l’état a le droit de confisquer. On comprend pourquoi Nasser s’est adressé aux ‘Ulémas quand il a voulu nationaliser le canal de Suez , mais, curieusement, on n’applique pas cette règle au pétrole !!! * Chapitre XVII) il traite du droit foncier, du droit de la propriété de la terre , des limites et conditions d’achat ou de location… * Chapitre XVIII) * Chapitre XIX) * Chapitre XX) ========================================================================= in «Les hommes de l’Islam» de Louis Gardet …«…certains tableaux de philosophie sociale et politique ne sauront pas toujours distinguer entre les principes régulateurs, qui sont stables, et les réponses données à des problèmes immédiats, qui restent contingentes. Un excellent exemple nous en est fourni par al-Ahkâm al-sultâniyya de Mâwardî( Xème-XIème siècle). L’ouvrage est célèbre. Il garde aujourd’hui encore sa valeur normative dans les références de l’Islam sunnite….or, d’une Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 90 /131 part, les Ahkâm al-sultâniyya tracent une authentique silhouette de la Cité musulmane type, de ses principes régulateurs et de ses ambitions ; mais quand ils entreprennent d’en définir les rouages, c’est en se référant aux réalisations du grand siècle, aux débuts de l’ère abasside…Si une synthèse analogue, aussi fortement charpentée, voyait le jour à l’époque actuelle, les principes régulateurs resteraient sans doute les mêmes, sans que rien n’oblige à maintenir les lois financières du Xème siècle ou ces charges politico-religieuses de l’Iman, du qâdi, du mufti, telles que Mâwardî se plaît à les décrire jusque dans les détails. Il faisait ici oeuvre d’historien , non plus de philosophe du droit…» ========================================================================= III) Commentaires Cette œuvre complète , doctrine sunnite , traitant du pouvoir est l’aboutissement de plus de 4 siècles d’évolution de la pensée musulmane et révèle l’histoire de cette région sur cette longue période : il faut remonter à la succession immédiate du prophète. Le point primordial de l’histoire de l’Islam est la grande discorde après l’assassinat d’Othman : premier compagnon du prophète , gendre du prophète puisqu’il a épousé deux de ses filles, or, il est assassiné !. Le Coran sera t’il menacé après les conquêtes puisqu’il existe 10 scribes , autant de manuscrits différents, avec des nuances qui posent problème aux convertis car ils ne maîtrisent pas les nuances de la langue arabe. D’autant que le texte du Coran est difficile …« nous allons te révéler une parole divine lourde…»… Cet assassinat laisse des questions difficiles à traiter : le politique ne sera compris en Islam que lorsqu’on reviendra étudier cette question, celle du pouvoir, pas de la morale. On se pose immédiatement après deux questions , qui est musulman ? qui est infidèle ? qui est le pécheur ? quels sont les péchés impardonnables ? ceux qui ont tué ‘Othman peuvent ils être considérés pour musulmans même s’ils appliquent les règles des piliers de l’islam ? quelles sont les limites de la communauté de base ?… quelles sont les règles du pouvoir qui limitent le califat ? Les kharedjites s’opposent à leur Iman , ‘Ali : pour eux les règles du pouvoir relèvent de la morale . Celui qu’on choisit pour diriger la communauté doit être pieux. Le terme chîîte = partisan , devient un terme politique , mais aussi religieux.. Pour les sunnites le pouvoir doit être à un arabe et ils trouvent un hadith … « obéissez à celui qui vous dirige même si c’est un esclave éthiopien…», donc le calife peut être perse, berbère, mamelouk ( à Istanboul les califes étaient turcs)… Outre l’appartenance à la communauté musulmane il n’y a qu’une condition pour être calife : ordonner le bien et interdire le mal Mais pour le Coran et les sunnites le calife est avant tout un croyant : alors, jusqu’à quel niveau peut on le laisser faire ? a quel niveau peut on se révolter contre lui ? Et plus personne n’est d’accord sur les réponses. Le prophète disait que si un homme passait une nuit sans manger alors la société était entièrement ( in solidum ???) en état de péché : le riche devait aller vers le pauvre. Au XXème siècle , pour justifier le socialisme arabe, on va chercher l’exemple d’un contemporain du prophète Abû Darr : il n’hésitait pas à contredire ‘Othman, il légitimait le pouvoir des pauvres contre les riches et symbolisait l’action des hommes qui dépouillaient les riches et leurs caravanes pour distribuer leurs biens aux pauvres. Le prophète lui avait prédit qu’il serait exilé : il le sera par ‘Othmann qui ne supportera pas ces critiques et finira dans la misère…Il y a deux manières de traiter l’opposition , l’or ( on achète ses adversaires) ou l’épée ( on coupe la tête ou on exile…). Après ‘Othman c’est encore ce que fait Mo’awiyya en levant la main de son fils Yazid qu’il présente pour successeur , Yazid ou l’épée !!!…. Puis on se posera la question de la problématique entre l’état et la religion mais Mâwardî , à partir du Coran et de la sunna légitime l’état et donc le calife pour faire régner les prescriptions coraniques sur terre. Chez les chîîtes, l’Iman de la prière ou le grand Iman est un héritage divin qui vient du prophète…« je suis la vie du savoir…» et les héritiers d’Ali sont des savants . Un iman, comme ‘Ali, est infaillible , il a un savoir intérieur et non extérieur c’est la différence entre Averroès…le savoir est acquis par les Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 91 /131 écoles, les maîtres ,le prophète a dit de rechercher le savoir partout où il se trouve jusqu’en Chine , or il n’y a pas de musulmans en Chine et Ghazzalî…le savoir est divin, craignez Dieu , il va vous apprendre . Chacun prend des sources dans le Coran pour des thèses opposées. Derrière l’oeuvre de Mâwardî apparaît une grande discorde: les abassides , victorieux des omeyyades sont accusés de racisme persan contre les arabes les omeyyaddes sont accusés d’avoir installé un pouvoir royal et d’avoir détourné le Coran . Or le Coran dit que la reine de Saba recevant le roi Salomon aurait déclaré que quand les rois entrent dans une ville ils font la corruption partout…mais c’est la reine de Saba qui parle , ce n’est pas Dieu, est ce une parole divine ??? et les Abassides ont besoin de réveiller le mythe du calife pour asseoir leur pouvoir. Mais n’y a t’il pas derrière le mythe du califat celui aussi du retour à l’Islam ? Nous verrons donc ensuite la réponse chiite au problème de l’autorité Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 92 /131 II-10) La question de l’autorité : les thèses Chiites Nous allons étudier l’imamat chez les chiites, imamites et pas ismaéliens Au coté des quatre écoles sunnites existe une doctrine chiite : si on étudie le fiqh de Ğa’far Al Şâdiq le point divergent est la question du califat , le problème du pouvoir. D’où vient le pouvoir ? de Dieu ou du prophète? C’est le problème et la différence entre les sunnites et les chiites. Selon un hadith … « la théorie du savoir est divin et vient de Dieu, craignez Dieu et Dieu va vous apprendre…» On sait que chez Averroes le savoir est humain : seul le prophète a la révélation. I) Les Imams chiites Ğa’far Al Şâdiq est le sixième parmi les douze: la doctrine chiite professe que seuls les descendants du prophète peuvent être califes légitimes et du fait des décès des autres descendants du prophète seuls les descendants de sa fille Fatima et de son époux ‘Ali sont des califes légitimes, soit I)’ALI ! ! -----------------------------------------------------------------------------! ! II) El Hassan ( mort en 669) III)El Hussein ( mort en 61H-680) ! IV) ‘Ali Zein Al Abidîn ( mort en 94H-712) ---------------------------------------------------------! ! Zayd(1) V) Mohammad El Bâqir (mort en 114H-731) ! ! VI) Ğa’far Al Şâdiq ( mort en 114H- 765) ---------------------------------------------------------! ! ! ! Ismâ’il (2) VII) Mûsa Al Kazim ( mort 183H-799) ! VIII) ‘Ali Al Ridâ ( mort en 202H-818) ! IX) Mohammad El Ğawâd (mort en 220H-835) ! X) ‘Ali El Hâdi ( mort en 254H-868) ! XI) Al Hassan El ‘Askari ( mort en 260H-874) ! XII) Mohammad El Muntazar dit Al Mahdi (disparu en 260H-878) Le premier est donc ‘ALI : le gendre du prophète, le meilleur cadi, le premier enfant islamisé puisqu’il a adopté l’islam à l’âge de 9 ans, pratiquement adopté par le prophète, homme valeureux dans les batailles…D’après un hadith le prophète a dit : … « Je suis la cité du savoir et ‘Ali est sa porte »… Les trois premiers califes reconnaissaient en ‘Ali le plus grand cadi, de façon indiscutable. Le deuxième , son fils El Hassan, que Moa’wiyya fera empoisonné par sa femme en lui promettant par la suite de la faire épouser par son fils Yazid, promesse qu’il ne tiendra pas, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 93 /131 Le troisième, est aussi un fils de ’Ali, assassiné à la bataille de Kerbala , considéré comme le maître des martyrs,. Puis , de fils en fils , le sixième Ğa’far Al Şâdiq est le premier faqih et le fondateur du fiqh chiite. Enfin le douzième, Mohammad El Muntazar Al Mahdi serait né en 256H et mort en 260H , à l’âge de quatre ans, jeune mais grand au niveau spirituel, on l’appelle le mahdi, le bien guidé par Dieu, c’est celui qui reviendra pour gouverner…même idée que celle du messie, idée récurrente chez les peuples de l’époque, produit de la souffrance et de l’injustice, on attend quelque chose sur cette terre ! II) Ğa’far Al Şâdiq Il complète la doctrine chiite au point que l’on parle de doctrine ğaffarite ou , parfois, de fiqh chiite imamite . Dans l’histoire d’El Azhar deux Imams ont travaillé sur l’étude comparée des doctrines chiites et sunnites et disent que le droit musulman chiite est bien accepté des sunnites : c’est un point qui revient régulièrement à l’ordre du jour. Ğa’far Al Şâdiq était contemporain d’El Mansour, le fondateur de Bagdad. Les chiites s’intéressent à la notion de pouvoir après l’assassinat en 126H du descendant omeyyade Marwan II: mais Ğa’far Al Şâdiq est prudent, de peur d’être assassiné . Il ne veut pas faire de politique et se consacre au savoir . Mais les chiites veulent proposer un calife , et les mo’tazilites demandent à Ğa’far Al Şâdiq de proposer pour le califat Mohammad Ibn ‘Abdallah , connu pour être une «âme pure» , d’où le dialogue entre ‘Amr……………. Le représentant des mo’tazilites et Ğa’far Al Şâdiq : A…les gens de la Syrie ont tué leur calife, nous devons profiter de cette chance , es tu d’accord…? Ğ…si le pouvoir arrive aux mu’tazilites sans aucune violence, alors comment allez vous établir le pouvoir ?… A…par la shûra (3) Ğ …donc toute la communauté, la shûra dans son ensemble… A…oui Ğ ..donc de toutes les tribus, Koreïchites ou pas , et arabes ou pas …. A…oui, tous, arabes et non arabes… Ğ…alors as tu accepté comme calife Abou Bakr et ses successeurs?…et la décision d’’Omar ? A…oui Ğ …acceptes tu ce qu’il a fait A…qu’est ce qu’il a fait? Ğ…Il a nommé 6 personnes pour choisir un calife qui lui succède, dont son fils qui lui même ne pouvait pas être nommé calife , il leur a donné trois jours pour désigner un calife , faute de quoi ils devaient être tués en cas d’échec , acceptes tu qu’on refasse pareil ? A…Non Ğ …Et qu’allez vous faire avec les infidèles? A…on va les appeler à l’Islam pour qu’ils paient la jazîya Ğ…et vous ferez ainsi même pour ceux qui ne sont pas des gens des écritures ? A…Oui Ğ …alors crains Dieu car mon père a dit:…celui qui frappe avec son épée pour chercher le pouvoir….seul le plus savant peut choisir, pas l’arme…. III) LES DYNASTIES CHIITES A plusieurs reprises les chiites auront le pouvoir : 1) Au Maroc: au 2ème siècle de l’Hégire, l’état des Adarissa : Idriss Ier est d’origine égyptienne , son nom dérivé de celui d’un prophète Idriss El Abdillah….les marocains sont allés chercher un descendant du prophète ( son père était mort pendant le voyage d’Orient vers le Maroc et sa mère, enceinte a enfanté ce garçon), Moulay Idriss qui sera reconnu par plusieurs tribus…son fils Idriss II étend le territoire de ce petit royaume, organise un gouvernement central, popularise l’Islam et fonde Fès en 809 , capitale du premier royaume musulman du Maroc. Mais les rivalités de palais nourrissent une anarchie généralisée et, pendant le siècle suivant, les énergies tribales se consument au Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 94 /131 service des califats rivaux de Cordoue et du Caire qui se disputent le monde musulman et le contrôle de la route de l’or du Soudan… 2) Au Yémen et dans le Golfe : l’état de Hassan Bin Zayd 3) Au 3ème siècle de l’hégire, un état au Khorazan, un état ismaélien d’abord à Tunis, puis Egypte puis Yémen : Citons, Al Kassim, Ibn Brahim ( 246H/……) …la zaydia Kasimiyya va durer jusqu’à la création du Yémen en 1962… 4) Au 4ème sicle de l’hégire un état zaydite en Irak et Iran avec Chiraz pour capitale : Banû Bowayh de 324H à 447H ( 945 à 1055)… 5) un petit état chiite à Alep de 37H à 358H, avec Banû Hamdân Halab, chiite imamite qui avait un rôle important car ils étaient les grands défenseurs devant les byzantins . Dans cet état on reconnaît El Fârâbi, le deuxième maître…. 6) pendant le 5ème siècle de l’hégire, un état chiite Banû Hammûd en Espagne musulmane ( 407H à 447H ), continuité du royaume des Adarissa du Maroc…. 7) Au 6ème siècle de l’hégire un certain Ibn Tûmart, berbère qui se prétendait d’origine arabe, avait fait ses études en Orient , élève d’El Ghazzâlî, crée la dynastie Almohade….on le priait la vendredi comme « le mahdi connu », et dans son état les chiites gouvernaient une population majoritairement sunnite. Il reste beaucoup de recherches à faire pour connaître l’évolution du fiqh dans ces états. 8) Puis l’état fatimide qui débute en Tunisie en 198 H avec Abdallah Ibn Mimoun Al Qaddâh qui avait fui l’orient et préparait un état pour Abdallah El Mahdi en Tunisie , avec la capitale El Madhdiya pas loin de Kairouan : puis son fils Al Mu’izz prend le titre de fatimide et avec son armée commandée par un général sicilien envahit l’Egypte et Fostat le 07/07/969 et crée au N.E. de cette ville la ville du Caire, avec d’ailleurs une architecture d’inspiration maghrébine…. Al Azhar est la première école chiite reconnue en juin 973 on y fait la 1èere prière…puis les fatimides règnent en Orient mais advient la rebellion Druze , et El Hakim le calife sanguinaire fondateur au Caire de Dâr al-‘ilm mais aussi celui qui détruit les églises , tue un prêtre copte, tue sa demisœur…..et malgré la remise en ordre de l’état ensuite par Ibn Kelles, l’arrivée de Saladin stoppe cette dynastie : l’Egypte ne peut pas être chiite et Al Azhar sera fermée une dizaine d’année…. IV) L’IMAMAT ( ou le califat) Une fois encore il faut faire attention à la terminologie : le mot imam en France est mas utilisé, mal compris , c’est celui qui dit la prière, le juriste , le docteur de la loi….Il faut redéfinir les termes. L’imamat peut être une institution du prophète pour les questions religieuses ou une willaya pour la gourvernance politique , ou les deux à la fois.. Chez les chiites , c’est les deux à la fois Chez les chiites , les imâms sont des descendants du prophète par Fatima avec pouvoirs politiques et religieux alors que pour les sunnites n’importe qui est arabe peut détenir le pouvoir de calife. Un koraïche peut être élu par les musulmans dans une shûra correcte avec allégeance mais Shâfi’î , Mâlik et Hanbal disent que si un arabe prend le pouvoir par le force il doit ensuite demander l’accord alors que Hanîfa n’accepte pas cette thèse Différence pour les chiites, puisque la communauté doit accepter l’Imam puisque c’est Dieu qui le nomme, il n’y a donc pas d’accord à demander, c’est la théorie de la Al Wasiyya, l’Imam est nommé par le testament de ‘Ali, et chaque Imam nomme son successeur avant sa mort, la communauté est préparée à accepter cela.. Dieu a nommé ‘Ali et a ordonné au prophète de nommer ‘Ali après lui, et la communauté n’a pas le droit de refuser : on ne refuse pas le Coran. C’est un point de désaccord avec les sunnites et ce désaccord débute à la mort du Prophète. chiites Dieu nomme un Imam On ne peut rester sans Imam : … « il vaut mieux un siècle entier avec un Imam injuste qu’une heure sans Imam juste… » sunnites C’est le devoir de la communauté de nommer le calife Autre vision pour les kharedjites , l’imamat n’est pas obligatoire Chez les Mo’tazilites le califat ou imamat est valable pour l’ensemble de la communauté et doit être réalisé par des élections libres et ils ne veulent pas un koraïche , pour pouvoir l’exclure s’il s’avère être Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 95 /131 injuste : c’est un moment important de la pensée islamique dont il faut aller chercher les traces dans la littérature et la poésie , seuls domaines qui ne soient pas sous la pression califale . Ne pas oublier que les fouqahas écrivaient sous les yeux de leurs maîtres! Ğa’far Al Şâdiq dit qu’avant sa mort l’Imam doit présenter son successeur et que Dieu a donné obligation à la communauté des musulmans d’observer 5 obligations , la prière, la zâkat, le jeûne, le pèlerinage, l’Imamat des descendants du prophète. Dieu peut pardonner celui qui abandonne un des quatre premiers devoirs mais il ne pardonnera à aucun musulman l’abandon du cinquième principe de l’imamat.. Pour les chiites il n’y a pas tout dans le Coran et il faut rechercher les particularités dans le domaine des hadith …» « celui qui est mort sans imam est mort non musulman…»: Les chiites n’ont pas cherché dans les débuts de l’histoire musulmane le pouvoir et l’état : contre les omeyyades ils choisissent l’Imam du savoir. Les zaydites demanderont à Ğa’far Al Şâdiq de devenir Imam mais il refusera et se cantonne au domaine du savoir : il attend qu’on vienne discuter avec lui. Les chiites disent que ‘Ali méritait le califat et quand on leur demande pourquoi il a alors accepté Abou Bakr et ses successeurs ils répondent que c’est par sagesse au début de la naissance de la ‘Umma il ne voulait pas entraver le développement et l’unité de la communauté : à partir de cette sagesse débute une théorie de la séparation des pouvoirs en deux branches , le savoir, le politique, et le savoir chiite est reconnu par les sunnites. Les chiites ont une cinquantaine de hadith pour désigner ‘Ali calife, mais le problème de ces hadith est qu’il en existe deux versions , chacun a sa thèse : Exemple: … « Je laisse parmi vous deux choses , la parole de Dieu et………. …..mes descendants…» pour les chiites, …. ma tradition………» pour les sunnites Les chiites ont des hadith reconnus, Exemple : en revenant du dernier pèlerinage le prophète s’arrête à Koum, donc la 10ème année de l’hégire ( la fête de l’Aïd el gadir) et dit … « je vous ai donné une religion, l’Islam….»….et l’interprétation chiite est … « je laisse parmi vous la parole de Dieu et mes descendants…» ce qui signifie , puisqu’on ne peut mieux comprendre que le prophète, que paroles et descendance ne vont jamais se séparer. Autre hadith : …« Dieu est mon maître et moi je suis le maître de tout croyant…» et le prophète prend la main de ‘Ali et dit:… « Seigneur aide celui qui t’aide…» Les sunnites reconnaissent ces hadith : on reconnaît la grandeur de ‘Ali , mais pas forcément l’imamat. Or les chiites disent que le prophète nomme textuellement … « Le prophète reçoit de Dieu…» , donc le prophète est le meilleur être humain parmi ses contemporains, donc ces descendants sont infaillibles et cette foi aux imams est de même nature que l’unicité de Dieu et la prophétie. Les sunnites ne partagent pas cette thèse : ces différences sont connues et on les conserve jusqu’à aujourd’hui sans que personne ne dise que l’autre ne fait pas partie de la communauté musulmane. Les chiites croient au retour d’un Imam, Quelques uns croient à la malédiction des trois premiers califes, Les chiites ne veulent pas agréer ‘Amr Ibn al ‘Aç , pas plus que Al Hadjdjâdj, qui a détruit La Mekke , la Kaâba… La question de l’Imamat marque la différence entre sunnites et chiites. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 96 /131 (1)…auteur de «Le recueil de la loi musulmane» ( traduction en français de Jacques Berque et G. Bousquet parue à Alger en 1941)…la doctrine des zaydites relève de l’école hanafite avec quelques influences du mâlikisme et du shâfi’isme et c’est la doctrine officielle du Yémen ( un peu plus de la moitié de la population est zaydite , donc chiite de tendance modérée) (2)… d’après B. LEWIS , Les Arabes dans l’histoire …les partisans d’Isma’îl le reconnaissent comme Iman , après Ğa’far Al Şâdiq, et , après lui, les autres imams sont cachés. La doctrine des Ismaéliens fait une large part à l’ésotérisme : l’existence du monde est basée sur un certain nombre de cycles, il y a eu 7 prophètes et entre chaque prophète il doit y avoir un imam et après Isma’îl on attend le mahdi…chaque verset du Coran comprend deux interprétations, l’une littérale et éxotérique l’autre , ésotérique, et connue des seuls initiés, d’où un dogme réservé à des initiés qui s’élèvent selon une hiérarchie , de 7 degrés pour recevoir la révélation complète …ces ismaéliens se sont à leur tour divisés en plusieurs sectes dont les Qarmates et surtout les Fatimides qui ont créé une dynastie et l’empire Fatimide (3) la shûra , ou consultation est avec l’autorité ou hukm une base de l’organisation politique de la communauté considérée par l’Islam comme voulue par Dieu, ce qu’on exprime aussi en disant que «l’Islam est une théocratie» , ou comme le dit Massignon, une théocratie laïque ( pas de sacerdoce en islam) et égalitaire ( tous les croyants sont frères) Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 97 /131 II-11) Le soufisme Le mot soufisme désigne la mystique en islam , mot qui masque une multitude de courants divergents, de pratiques et de doctrines. Ce fut un mouvement social pour lutter avec un peuple écrasé en 1258, ce furent des courants à maturation lente et difficile dans des environnements hostiles :… d’après L. GARDET in « Islam, religion et communauté»… «…ce que nous appelons la mystique musulmane se formule en arabe « ‘ilm el-tasawwuf »…elle se présente donc bien comme une discipline ayant ses traditions et ses écoles….» Il faut étudier le contexte : les ‘ulamâ de l’Islam étaient toujours du coté du pouvoir. Qu’ils soient sunnites ou schî’ites , ils utilisaient le pouvoir. Les ‘ulamâ, ( savants de la science religieuse) qui sontils ?quel est leur rôle ?, ils doivent interpréter les textes mais le pouvoir les manipule. Saladin , par exemple ferme El Azhar pendant 20 ans pour changer la positions des ‘ulamâ qui protégeaient les fatimides.. Un auteur comme Ibn Taymiyya , le grand handbalite,,mort en 728/1328 qui vécut après la période catastrophique de la chute de Bagdad a laissé des règles qui influencent très fortement la culture musulmane…Il dit qu’il vaut mieux pour une communauté avoir pendant un siècle un mauvais chef plutôt que de ne pas en avoir pendant une semaine. Quand on lui dit « et nos droits à nous ? », il répond. « demandez à Dieu vos droits et accordez aux souverains les leurs»… Le soufisme va donc intervenir comme une réaction a un trop grand ritualisme, légalisme, à l’époque de l’élaboration du fiqh et de la šarî’a : avec l’idée principale que les actes cultuels ne doivent pas être conçus comme des actes de soumission mais doivent être un témoignage d’amour de l’homme envers Dieu. Les soufis furent les premiers à poser l’obéissance à Dieu comme un acte d’amour et non comme une observance à une loi. Certains veulent ramener le soufisme au christianisme: les musulmans reconnaissent la parenté mais refusent l’identité.. Les chercheurs exagèrent quand ils disent que le soufisme n’a pas de racine arabe et musulmane pure …rien n’est pur… D’où vient le terme de soufi ? on dit du vêtement en laine , souf, simple et pauvre que les soufis portaient., mais est ce que cela vient de sophia , la sagesse ? ou bien de soufasaf le rang, à l’époque du prophète l’idée existait et il y avait des ascètes déjà dans l’entourage du prophète. ========================================================================= ….d’après L. GARDET in «Les hommes de l’Islam»… le but premier fut la recherche d’une règle de vie centrée sur la méditation du Coran, spécialement les versets nombreux où il est dit que Dieu aime ceux qui font le «bien» et les deux versets qui évoquent un amour mutuel entre Dieu et l’homme…les soufis furent en Islam les assoiffés de Dieu…une rupture allait cependant s’opérer entre soufisme et Islam officiel au III/IV H et donc IX/X ème siècle au temps de l’apogée abbasside…les milieux mu’tazilites, hanafites, malikites leur témoignèrent une constante méfiance…cet amour de Dieu et de l’homme que recherchent les soufis ne va t’il pas porter ombrage à la pure et nue transcendance de l’Unique? Ibn Taymayya au XIV ème siècle et certains réformistes contemporains reprendront l’argument : Dieu est objet d’adoration, non d’amour, car l‘amour suppose concordance ( munâsaba) et point de concordance entre le créateur et la créature …Dieu reste l’inaccessible pour la foi musulmane, d’ailleurs disent ils dans son voyage nocturne et son ascension jusqu’au trône du Très Haut Mohammed ne pénétra point dans l’enceinte scellée de la lâhût, c’est à dire Dieu en son essence…. Ce mouvement soufi est lié à l’idée de renoncement au monde matériel d’ici bas, ce qui ne veut pas dire qu’il est coupé de la vie matérielle. On peut le définir comme, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 98 /131 un mouvement piétiste mystique qui tend à développer les valeurs spirituelles du dogme, l’aspect ésotérique de l’Islam qui se distingue la loi par le fait qu’il peut donner un aspect immédiat à la connaissance de l’Eternel, contrairement à la Loi qui propose le salut à tout homme de bonne volonté capable de se soumettre durant toute sa vie à une pratique minimale. ========================================================================= …d’après J.J. Schmidt in «Vers une approche globale du monde arabe»…» Le soufisme c’est l’attitude spirituelle et le comportement physique….les soufis sont tout simplement des mystiques musulmans…l’exercice de l’ascétisme physique (zouhd) et la vie contemplative sont les deux éléments essentiels à la base de la pratique soufie…l’objet ultime de leur démarche mystique a été l’union avec Dieu ( el-ittihâd), l’amour ardent du créateur ( chaouq)…, ========================================================================= L’Irak est le berceau du soufisme à Bassorah et surtout à Bagdad plus tard : le soufisme historique prend naissance au IIIème siècle ( 9ème) dans des écoles dispersées en Irak et au Proche-Orient en général : c’est à dire sur les marges byzantines , avec un parfum de christianisme, les convertis vont souvent vers le soufisme qui a ses particularités , pas toutes encore étudiées de nos jours. La première poétesse soufie est Rabi’a Al ‘Adawiyya , d’origine arabe, au IIIème siècle H. elle parle de l’amour, amour profane et divin , elle lance des critiques contre l’Islam et le Koran pour la 1ère fois de l’histoire, elle critique les idoles que les musulmans adorent sur la terre. Se souvenir que Médine a été le plus grand centre de plaisir du monde, les jeunes filles esclaves recevaient une très bonne éducation , langue, chant…et on les vendait… les esclaves étaient chanteuses… Les deux thèmes de la poésie soufie sont l’amour et le vin . Au Xème siècle il y eu même un poète dit « sultan des passionnés » ou encore «Prince des amants», dans le sens des amants de Dieu, : Ibn el Fârid ( mort au Caire en 638H/1240) dont l’ouvrage en forme d’ode au vin mystique est célèbre = al Khamriya…. Les omeyyades acceptaient et comprenaient la poésie arabe , pas les Abassides.. Un soufi doit aimer les femmes , il doit les adorer, il y a un soufisme intellectuel et un soufisme populaire. El Hâllağ a appelé à la révolte et il avait du succès dans le peuple . Les conseillers du sultan ont dit qu’il fallait l’égorger mais on préféra l’attaquer par le biais de la religion : on ne pouvait pas l’attaquer du coté de la misère, c’était vrai. On va condamner El Hâllağ sous des prétextes religieux et on va dire qu’on a fait cela pour sauver la religion . C’est de la politique, pas de la religion… Massignon l’a identifié au Christ car il disait qu’il était Dieu et il savait qu’il allait être sacrifié. Mais le soufisme pratique aussi l’interprétation allégorique ( ta’wil ) du Coran à la recherche su sens ésotérique qui serait caché derrière les mots et accessibles aux seuls initiés pour atteindre les hautes sphères de l’Être divin : ainsi les soufis regroupent les sourates du Coran qui commencent par des lettres. Ces lettres posent problème et on n’en connaît pas la signification exacte , ce sont des clés ? ce sont les abréviations de certains mots ? les soufis ont une autre thèse. Les soufis vont laisser de nombreux ouvrages importants et enrichir la littérature et la poésie musulmane . Ainsi ‘Ibn ‘Arabi ( né en Espagne en 1165 , mort en 638H/1240) aussi connu sous le nom de cheïkh el akbar, a écrit plus de 200 ouvrages de poésie, et sa grande œuvre «Al Futuwât el Maqiyya» ou les conquêtes mekkoises, et qui a été l’élément charnière entre Damas/Bagdad et l’Andalousie. D’autres encore, la littérature soufie est très belle , j’aime les soufis. Plus tard des écoles vont se former en Orient ou au Maghreb : 80% des saints soufis sont au Maghreb et principalement au Maroc. A l’origine il faut citer , Al Ğunayd ( mort en 298 H / 910) à Bagdad, fut pendant 18 ans le maître d’El Hallağ, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 99 /131 Al Tustarri ( mort en 283 H / 896 ????) à Bassorah Puis ceux qui se réclament d’un maître commencent à se regrouper dans des confréries : ( tarîqa et pluriel turûq) : ce terme signifie d’abord la voie mystique, puis, par extension , le groupe qui suit une même voie. Ce mouvement coïncide avec une crise historique de l’ Islam, et l’organisation de plus en plus poussée du lien mystique paraît correspondre à l’effondrement des empires. Sorti de sa marginalité initiale, le soufisme touche l’ensemble des catégories sociales et se voit encouragé par les pouvoirs politiques. Si bien qu’on aboutit à un paradoxe apparent puisque le soufisme, mouvement centré sur des expériences très subjectives et très élitiste sur le plan spirituel devient un mouvement populaire qui marquera durablement l’islam rural du Maghreb à l’ Asie centrale , en recouvrant des cultes de saints locaux. On assiste en effet, plus tard , à la création de confréries , l’une des plus anciennes est la Qâdiriyya, qui remonte au XIè siècle, d’origine arabe, et qui rayonne du continent indien à l’Afrique noire l’une des plus célèbre est la Mawlwiyya, celle des derviches tourneurs, aussi la Shâdiliyya, fondée par un tunisien,’Ali al-Shâdhili aussi la Tijjaniyya, à la fois soufie et moujahiddin , c’est à dire combattants de la foi, En Egypte il y a environ 80 confréries, c’est officiel, l’Etat le connaît et les reconnaît, il sait dialoguer dans un souci politique. Mais ces confréries , ces «zouïas» ont été jugées responsables d’un certain type de mentalité fait de résignation et de désintéressement du destin temporel d’où des réactions : on a voulu supprimer les tombeaux des saints, les détruire, on a même voulu détruire le tombeau de Mohammed…et interdire toute poésie d’amour du prophète et de ses descendants. Tandis que le monde islamique connaît une période de déclins , les sciences déclinent plus tardivement, 2 ou 3 siècle plus tard, tandis que le soufisme se développe : le soufisme n’est pas une réaction simple , il a sa philosophie et s’appuie sur elle pour défendre la foi. On distingue 5 périodes soufies : 1) I –II ème siècle H le soufisme se forme véritablement avec la poétesse Râbi’a al ‘Adawiyya ,(713-801) qui a laissé un grand poème ( diwan) et une critique de la Kaâba et du Coran . Dans sa langue particulière elle veut que le cœur de l’homme soit la maison de Dieu et pas la pierre ( de la Kaâba)., 2) II-IIIème siècle H sommet et age d’or pour les soufis. A cette époque il se développe partout . Les auteurs les plus célèbres sont, a. Abû Turab al Nahšabi, b. Abû Hamza al Hurâsânî c. Al Šharif al Radî , qui a cherché les paroles du prophète ALI , les a transcrites et a donc laissé une oeuvre essentielle pour les chiites et dont le principal ouvrage est «Les paroles de l’éloquence»= «Nahĝal balâga» d. Al Hallağ, ( 244 H /857- et mort en 922) école spéciale et différente des précédentes, la plus connue. A 16 ans il est le disciple d’un premier maître, puis un second jusqu’à l’âge de 20 ans et il en choisira un troisième Ğunayd , qu’il gardera pendant 18 ans. Après sa rupture avec ses maîtres il part en pèlerinage à La Mekke , voyage pendant 5 Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 100 /131 ans en Perse et en Inde et revient à Bagdad où il regroupe autour de lui quelques disciples dans une atmosphère de pénitence et de réflexions eschatologiques. Il est par ailleurs proche du pouvoir et de la cour califale et participe à une réflexion sociale et religieuse sur les injustices du pouvoir et les injustices fiscales. Ce qui entraîne une « conspiration des bien pensants » contre lui, un premier emprisonnement, mais il s’évade , se cache pendant trois ans , est à nouveau arrêté et condamné à mort : flagellé, pieds et mains coupés il sera crucifié puis décapité au terme d’une agonie de 24 heures Il a été accusé de : magie , ( qu’il aurait apprise aux Indes ) , de charlatanisme , on lui reprochait ses pouvoirs de thaumaturge ( action de faire des miracles) dénigrement de la Loi , il aurait minimisé l’importance des pratiques cultuelles et leur codification alors qu’en pratique les ‘ulémas n’ont pas compris son intériorisation des actes cultuels ( il parle de tourner 7 fois autour de la ka’ba de son cœur….) propagande au profit des qarmates et des dénonciations d’injustices et c’est à ce titre qu’il est apparu pour le pouvoir comme un danger majeur il fut attaqué par les milieux soufis eux mêmes sur sa doctrine de connaissance de Dieu par l’amour et particulièrement sur sa notion d’union de la créature avec le Créateur, but suprême de l’ascension spirituelle soufie. Pour Al Hallağ l’homme est double, il est corporel , voué à la matière mais une matière distincte de celle des animaux par exemple, une matière ennoblie avant la Création, lorsque Dieu propose Adam à l’adoration des anges, l’homme est aussi un cœur : dans le Coran le cœur est le siège du savoir et de la conscience et c’est le Coran qui pose les bases de la « science des cœurs », approfondie par les soufis pour Al Hallağ le cœur est l’organe que Dieu a préparé en l’homme pour la contemplation du divin , il a trois enveloppes successives qu’il faut traverser et qui correspondent au progrès de la purification intérieure Pour Al Hallağ il y a trois phases dans l’ascension , la Voie , la phase de la pénitence, de l’ascèse des sens, au cours de laquelle on doit se débarrasser de tous ses désirs et renoncer à ce bas monde, la phase de « purification massive » , celle de l’ascèse du cœur au cours de laquelle on se détache de son moi subjectif et le purifié est alors non plus celui qui désire Dieu mais celui que Dieu désire car la réciprocité du désir amoureux entre Dieu et sa créature est au fondement de l’expérience hallağienne, la phase de l’ascèse de l’esprit qui débouche sur l’union avec le Divin. Le soufi a alors conquit le droit de dire le « je » qui l’unit à la source même de la parole divine car il atteint alors le stade de l’union transformante avec Dieu. C’est ainsi qu’il faut comprendre la fameuse phrase = anâ al haqq = je suis la vérité, ou je suis le réel-vrai , c’est à dire Dieu, qui fut condamnée comme un inadmissible péché d’orgueil par lequel l’homme s’égalerait à Dieu, et comme une hérésie qui ramènerait la transcendance divine à une immanence et impliquerait donc une insupportable contiguïté entre Dieu et ses créatures. ========================================================================= d’après L. GARDET in « Les hommes de l’Islam…» …«…mais très souvent union à Dieu et acquisition des «étapes» et états spirituels, maqâmât et ahwâl, semblent se confondre dans un au delà de toute Loi religieuse. Les mainteneurs de la «communauté du Prophète» ne pouvaient qu’en prendre ombrage. N’est ce point ce qu’entrevit El Hallâğ qui appela de ses vœux sa propre condamnation, et l’accepta par avance comme un don à sa communauté, dans un abandon de soi où souffrance et amour se répondent…» ========================================================================= Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 101 /131 3) V-VI ème siècle H correspond à l’époque persane , le soufisme est plus fort chez eux avec, a. Ma’rû al Bahlî b. Al Bastî c. Al Husarî d. Mihyâr e. El Gazâli ( né en 450H /1058 et mort en 505 H /1111) qui a une place particulière à deux titres, après le choc frontal de l’époque passée une sorte d’apaisement se fait entre les tendances , son expérience personnelle est celle d’un juriste , puis d’un philosophe , pour critiquer la philosophie , et suivra une période de crise existentielle après laquelle il ne retrouvera la raison que grâce à la mystique. En effet, déçu par une pensée qui s’enferme dans le formalisme paralysant du taqlid il se met à la recherche d’une autre voie de la connaissance et élimine successivement, la philosophie néo platonicienne d’El Farâbi et de Ibn Sînâ, les conceptions ésotériques de l’Islam (batiniyya) qui incitent à s’en remettre aveuglément à l’autorité de l’imâm Il pratique le soufisme et découvre que, finalement, la réalité du savoir, n’est pas dans le réflexion mais dans l’intellect, est dans l’Etre, dans l’expérience…..n’y a t’il pas une grande différence dit il entre savoir ce qu’est la santé et être en bonne santé ? La vérité de la santé ne s’appréhende t’elle pas mieux dans l’expérience que l’on en fait ? Ainsi, la voie mystique est plus une méthode pour tenter t’atteindre la vérité là où la philosophie et la théologie ont échoué selon lui. Il donnait ainsi au soufisme une image « modérée » et intellectualisé moins dangereuse pour l’ordre politico religieux établi et son travail d’élaboration théorique va permettre d’établir un équilibre ( provisoire ) entre Loi ( šari’a) et Voie ( tariqa ) 4) VII ème siècle H , avec , entre autres, a. Ibn al Fârid ( 1181-1234, le sultan des passionnés) b. Ğalal al Din al Rûmî ( né en 1207 et mort en 1273 à Konya ) est le célèbre fondateur de la confrérie des derviches tourneurs. Il était le fils d’un éminent théologien et prédicateur, quitta le Khorazan natal avec ses parents, voyagea , La Mekke , l’ Arménie puis l’ Anatolie , où son père reçut à Larandâ accueil triomphal : on raconte que le sultan lui demanda d’accepter de loger au palais à Konya, , il demanda qu’on lui indique un collège….et on lui en construisit un….Il étudia ensuite 7 ans à Damas et à Alep puis rencontra un vieux derviche errant Shams Od Dîn Mohammad tabrizi , suivit pendant trois ans son enseignement, et à la mort de son maître commença à écrire ses oeuvres., recueils lyriques et didactiques en vers et en prose. Comme tout mystique les thèmes de ses œuvres sont une explication des mystères de la création, que l’on peut résumer en quatre points. le thème du miroir = le miroir exprime la présence de l’homme sur la terre , isthme situé entre le monde créé et le monde créateur. Parvenu à la pleine stature spirituelle l’homme devient un intermédiaire entre la divinité et les composantes du monde créé et reflète l’image de Dieu qu’il renvoie aux autres miroirs tournés vers lui : ce qui signifie que l’homme aimant quand il est arrivé à comprendre et à ressentir dans son cœur les questions fondamentales de l’existence devient l’image de Dieu, il rayonne et éclaire les autres. Le samâ = si l’homme est le miroir de la divinité , le monde est le miroir de Dieu : cela signifie que l’homme est un microcosme, un résumé de l’univers qui est le macrocosme. Les fondements de la création, de la terre et de l’homme sont exprimés symboliquement dans le samâ qui est à la fois une danse et une prière pour se rapprocher de Dieu. Rûmî disait que si l’on coupait un atome en deux on y trouverait un système solaire en miniature d’où le lien entre les notions de macrocosme et de microcosme , les atomes sont les hommes, le soleil est l’homme Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 102 /131 parfait miroir de Dieu…. «…le soufi tournoyant sur lui même comme l’atome au soleil de l’éternité…» L’amour = est représenté par le cœur, centre recueillant les perceptions spirituelles, l’émotion amoureuse, autrement dit il est l’âme du miroir. Ce cœur est la maison de Dieu, et le lien unissant l’Amant à l’Aimé : c’est dans ce miroir d’amour que l’Aimé se reflète. La prière = est le moyen de purifier le cœur ; si le cœur est purifié alors le miroir est purifié et dieu va pouvoir s’y refléter pleinement. Il privilégie l’attitude intérieure dans la prière à la forme. L a forme représente des sons et des mots , et l’âme de la prière est plus forte car elle est intemporelle, elle implique une présence constante du cœur. c. Muhyi al Din Ibn ‘Arabî , aussi connu sous le nom de cheïkh el akbar ( né à Murcie en 560 H / 1165-et mort à damas en 638 H /1240) , issu d’une grande famille de juristes arabes, son père fut un ami d’Averroès, mais il choisit dès l’âge de 20 ans la voie de l’initiation soufie. Il aura successivement plusieurs maîtres et sa vie , très vite se confond avec son ascension spirituelle dont il a laissé de nombreux témoignages dans ses récits, jeune , en danger de mort son père récite la sourate 36, alors lui apparaît un être merveilleux qui lui ouvre les portes d’un monde intermédiaire entre le sensible et l’intelligible ( il le nommera plus tard le monde imaginal), à Tunis en 590 H / 1193 il rencontre pour la première fois al Hidr ou l’immortel initiateur errant , figure du maître par excellence capable de guider le soufi sur la tariqa, l’année suivante à fez, il a la vision d’une lumière éblouissante qui lui fait perdre le sentiment de l’espace, et , écrit il… « ma position dans l’espace m’apparut comme une hypothèse , non comme une réalité…» plus tard à Marrakech il aura la vision du trône de Dieu entouré d’oiseaux merveilleux et l’un d’eux lui commandera de prendre un compagnon et d’aller vers l’Orient… il séjourne deux ans à la Mekke, point de contact entre le visible et l’invisible , il aura plusieurs visions : c’est à La Mekke à l’issue d’une de ces visions qu’il compose en 1202 ses « Futuhât Al Makkiyya = illuminations de La Mekke », en 37 volumes , véritable encyclopédie de l’ésotérisme musulman, continuera ses voyages, Alep , à la cour du fils de Saladin où il vivra 17 ans, à Damas où il écrit « Fusûs El Hikam » = la sagesse des Prophètes, synthèse des enseignements des prophètes d’ Adam à Mahomet. Il a laissé l’ouvre la plus abondante pour la compréhension du soufisme : par sa pensée et son expérience il va plus loin qu’ Al Hallağ : à l’union par l’amour il substitue une unicité d’être entre Dieu et l’homme . On peur résumer son enseignement , sa vision mystique conçoit un Dieu absolument transcendant, Etre absolu, qui contient en lui tous les archétypes du créé et d’où découlent la prophétie ou la sainteté, les prophètes successifs qui ont précédé Mahomet ont été ses substituts dans le monde, les saints s’insèrent dans des cycles prophétiques et sont les héritiers de tel ou tel prophète…. L’ascension spirituelle se fait à travers le monde de l’imaginal, lieu de la relation qui unit l’homme à Dieu, L’aboutissement de l’ascension est l’anéantissement en Dieu, car la dualité homme/Dieu n’est qu’apparence…«…Dieu est donc le miroir dans lequel tu te vois toi même comme tu es son miroir dans lequel il contemple ses noms ; or ceux ci ne sont rien d’autre que Lui même…» d. Al Bûsîrî Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 103 /131 e. Ibn ‘Atâ’al al Alsakandarî 5) VIII ème siècle H ) , avec, a. Abd al Wahhâb al Ša’rânî b. Al Badawî ========================================================================= EXPOSE = LE SOUFISME EXPOSE LE SOUFISME I INTRODUCTION Le mot soufisme désigne la mystique propre à l'islam, et vient de l'arabe suf (laine) car les premiers ascètes portaient des robes de laine. Dès le premier siècle de l'hégire, des ascètes apparurent dans les cités de l'islam, là où le savoir religieux commençait à s'organiser en disciplines, et où différents groupes politico-religieux se formaient à KUFA, BASRA, DAMAS et MERV. C'était pendant le règne des omeyyades et du cinquième calife MU'AWIYYA (680), connu pour être plus fin politicien que pieux musulman, puis son fils YAZID (733).A la cour de DAMAS, la vie ne correspondait pas au souvenir que gardaient les croyants de la cité de MEDINE où le prophète avait fondé sa communauté. Ainsi, certains pieux musulmans qui déploraient la décadence des moeurs, le goût du lucre, et la négligence des préceptes coraniques, choisirent de se retirer du monde et de faire voeu de pauvreté. Ils prônent l'ascétisme et le renoncement. Je parlerai dans cet exposé des différents courants de pensée qui ont aboutis aux principes généraux du soufisme; j'évoquerai ensuite le développement des ordres mystiques ainsi que l'initiation et les pratiques soufies qui s'y déroulent. Le Coran étant la référence première du soufisme, je développerai les différents points qui ressortent de l'interprétation ésotérique du Coran. Pour finir, j'évoquerai les grands maîtres soufis. I- LES DIFFERENTS COURANTS DE PENSEE QUI ONT ABOUTI AUX PRINCIPES GENERAUX DU SOUFISME. 1C'est HASSAN AL-BASRI, mort en 728, qui a ébauché une interprétation spirituelle du Coran. Dans ses sermons, il énonce la piété et la crainte de Dieu, mais aussi le désir de s'en rapprocher. 2Les ascètes n'aspiraient plus seulement à se détourner des biens de ce monde, mais à se vouer à Dieu, à son service et à son amour. AL-MUHASIBI, mort en 837, fut le premier auteur soufi qui théorisa cette approche. Il composa plusieurs ouvrages, dont un manuel d'instruction spirituelle, toujours consulté: « L'observance des droits de Dieu ». 3Après lui, on peut citer DHU AL-NUN, mort en 860, un soufi d'Égypte à qui l'on attribue l'introduction de la notion de connaissance intime. Il composait des vers où il exprimait sa passion pour l'être aimé, Dieu, s'inscrivant ainsi dans un courant initié par RABI'A AL'ADAWIYYA, l'une des rares femmes qui marqua la littérature soufie. Une grande partie de cette littérature relève du genre poétique, qu'elle soit écrite en arabe ou en persan. 4ABU YAZID AL-BITAMI (874?) inaugura une autre tendance de la mystique, notamment par des propos extatiques exprimant l'ivresse procurée par la rencontre de Dieu, et l'anéantissement en lui. Il annonce aussi le mouvement des MALAMATIYYA, les gens du blâme, ainsi nommés parce qu'ils cherchaient à s'attirer le blâme de leurs contemporains pour se consacrer à l'amour de Dieu en toute humilité. 5Une autre tendance s'exprime à BAGDAD, notamment par la voix de JUNAYD, mort en 910. Il formula la doctrine de l'anéantissement en Dieu. Au dixième siècle, des tendances très diverses coexistaient, et on les regroupe sous le nom de tasawwuf ou soufisme. Ensuite, des ordres mystiques commencèrent à s'organiser. II- LES ORDRES MYSTIQUES 1- Qu'est-ce qu'un ordre ? Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 104 /131 Ordre, ou tariqa, c'est la voie qui conduit le mystique de la Charia à la haqiqa, c'est à dire la vérité : Dieu. Ayant tracé sa propre voie, le maître en fait une méthode qu'il accompagne de rituels spécifiques et de techniques de méditation. II y initie ensuite ses disciples. Les soufis qui se réclament du même initiateur spirituel suivent donc sa voie transmise de maître en disciple. Une silsila, où chaîne initiatique, relie ainsi le simple soufi au fondateur de l'ordre et, au delà, à ALI ou ABU BAKR et finalement à MUHAMMAD lui même. C'est cette relation verticale entre maître et disciple qui prime dans les ordres soufis, plus que la. relation qui s'instaure entre les membres d'un même ordre. 2- Naissance des ordres: 12ème et 13ème siècle Au Xême et XIIIème siècle, des familles spirituelles qui se rattachaient à un même maître se formèrent peu à peu. Ces familles ont constitué les noyaux de ce qui allait ensuite devenir des ordres. Ainsi, à BAGDAD, ABD AL-QADIR AL-JILANI, mort en 1166, transmis sa khirqa, le manteau qui symbolise l'influx spirituel, à ses disciples qui eux-mêmes firent des adeptes. Mais l'ordre qui se réclame de lui, la QADIRIYYA, ne se répandra qu'au XVème siècle, implanté en Inde et au Maroc. L'ordre des RIFA'IYYA, en revanche, s'est structuré du vivant de son fondateur AHMAD AL-RIFA'I, mort en 1183, implanté en Egypte. Au XIIIème siècle, le soufisme s'était introduit dans les cercles des ulémas, et commençait à se propager et à se vulgariser. 3-Propagation des ordres : XIVème et Xvème Au cours des deux siècles suivants de nouveaux ordres s’organisèrent la SHADHILIYYA, qui se réclame de l’enseignement d’ Al Shadili ( 1258 ) , confrérie implantée en Egypte, la KHALWATIYYA , qui se rattache à Umar AL Khalwati, la NAQCHBANDIYYA, fondée par Baha’ Al Din Naqchband ( 1389) Ces ordres connurent des histoires particulières et des périodes plus ou moins fastes, se croisent sur certains points, divergent sur d’autres, et où les fidèles se rejoignent bien souvent. 4 – Initiation et pratiques soufies Le monde d’affiliation à la tariqa, c’est à dire l’ordre, consiste à recevoir le flux sacré que le maître a lui même reçu de son « lignage initiatique » , et qui provient du prophète. Le novice qui chemine sur la voie doit franchir les étapes qui la jalonnent. Il en existe deux sortes, le hal , qui est l’état spirituel qui s’installe dans son cœur, le manzil ou la maqam , qui est la demeure, ou la station spirituelle. Dans un manuel de soufisme , intitulé Al-Luma’ , « Les lueurs » , Abu Nasr Al Sarraj , mort en 988, énonçait sept stations , * le repentir, * le respect scrupuleux de la charia, * le renoncement, * la pauvreté, * la patience, * l’abandon en Dieu * et la satisfaction. Mais deux siècles plus tard, Ruzbehan Baqli ( 1209) affirmait qu’il y en avait mille. Tout au long de sa formation spirituelle, le novice mène un combat contre lui même pour parvenir jusqu’à la rencontre, la fusion avec Dieu. Durant ce cheminement, il se laisse guider sur la voie par son maître. Le novice est celui qui aspire à se transformer, le maître est le modèle, l’idéal, l’ami de Dieu, le Saint. Pour certains ordres, il est même le pôle temporel, c’est à dire qu’il appartient au degré le plus élevé de la hiérarchie des saints. Le novice avance sur la voie, transforme son âme et son cœur . Ses changements d’état spirituel sont symbolisés par des signes extérieurs, comme la couleur de son vêtement . Son initiation s'achève par une cérémonie comprenant plusieurs types de rituels: l'imposition du manteau, la khirqa, qui intronise le nouveau venu, le serment d'allégeance qui scelle son affiliation et marque sa soumission au maître. Celui-ci énonce les obligations rituelles de tout membre de l'ordre, ainsi que les règles et les usages â respecter. Enfin, il lui inculque le wird qu'il devra répéter quotidiennement, indépendamment de la prière. Chaque ordre a son wird qu'il tient de son fondateur: il se compose de prières, de sourates coraniques, de formules liturgiques, d'incantations, etc... Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 105 /131 Les membres d'un ordre se retrouvent lors des rituels collectifs. Le plus fréquent est la séance de dikr (littéralement rappel, remémoration), qui se tient le jeudi soir ou la veille des fêtes religieuses. Chaque ordre a son propre dikr qui peut se pratiquer individuellement ou collectivement. Il consiste à répéter un mot ou une formule. Le dikr s'accompagne souvent d'un balancement de la tête et du corps, mouvement qui se conjugue à des techniques respiratoires. Le dikr est parfois accompagné de percussions ou de chants: c'est la sama. Certaines confréries maghrébines, ou comme les mawlawiyya (en Turquie, Inde et Asie centrale) pratiquent aussi les danses extatiques. D'autres observent aussi des rites d'automortification par le fer ou le feu, ou la flagellation. Le culte du saint fondateur de la tariqa est l'objet de visites pieuses à son tombeau, ainsi que de rassemblement qui peuvent attirer des milliers de fidèles, à l'occasion de l'anniversaire du saint. Les rites sont calqués sur ceux du pèlerinage de LA MECQUE. Dans certaines confréries, l'équivalence entre le pèlerinage à LA MECQUE et celui du sanctuaire du saint local est implicite. III- L'INTERPRETATION ESOTERIQUE DU CORAN Le Coran est la référence première pour le soufisme. L'interprétation soufie a suscité dans les milieux musulmans rigoristes beaucoup de méfiance, voire une hostilité déclarée. Elle est rejetée en bloc par les théologiens et les fuqaha "littéralistes" qui la considèrent comme une innovation étrangère à l'esprit de l'islam, dérivant de façon arbitraire des versets coraniques. 1- Le rôle de la Charia Pour les soufis, la Charia , Loi révélée, est nécessaire car les hommes, naturellement voilés à l'égard de la Vérité, ne peuvent suivre la. voie droite sans être guidés par les prescriptions légales. Le soufi découvre dans la Charia toutes les étapes de l'itinéraire spirituel qu'il a entrepris de parcourir. La Loi a donc deux rôles pour l'itinéraire soufi: -un rôle de préparation, de dépouillement du coeur de tous les attributs psychiques, notamment par les prières rituelles -la. Charia est aussi le support extérieur à la. démarche intérieure du soufi. Par exemple, le pèlerinage symbolise, pour les soufis, l'itinéraire spirituel. 2 – Le ta’wil Les soufis ne se contentent pas de faire un effort de compréhension d'un passage ou d'une notion coranique faisant problème, mais ils s'efforcent de "ramener le verset à son sens premier", et ce pour tous les versets du Coran, même ceux dont le sens apparent ne comporte aucune difficulté de compréhension. Ils s'efforcent de l'approfondir, de faire apparaître la densité spirituelle qu'il contient au niveau métaphysique. On traduit cela par le terme ta'wil. 3- Le tafsir Par opposition, le tafsir se rapporte à tout commentaire se limitant à un niveau de compréhension purement exotérique, c'est-à-dire qui est permis de divulguer à tout le monde, et non pas uniquement aux initiés. Pour illustrer le tafsir, on peut citer un hadith: « Aucun verset du Coran n'est descendu qui n'est un "dos" et un "ventre "; toute lettre a une limite et toute limite a un point d'ascension » D'après QASHANI, le "dos" désignerait l'explication exotérique (le tafsir) et le "ventre", l'interprétation ésotérique, ce qui est caché(le ta'wil); la "limite" serait l'extrême par lequel peut arriver la compréhension du sens verbal, et le 'point d'ascension" serait le niveau contemplatif où l'on monte pour contempler Dieu. QASHANI, mort en 1329, fut l'un des principaux interprètes et commentateurs de l'oeuvre du grand maître de la pensée soufie IBN 'ARABI. Il a rédigée les Fuçuç al Hikam d'IBN 'ARABI et un « lexique technique soufi ». Et dans les « Commentaires ésotériques du Coran » il fait une exégèse, ou interprétation systématique du texte coranique. 4- Les points doctrinaux Le soufisme tire ses points doctrinaux du Coran a- Doctrine de l'unicité de l'existence . Verset 11-255 « II n'y a de dieu ni d'existant excepté Dieu. Le reste n'a d'existence que par Lui et n'est pas autre chose que Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 106 /131 lui ». Ainsi, HALLAJ a dit: « Je vis mon Seigneur avec l'oeil de mon cour et lui dis :Qui est tu ? II me dit: Toi-même. » b- Unicité et multiplicité Il y a en Dieu la simultanéité de l'unicité parfaite évoquée précédemment, et de la multiplicité infinie, par la multiplicité de ses attributs. Dans le Coran, Dieu est doté d'environ une centaine de noms comme par exemple le créateur, le tout-puissant, dominateur, fort, omnipotent, inaccessible, vivant, juste, sage, vigilant, omniscient, miséricordieux, absoluteur, généreux... c- Le triple niveau de l'être * particulier (niveau ou l'homme doit connaître sa propre identité) * universel (niveau où l'homme doit connaître la Vérité) * absolu non conditionné (rencontre avec Dieu). La démarche spirituelle du soufi consistera dès lors à rejoindre, par dévoilements successifs, le niveau universel afin de découvrir d'abord sa propre vérité, puis la Vérité unique. d- Temps horizontal et temps vertical Le temps horizontal, linéaire, est lié à l'espace et aux formes matérielles. Et le temps vertical, spirituel, est lié au niveau spirituel du soufi. 5- Réalisation spirituelle a- Dévoilement et ascension céleste Le dévoilement correspond aux étapes qui éclairent qui élucident. Le soufi découvre alors quelle est son identité profonde. L'ascension céleste, telle celle du Prophète évoquée dans le Coran et dans la Tradition, correspond au dépassement de la station de l'esprit. Cela dépasse même le degré spirituel des anges. b- Mort volontaire et vie véritable La mort volontaire est le dépouillement des attributs "psychiques" et suppression de toute tendance égocentrique. La vie véritable correspond à l'assomption des attributs divins et à l'identification progressive à la. réalité profonde de l'être. 6- La psychologie spirituelle soufie a- Le Grand Combat pour Dieu. C'est un combat spirituel incessant, par opposition au petit combat pour Dieu qu'est le combat purement militaire. C'est un combat entre les tendances spirituelles, dites lumineuses, et les tendances psychiques du soufi, dites ténébreuses. b- L'âme L'âme a un double rôle pour les soufis : elle est d'une part absolument nécessaire et irremplaçable dans le composé humain, et d'autre part, elle constitue l'obstacle principal à la maîtrise des facultés humaines par l'esprit. L'âme est ainsi le principal ennemi visé par le Grand Combat évoqué précédemment, dont le but est d'affaiblir l'âme puis d'anéantir son influence . c- L'esprit. En psychologie spirituelle soufie, l'esprit s'oppose à l'âme. Il représente l'élément lumineux et transcendant de l'homme. Il est l'élément de "grâce" qui fait contrepoids à la `pesanteur" de l'âme attirée par les forces matérielles. d- Le coeur. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 107 /131 C'est l'organe central de l'homme, le lieu de son identité véritable, l'ouverture par laquelle pénètre la lumière de l'esprit et la connaissance. Il s'y trouve le mélange de la. lumière de l'esprit et des ténèbres de l'âme. Le coeur possède deux faces la face qui suit l'âme : situation où le coeur, voilé par les attributs psychiques, est incapable de discerner le vrai du faux. la face qui suit l'esprit, qui correspond à la situation du soufi après qu'il se sera dépouillé de ses qualités psychiques. IV- LES GRANDS MAITRES. 1- AL-HALLAJ (922) Jugé hérétique, comme les premiers soufis l'ont souvent été, AL-HALLAJ a été condamné à être mutilé, crucifié, décapité et brûlé à BAGDAD. Par son martyre, il incarna la. quintessence de l'expérience mystique. On a longtemps prétendu qu'il avait été condamné pour avoir proclamé : « Je suis le vrai (Dieu) », et pour avoir déclamé dans ses vers : « Je suis devenu celui que j'aime, et celui que j'aime est devenu moi. » On reprochait donc à ALHALLAJ de se vanter publiquement d'avoir réaliser l'union avec Dieu. Mais sa condamnation fut motivée par d'autres déclarations: AL-HALLAJ avait affirmé que l'on pouvait accomplir le pèlerinage sans quitter sa demeure, en nourissant simplement les orphelins. Ainsi, au pèlerinage prescrit par le Coran, AL-HALLAJ préférait le pèlerinage intérieur, celui du coeur. 2) JUNAYD et GHAZALI. La question du respect littéraliste de la. Charia ou de son interprétation ésotérique fut longtemps sujet de discorde entre les soufis et les juristes. JUNAYD, et d'autres après lui, oeuvrèrent pour rendre leurs théories acceptables aux yeux des fuqaha' et ne pas se séparer du courant "orthodoxe" de l'islam. Mais ce fut surtout GHAZALI (1111) qui se chargea de réconcilier les deux camps. Dans son projet de «Revivification des sciences religieuses », il intégra le soufisme dans l'ensemble des disciplines islamiques, montrant ainsi que les valeurs spirituelles couronnaient la connaissance des sciences religieuses et de la Charia. 2- IBN 'ARABI (1240) : la gestion des rapports entre soufisme et Charia Cet andalou, dont on dit qu'il a atteint le sommet en matière de théories mystiques, est appelé "le plus grand maître". Il ne fonda pas d'ordre, mais il influença des soufis après lui, les "akbariens". Le dernier ouvrage d'IBN 'ARABI est «Les illuminations de La Mecque ». Il serait très difficile de donner des avis catégoriques sur ses points de vue concernant n'importe quelle question, tant son oeuvre est complexe. La subtilité de la pensée d'IBN 'ARABI fut à l'origine de malentendus et d'incompréhension qui amenèrent ses détracteurs à l'accuser de bafouer la Charia. Toutefois, cette subtilité et ses équivoques possibles ne contrarièrent pas l'impact qu'IBN'ARABI eut sur la pensée mystique, pas plus qu'elles n'affectèrent sa popularité. 3- JALAL AL-DIN RUMI (1273) Dit MAWLANA, "notre maître", fut une autre grande figure de la mystique, savant et poète. Il s'inscrit dans la lignée des poètes mystiques persans tracée par GHAZALI (mort en 1126) Il se prit d'une amitié mystique" pour un certain CHAMS AL-DIN de TABRIZ, un soufi qui clamait avoir réalisé l'union avec Dieu et qui est mort dans des conditions mystérieuses. RUMI le pleurait dans ses vers, et c'est ainsi qu'il composa le Matnawi, recueil de 24000 vers. RUMI y décrivait le chagrin de la séparation entre l'amant (le soufi), et l'être aimé (Dieu). A sa mort, son fils fixa les rituels de la. voie initiée par RUMI, qui s'organisera en ordre: les MAWLAWIYYA, connus pour leur pratique de la danse extatique. CONCLUSION Les soufis sont ceux qui estiment que la croyance vulgaire n'est pas satisfaisante, mais que le croyant doit entretenir une relation d'amour réciproque avec Dieu. Si les premiers soufis ont été considérés par les fuqaha' comme des hérétiques, le soufisme s'est d'abord intégré dans les milieux populaires, et peu à peu dans le milieu des dirigeants. Ainsi, vers l'an 1000, on assiste à une évolution de l'attitude des pouvoirs envers les soufis, et le sunnisme va commencer à reconnaître le soufisme, entré dans les moeurs. Les confréries soufies ont été de grands vecteurs de l'islamisation. Et le soufisme a fait naître une littérature soufie très riche. Le soufisme est maintenant en déclin, mais toujours très présent dans le monde arabe. BIBLIOGRAPHIE . LORY Pierre, « Les commentaires ésotériques du Coran », d'après AL QASHANI, 1980. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 108 /131 . CHEVALIER Jean, « Le soufisme », 1996. . VIERVIN Sabrina, « Histoire de l'Islam » Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 109 /131 II-12) La pensée philosophique. Le terme falsafa est presque sûrement la transcription arabe d’un mot grec, il y eut beaucoup de courants de pensée qui se réfèrent à cette pratique , mais y a t’il une philosophie musulmane , une philosophie juive , ou encore une philosophie chrétienne ? Un courant de pensée connu en Europe essaie de tout ramener à cette région: même l’alphabet y aurait eu son origine ! Il y a trois réponses , la première écriture est phénicienne, qui n’est pas consonantique, son alphabet , base du sémitique donne tous les alphabets suivants, la deuxième écriture est d’époque pharaonique, enfin, la troisième est grecque. Est il juste de dire que la philosophie n’a pas connu les sémitiques ? Si on fait un parallèle entre le Nord et le Sud de la Méditerranée il faut se poser la question de savoir ce qu’il y avait chez l’autre. La sagesse orientale est connue, la hikma, les perses, les Hindous…en Mésopotamie, Irak et péninsule arabique. La philosophie égyptienne , elle, est à part. Si on suit sa pensée, il y a une philosophie musulmane , on ne peut pas priver tous les peuples de leurs apports. C’est ce qu’a initié Mohammed Abdûh en répondant à Ernest Renan qui privait tous les autres de pensée : modéré dans ses réponses , il présentait la philosophie musulmane, avec ses particularités, ses recherches, ses solutions particulières. Au début, Xème siècle, il faut citer Sa’ad Ibn Gayoun , en Egypte, un courant basé sur la religion juive, à Fostat : la réflexion porte sur la création et le créateur, le rapport entre Dieu et le monde, question qui suscite des problèmes et divergences entre théologiens. Avec El Ma’moun et ses écoles on pose la question de la nature du texte coranique : peut on dégager les attributs de Dieu? C’est la naissance de la philosophie musulmane. Elle va tenter de concilier, la révélation , el wahy, dans la culture sémitique le message donné à l’homme descend du ciel , par des intermédiaires… avec la raison , el ‘aq, à l’image de la pensée grecque Et de répondre à cette question , l’homme est il capable de trouver seul le chemin par la vérité ou a t’il besoin de l’aide de Dieu qui lui envoie une grâce, des signes , des messages? , à travers un ouvrage «Hayy Ibn Yaqsan» ( vivant fils de réveillé) écrit par Ibn Sînâ (1) en orient , puis par Ibn Tuffayl (2) en occident (Cordoue)…la même histoire, le même titre: mais la théorie d’Ibn Sînâ est plus proche du ‘aql, la raison est capable sans l’intervention du divin alors qu’Ibn Tuffayl répond que la raison est certes nécessaire, mais aussi la révélation.. L’histoire est celle d’un bateau qui coule, un bébé sauvé sur une planche est jeté sur une île,, Ibn Tuffayl décrit alors la nature, la plus merveilleuse région du monde, puis le bébé découvre la vie avec une gazelle, vit avec les animaux , prend conscience de sa différence, et un jour la gazelle ne veut pas se réveiller, il ouvre son cœur, une fumée blanche s’en dégagec’est la recherche du principe de la vie à partir de la mort de la gazelle…, et peu à peu il remarque ses particularités,….un jour avec une tempête il découvre le feu , puis la viande cuite, alors il commence à se distinguer ,puis à 21 ans il recherche le principe de l’âme animale, puis la recherche métaphysique …il y a un auteur des formes……, puis la recherche de la structure de l’univers étude de la cosmologie…, il en déduit que de toute façon il existe un auteur du monde , un être nécessaire et il verse dans l’ascétisme….puis Sâlâman arrive , vêtu tout de blanc, sur un bateau, lui apprend la langue,…envoyé par qui ? par Dieu ?….Cette histoire est une particularité de la philosophie musulmane, ce texte explique la capacité de l’homme de pressentir Dieu et de s’attacher à lui quand on l’a trouvé... Un hadith qudsi dit… « Dieu quand il a créé la raison a dit vient et elle vient, par ma gloire je vais respecter celui qui te respecte….» . Tout le monde n’est pas d’accord avec ce hadith. Le Coran reprend une cinquantaine de fois le terme réflexion , l’appel à la réflexion et la philosophie musulmane se caractérise par ses contacts entre , croyance et sagesse, la croyance, la foi, embrasse la lumière de la sagesse et s’installe dans le cœur, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 110 /131 philosophie et révélation , la révélation ne contredit pas la raison humaine. La religion devient philosophie et la philosophie devient religion. La philosophie musulmane , à ces débuts s’intéressait à ces questions, à l’environnement culturelle ; c’est une philosophie spirituelle en quelque sorte. Elle a un caractère religieux , mais elle n’abandonne pas les problèmes philosophiques, le temps, le lieu, la matière, la vie, Elle a cherché la théorie du savoir ; elle a distingué entre , âme, raison acquis, correct, et faux. Elle a parlé en détail de la théorie de la vertu et du bonheur ; elle a bien accueilli la physique et les mathématiques , la philosophie est science. Elle était attachée à ses voisins , grecs , mais aussi perses et indiens….il faut noter qu’une cinquantaine de proverbes sont repris dans les sourates…. La philosophie doit être étudiée dans sa propre langue , disons une fois encore que l’une des plus grandes cause des problèmes est la traduction d’un terme d’une langue à une autre : exemple HIKMA est elle sagesse ou révélation ? Il faut faire des efforts pour étudier dans la langue d’origine , langues arabe, ou syriaque ou grecque, sinon on est loin de tout comprendre. Peut on comparer la pensée islamique à ses débuts avec les débuts de la pensée chrétienne ? Quelle était l’image de la révélation chrétienne ( et pas juive qui est orientale et plus ancienne) : s’il y a une philosophie chrétienne , une scolastique chrétienne , alors il y a une scolastique musulmane. C’est elle qui a aidé les chrétiens par les traductions …il faudrait donc connaître aussi l’hébreu et l’espagnol pour les problématiques de traduction ! La philosophie arabe en Orient est comparable à la philosophie latine en Occident : si on les regroupe en ajoutant la philosophie juive on a le départ de l’histoire de la philosophie au Moyen-Âge.. Cette philosophie musulmane est influencée par la philosophie grecque, les musulmans ont repris la plupart des idées et opinions d’ Aristote, mais encore plus de Plotin : ils y prennent leur point de départ mais, ensuite, ils ont leurs particularités. Vers la fin du 2ème siècle de l’hégire, le champ théorique est l’unité de Dieu comme point de départ car les musulmans ont le Coran, et ils reviennent tout de suite à ce texte, il y a même eu manipulation des textes pour qu’ils répondent à la vision du texte coranique ( se souvenir des problèmes de traduction d’Averroès …quand on lit une traduction on trouve la parole d’un rabbin au lieu d’une parole du prophète !!!…) et puisque tout doit être renvoyé au Coran on parle alors d’une problématique , celle de la liberté de l’homme . L’homme est il libre de ses choix ou est il limité par la volonté divine ? Mais il faut veiller à ne pas faire de lecture sélective, et de chercher tout ce qui concerne ce sujet dans le Coran ….certaines phrases, c’est l’homme , d’autres , c’est Dieu, alors comment lire ? Il faut respecter la raison : le Coran parle de choix humain, de foi, de péché, de salut, du pouvoir, de sa légitimité…En somme , il y a dans le Coran , une théologie, une morale et une physique. Le texte coranique s’adresse à l’homme, s’intéresse à l’homme, l’homme est très présent dans la révélation : le Coran est humain…malheureusement dans les périodes de faiblesse on dit que le Coran ne s’intéresse qu’au divin, si bien qu’on posait aux IIIème et IVème siècles des questions qu’on n’ose plus poser aujourd’hui, Averroès a posé par exemple la question de l’éternité de la nature… Il existait une sagesse à l’époque anté islamique, elle réside dans le Coran , mais avec un visage différend : le Coran apporte plus : - Al Šarustâni , a écrit « Al Milâl » ( Les preuves) , au VIème siècle de l’hégire : il parle de l’orient antique, et son rôle dans l’Islam. Il dit que les pays conquis par les arabes ont un héritage perse, et sassanide, qu’ils avaient une culture grecque ( ce qu’on a vu avec le cours sur le droit…), cet héritage byzantin a connu la philosophie grecque et avant l’Islam quelques Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 111 /131 ouvrages philosophiques avaient été déjà traduits en syriaque ( donc avant le Vème siècle après J.C., avant les traductions en arabe…) , - Sergios de Raša’yana ( mort en 536) avait traduit des oeuvres grecques en syriaque « La logique d’Aristote «, …et des livres de médecine, - Paul le Perse avait traduit et écrit sur « l’oeuvre logique d’Aristote le philosophe», on ne sait pas s’il a été écrit en syriaque ou en ………….ou en perse, mais il fut tout de suite traduit en arabe. Puis dans le siècle qui suit la mort du prophète et jusqu’à l’arrivée des Abassides débutent des études et recherches théologiques en langue arabe , langue officielle imposée dans l’empire musulman par ‘Abd El Malik Ibn Marwan, - Ğahm Ibn Safwan ( mort en 128H / 748)…. - Wâsil Ibn ‘Atâ’ ( mort en…H./748) , fondateur des mu’tazilites,… Il a donc fallu traduire , et si on avait commencé sous les ommeyades, le début massif des traductions débute sous le règne d’El Mansûr ( 137 à 158 H / 754 à 775) puis avec Harûn El Rašid ( 813/833) , soit deux siècles entiers de traductions , du IIème au IVème: le fondateur de cette école de traduction est le moine Hunayn Ibn Ishâq , il faut citer aussi le philosophe moine chrétien Qasta Ibn Luqâ. Puis après les traductions est venue la prose arabe : on avait bien la poésie mais il fallait une prose pour écrire les ouvrages scientifiques ( une grammaire arabe était écrite en vers, 1000 vers , on récitait les règles de grammaire versifiées….) - et le fondateur de la prose est un arabe d’origine perse Ibn Al Muqaffâ’ ( mort en 140H / 757) qui a traduit Aristote en arabe et «Kalila et Dimna», une des références de la philosophie musulmane le jugement des hommes par des animaux,… l’homme n’amène que la corruption,… les animaux ont une culture…A aussi écrit un commentaire sur Platon et le néo platonisme. Après un premier siècle de traductions naissance d’Al Kindi, Abû Ya’qûb Yousûf ibn Ishaq Al Kindi, de la tribu des Kinda, celle là même où était né le plus grand poète anté-islamique, et qui est le premier philosophe arabe : il naquit fin du IIème siècle H / VIIIème siècle et mourut en 256H / 870 .il a écrit une œuvre abondante , en philosophies et sciences , mais peu d’entre elles nous sont parvenues, sur 200 environ on n’en n’a que le 1/5ème.Son activité scientifique couvre les mathématiques, l’astrologie, le chimie et autres techniques. Contemporain du mouvement de la traduction il présidait lui même un groupe de traducteurs et s’intéressait au néo platonisme….il se référait aux sources grecques et allait toujours à la source originelle du texte…..« si on connaît la cause de la première cause , on connaît tout…». Sur la philosophie grecque il dit que c’est la science des choses qui parle de la vérité autant que l’homme est capable de la saisir, le but est la vérité et c’est le plus haut et le plus noble art humain. Son élève Abû Nas Mohammad Ibn Mohammad Al Fârâbi ( né en 256 H / 870, l’année de la mort de Al Kindi donc , et mort à Damas en 339 H/ 950) s’intéresse plus à la logique , et travaille les traités aristotéliciens : on le nomme le deuxième maître , le premier étant Aristote…il faut noter que beaucoup considèrent Aristote comme l’un des prophètes ! Le Coran ne dit il pas qu’il y a des prophètes dont on a parlé , d’autres dont on n’a pas parlé … Ibn Sînâ ou Avicenne, c’est l’ Avicenne des latins qui a influencé fortement l’étude de la philosophie en Occident, né en 370H /980 vers Bukhârâ et mort à Hamadhân en 429H /1037 , de son nom complet Abû Al Hasan ‘Ali Ibn Sînâ , aura une vie très agitée et active dans les cours princières eu Nord et Nord-Est de l’Iran, à une époque où les califes recherchaient les savants. Ayant acquis jeune une connaissance encyclopédique, formation solide, grand médecin , il fera des missions pour des princes et califes… son œuvre la plus connue est le «Canon de la médecine » ou Qânûn fî l-tibb, traduit en latin et utilisé en Occident pendant des siècles. son œuvre philosophique principales est « la guérison…» ou « Al Šifâ’ f-el falsafa » ….« c’est Dieu qui guérit, pas le médecin….» sa troisième œuvre en notoriété est « le salut….» ou Al Nağat, comparable au « Livre des Egarés » de Ghazâlî, mais chez Avicenne , c’est de la philosophie, alors que chez Ghazâlî c’est du soufisme. puis « les instructions…» ou « Al Išârâ…» qui est dans le domaine du soufisme une tendance savante, Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 112 /131 Il a varié de la logique à la mystique, a écrit sous formes de commentaires, de gloses , avec une pensée basée sur Aristote, mais pas enfermé,il se réfère à Aristote et s’en éloigne pour développer des idées originales ; a écrit sur l’aventure de l’âme. On a de lui un poème philosophique sur l’âme en plus de ses écrits encyclopédiques. Mais à ces œuvres écrites en arabe il faut ajouter , écrit en persan « le livre des sciences» ou « Daniš Nama » Si le Xème siècle et le début du XI ème ont été l’âge de la philosophie orientale, le XIIème sera celui de la philosophie occidentale avec Ibn BAĞĞA, Ibn TUFFAYL et Ibn RUSH. Ibn Bağğa, ( né à Sarragosse et mort à Fez, 533H /1138 ou 1038?)), de son vrai nom Abû Bakr Mohammad Ibn Al Sayeg Ibn Bağğa,, c’est Avenpace des scolastiques latins qui vécut à Séville ,Grenade Saragosse et à la cour almoravide de Fez : il reprend les œuvres d’ Avicenne pour adapter l’esprit de l’ Islam oriental à celui du Maghreb occidental et ouvre la voie à Ibn Tufayl. Ibn Tufayl ( mort à Marrakech en 581H /1185), de son vrai nom Abû Bakr Mohammad Ibn ‘Abd El Malik Ibn Tufayl, médecin de la cour c’est lui qui présenta le jeune Averroès au sultan Abû Ya’qûb Yûsuf : est le vrai maître d’Averroès. Ibn Rush (né à Cordoue en 520H /1126 et mort à Marrakechen 595H /1198), son père et son grand mère sont de célèbres juristes , des fouqahas, lui même sort du « fiqh » pour entrer en philosophie et c’est pourquoi ses premiers ennemis seront les fouqahas, il comprend les lacunes et problèmes des fouqahas car il vient de ce monde. Il va connaître la grandeur et la décadence. A l’époque d’ Averroès la ville de Cordoue est l’équivalente de villes comme Alexandrie, Athènes, Bagdad ou Rome en tant que capitales du savoir. C’est le calife Al Hakam Et Thani qui en avait fait, cent cinquante ans auparavant une capitale du savoir : Ibn Khaldoun disait qu’il donnait de l’argent aux commerçants pour qu’il ramène des livres de leurs voyages, . Une autre histoire de Al Hadraî, historien ( originaire de par son nom de la province yéménite du Hadramout….mais beaucoup de savants se faisaient une origine arabe avec leurs noms….comme Ibn Khaldoun par exemple, alors qu’on sait par exemple que les grands grammairiens arabes sont persans…) est révélatrice:… « je suis resté quelques semaines à Cordoue pour chercher un livre sur le matché, un jour le livre arrive et quelqu’un monte les enchères en face de moi….à la fin je lui dis je vous laisse le livre…et il m’apprend qu’il ne sait pas lire mais que le format de ce livre correspond exactement à une place dans sa bibliothèque….» le savoir a sa place dans cette ville , nombreuses bibliothèques, Averroès disait:… « quand un savant meurt à Séville on cherche à vendre ses livres à Cordoue et si un musicien meurt à Cordoue on cherche à vendre ses instruments à Séville …» Il appartient à une dynastie: son père et son grand père sont d’éminents juristes, il commencera une carrière de juriste , ce qui explique la haine des fouqahas à son égard. ( dans le monde des dynasties, habituel à l‘époque, on peut aussi citer les «Ibn Zuhr» , médecins et soufis ou encore les «Ibn Hazm» , commentateurs du Coran…. ) Ibn Hazm est un commentateur «à la lettre du Coran» , il symbolise la fermeture d’esprit avec une œuvre « Al Zâhiri » et une école la Zâhiriyya , école du mot à mot, pas de la réflexion. Il sera le maître du calife Al Mu’min si bien que le climat culturel à l’époque où arrivera Averroès est des plus conservateurs : malgré tout, on a un regard pour la philosophie car la dynastie régnante almohade très conservatrice est la concurrente des Ismaïliens d’Orient qui ont donné , eux, une école philosophique orientale ! Un magrébin , Muslim Ibn Mohammad Al Andalusî va étudier cette philosophie en orient , retourne en Andalousie et apporte la contradiction à la méthode du mot à mot , si bien qu’à cette époque Espagne et Afrique du Nord vivaient entre ces deux écoles opposées des interprétations cachées ou du mot à mot. Athmosphère de contradictions , problématiques du poids de la raison et de celui de la révélation , et aussi début de la décadence : c’est dans ce contexte qu’arrive Averroès. On raconte qu’il avait seize ans quand Ibn Tufayl qui a refusé de traduire les oeuvres grecques du fait de son grand âge présente au sultan Abû Ya’qûb Yûsuf Averroès pour faire ce travail : le calife souhaite que le grand public puisse lire ces auteurs . Chargé de vulgariser , d’éclairer les obscurités des textes d’Aristote il traite la totalité de son corpus….sauf le politique, par contre il traduit Platon , Platon et le néo platonisme étaient mieux accueillis chez les musulmans. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 113 /131 Ses œuvres ont été brûlées et on cherche aujourd’hui ses écrits à travers ses détracteurs !!! On connaît de façon certaine une de ses premières ouevres « les généralités en médecine» ou « kulliyât f el Tibb », et surtout deux autres ouvrages, * « Le Discours décisif » ou « Fasl el Maqâm », dont l’objet est énoncé sous forme de question en début du livre : …« rechercher, dans la perspective de l’examen juridique, si l’étude de la philosophie et des sciences de la logique est permise par la loi révélée, ou bien condamnée par elle, ou bien encore prescrite soit en tant que recommandation , soit en tant qu’obligation…» Il répond que ce n’est pas contradictoire, il dit que l’univers n’est pas récent, alors que les musulmans disent le contraire , il reprend le Coran et développe de manière spécifique en respectant l’unicité de Dieu, et sera combattu pour cela par un milieu qui ne veut pas comprendre , à l’instar d’EL Hallağğ….avec quoi vous l’avez tué , avec sa parole ! A la renaissance on étudiera ce cahier, liaison entre foi philosophie et sciences exactes. * « La méthode des preuves» ou « El Kašf ‘An Manâhiğ Al ‘Adilla » , ou comment chercher des preuves dans la pensée musulmane. Après avoir, dans le discours décisif, distingué dans la révélation une partie qui relève de l’interprétation et qui est donc réservée aux sages , et une partie évidente qui est obligatoire pour tous, Averroès étudie cette dernière en étudiant successivement tous les problèmes dogmatiques, tels que, l’existence de Dieu, son unicité, ses attributs….Il s’inspire d’Ibn Tumart, le fondateur des Almohades, et comme lui utilise souvent les mots de la racine trilitère d-l-l ( dalilun) signifiant «être indice de» et professe que plus on connaît les êtres et plus on connaît Dieu : c’est donc la Révélation qui commande de considérer les êtres par la raison CQFD ! Il s’appuie aussi sur le Coran , sourate 3, verset VII qui distingue les deux aspects de la Révélation «…les versets confirmés qui sont l’essence de l’Ecriture, tandis que d’autres sont équivoques…» et bien sur en fait une lecture qui est légitime mais pas correcte aux yeurs des traditionnalistes: il distingue deux catégories de croyants, ceux qui doivent se contenter des passages clairs du Coran , et ceux qui peuvent se pencher sur les passages difficiles. Ce qui contredit la thèse selon laquelle Dieu sel connaît.. C’est donc une œuvre théologique , datée de 1179 . (1) traduction de Henry Corbin , Avicenne et le récit visionnaire, Paris 1954. (2) traduction de L. GAUTHIER , Hayy Ben Yaqdhân, roman philosophique d’Ibn Thofail, Beyrouth 1936 ========================================================================= === EXPÉRIENCE DE LA VISION CONTEMPLATIVE ET FORME DU RÉCIT CHEZ IBN TUFAYL ABDELALI ELAMRANI-JAMAL «La philosophie est sans réponse. Face à elle, la sainteté est une science exacte.» Cioran, Des larmes et des Saints Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 114 /131 Une littérature aussi abondante déjà produite sur le récit de Hayy Ibn Yaqzân permet-elle de dire quelque chose de nouveau sur cette oeuvre singulière dans l'histoire de la philosophie? Cependant les grandes divergences entre les interprètes attestent peut être que le dernier mot n'est pas dit sur la signification du récit et l'intention profonde d'Ibn Tufayl. Aussi on a moins de scrupule à essayer encore une interprétation quand on voit que, de toute façon, le champ d'études de l'auteur et de son récit réclame encore de nombreuses pièces avant d'être clos. En outre, la multiplicité des interprétations satisferait à la nature même du récit allégorique. Elle répondrait sans doute au voeu d'Ibn Tufayl: l'objectif qu'il annonce, à l'intention de son ami candidat à l'initiation, est que celui-ci vérifie selon sa propre vision intérieure ce que lui, Ibn Tufayl, a expérimenté au fait de sa contemplation (i). C'est précisément ce dernier fait; l'évocation d'une. expérience personnelle de la vision contemplative par Ibn Tufayl (2), - insuffisamment pris en compte, nous semble t ’il, par les interprètes - que nous voudrions prendre comme point de départ pour tenter de comprendre l'unité de sa démarche entre ses déclarations dans le prologue et leurs conséquences sur la forme du récit. Depuis le début du prologue jusqu'à la fin du récit, Ibn Tufayl est d'une rigueur constante pour signaler et circonscrire les difficultés relatives à l'expression, et les limites du langage pour rendre compte de cet (I) L. Gauthier, Hayy Ben Yaqdhân, roman philosophique d'Ibn Thofail, Beyrouth 1936, p. 19,1. 6-8. (2) Elle est rappelée trois fois dans le prologue: Hayy., pp. 4, 1. 4; 6, 1. 3; 18, 1. 10. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 115 /131 ABDELALI ELAMRANI-JAMAL état que l'on appellera vision contemplative (mušâhada)(3), que ne goûtent que ceux qui ont atteint le stade ultime de la proximité de Dieu (walâya). , Plus, il nous semble qu'Ibn Tufayl formule dès les premières lignes du prologue un problème d'une grande gravité dans la tradition de la mystique musulmane, problème qu'il évoque à partir de son expérience propre et généralise à partir des expériences de ceux parmi ses prédécesseurs qui ont connu le même état. Que peut-on dire de cet état lorsqu'on en a fait l'expérience sans qu'il soit oeuvre d'imagination? Et surtout, s'il y a quelque chose à en dire, comment le dire? Telles sont les deux questions qui fondent le problème. Pour essayer d'éclaircir ces deux questions nous devons dans un premier temps reprendre à nouveaux frais l'analyse de certains passages du prologue; dégager dans un second temps les conséquences des propos du prologue sur la forme d'expression littéraire qu'Ibn Tufayl a choisie, le récit fictif; évaluer dans un troisième temps, la réalisation dans le cours du récit de l'expression de cet état tel qu'il convient selon Ibn Tufayl. I. Que peut-on dire de la vision contemplative selon Ibn Tufayl? Le prologue est une pièce très dense où, nous semble-t-il, la primauté est donnée à l'expérience singulière de la vision contemplative (4). Avec les digressions qu'elle comporte, il convient de conférer une pleine unité d'intention à la première partie de ce prologue dans laquelle est posé précisément le problème général de l'expression de la vision contemplative. Pour répondre à une question qui peut être considérée comme relevant d'un ordre didactique, le dévoilement à un ami des secrets de la sagesse (3) Hayy., p. 4, 1. 4 où ce terme est attesté pour la première fois. (4) Nous divisons ce prologue en trois parties plutôt qu'en deux seulement comme le propose Sami S. Hawi dans Islamic Naturalism. and Mysticism. A Philosophic Study of Ibn Tofayl's Hayy Ibn Yaqzan, Leiden, Brill 1974, p. 22 et n. 4-p. 23 et n. 1. - la première partie que Hawi limite aux pages 3-4 irait jusqu'à la p.. 11, dernière ligne. Elle concernerait précisément la position du problème dé l'expression de la vision contemplative. - La deuxième irait de la p. 11, dernière ligne à la p. 18, ligne 5. Elle concerne les jugements d'Ibn Tufayl sur ses prédécesseurs, Ibn Bâgga, al-Fârâbi, Aristote, Ibn Sinâ et al-Gazâli. - La troisième partie irait de la p. 18, 1. 5 à la fin du prologue, p. 20, 1. 5. Ibn Tufayl y détermine son propre cheminement et les moyens qu'il se propose d'utiliser pour mettre son ami sur la voie qui le conduira à sa propre expérience de la vision contemplative. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 116 /131 EXPÉRIENCE DE LA VISION CONTEMPLATIVE 16 1 orientale d'Avicenne (5), Ibn Tufayl commence d'emblée par l'évocation d'une expérience singulière de la contemplation, la sienne propre suscitée, dit-il, par la question de son correspondant. La digression relative au comportement de certains parmi ceux qui ont expérimenté cet état de vision n'est pas à dissocier de l'évocation personnelle d'Ibn Tufayl. C'est en effet le même type d'expérience qu'il faut entendre lorsqu'il parle immédiatement après l'évocation personnelle de ceux qui ont prononcé, sous l'effet de cette vision et sans contrôle, certaines paroles globales et graves(6). C'est du “même état”, - «lorsqu'il y fut parvenu » - qu'al-Gazâli, « éduqué par les connaissances et raffiné par les sciences » (7) refusa de parler directement. A cause de son expérience personnelle, Ibn Tufayl se trouve confronté avec d'autres à un problème d'expression. Le problème est d'autant plus aigu que, durant cette digression, nous apprenons une réalité de fait, dont nous devons tenir compte et qui naturellement devrait influer sur les choix ultérieurs d'Ibn Tufayl : la joie, la volupté et le contentement que ressent celui qui a atteint cet état le mettent dans l'incapacité de le taire ou de cacher son secret (8). Mais nous apprenons aussi, et Ibn Tufayl se tiendra rigoureusement à cet énoncé jusqu'à la fin du récit, que l'état de contemplation ne peut être décrit par le langage ni être l'objet d'un discours clair. Après l'évocation de l'expérience d'al-Gazâli, nous nous trouvons dans une situation problématique: d'un côté on ne peut pas taire l'expérience de la vision contemplative. Mais en parler sans être éduqué par les sciences revient à parler sans maîtrise et donc à en parler mal et encourir les risques extrêmes. L'éducation par les sciences dispense d'en (5) Il est bien admis qu'Ibn Tufayl n'a pas disposé d'un ouvrage d'Avicenne ainsi intitulé. Voir M. Mahdi, «the Philosophical Literature», in The Cambridge History of Arabie Literature, Religion Learning and Science in the `Abbasid Period, (edt, M.J.L Young, J.D. Latham and R. Serjeant) Cambridge University Press 1990, pp. 76-105, p. 88; plus récemment, D. Gutas a fait le point sur l'ambiguïté de l'expression hikma masriqiyya chez Ibn Tufayl et sur toute la littérature qu'elle a suscitée, cf. D. Gutas, « Ibn Tufayl on Ibn Sinâ's Eastern Philosophy», Oriens, vol. 34, (1994), pp. 222-241. Nous reviendrons plus tard sur la thèse de Gutas (pp. 231-233) selon laquelle Ibn Tufayl aurait délibérément, à partir du passage bien connu du prologue du Sifà' d'Ibn Sinâ, créé une fiction autour du contenu de ce mystérieux livre sur la philosophie orientale. (6) Hawi, Naturalism... p. 67 et ri. 2, 3 et 4, a raison de rapporter ce passage du prologue, relatif aux propos des soufis, (p. 4, 1. 10-12) aux termes identiques de miškàt al-:: ânwàr d'al-Gazâli. (7) Hayy., p. 4, 1. 13-p. 14,1. 1. (8) Hayy., p. 4, 1. 7-8 : là yastati `u man wasala ilayhà... an yaktuma ‘amrahà aw yuhfi sirrahà. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 117 /131 ABDELALI ELAMRANI-JAMAL parler directement. D'un autre côté, d'après l'expérience d'Ibn Tufayl, langage ne peut rien dire du contenu de cet état. Continuons pour le moment l'analyse de la première partie du prologue. Après avoir admis l'existence de cet état et le problème qui se .pose au niveau de son expression, Ibn Tufayl va tenter de le faire connaître par contraste ou opposition à d'autres états qui pourraient s'assimiler à lui. Exposant alors l'état de jonction (al-ittisâl) dont parle Ibn Bâgga Ibn Tufayl le réduit au domaine de la connaissance spéculative et lui refuse la possibilité de s'assimiler à l'état que lui et d'autres ont expérimente. Cet état est reconnu par une donnée qui ne peut être du domaine de la connaissance spéculative, le dawq (le goût) qui introduit une dimension d'ordre qualitatif dans le cheminement vers la vision contemplative. Aussi c'est à Ibn Sinâ que l'on revient, et à son texte des Isàrât (9). pour continuer d'approcher cet état que le šayh Abû 'Ali, de l'avis d'Ibn Tufayl, a décrit, entendant qu'il devait être reconnu précisément dans cette dimension qui échappe à la connaissance spéculative, le dawq (10) . Le texte des Išâràt est appelé à ce niveau pour conforter la perspective de ceux (11) qui ont connu la vision contemplative par la qualité du dawq. L'exemple de l'aveugle-né qui retrouve la vue par lequel Ibn Tufayl illustre la différence qualitative entre les deux types de connaissance, la connaissance spéculative (al-idrâk al-nazari), à laquelle s'est arrêté Ibn Bâĝĝa et qu'il n'a pas dépassée(12) et la connaissance savoureuse (al mušâhadda bi-l-dawq) qui a été atteinte au stade de la proximité de Dieu (walâya) par certains constitue le noeud du prologue autour duquel d'âpres discussions peuvent s'élaborer pour savoir s'il y a une réelle différence entre les, deux types de connaissance (13). (9)_ Yayy., pp- 6-7. (10)_ Hayy., p. 7, 1. 8. (11)_Ibn Tufayl entend (Hayy., p. 7, 1. 10)' inclure dans cette catégorie (hàdihi al-tà'ifa) les mystiques dont il a parlé plus haut, al-Gazâli, voir lui-même et non pas seulement ceux qu'auraient décrit Avicenne, comme semble l'interpréter D. Gutas, art. cit, p. 225, [3], 1. 10-11. (12)_ Ibn Tufayl affirme qu'Ibn Bâğğa a sans aucun doute atteint ce stade élevé de la connaissance spéculative, mais « qu'il ne l'a pas dépassé » (lam yatahattahà), ce que Gauthier traduit par erreur à notre avis « et n'a point manqué [ce but]»; Hayy. trad. p. 4, 1. 11-12. (13)_ Selon Gutas, art. cit, p. 237, Ibn Tufayl donnerait seulement l'impression qu'il établit une hiérarchie verticale entre les deux types de connaissance alors qu'en réalité il n'établirait qu'une distinction horizontale entre deux aspects d'une même connaissance suivant deux voies différant seulement par des « qualités accidentelles », la seconde étant caractérisée par plus de clarté accompagnée d'un grand plaisir. Si l'on considère à la lettre l'exemple de l'aveugle-né qui recouvre la vue, il est difficile de dire que la différence Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 118 /131 EXPÉRIENCE DE LA VISION CONTEMPLATIVE 163 Ce qu'il y a de plus dans la connaissance savoureuse c'est une plus grande clarté qu'accompagne une grande joie. La connaissance des couleurs par leurs noms et leurs définitions dans l'état de cécité équivaut à la connaissance spéculative d'Ibn Bâğğa (14) engendrée par la faculté rationnelle; la perception réelle des couleurs dans la perspective de la connaissance savoureuse est engendrée par ce que l'on ne peut que métaphoriquement appeler une faculté mais qui ne peut en réalité strictement pas être nommé, que ce soit par un mot commun ou par un mot dont il pourrait être convenu dans un art particulier (15). Un stade supérieur de la perception qui réintroduit des données qualitatives propres à la perception sensorielle : la vision réelle des couleurs, non leur connaissance par discursivité, et selon des qualités psychologiques, (profonde joie et volupté), détermine le caractère nécessairement singulier de la vision contemplative. Ainsi identifié, cet état peut susciter toutes les réserves quant à son authenticité et même sa négation. C'est précisément l'attitude d'Ibn Bâğğa à l'égard d'al-Gazâli nommément désigné, évoquée par Ibn Tufayl. entre la vision réelle des couleurs et leur connaissance par leurs noms et leurs définitions n'est qu'une différence liée à des qualités accidentelles. Le rapport entre la cécité et la vue implique plus de nuance …...La singularité de l'expérience contemplative est ce qui ordonne une distinction essentielle entre les deux niveaux de connaissance. cf. plus bas, n. 14. (14) Ha yy., p. 9,1. 1-3. (15) Hayy., pp. 5-6. Il est difficile d'identifier sans discussion cette chose qu'Ibn Tufayl affirme strictement ne pas pouvoir nommer ni selon un langage commun ni selon un langage technique (celui-ci pouvant être en l'occurrence celui de la psychologie d'Avicenne qu'il connaît bien) à la «faculté sainte» que l'auteur du Sifâ' considère le plus haut degré de la prophétie, comme le fait Gutas, art. cit., p. 226, n. 12 et pp. 236-37. Ibn Tufayl ne parle de la vision contemplative dans tout son traité que par rapport au stade de la walâya, jamais de la prophétie. En outre, il a admis la possibilité de cet état chez certains sans nécessité pour eux du recours à la connaissance spéculative (Hayy, p. 9, 1. 5-6). Cet état est différent de celui qui serait la contraction en un instant de la connaissance de tous les moyens termes nécessaires à l'établissement des conclusions certaines tel que le décrit Avicenne (Avicenna's De Anima, éd. F. Rahman, pp. 248-250). Enfin lorsque Hayy Ibn Yaqzân connaît l'une de ses plus profondes intuitions (hads) (Hayy., p. 99, 1. 2-3), il n'est pas dans l'état contemplatif dont l'instrument ne peut strictement être nommé. (16) Hayy., p. 10, 1. 1-2; cf. L'épître de l'adieu d'Ibn Bâğğa, éd. Majid Fakry, Beyrouth, 1991, p. 121 dans laquelle le philosophe de Saragosse critique violemment en la personne d'al-Gazâli la perspective de la vision contemplative évoquée par Ibn Tufayl: «Dans son livre al-Munqid min al-dalâl, qui nous est parvenu, dit-il, l'individu dénommé Abû Hàmid al-Gazâli raconte avoir contemplé pendant sa retraite des choses divines et qu'il a éprouvé une profonde réjouissance... Tout cela n'est qu'imaginations et chose qu'il substituait à la vérité... ». Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 119 /131 ABDELALI ELAMRANI-JAMAL Or cet état est reconnu et a été expérimenté, légèrement, par Tufayl. C'est même ce qui fournit un argument contre Ibn Bâğğa qui devrait se garder de « déclarer douce la saveur d'une chose qu’[il] n' pas goûtée (17)» . Nous sommes de nouveau renvoyés à la singularité de l'expérience et par suite à l'impossibilité d'en révéler le contenu par le langage parce que celui-ci est naturellement et essentiellement impropre à l'exprimer. Ibn Tufayl se tiendra rigoureusement à ce principe annoncé: dès les premières lignes du prologue, étayé dans toute cette première partie, et rappelé jusqu'à la fin de l'étape contemplative de Hayy Ibn Yaqzân dans le récit. Ainsi, la vérité de ce qui est perçu dans l'état de vision contemplative ne peut être décrit par la parole ou l'écrit sans que son essence ('aynuhu) ne soit nécessairement altérée et qu'il ne devienne autres (18); celui qui cherche à exprimer cet état par la parole tente une chose impossible (19). Seule l'arrivée à cet état permet d'en reconnaître l'évidence (20). Ce qui est mis en place dans cette première partie du prologue ce sont les termes du débat entre ceux qui ont connu l'état, parmi lesquels il faut compter l'auteur du récit, certains mystiques et al-Gazâli, et les tenants de la seule connaissance spéculative, représentés par Ibn Bâğğa. La question initiale du correspondant cherchant à connaître les secrets de la sagesse orientale d'Avicenne se trouve dédoublée par le débat qu'instaure Ibn Tufayl entre les deux types de connaissance. Relativement à la première, la réponse est nette: il est impossible de parler directement du contenu de ce type de connaissance. Faire connaître l'état de la vision contemplative selon la méthode des tenants de la connaissance spéculative est une chose concevable sur le mode du discours (21). Cependant personne - en Andalousie du moins - n'en a parlé directement, mais seulement par symboles (ramzan)(22). La seconde partie du prologue (23), qui consiste dans la recension des oeuvres des philosophes antérieurs, Aristote, al-Fârâbî, Avicenne, l'ensemble des andalous, y compris Ibn Bâğğa, et dans une place à part. (17)Hayy., p. 10, 1. 3-4. (18) Hayy., pp. 10-11. i9 (19) Hayy., p. 121, 1. 11: wa man ràma al-ta`bîr 'an tilka al-hàl fa-qad ràma mustahilan. (20)Hayy., p. 122, 1. 11: id là sabïl ilà al-tahaqquqi bimà fi' dàlika al maqàm illà bi-l-wusûli ilayhi; p. 126, 1. 6-7. (21) Hayy., p. 11, 1. 8: yuhtamal an yûda â fi-l-kutub wa tatasarrafa fihi-l-`ibàràt. (22) Hayy., p. 11, 1. 11-12. (23) Voir plus haut, n. 4. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 120 /131 EXPÉRIENCE DE LA VISION CONTEMPLATIVE al-Gazâli, est dans la continuité de la première. Ibn Tufayl y annonce d'emblée puis explique comment aucune de ces oeuvres n'a atteint le but que lui-même s'est assigné(24). Deux auteurs, Avicenne et al-Gazâli, qui avaient paru au début du prologue comme témoins de la vérité de la vision contemplative telle qu'il dit l'avoir connue, sont gardés pour la fin de cette analyse critique des philosophes antérieurs. L'oeuvre du premier, le Sifâ' - s'il est lu de la façon qu'Ibn Sinà lui-même recommande - a la faveur de notre auteur pour aider à atteindre le but qu'il s'est proposé (25). L'enseignement du second qui procède par (24) Nous proposons de lire bi hàdà al-garad al-ladi aradtuhu (Hayy., p. 12, 1. 1-2) et non aradtahu comme cela apparaît à travers la traduction de Gauthier, trad. p. 10, 1.5: «...au désir qui est le tien». Ibn Tufayl semble récapituler à cet endroit toute son approche antérieure de la vision contemplative. (25) Nous devons, comme nous l'avions annoncé plus haut, (n. 5) revenir ici sur les rapports d'Ibn Tufayl avec la philosophie orientale d'Avicenne pour évaluer à sa juste valeur la perspective nouvelle qu'il affirme inaugurer à partir de ses lectures et de son expérience de la vision contemplative. Il nous semble que les propos d'Ibn Tufayl sur le Sifâ' (Hayy., p. 15, 1. 3-6) éclairent parfaitement ces rapports: Avicenne avait dit dans le prologue du Sifà' (Madhal, p. 10, 1. I1-17) qu'il avait un autre livre, le livre de la philosophie orientale que celui qui cherche la vérité sans détour devait demander. Il avait ajouté que «celui qui cherche la vérité selon une voie qui contente les collègues et use de longs éclaircissements et d'allusions qui, si elles étaient perçues attentivement (wa talwihun bimà law futina lahu) dispenseraient de l'autre ouvrage (i.e la philosophie orientale), celui-là doit se contenter de cet ouvrage (i.e le Sifa'». Le dernier trait de style qui caractérise la méthode du Sifâ', c'est-à-dire l'usage d'allusions, permet aisément à Ibn Tufayl d'abord de supposer un aspect ésotérique dans le Sifâ'; ensuite, cet aspect étant admis, de souscrire à la recommandation d'Ibn Sinâ qui dispense son lecteur du recours a sa philosophie orientale si les allusions contenues dans le Sifâ' sont perçues attentivement. Ibn Tufayl ne fait que gloser le texte mentionné du prologue du Sifà': « wa idà uhida jami`u mà tu `tihi kutubu aristû wa kitàbu al-sifà' âlâ zàhirihi dûna an yutafattana li-sirrihi wa bàtinihi lam yûsal bihi ilà al-kamàl hasba mà nabbaha `alayhi abû `ali ft kitàb al-sifà'». Ibn Tufayl est fondé à reconnaître sous la méthode du talwih des éléments ésotériques dans le Sifâ'. Il use aussi du verbe tafattana de la même racine fatana dont a usé Avicenne, pour conclure « comme en a avisé le šayh Abù `Ali», en suivant à la lettre le propos d'Avicenne. On ne peut dès lors, nous semble-t-il, attribuer à Ibn Tufayl l'invention d'une fiction sur le contenu de la philosophie orientale à partir de ce passage du prologue du a ifà' comme l'affirme D. Gutas. (art. cit. p. 231). Ibn Tufayl n'a pas opposé doctrina- le Sifâ' à la philosophie orientale, alors que l'opposition originaire entre les deux textes chez Avicenne n'aurait été que d'ordre stylistique. Ibn Tufayl ne disposait pas d'un livre intitulé ou contenant la philosophie orientale, mais il pouvait, en suivant la lettre du prologue d'Avicenne, recueillir des éléments de la philosophie orientale en prêtant l'attention appropriée à certaines allusions contenues dans le Sifà'. Il est à noter que la première mention est faite à la sagesse orientale (hikma masriqiyya) que l'on doit acquérir, (Hayy, p. 4, 1. 1), non à la philosophie orientale (falsafa masriqiyya), expression qui désigne l'ouvrage d'Avicenne (Hayy., pp. 14,1. 13-15,1. 1). Ibn Tufayl ne chercherait pas ABDELALI ELAMRANI-JAMAL Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 121 /131 énigmes et allusions n'est profitable qu'à celui dont la vision intérieure perçoit d'abord leur contenu avant de les entendre expliquées par al Gazâli. Mais celui-ci est compté parmi ceux qui ont atteint les stades suprêmes de la contemplation (26). On voit de ce fait comment Ibn Tufayl a pu s'aider pour son propre cheminement par les oeuvres bien connues d'al-Gazâli, non par ses ouvrages spécifiquement ésotériques (27). Etant donné le problème que pose le langage pour l'expression de la vision contemplative, formulé dans la première partie, et l'inadéquation des oeuvres philosophiques antérieures à satisfaire au but d'Ibn Tufayl établie dans la seconde, la troisième et dernière partie du prologue (28) devra définir la démarche propre qu'il compte suivre pour rendre compte de son expérience. Il. Comment dire l'expérience de la vision contemplative? Les étapes qui ont amené Ibn Tufayl à s'exprimer sur cet état sont établies suivant un ordre précis au début de cette troisième partie. Les enseignements combinés de Gazâli et d'Ibn Sinâ, mis en rapport avec les opinions des philosophes de son temps l'ont conduit à la vérité à laquelle il est parvenu, d'abord par la voie spéculative, puis à avoir de cette vérité une expérience gustative présente par la vision contemplative. C'est alors seulement (wa hina'idin) qu'il s'est senti la capacité de dire quelque chose de convenable pour la postérité (29). En suivant rigoureusement ces propos, ce n’est qu’au terme de la seconde étape que l’expression d’Ibn Tufayl a été rendue possible. On ne doit pas s’attendre à ce qu’il restitue successivement le contenu de chacune des deux étapes. au début du prologue à faire de la sagesse orientale une philosophie tout à fait étrangère à celle du Sifâ. Enfin lorsqu'il affirmera plus tard qu'il n'a pu quant à lui dégager la vérité qu'en suivant les propos d'al-Gazâli et ceux d'Avicenne et en les renvoyant les uns aux autres, on peut supposer qu'il ne disposait, en ce qui concerne Avicenne, que des ouvrages dont il a parlé, ou dont il a cité des passages: le Šifâ' et les Isârât (26) Hayy., p. 18, 1. 3-4, qui sont un rappel de p. 4, 1. 13. (27) Hayy., p. 18, 1. 4-5. La longue investigation sur la présence en Andalousie de livres ésotériques d'al-Gazâli, et la réponse négative du prologue sert aussi un objectif général d'Ibn Tufayl à savoir le besoin du non recours dans le cheminement vers la vision contemplative à des ouvrages didactiques, en l'occurrence ceux d'al-Gazâli, traitant de la science du dévoilement (`ilm al-mukâsafa). (28) Voir plus haut, n. 4. (29) Hayy., p. 18, 1. 9-11. (30) Le tout ici n'est pas égal à la somme des parties. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 122 /131 EXPÉRIENCE DE LA VISION CONTEMPLATIVE Si nous reprenons la situation problématique qui avait été circonscrite dans la première partie du prologue, nous pouvons commencer d'entrevoir la démarche qu'engage Ibn Tufayl pour la résoudre. Comme tous ceux qui ont connu l'état contemplatif, il ne peut le taire, ni en cacher le secret. Mais après son expérience propre, comment peut il en parler? De la première étape, il ne peut nous restituer le contenu tel qu'il pouvait être conçu dans la situation de l'aveugle-né ou, ce qui revient au même, selon la méthode suivie par Ibn Bâğğa pour atteindre le stade de la félicité dans l'ordre (tawr) de la pensée. L'aveuglené qui recouvre la vue ne peut plus parler de l'état de cécité comme s'il n'avait connu que cet état. De même celui qui, au stade de la walâya, fait l'expérience de la connaissance savoureuse ne peut plus restituer le contenu de l'étape spéculative comme s'il n'avait pas dépassé ce niveau de la connaissance. De la seconde il ne peut absolument pas révéler le contenu par les mots. Il lui faut donc trouver un moyen d'expression qui tienne compte simultanément, après leur achèvement, de .deux étapes successives de la connaissance. Ce moyen est nécessairement un discours. Mais ce discours ne peut être révélateur directement des contenus de l'une ou l'autre étapes. Il est d'un genre (namat), nous dira-t-il à la fin de son ouvrage, qui n'a pas été consigné dans un livre ni n'appartient à un discours ordinaire(3l). Ce discours sera incitatif et non exhaustif, de nature à susciter le désir d'emprunter la voie qu'a suivie Ibn Tufayl (32). Ce type de discours est reconnu comme celui d'un récit, la qissa (33). Celle-ci, dans sa forme .« littéraire » est rapprochée du récit coranique. Les personnages nommés dans les oeuvres d' Ibn Sinâ, Hayy Ibn Yaqzan, Asàl et Salâmân deviennent, comme les personnages coraniques, ceux dont l'exemple sert à tracer une voie (34). Le schème narratif (31) Hayy., p. 155, 1. 2-3 wa qad ištamala `alâ namatin min al-kalâm là yûjadu fi kitàb wa là yusma `u fi mu`tâdi hitâb. Nous retenons la leçon des mss CL, namatin plutôt que hazzin du ms B retenue par Gauthier. (32) Pour caractériser la portée incitative de ce genre de discours, pratiquement la même formule du prologue est reprise à la fin de l'ouvrage; Hayy., p. 20, 1. 2-3: 'alâ sabil-al-tašwîq wa-l-hatti `alâ duhûli-l-tariq; p. 156, 1. 9: 'alâ wajhi-l-targib wa-l-tašwiq fi duhûli-l-tariq. (33) Nous préférons traduire ce. mot par récit plutôt que par conte comme Blachère (Coran, XII, 3, « Nous te contons les plus beaux contes »!.. ou histoire comme Kazimirski, même texte: «Nous allons te raconter Ô Mohammed la plus belle des histoires révélée dans le Coran». (34) Hayy., p. 20, 1. 4-5, le texte combine deux morceaux de deux versets coraniques, XII, 111 et L. 36 dont Gauthier ne signale que le second (trad. p. 18, n. 2) Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 123 /131 ABDELALI ELAMRANI-JAMAL emprunté au récit coranique est encore rappelé par Ibn Tufayl à la fin d l'ouvrage(35). Le recours au genre du récit ainsi déterminé ne semble pas relever d'un artifice « littéraire », mais appelé par les propos d'Ibn Tufayl sur les rapports du langage à l'expression du contenu de la vision contemplative Une consigne à son correspondant fixe le rapport qu'entretiendra le candidat à la vision contemplative avec le discours qu'Ibn Tufayl s'est résolu à consigner. Le but est qu'au terme de la quête le correspondant d'Ibn Tufayl contemple ce que celui-ci a contemplé, qu'il vérifie par sa vision intérieure ce que le narrateur a vérifié, et surtout qu'il devienne en mesure de délier sa connaissance de la sienne (36). Cette dernière condition détermine le caractère absolument singulier de l'expérience. La connaissance commune contenue dans le récit doit être résorbée dans l'expérience singulière à l'arrivée (al-wusûl) et n'aura qu'un statut provisoire au regard de l'étape ultime de la vision contemplative, si elle a lieu. Le langage commun, celui de la spéculation, ne peut par sa propre vertu nous y faire accéder. S'il en est ainsi, le récit devient l'instrument d'un genre adéquat à l'intention du narrateur. Il lui permet de contourner la difficulté fondamentale liée à l'expression que nous avons circonscrite au début de cette étude. Nous sommes avec Ibn Tufayl au fait d'une expérience qu'il ne peut taire. Mais le type de discours dont on usera doit respecter la limite naturelle du langage à savoir son incapacité à révéler le contenu de l'expérience. Ce discours ne sera pas une forme dégradée des deux étapes de la connaissance qui conduisent à la vision contemplative et de nature seulement à frapper l'imagination du lecteur, mais un discours qui, succédant à la propre expérience d'Ibn Tufayl doit signaler cet itinéraire avec les caractéristiques de l'état: similitude à l'état d'ivresse, exultation et volupté. Le récit est cette forme poétique de l'expression, autre que l'expression par le langage ordinaire, qui permet de susciter l'émotion et l'engagement dans la quête (37) et dire quelque chose de l'état sans tomber dans le travers des mystiques qui en ont parlé sans maîtrise. (35) Hayy., p. 134, 1. 9 et p. 155, 1. 2; sa âtluhu et min naba’ï rappellent Le Coran , XVIII,71. Le problème général du rapport du texte coranique aux éléments du récit d'Ibn Tufayl et en particulier son intégration de versets par morceaux dans le cours du récit mérite une analyse spécifique qui entrerait, avec le recours au saj’ ou prose rimée, dans une étude stylistique générale que nous devrons consacrer à cette oeuvre dans un autre travail. (36) Hayy., p. 19, 1. 7-8, wa tastagnî `an rabti ma `rifatika bimâ `arafnâh. (37) Voir ci-dessus, n. 32. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 124 /131 EXPÉRIENCE DE LA VISION CONTEMPLATIVE Le récit sous cette forme n'est pas une version artistique des thèses philosophiques d'Ibn Tufayl. Le récit prend 1e relais des deux étapes de la connaissance que le narrateur a parcourues. Quand le philosophe est parvenu à la fin de ses déductions et de ses inférences, les ressources de l'imagination, par le récit, lui permettent de prolonger le pensable ou le concevable et de parler, sans en révéler le contenu, de l'expérience métaphysique que la faculté spéculative est incapable d'approcher. Le recours au récit (qissa) est ainsi une conséquence d'une expérience contemplative, celle d'Ibn Tufayl. Ce récit doit porter la marque de cette expérience tout en se conformant aux limites que le narrateur a assigné au langage. Le dawq du narrateur se révélera dans cette forme d'expression qu'il a qualifiée d'originale et spécifique. III. Que dit-on de la vision contemplative? Nous pouvons maintenant vérifier dans quelques passages du récit comment Ibn Tufayl s'est conformé à ses principes et a rendu compte, de la façon qu'il a dite, de la vision contemplative. Dans les dernières lignes de son ouvrage, Ibn Tufayl s'excuse auprès de ses frères qui s'assureront des propos qu'il a consignés dans son récit de la facilité qu'il s'est accordée et de la liberté qu'il a prise à l'égard de ce qu'il devait démontrer et établir. La raison de cette conduite est donnée dans une phrase d'une teneur poétique remarquable: « je n'ai fait cela, dit-il, que parce que je m'étais élevé à des hauteurs que le regard ne saurait voir sans défaillir » (38). Cela conforte notre opinion qu'après l'arrivée à l'état de vision contemplative, et sous l'effet de la joie qu'il procure, le narrateur ne peut rétablir dans le récit l'étape spéculative de la connaissance avec tout l'appareil conceptuel et logique qu'elle avait mis en oeuvre pour amener le philosophe au seuil de son expérience mystique. Plusieurs passages indiquent le saut que fait le narrateur pour l'établissement de conclusions nécessaires à la progression dans le récit de ce qui reflèterait l'étape spéculative. Nous en donnerons trois exemples. (38) Hayy., p. 156, 1. 7-8: « falam 'af al dàlik illà li'anni tasannamtu sawàhiqà yazillu-l-tarfu `an mar'àhà». La traduction de ce passage par Gauthier en réduit considérablement la portée et fausse, nous semble-t-il, l'intention d'Ibn Tufayl; Gauthier, trad. p. 114, 1. 68: « Je ne suis tombé dans ces (défauts) que parce que je m'élevais à des hauteurs où le regard ne saurait atteindre ». Son manque de rigueur n'est pas dû à un travers dans lequel il serait tombé, mais à l'état de contemplation qui l'élevait au dessus de l'exposé rigoureux. Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 125 /131 ABDELALI ELAMRANI-JAMAL C'est la découverte fortuite du feu qui, par une simple analogie avec sa chaleur, permet de poser l'existence du pneuma animal (rûh haya- wâni), donnée sur laquelle repose toute l'exposition de la spéculation biologique du récit (39). Une donnée essentielle de la progression dans la connaissance astronomique, l'explication du mouvement des astres et l'existence de la Sphère extrême est contractée par un choix délibéré du narrateur en affirmant qu'« il serait trop long de détailler les découvertes qu'il (Hayy). fit successivement dans cette science» et que «tout cela est exposé dans les livres» (40). Enfin la thèse fondamentale que les Corps Célestes sont doués d'Essences qui connaissent Dieu, thèse ouvrant, à terme, sur la vision contemplative qui n'est le résultat que d'une forte intuition (hads qawiyy) (41). Quant à l'étape de la connaissance savoureuse, le terme de la quête de Hayy Ibn Yaqzân et l'objet principal du récit, comme le prologue l'avait défini, elle se développe dans les limites de l'expression qu'Ibn Tufayl s'était assignées. Ce n'est pas le langage objectif ou le discours direct qui en rendent compte. Au moment ultime de l'arrivée (al-wusûl) à la vision contemplative, après que l'essence de Hayy disparut parmi les Essences qui ont la connaissance de l'Existant véritable, le discours du narrateur s'évanouit et se confond dans une citation coranique qui fait parler Dieu à Lui-même (42). Hayy est à l'écoute d'une parole coranique dans le récit. Le narrateur a ainsi sauvé son principe de l'impossibilité de révéler le contenu. de la vision de Hayy (43). (39) Hayy:, pp. 48-51, particulièrement p. 49, 1. 6-8. C'est son affection pour le feu qui mit dans l'esprit de Hayy l'idée que la chose qui s'était envolée du coeur de la gazelle était de la substance du feu ou du même genre. (40) Hayy., p. 80, 1. 1-3. (41)Hayy., p. 99, 1. 2. (42) Coran, XL, 16. En traduisant les mots qui précèdent cette citation: wa huwa yaqûlu biqawlihi (Se disant par sa Parole) par: « lui disant » Gauthier manque, nous semble-t-il, l'intention de ce passage crucial. (trad. p. 87, 1. 3). (43 Ces quelques lignes (Hayy., pp. 120, 1. 12-13, 121, 1. 1-3) dans lesquelles la mušâhada revêt la forme d'une écoute, non d'une vision directe (ru’yâ ou nazar) appellent plusieurs remarques. (1) L'on peut rapprocher ce texte du récit de Moïse qui, selon le Coran, n'obtient pas la vision directe, mais à qui Dieu parle. La différence est que dans le récit d'Ibn Tufayl, Hayy entend la Parole de Dieu à Lui-même. (2) Bien que son essence se soit évanouie, Hayy subsiste et son existence singulière doit être assurée afin que son écoute soit possible. Il y a là un problème philosophique qui doit s'analyser - nous suggérons ici seulement une perspective de recherche pour un autre travail - dans les termes de la distinction de l'essence et de l'existence selon Avicenne qui nous semble sous-jacente Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 126 /131 EXPÉRIENCE DE LA VISION CONTEMPLATIVE Le narrateur se tient encore à ce principe dans l'étape de la descente puisque depuis la vision du Corps extrême de l'Univers jusqu'à celle des intellects humains et leur état de joie ou de tourmente, il ne s'exprime que: « par quelques indications sous forme allégorique (`alà sabir darb al-mitàl), non en frappant à la porte de la vérité « (44) Conclusion L'analyse du prologue du récit d'Ibn Tufayl nous a montré qu'il est l'héritier à la fois de problèmes liés dans la tradition musulmane à l'expression d'un état qui dépasse la conscience rationnelle et d'une tradition philosophique. Le problème qu'il doit résoudre est celui soulevé par différents biais entre l'expression soufie de la vision contemplative et celle de la mystique intellectualiste d'Ibn Bâğğa. Il lui a fallu inventer un moyen d'exprimer le résultat d'une expérience qui de son avis ne peutêtre que singulière, le récit fictif. Du point de vue philosophique c'est un problème noétique posé par Aristote et enrichi dans la philosophie islamique, celui de la perception ou de la saisie des choses séparées ou, des simples qu'Ibn Tufayl essaie de résoudre (45). Averroès explicite ainsi dans son commentaire à ce texte le sens de la saisie intuitive des êtres séparés qui nous ramènera, par son jugement sur Ibn Bâğğa, au problème d'Ibn Tufayl: « ...et nous avons montré, à maintes reprises, dit-il, que le bonheur ultime, à savoir la vision de l'intellect séparé, est le fait d'une puissance qui advient dans l'intellect spéculatif en son état achevé, semblable à la puissance qui advient lors de la vision des couleurs, non le fait d'une puissance de l'espèce des puissances réflexives, acquises par délibération et pensée. Il n'en est pas en effet, comme le pensait Abû Bakr Ibn al-Sâ'ig, que la chose est acquise par une pensée» (46). à ces pages, notamment lorsqu 'Ibn Tufayl revient sur l'illusion qui a saisi Hayy sur son identité avec Dieu. (pp. 120-124). (3) C'est une simple conjecture sur ces pages qui fait soutenir à J.C. Burgel qu'il ne ferait pas de doute qu'à ses moments d'extase Hayy expérimente son identité avec Dieu. cf. J.C Bürgel, «Ibn Tufayl and his Hayy Ibn Yaqzân: A Turning Point in Arabic Philosophical Writing», in The Legacy of Muslim Spain; K. Jayyusi (edt), Leiden, 1992, pp. 831-846, p. 843. (44)Hayy., p. 122, 1. 2-3. (45) Aristote, Métaphysique, 0 chap. 10, (1051 b24). (46) Averroès, Tafsir mâba`da al-tabi`a, (Grand Commentaire de la Métaphysique), éd. M. Bouyges, Beyr Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 127 /131 Islamologie 1/2002-2003/ ABDELALI ELAMRANI-JAMAL La remarque d'Averroès sur Ibn Bâğğa est pratiquement une formule condensée de la longue exposition d'Ibn Tufayl dans le prologue. La. comparaison de la saisie des êtres séparés à la perception des couleurs. rappelle la situation de l'aveugle qui a retrouvé la vue dans l'exemple d'Ibn Tufayl. Celui-ci a montré peut-être qu'à la limite de toute mystique de l'intelligible le relais est pris par une forme poétique de l'expression. Sa conscience aiguë des limites du langage milite pour la singularité absolue de l'expérience métaphysique et la possibilité de sa traduction en d'autres langages que celui de la philosophie. Abdelali ELAMRANI-JAMAL CNRS - Paris Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 1 /131 Islamologie 2/2002-2003/ HORS COURS Mais concernant Mahmoud AZAB Islam : La révolution nécessaire L’islam fait peur. Devant les tours de Manhattan s’écroulant dans un bruit d’apocalypse, les folies sanguinaires des talibans, l’explosion de bombes humaines semant la mort autour d’elles, devant ces fanatiques surgis d’un autre âge qui tuent et meurent au nom d’Allah, on ne ressent qu’incompréhension et angoisse. Comment expliquer cette fureur et cette brutalité? Beaucoup de musulmans, eux aussi traumatisés, refusent de se reconnaître dans ces images d’une religion déviée par la haine. Dans le dossier que nous publions ici, sept intellectuels et penseurs de l’islam de haut niveau s’interrogent et dressent un terrible constat. Oui, l’islam est en crise; oui, l’islam est malade, et le malaise est profond. Les causes en sont multiples – trop longue glaciation du dogme, intangibilité des Textes, archaïsme du droit musulman –, mais tous arrivent à la même conclusion: il faut d’urgence réformer l’islam et le réconcilier avec le siècle. Non pas en copiant le modèle occidental, qu’ils jugent inadapté. Mais en soumettant à la critique ce qui, dans la religion, n’est que la traduction de mœurs ou de pratiques anciennes et en relisant à la lumière de la raison des textes sacrés réputés intouchables. Cette démarche inédite et courageuse n’est pas pour eux sans risques. Ils l’assument, clament leurs vérités, n’esquivent rien et soulèvent des questions considérées parfois comme sacrilèges. Peut-on remettre en question le Coran, parole divine révélée? Faut-il nettoyer la charia – le droit religieux musulman – de ce que l’un d’entre eux appelle «ses scories»? Jusqu’où pousser l’audace réformatrice sans pour autant perdre ce qui fait la grandeur et l’universalité de l’islam? Comment empêcher que la crise ouverte ne se retourne en un repli schizophrénique et violent sur un «âge d’or» largement mythifié? Catherine Farhi a mené cette enquête et ouvert le débat sur un problème qui, finalement, nous concerne tous. Josette Alia Par Catherine Farhi Si, pense-t-on en Occident, l’islam rejette le mouvement de l’Histoire, déclare la guerre sainte, veut une loi divine quand le monde est à l’heure des droits de l’homme et de la libération de la femme, c’est parce qu’il n’a pas, comme l’Europe, connu la réforme au moment voulu. Il faudrait donc, d’urgence, un aggiornamento à cette religion qui se mêle de politique. Cette réforme, les musulmans aussi l’appellent de leurs vœux. Les islamistes en tête. Car, pour eux, l’Histoire a perverti l’islam des origines, et la réforme doit consister en une restauration d’un passé idéalisé, un retour à la forme première, à la re-forme. Mais, loin des véhémences intégristes, s’élèvent aussi des voix représentatives d’un autre front, le front des réformistes de progrès. Quelques-uns nous disent ici comment ils envisagent l’avenir. Avec les réserves de l’intellectuel, de l’historien, du croyant, et le courage de ceux qui osent penser à contrecourant. Dans cette diversité, chacun apporte sa vérité. Ce que l’on apprend en premier lieu, c’est à l’Egyptien Mahmoud Azab, professeur d’hébreu à l’université al-Azhar, qu’on le doit. La réforme religieuse de l’islam, nous dit-il, a déjà eu lieu en Egypte avec Muhammad Abduh, il y a un siècle et demi, en même temps que la renaissance arabe (alnahda). Elle y a suscité des scandales, des combats entre tradition et progrès, entre conservatisme et modernité. C’est dans cette Egypte, première démocratie parlementaire arabe au xxe siècle, que la réforme a connu ses premières victoires et ses premières défaites…. Mahmoud Azab «La réforme a déjà eu lieu» Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 2 /131 Islamologie 3/2002-2003/ Le savant égyptien montre comment le mouvement réformiste s’est scindé en deux, engendrant d’un côté une mouvance intégriste, tournée vers le passé, et de l’autre un réformisme moderne, inspiré des sciences de l’homme. Moderniste de formation classique, Mahmoud Azab est professeur d’hébreu à la grande université islamique al-Azhar, au Caire. Il a particulièrement étudié les relations linguistiques entre la Bible et le Coran. Quel âge a la crise que traverse l’islam contemporain? C’est tard, dans une Egypte déjà colonisée par les Anglais, après un premier essai avorté, que le grand mouvement de réforme a creusé son véritable sillon avec le cheikh Muhammad Abduh, mort en 1905 (voir encadré p. IV). Il préconisait une réforme de la langue, une réforme du mode de raisonnement, une nouvelle exégèse du Texte. Si la langue arabe se devait d’exprimer la modernité, ni la langue de la rue ni celle, figée et archaïque, d’al-Azhar (université religieuse du Caire) ne le pouvaient. Grâce à une revue et à des cours du soir pour journalistes et écrivains, Muhammad Abduh a réussi à faire émerger une langue modernisée. Réussira-t-il aussi dans le domaine de la pensée, lui qui connut durant sa vie entière d’âpres polémiques avec al-Azhar, maudit par ces oulémas de l’université dont il était issu et qu’il accusait d’être responsables du gel de l’islam et de son arriération? Son action a surtout porté sur l’exégèse du Coran. Pour lui, l’islam est une culture du Texte. Impossible de le contourner. Inutile d’y apporter des transformations superficielles. Son exégèse parue dans la revue «al-Manâr» abordait et réglait dans une perspective de réforme les questions de fond qui se posent de nouveau aujourd’hui: la femme, les châtiments corporels, le rapport aux non-musulmans de l’intérieur et de l’extérieur. Muhammad Abduh voulait abolir la polygamie, au point d’en faire un péché, et régler la question des intérêts bancaires, qui étaient jusque-là assimilés à l’usure (ribâ), prohibée par le Coran. A sa mort, il avait achevé l’exégèse de trois grandes sourates du Coran et établi tout un inventaire de ce que lisaient alors les Egyptiens. En religion et en jurisprudence musulmane (fiqh), leurs lectures les plus récentes étaient vieilles de cinq siècles. Pour la vie spirituelle et religieuse, elles ne parlaient que des djinns, des démons et des hommes, ou bien de règles de conduite sexuelle… Rien d’éducatif. Inlassablement, il avait répété qu’al-Azhar devait initier le changement: la réforme devait venir de l’intérieur de l’islam. Ses disciples, tous ou presque issus d’al-Azhar, seront les grands réformateurs du xxe siècle. Réforme politique appliquée: Zaghloul Pacha. Réforme politique théorique des rapports entre islam et pouvoir: Ali Abdel Razeq. Réforme sociale pour la femme: Qasim Amin. Enfin rationalisme absolu et relecture de l’Histoire: Taha Husayn. D’autres s’associèrent à ce mouvement laïque de la pensée. Mais seuls les réformistes qui étaient liés à Muhammad Abduh introduisirent les sciences humaines dans la réflexion sur l’islam. On se trompe lourdement aujourd’hui si l’on croit que le retard technologique et scientifique est le seul problème qui se pose à nos sociétés musulmanes eu égard à la modernité. Ce sont nos sciences humaines et sociales qui sont très en retard. Ce courant de pensées, représenté surtout par Taha Husayn (voir encadré p. VI), sera précisément celui que les traditionalistes voudront tailler en pièces. «L’Islam et les fondements du pouvoir», d’Ali Abdel Razeq, «la Poésie antéislamique», de Taha Husayn, et «la Libération de la femme», de Qasim Amin, sont les trois grands livres qui ont marqué la pensée réformiste et moderne. Si l’on pouvait mesurer où en est aujourd’hui la mentalité de la rue égyptienne au regard de ces livres, on se convaincrait vite de l’urgence d’une nouvelle mise à jour de l’islam et de sa pensée. L’étude comparative faite par Taha Husayn s’attaquait déjà à cette vieille idée, encore répandue chez les musulmans, que l’islam est entièrement spécifique, sans exemple, et qu’on ne peut en aucun cas y toucher. Son livre provoqua un scandale aussi grand que l’ouvrage d’Ali Abdel Razeq sur la question fondamentale de l’islam et de sa relation étroite avec le pouvoir (voir encadré p. VII), et bien plus grand encore que les thèses de Nasr Abou Zeid (voir encadré p. IX) aujourd’hui. Mais, si ces livres soulevèrent des remous alors, l’Egypte vivait dans un meilleur climat intellectuel. Contrairement à l’infortuné Nasr Abou Zeid, leurs auteurs furent innocentés malgré les indignations qu’ils avaient Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 3 /131 Islamologie 4/2002-2003/ suscitées. Ce n’est pas une institution figée qui infligea au mouvement réformiste sa plus grande défaite. C’est, paradoxalement, Rashid Rida, mort dans les années30, qui avait été le grand disciple de Muhammad Abduh. Coupé par lui de la modernité, le mouvement de réforme aborda alors une courbe descendante, qui aboutit à Sayyed Qutb et aux mouvements islamistes violents. En écho aux changements politiques – notamment le durcissement de la mainmise britannique sur l’Egypte –, «le Commentaire d’alManâr», œuvre commencée par Muhammad Abduh et poursuivie par Rashid Rida, voyait sa dimension moderniste faiblir à l’extrême. Déjà les Frères musulmans étaient là (voir encadré cidessous). Et c’est au bout de cette courbe que Sayyid Qutb, au début des années30, s’embarquait pour les EtatsUnis grâce à une bourse d’étude. Au contraire de ce qu’éprouvaient, à la charnière du xixe et du xxe siècle, les premiers penseurs musulmans exilés ou simplement venus en visite à Paris, le choc avec l’étranger – dans ce cas, le Nouveau Monde et la société de consommation matérialiste – fut tel que Sayyid Qutb se trouva brutalement renvoyé à ses racines. Replié sur lui-même, il élabora sa théorie de la troisième voie, celle d’un islam entre «marxisme soviétique athée» et «capitalisme violent, égoïste et dépravé». Son exégèse coranique a pour tâche, verset par verset, de démontrer, après comparaison, la supériorité des préceptes de l’islam sur les propositions des marxistes puis sur celles des capitalistes occidentaux. Il y reprend la théorie de «la société hérétique», énoncée par l’Indien Abou Ala Mawdoudi, fondée sur ce verset coranique: «Ceux qui ne jugent pas selon les préceptes de Dieu sont des impies.» Nos sociétés musulmanes seraient impies, vivant de nouveaux siècles obscurs. Ce serait une deuxième jâhiliya, qui signifie «ignorance de la vérité religieuse» et désigne l’antéislam. Il faut, pour en sortir, déclarer le djihad, la guerre sainte. C’était l’idéologie des islamistes qui assassinèrent le président Anouar el-Sadate. Sayyid Qutb avait pris appui, pour étayer sa théorie, sur la question de l’abrogé et de l’abrogeant: il y a dans le Coran des versets de paix et des versets de guerre; auxquels obéir? Pour Muhammad Abduh, qui avait ouvert la voie à la réforme, on se devait d’obéir aux versets de la paix, qui annulent ceux de la guerre, parce que nous ne faisons plus la guerre. Non, dit Sayyid Qutb presque un siècle plus tard: c’est toujours la guerre, nous sommes toujours menacés… Par la méthode, sa démarche est exactement celle, inversée, de la réforme. Et c’est elle qui est à la source des pensées islamistes extrémistes d’aujourd’hui. Une pensée théorique de la violence, qui est devenue violence effective, née dans une société musulmane sous pression, en quête de solutions et d’identité. Mais le mouvement de modernisation n’est pas mort, sa voix est seulement recouverte. Les médias n’en font pas état. Ou alors ils ne mettent en lumière que ce qui fait événement. Or ce courant éclairé, qui est celui de la réforme, ne devient événement que lorsqu’on le malmène. Propos recueillis et traduits de l’arabe par Catherine Farhi Fondements historiques de l’Islamologie - PMO001 Pages 4 /131