Nous allons montrer dans cette partie une démarche pédagogique qui vise à développer les ressources cognitives en CO. La notion de projet de déplacement à laquelle fait écho les ressources bio-informationnelles et cognitives sont au cœur des activités de la CP 2 et plus encore de la CO qui est une activité essentiellement réflexive caractérisée par un éveil constant de l’activité cérébrale. La prise de conscience est un point clé de la conception vygotskienne du développement de la pensée. Vygotski développe l’idée qu’il faut être conscient des propriétés de l’objet pour agir efficacement (c’est la conscience avant) mais que la prise de conscience peut poursuivre son chemin après l’action, dans une sorte de retour réflexif (c’est la conscience après). Ces notions de conscience avant et de conscience après ne sont pas sans rappeler les idées rousseauistes. Emile fait un projet, va dans la forêt et tente de mettre en œuvre son projet mais il se perd. Au bout d’un certain temps, il finit par retrouver son chemin et fait alors le bilan de son expérience, ce qui l’amène à reconsidérer son projet initial. L’EPS est une discipline expérientielle qui repose sur la mise en acte de projet cognitif dans une pratique sensible (propre à l’individu) et sur le bilan réflexif qui lui succède. Il nous semble que plus encore que les autres APSA, la CO et les APPN en générale reposent sur des expériences au sens de Rousseau. En CO, les premières expériences sont vécues comme une « épreuve » au sen de Bernard Jeu (1977), c'est-à-dire une sorte d’engloutissement dans le monde de la forêt suivi d’un retour au « monde des vivants ». En effet, Se déplacer en course d’orientation n’est que le produit d’une réflexion sur des choix d’itinéraires. Il apparait donc nécessaire de placer les élèves dans des moments de réflexion avant de courir, pendant la course et après la course. Nous nous proposons d’illustrer nos propos avec une classe de terminale qui prépare l’épreuve du baccalauréat. Le niveau de compétence attendue au baccalauréat est le niveau 4 : « construire son itinéraire, adapter son déplacement en utilisant les lignes directrices de niveau 1 et 2 (sentier, fossé,…) et gérer ses ressources pour réaliser la meilleur performance en milieu boisé et partiellement connu, dans le respect des règles de sécurité ». Pour faciliter la réflexion de ses élèves avant de s’élancer sur un parcours, l’enseignant peut organiser ses situations avec systématiquement un temps intégré de réflexion avant l’action où l’élève doit construire son itinéraire avec un feutre puis le montrer à l’enseignant. Une solution proposée consiste à amener les élèves à se construire des parcours de plus en plus longs avec et sans la carte (une balise avec la carte, deux balises sans la carte, trois balises avec la carte…). Dans cette pyramide, une balise ne peut être utilisée que deux fois. A chaque parcours, l’élève reprend obligatoirement une balise du parcours précédent. Entre chaque circuit il vient valider ses réponses et construire un nouveau circuit. Cette organisation contraint l’élève de réfléchir avant de s’engager sur ses circuit voir de préparer tous ses circuits à l’avance par rapport aux dispositions des balises sur la carte sous peine de vite se retrouver en difficulté (balises trop éloignées). La stratégie attendue par l’enseignant ici consiste à commencer par une balise assez éloignée du lieu de départ afin de conserver des balises plus proche du départ pour les étages inférieurs de la pyramide. En résumé cette organisation aide à la construction d'un itinéraire et préparer alors à l’épreuve du baccalauréat où les élèves auront à formuler un projet de course assez complexe (Evaluation Baccalauréat 2012). Il convient également de créer les conditions propices à des moments de débriefing entre les élèves (sur le choix d’itinéraire, sur la pose d’une balise…) et entre les élèves et l’enseignant pour que ce dernier puisse diagnostiquer les besoins et les problèmes rencontrés par les élèves. Pour susciter des réflexions entre élèves les situations de pose de balise nous semblent particulièrement intéressantes. Par exemple, il est possible de faire des groupes de deux où chaque coureur doit choisir une zone de pose (A3 par exemple) et doit respecter les définitions des postes (intersection, arbre isolé…). Au retour, chaque coureur indique l’emplacement de ses balises (zone, définition du poste) à son partenaire avant d’aller les récupérer. Il est possible d’engager ici une forme de défi afin d’augmenter la motivation. Cette organisation, parce qu’elle peut être à l’origine de désaccord entre élèves (sur la relation carte-terrain) est à même de provoquer des discussions voir des progression grâce au mécanisme du conflit socio-cognitif (Doise et Mugny, 1981). Dans une perspective socioconstructivisme. L’interaction avec autrui serait susceptible de déstabiliser les structures cognitives pour provoquer ensuite reconstruction et progrès. Autrement dit, la confrontation de point de vue conduit progressivement les élèves à l’appropriation d’une solution plus efficace élaborée en commun par un va et vient entre un plan interpersonnel et un plan intrapersonnel. En résumé, à l’éclairage des concepts vygotskiens de conscience avant et de conscience après, nous avons proposé d’envisager un va et vient entre des phases motrices et des phases réflexives entre pairs. Apprendre suppose à la fois faire pour savoir et de savoir pour faire. En conséquence, il faut organiser la séance autours de cela. Les Programmes EPS mentionnent que « l’élève doit être impliqué dans les procédures de compréhension de ses action ». Cela est une nécessité absolue dans l’activité CO. Piaget (Le développement de l’intelligence, 1961) différencie réussir et comprendre. Comprendre consiste à dégager les raisons des choses, c'est-à-dire les procédures à mettre en œuvre tandis que réussir consiste à les utiliser avec succès sans forcément en avoir conscience. En CO, il n’y a pas de réussite sans compréhension. Dans cette partie, nous allons montrer que « former un citoyen lucide, cultivé, autonome, physiquement et socialement éduquer » en appelle à une gestion optimale de ses ressources. La gestion des ressources dépend du niveau d’expertise du sujet (expérience, acquis) et repose sur l’agencement des ressources pour faire face à une tâche et en particulier la capacité à prioriser certaines ressources sur d’autres afin de répondre à un principe d’économie ou d’efficience. Nous sommes ici en parfaite accord avec la 4e CMS du collège : « Se connaître, se préparer, se préserver par la régulation et la gestion de ses ressources et de son engagement en sachant s’échauffer, récupérer d’un effort, identifier les facteurs de risques, prendre en compte ses potentialités, prendre des décisions adaptées, maitriser ses émotions (…) » à laquelle fait écho la 1ère CMS au lycée : « S’engager lucidement dans la pratique ». La CO est une activité qui sollicite particulièrement les ressources cognitives de l’élève. Il y a un éveil constant au niveau de l’activité cérébrale. Or, Brisswalter (2005) a montré que si l’exercice physique se prolonge de façon importante, l’activité cognitive se trouve altérée en particulier par un rétrécissement du champ perceptif et de la sélection de la réponse pertinente. A l’effort, il y a une nouvelle répartition du flux sanguin et le cerveau se trouve moins bien oxygéné. De plus le cout énergétique est plus important chez l’adolescent que chez l’adulte (coordination musculaire, évacuation de la chaleur). L’un des problèmes fondamentaux de l’activité CO réside alors dans la préservation de l’équilibre entre s’orienter et courir. D’ailleurs, le niveau 2 de compétence attendue mentionne que l’élève doit être capable de « gérer les efforts en adoptant des allures de course optimale en rapport au milieu et au moment du déplacement » (Programme collège 2008). Considérons une classe de troisième dans son second cycle de CO. Les élèves particulièrement mobilisé par l’enjeu de l’activité ont tendance à adopter une allure de course trop rapide par rapport à leur niveau d’orientation. Les élèves rencontrent alors des difficultés particulièrement lors de la phase d’attaque qui se caractérise par une lecture précise. Pour faciliter la réflexion, l’enseignant organise ses situations avec systématiquement un temps intégré de réflexion avant l’action où l’élève doit se construire et appliquer une grille de procédure. Par exemple, l’enseignant peut donner la consigne à l’élève de tracer son itinéraire avec un feutre et de lui montrer avant de s’élancer sur le parcours (notion de suivi de ligne, point d’appui, point d’attaque, point d’arrêt). En fait, il s’agit de faire construire progressivement par les élèves une démarche « questionnante » (où suis-je? où vais-je ? qu’est ce que je cherche? quels sont les points d’appuis?….). De même, l’enseignant pourra donner des repère sur l’allure de course à adopter (% de VMA, FC si cycle de demi-fond préalable ou dialogue possible) afin de leur permettre de conserver assez de lucidité pour effectuer des choix lors des moments stratégiques. Cette organisation de classe est alors à même d’offrir aux élèves les moyens de se construire des connaissances leur permettant de « se préserver par la régulation et la gestion de leurs ressources ».