Une pièce de poésie ludique et jubilatoire
Robert Guédiguian adore retrouver comédiens, décors et situations. Marseille est
sa ville et l’Estaque, son domaine.
Voici ce qu’en musique, on appellerait un impromptu. Le dictionnaire en fait une composition
musicale libre, semblable à une improvisation, et généralement écrite pour un seul instrument,
comme le piano, tout en soulignant sa faculté à traduire l’épanchement romantique d’un instant,
d’un sentiment ou d’une humeur. On connaît lImpromptu de Versailles, comédie en un acte et
en prose de Molière, créé à Versailles en 1663, avant d’être repris au Théâtre du Palais-Royal
dans la foulée. Molière, auteur, directeur de troupe, metteur en scène, acteur, dirige la répétition
d’une de ses pièces, qui doit être jouée dans quelques heures devant le roi. Les acteurs sont
mécontents car ils n’ont pas eu le temps d’apprendre leur rôle. Tel est le signe sous lequel
s’inscrit Robert Guédiguian pour son seizième film avec Ariane Ascaride (elle aura été de tous,
à l’exception du Promeneur du Champ-de-Mars).
Un chef de troupe
Le film relève du divertimento et Guédiguian en est l’auteur et le metteur en scène, Ariane
Ascaride tenant le rôle central, entourée des figures habituelles à l’auteur, ce dernier
revendiquant l’appellation de chef de troupe. On retrouvera donc Jacques Boudet, Jean-Pierre
Darroussin et Gérard Meylan. La nouveauté est que l’action se déroule le jour de l’anniversaire
d’Ariane Ascaride et qu’un rôle est dévolu à une tortue, dont la voix correspond à celle de Judith
Magre. Citons un nouveau venu au scénario, Serge Valletti, un Marseillais qui a commencé en
étant acteur, mais à qui l’on doit des dizaines de pièces qui font de lui un des auteurs les plus
joués. Robert Guédiguian l’a rencontré sur une adaptation du Roi Lear à Malakoff, qui mettait
en scène Le Pen et ses trois filles, dans laquelle jouait Ariane Ascaride, ce, en 1992. De à
imaginer ce film qui laisse parler une tortue il n’y a qu’un pas, figurant déjà dans le titre. Le fil
d’Ariane du titre renvoie à la mythologie, que l’on va trouver mise en scène dans un texte porté
à l’image et tourné au Palais Longchamp dans le décor du «théâtre antique» du Frioul, île
présente dans Marie-Jo et ses deux amours (l’utilisation du décor du «théâtre antique» est une
première), mais tout autant à Ariane Ascaride, feu follet qui se console qu’on la laisse tomber le
jour de son anniversaire en enchaînant les virées, prétexte à nous faire visiter Marseille et
particulièrement ce quartier de restaurants de bord de mer immortalisé dans À la vie, à la mort
!
Quant à Ariane Ascaride, l’auteur lui a demandé de jouer «comme un jeu sans enjeu», «dans
un film fait seulement pour le plaisir de le faire», comme une pièce de poésie faite à toute allure,
ludique et jubilatoire. Il s’agit de fabriquer «une machine à jouer pour les acteurs, pour les
techniciens, et bien sûr pour moi-même». On jurerait reconnaître Giulietta Masina chez Fellini.
Les citations abondent, musicales (Ferrat, Brecht), littéraire (Aragon) ou cinématographique
(Pasolini), Guédiguian promène son herbier, faut-il dire son univers? plus totalement que
jamais. Jean Roy
© L’Humanité
18 juin 2014
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