SOCIOLOGIE : GENERALITES
La sociologie
Née au XIXe siècle dans le contexte des changements consécutifs à la Révolution française et à la révolution
industrielle, la sociologie, héritière des réflexions des philosophes et des politiques, s'est imposée comme
discipline autonome. Elle reste cependant hétéroclite dans ses objets d'étude comme dans ses projets
intellectuels, qu'elle cherche à expliquer les phénomènes sociaux, à critiquer la société pour la réformer ou à
déceler les tendances de son évolution.
Précurseurs et pionniers
Auguste Comte (1798-1857), à qui la discipline doit son nom de sociologie, a été le secrétaire de Saint‑Simon
(1760-1825). Celui-ci fut le premier à défendre l'idée d'une science qui étudierait la société comme un ritable
«être» ayant ses propres conditions d'équilibre dynamique. Son œuvre consiste pour une bonne part en vues sur
l'avenir de la société «industrielle» c’est à dire marquée par l'activité de production , appelée à être gérée,
selon lui, par une élite de scientifiques.
Auguste Comte, lui, entendit créer une «science des sciences» qui synthétiserait les connaissances des hommes
sur leur histoire et qui guiderait leur évolution vers un ordre social «positif», débarrassé des révolutions. Pour lui,
l'ordre social ne se réduit pas à l'ordre économique, et les individus ne sont pas seulement des acteurs de
l'économie, ils sont aussi des participants à des institutions. La sociologie, normative, avait donc à dire ce qui
devait être fait, mais elle n'avait aucun mépris pour le travail empirique et les enquêtes.
Si la pensée évolutionniste de Herbert Spencer (1820-1903) marque les débuts de la sociologie anglaise, c'est
dans la société non unifiée et tourmentée de l'Allemagne que la nouvelle science sociale se développe le plus
rapidement.
L'éclosion en Allemagne
Le juriste et économiste Lorenz Von Stein (1815-1890), en étudiant le mouvement ouvrier naissant, visait un but
pratique: limiter les effets perturbateurs des luttes sociales sur les systèmes politiques de son temps. La réflexion
de Karl Marx (1818-1883), à l'opposé, avait pour objectif une théorie critique de la société capitaliste. La
sociologie (il n'a lui-même jamais employé le terme) était pour lui élucidation de l'opacité des rapports sociaux.
Ferdinand Tönnies (1855-1936)
Il fut un des rares à reconnaître une dette à l'égard de Marx et de son œuvre. Ayant subi de multiples influences,
il a tenté de constituer une sociologie d'une grande rigueur scientifique qui reprendrait les hypothèses de
l'historicisme de Dilthey (pour qui chaque époque forme un tout et il n'y a pas de fixité sociale). C'est pourquoi il a
beaucoup utilisé les typologies où s'opposent des couples de catégories qui renvoient à des différenciations
historiques, mais aussi à des antagonismes du présent. Dans son principal ouvrage, Communauté et Société
(1887), il s'efforçait de démontrer qu'il y avait une dichotomie fondamentale entre la communauté,
prédominent les relations interpersonnelles immédiates, et la société, prédominent les relations médiates et
impersonnelles entre les individus. Les relations de type communautaire ne subsistent que de façon résiduelle
dans la société contemporaine, et les relations sociétaires placent les individus dans des situations d'isolement
progressif.
Georg Simmel (1858-1918)
Pour lui aussi, l'individu se perd dans un monde qui lui est étranger, notamment celui de la technique et des
institutions objectivées (le marché, l'argent). La société capitaliste est dominée par la «tragédie de la culture»,
cest‑à‑dire le décalage entre culture subjective celle de plus en plus raffinée de l'intériorité et culture
objective celle des objectivations produites par les pratiques sociales, formant peu à peu un monde particulier
ayant ses propres lois et de moins en moins accessible à l'intervention des individus, voire des groupes sociaux.
La sociologie (Sociologie, 1908; Questions fondamentales de sociologie, 1917) ne peut donc être une science de
la totalité sociale, mais seulement une discipline spécialisée des formes de la socialisation et des formes de
liaison entre individus et groupes, de la coopération au conflit.
Max Weber (1864-1920)
Il a récusé les conceptions trop ambitieuses de la sociologie, notamment celle qui voulait en faire une science
comparable aux sciences de la nature. Cependant, il lui a assigné un objectif majeur: servir d'instrument pour
comprendre certains aspects spécifiques de la société occidentale. Discipline critique, la sociologie est chargée
de traquer les illusions sur l'avenir de la société, et les explications de la société et de l'histoire à partir de
quelques principes d'analyse simples. Dans l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme (1904-1905), il s'est
efforcé de montrer, contre les partisans du déterminisme économique, que la transformation des mentalités et
des conceptions religieuses avait joué un rôle très important dans l'apparition du capitalisme, tout en s'opposant à
ceux qui ont voulu voir dans les évolutions culturelles la cause principale, sinon unique, de l'évolution des
sociétés.
Malgré la fondation de l'Association pour la politique sociale, en 1872, puis de l'Association allemande de
sociologie, en 1908, par Weber, Tönnies et Simmel, la discipline n'est pas encore instituée de façon autonome à
la veille de la Première Guerre mondiale.
L'«école» française
En France, l'économiste et ingénieur Frédéric Le Play (1806-1882) a fondé ses travaux, à la fois descriptifs et
prescriptifs, sur l'enquête directe. Les Ouvriers européens (1855) rassemblent des monographies sur des familles
ouvrières, et la Réforme sociale en France (1864) explicite les conceptions théoriques de l'auteur, qui vise à
réformer la société.
Émile Durkheim (1858-1917)
C'est seulement avec lui que la sociologie devient en France une discipline rigoureuse qui s'efforce de bannir les
jugements de valeur et les préoccupations trop directes pour l'action ou la transformation de la société. Dans les
Règles de la méthode sociologique (1894), il soutient que le social s'explique par le social et préconise de «traiter
les faits sociaux comme des choses». Durkheim laisse une œuvre impressionnante, et surtout il a regroupé
autour de lui une ritable école, qui a é illustrée par des disciples à la forte personnalité, comme Lucien
Lévy‑Bruhl, Marcel Mauss, Maurice Halbwachs, Georges Davy. L'école durkheimienne a couvert, pour une
période au moins, tout le champ de la sociologie et de l'ethnologie, et s'est efforcée d'en écarter certains
concurrents, avec lesquels elle a été souvent injuste, notamment Gabriel de Tarde, auquel était fait le reproche
de psychologisme.
Gabriel de Tarde (1843-1904)
Juriste de formation, esprit curieux et ouvert, il a combattu efficacement les conceptions biologistes de la
sociologie défendues notamment par le criminologiste Cesare Lombroso. Il a lui-même qualifié sa théorisation de
«psychologie sociale».
En fait, son ouvrage les Lois de l'imitation (1890) relève de la microsociologie ou encore d'une sociologie du
pluralisme des relations dynamiques entre individus et entre groupes. L'imitation dont parle Tarde est liée à des
processus d'identification, elle connaît des voies multiples de propagation: la domination et l'influence par
exemple, mais aussi la résistance et la contre imitation. Elle n'exclut pas l'innovation et la déstabilisation sociale,
produit des similitudes dans la dissymétrie, et des répétitions dans la différence, parce que les identifications
sociales sont toujours contestées et ne se reproduisent jamais à l'identique. Rétrospectivement, la sociologie de
Tarde apparaît sinon comme un correctif, du moins comme un complément aux sociologies générales.
L'entre-deux-guerres
Après la Première Guerre mondiale, la sociologie, qui jusqu'alors était très peu présente dans le monde
universitaire, connaît une lente institutionnalisation en Europe et aux États-Unis. La lenteur du processus est due
au manque d'intérêt que les pouvoirs publics portent à une discipline trop souvent tournée vers la critique de l'état
de choses existant. C'est seulement lorsque la sociologie montrera ses capacités à mener des enquêtes de
grande ampleur que la reconnaissance lui sera peu à peu accordée.
La sociologie américaine
De ce point de vue, les enquêtes d'Elton Mayo (1880-1949) sont exemplaires dans le domaine de la sociologie
industrielle: au cours des années 1920, il étudie la satisfaction ou l'insatisfaction au travail dans des
établissements de la Western Electric, et montre que l'organisation scientifique du travail (taylorisme) se heurte à
des résistances irréductibles chez les ouvriers, qui y opposent leur propre organisation informelle. Aussi, dans les
Problèmes humains de la civilisation industrielle (1933), essaie-t-il de montrer qu'il faut tenir compte de cette
capacité de réaction et qu'il faut établir des relations de travail plus souples, plus soucieuses du facteur humain
dans les entreprises. À partir du travail de Mayo, d'autres études feront progresser très vite la connaissance du
monde industriel et, particulièrement, celle des relations entre direction et ouvriers.
Une sociologie de l'action
De même, le travail empirique de l'école de Chicago (Robert Park: la Ville. Propositions de recherche sur le
comportement humain en milieu urbain, 1915; Louis Wirth: le Ghetto, 1925) sur les multiples aspects des
phénomènes urbains, l'intégration des familles d'immigrés, la vie des quartiers, la transformation des modes de
vie, la délinquance, etc., est très important. Mais, au-delà de la collation des données et de la description, les
sociologues de Chicago s'efforcent aussi d'étudier les interrelations entre le milieu urbain comme ensemble
d'institutions interdépendantes et les individus. Le milieu urbain, à leurs yeux, est à la fois un ordre spatial, un lieu
d'échanges intenses, un lieu où s'engendrent des pathologies sociales et un ensemble matériel et humain
complexe, en perpétuelle transformation.
Ces avancées très importantes de la sociologie américaine bénéficient des travaux de Talcott Parsons (1902-
1979), qui fait connaître en la réexaminant la sociologie européenne, dont il considère l'Italien Vilfredo Pareto
(1848-1923) comme l'un des fondateurs. Parsons, dans un ouvrage fondamental, Structure de l'action sociale
(1937), analyse les œuvres de Weber et de Durkheim, au-delà de leurs divergences, comme autant d'efforts pour
rompre avec les conceptions «économistes» ou utilitaristes des pratiques humaines. Il entend élaborer une
sociologie de l'action; celle-ci est orientée par des normes et des valeurs, mais est aussi conçue comme relation
entre des acteurs et des situations, et donc comme système d'alternatives. Dans un tel cadre théorique, que
Parsons va peu à peu enrichir, la conception de l'action comme étant dirigée par les seuls intérêts matériels perd
toute pertinence. De même, l'idée qu'il puisse exister des déterminismes sociologiques rigides ne peut être
retenue. La scientificité de la sociologie, selon Parsons, ne peut résider dans la mise au point de lois copiées sur
les lois des sciences de la nature, mais bien dans la vigueur de son cadre théorique et de ses questionnements.
La sociologie européenne à l'épreuve
Les sociétés européennes sont profondément ébranlées par la guerre et doutent d'elles-mêmes; le regard critique
du sociologue n'est alors pas le bienvenu.
En France
La sociologie reste marginale dans l'université et dans le monde de la recherche, malgré la très grande valeur
des travaux effectués par les disciples de Durkheim, tels Maurice Halbwachs (1877-1945) et Marcel Mauss
(1872-1950). Le premier traite des cadres sociaux de la mémoire, de la psychologie des classes sociales et
reprend la thématique durkheimienne du suicide. Le second publie en 1925 l'Essai sur le don, qui, en mettant en
évidence l'existence, dans des sociétés dites archaïques, de formes non mercantiles de l'échange, donne à
l'ethnologie la possibilité de faire de grands progrès. Après Mauss, il n'est plus possible de considérer les
sociétés non occidentales comme des sociétés encore dans l'enfance. Mais l'écho rencontré par ces travaux est
limité à des cercles intellectuels restreints.
En Allemagne
La situation est beaucoup plus contrastée. Une sociologie extra‑universitaire, financée par les syndicats, procède
à des enquêtes sur les conditions de travail, sur les effets de la rationalisation capitaliste ainsi que sur les
modalités de fonctionnement des organes de représentation des salariés (les comités d'entreprise, notamment).
Cette sociologie est empirique, mais ne refuse pas la théorie. Quant à la sociologie universitaire, elle est, dans
l'ensemble, peu soucieuse de s'intéresser de trop près aux affaires de la société. Elle est assez bien représentée
par Leopold von Wiese, qui cherche à construire une sociologie des formes de sociabilité en s'inspirant de Georg
Simmel. Aux marges de l'université, il existe cependant une sociologie qui refuse de se désintéresser des
problèmes sociaux et politiques, et élabore des instruments théoriques.
Karl Mannheim (1893-1947) est un des fondateurs de la sociologie de la connaissance. Dans Idéologie et Utopie
(1929-1931), il cherche à démontrer que toute pensée est liée à l'être social de ceux qui la produisent. En ce
sens, il n'y a pas de production symbolique qui ne soit idéologique ou ne traduise des points de vue particuliers
sur la société. Aucune conception du monde ne peut par conséquent prétendre dire la vérité des rapports
sociaux. Le pluralisme culturel et idéologique est inévitable; la confrontation et la compétition dans le domaine
spirituel sont indispensables à la prise en charge des problèmes de la société. La reconnaissance de ce
pluralisme ne doit d'ailleurs pas conduire au relativisme et à l'indifférence par rapport aux positions en présence,
car il faut tenir compte du fait que les intellectuels en tant que groupe social marginal et mobile peuvent contribuer
à éclairer les débats et les enjeux, situer les positions les plus ouvertes et les moins particularistes, c’est-à-dire
les plus favorables à la compétition démocratique.
L'Institut pour la recherche sociale de Francfort
Fondé en 1923, cet institut refuse, comme Mannheim, de se retrancher dans le confort d'une tour d'ivoire
universitaire. Dirigé à partir de 1930 par le philosophe Max Horkheimer, il développe des recherches inspirées par
le marxisme dans le domaine de la philosophie sociale et de la sociologie. Désireux de rompre avec
l'économisme et le dogmatisme des «orthodoxies» marxistes, les membres les plus audacieux de l'Institut
intègrent à leur problématique de recherche la psychanalyse, dans laquelle ils voient un moyen de cerner de plus
près les pratiques de la classe ouvrière. Dans la grande enquête sur «l'autorité et la famille», ils mettent en
lumière les difficultés de la socialisation primaire (dans la famille) et les effets négatifs que cela peut avoir sur les
processus de constitution des individus: l'individu qui a subi une socialisation autoritaire tend à reproduire des
comportements autoritaires, peu propices à des luttes contre l'oppression et pour l'autonomie; il faut donc se
débarrasser de toute mythologie autour de la conscience de classe et admettre qu'une partie importante des
masses peut être sensible à des thématiques réactionnaires, racistes et antisémites.
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