Communication de François SIBILLE
LES EXOPLANÈTES
Ou
LA QUÊTE DES MONDES HABITÉS
7 Mars 2007
L’idée qu’il puisse exister d’autres « Mondes » habités par des êtres vivants n’est pas récente.
Sans remonter aux sources les plus anciennes, je ne mentionnerai, pour l’exemple, que les
développements sur ce sujet par Bernard de Fontenelle dans ses « Entretiens sur la Pluralité
des Mondes » (1686). La recherche de ces mondes, habités ou non, est aujourd’hui une
branche très active de lAstrophysique, entraînée par le succès récent de la première étape :
l’acquisition par l’observation de la preuve de l’existence de systèmes planétaires autres que
celui du Soleil. Autrement dit, la preuve de l’existence d’exoplanètes, selon un de ces
néologismes que les astronomes sont rapides à fabriquer.
Les planètes et l’Astrophysique, aujourd’hui
Fort proches de nous, à l’échelle cosmique, les planètes du système solaire nous sont bien
connues, et encore mieux depuis que nous sommes allés les visiter avec des sondes spatiales.
Pour plusieurs raisons, l’observation de systèmes orbitant d’autres étoiles est beaucoup plus
difficile. Tout d’abord, dans le système solaire, les distances se chiffrent au plus en quelques
heures lumière, alors que la distance des étoiles, même les plus proches se compte déjà en
années lumière. Les planètes sont aussi des corps de petite taille. Discerner à côté de ces
mêmes étoiles proches une planète grosse comme la Terre revient à distinguer, vu des
terrasses de Fourvière, les cheveux d’un alpiniste au sommet du Mont Blanc (60 microns à
200 km). Il y a pire, le flux lumineux que l’on reçoit de ce système est complètement dominé
par celui de l’étoile des millions de fois plus brillante que la planète, on pourrait dire que
l’observateur est ébloui par l’étoile.
Compte tenu de ces difficultés, il n’est pas surprenant qu’il ait fallu attendre 1995 pour
obtenir une preuve observationnelle solide de l’existence des exoplanètes. Pour faire cette
découverte, la technique d’observation utilisée, dite « méthode Doppler », a été mise en œuvre
par les astronomes suisses MAYOR et QUELLOZ en observant l’étoile 51 Peg (lire 51 de la
constellation de Pégase !) à l’Observatoire de Haute Provence. Vu son importance, ce résultat
a été soumis au feu de la critique scientifique, auquel il a fort bien résisté. Bien qu’indirecte,
cette preuve est aujourd’hui unanimement acceptée.
La méthode Doppler repose sur le fait qu’une planète ne tourne pas exactement autour du
centre de son étoile. En réalité, l’étoile et la planète tournent autour du centre de gravité du
système qu’elles forment. Comparée à celle de l’étoile, la masse de la planète est très petite,
ce point est donc situé près de l’étoile, voire même à l’intérieur, d’où l’approximation du
langage. Un observateur situé au voisinage du plan de l’orbite voit donc l’étoile
périodiquement s’approcher, puis s’éloigner de lui, avec une vitesse que l’on sait très bien
mesurer grâce à l’effet Doppler que ce mouvement produit sur la lumière émise par l’étoile.
C’est là le caractère indirect de la méthode : on ne voit pas la planète, mais on détecte le
mouvement régulier que sa présence imprime à l’étoile. Jusqu’ici, personne n’a pu trouver
d’autre interprétation acceptable à ce phénomène.
Les méthodes qui marchent bien sont copiées, c’est bien connu. De nombreux chercheurs se
sont donc lancés dans la chasse aux exoplanètes. On en connaît bientôt 300, dont quelques
unes forment des systèmes de 2 ou 3 planètes. Le record est actuellement détenu par l’étoile
55 CnC (lire 55 de la constellation du Cancer !) avec ses 5 planètes, mais très probablement
encore beaucoup plus. Leur détection n’est qu’une affaire de temps. La méthode Doppler a un
grand mérite : elle donne le rayon de l’orbite et la masse de la planète, plus exactement un
minorant de cette masse, c’est déjà beaucoup. Cependant, elle présente un biais. En effet, elle
détecte de préférence les planètes massives, comme Jupiter chez nous, qui impriment plus de
mouvement à l’étoile. Elle a aussi une préférence pour les planètes proches de leur étoile, dont
la période orbitale courte est plus facile à mettre en évidence. Un observateur lointain devrait
suivre le Soleil pendant plus de 5 ans pour trouver la présence de Jupiter ! Les astronomes ne
peuvent tout de même pas vivre en permanence au pied de leurs instruments.
Que beaucoup d’étoiles aient des planètes n’est pas en soi une surprise. La théorie de la
formation des étoiles, aujourd’hui solidement établie, prévoyait très bien leur apparition dans
un disque de matière entourant la jeune étoile. En outre, le Principe Cosmologique s’oppose
formellement à l’idée que le Soleil, étoile ordinaire entre les étoiles, soit seul à être
accompagné de son cortège de huit planètes (la neuvième, Pluton, a très officiellement été
déchue de son statut de planète par l’Union Astronomique Internationale au grand damne
des élèves de CM2 !). La surprise est plutôt venu de la découvre d’une forte proportion
d’étoiles accompagnées d’une planète massive, située sur une orbite de très petit diamètre,
donc fortement chauffée par l’étoile. On a immédiatement introduit un nouvel élément au
bestiaire cosmique : les Jupiter-chauds. Cette abondance est sûrement un effet du biais que
nous venons de mentionner, mais on n’a pas encore vraiment compris si ces objets se sont
formés là où ils sont, ou s’ils ont migré depuis une orbite à l’origine dans le système.
Beaucoup de détections, c’est une arme de l’Astrophysique, elles vont permettre de travailler
sur des échantillons significatifs d’objets. Cependant la méthode Doppler a ses limites pour
découvrir des planètes de faible masse : les tout petits mouvements qu’elles produisent
finiront par se confondre avec les pulsations naturelles de la surface de l’astre. Il faut trouver
autre chose.
Autres méthodes de détection des exoplanètes : le transit
La méthode du transit permet aussi de détecter des exoplanètes. Délicate à appliquer, elle
permet, en principe, de trouver des planètes de faible masse, donc semblables à la Terre,
complètement hors d’atteinte de la méthode Doppler. C’est bien là son intérêt. Un observateur
placé très près du plan orbital d’un système constatera une petite diminution du flux lumineux
de l’étoile quand la planète passe juste devant le disque de l’étoile, dans une sorte de mini
éclipse. Exigeant une position particulièrement favorable de l’observateur, ainsi qu’une très
grande précision photométrique, cette méthode est certes moins productive que la méthode
Doppler, mais elle est prometteuse pour des équipements embarqués dans l’espace. Ceux-ci
permettent d’atteindre la précision requise, typiquement 1/1 000 000 sur un phénomène
transitoire, quasi impossible à obtenir au sol. C’est un des objectifs de la mission COROT en
cours, ou de missions futures comme KEPLER. L’atténuation du flux étant de l’ordre du
rapport de la surface du disque de la planète à celui de l’étoile, on peut espérer la détection de
planètes dont le diamètre serait seulement de 1/1000 de celui de l’étoile. Un système analogue
au couple Terre-Soleil, dont le rapport des diamètres est de 1/109, pourrait ainsi parfaitement
être mis en évidence par ces engins.
A cette heure, les résultats initiaux de COROT sont encore en cours d’analyse ou à confirmer.
Il faut répéter les observations au bout d’une période orbitale, un an de la planète, dont la
durée n’est pas connue à priori dès la première détection.
Soulignons encore que les deux méthodes de détection actuellement utilisées ne permettent
pas de voir directement les exoplanètes. Pour en savoir plus sur leur nature, il faut trouver un
moyen d’analyser la lumière qu’elles rayonnent, ce qui, jusqu’ici, n’a encore pu être fait que
de façon très limitée dans une observation unique de transit par le Hubble Space Telescope.
Cependant, on sait déjà très bien comment il faut s’y prendre, mais à partir de là on quitte
l’actualité pour entrer dans les projets futurs.
Comment voir une exoplanète ?
Aller voir les exoplanètes sur place comme on l’a fait dans le système solaire est totalement
hors de la portée de nos moyens spatiaux. L’analyse spectroscopique du rayonnement de
l’atmosphère de la planète reste le seul moyen d’investigation pour aller plus loin. Pour faire
cela on ne peut plus se contenter d’une détection plus ou moins indirecte de la planète comme
on le fait avec les méthodes Doppler et du transit ; il faut absolument voir directement
l’exoplanète, et donc séparer la lumière qu’elle émet de celle de l’étoile. On tombe sur un
problème de résolution spatiale extrême, illustré plus haut avec le cheveu de l’alpiniste. La
tâche sera ardue, mais on sait comment faire : l’interférométrie peut fournir la résolution
angulaire nécessaire.
Le principe de l’interférométrie est simple : Fresnel, Kirchhoff et d’autres ont depuis
longtemps montré que, dans l’image que produit un instrument d’optique dont la pupille a un
diamètre D, avec une lumière de longueur d’onde  la taille des plus fins détails qu’il est
possible de discerner est caractérisée par l’angle D. Un instrument de plus grand diamètre D
permettra de voir des détails plus fins. Dès 1919, Michelson et Pease ont utilisé cette
technique pour mesurer pour la première fois des diamètres d’étoiles. Pour discerner les
exoplanètes, mêmes celles des étoiles les plus proches, on trouve qu’il faudrait un télescope
de plusieurs kilomètres de diamètre, totalement irréaliste ! Un interféromètre est un
instrument qui recombine les faisceaux issus de deux petites portions, distantes de D, la base
de l’interféromètre, prises sur la surface d’une gigantesque pupille imaginaire. C’est déjà plus
simple à réaliser. Avec cet instrument on n’obtient pas une image complète de l’astre, mais
seulement une figure de franges d’interférence qui donne une partie de l’information spatiale
contenue dans l’image (plus précisément : l’analyse du contraste des franges donne la mesure
d’un coefficient de la décomposition de l’image en série de Fourier à 2 dimensions, à la
fréquence spatiale D/ dans la direction qui relie les deux éléments de pupille). Au prix de
nombreuses mesures (avec assez de coefficients de Fourier), on finira par pouvoir reconstituer
l’image. La patience pallie au manque d’instrument géant.
Pour séparer l’image d’une exoplanète de celle de son étoile, on a encore le problème déjà
souligné de l’éblouissement par l’étoile. Ce contraste énorme entre les deux objets peut être
beaucoup atténué dans un mode de fonctionnement très particulier de l’instrument, qui éteint
le flux de l’étoile, mais pas celui de la planète voisine.
Au sol, les vibrations micro-sismiques de toutes origines rendent difficile la réalisation d’un
interféromètre de très longue base. On préférera opérer dans l’espace, ce qui fait l’objet de
projets ambitieux de part et d’autre de l’Atlantique : DARWIN pour l’Agence Spatiale
Européenne, Terrestrial Planet Finder pour la NASA. Peut-être, un jour, faute de ressources,
se réuniront-ils …
Par commodité, je dirai qu’une exoplanète qui porte une forme d’activité biologique est
« habitée ». Cependant, en attendant de savoir si une exoplanète est habitée, on peut déjà
examiner les conditions que l’on juge nécessaire qu’elle remplisse pour qu’elle soit
« habitable ».
Planètes habitables
Les grosses planètes gazeuses semblables à Jupiter, qui ont été majoritairement trouvées
jusqu’ici, ne semblent pas aptes à supporter l’apparition de formes de vie évoluées, encore
que leurs lunes puissent fort bien fournir des sites favorables.
Il est admis que la présence d’eau à l’état liquide est une condition requise pour que la vie
puisse apparaître sur une planète. Ceci impose une contrainte forte sur la distance de la
planète une l’étoile d’un type donné. Trop près de l’étoile, l’eau ne pourra être qu’à l’état de
vapeur, et, trop loin, elle ne sera qu’à l’état de glace ou de vapeur. Dans le cas du système
solaire cette « zone habitable » est à peu près comprise entre l’orbite de la Terre et celle de
Mars. Vénus est trop près du Soleil, Jupiter et ses lunes sont beaucoup trop loin.
La distance à l’étoile des frontières de la zone habitable sera beaucoup plus grande pour une
étoile chaude et massive que pour une étoile de faible masse, faiblement rougeoyante. Pour
ces dernières une planète habitable devrait être située très proche de son étoile. Il apparaîtrait
alors un phénomène curieux : subissant un important effet de marée, la rotation sur elle-même
de la planète se ralentirait jusqu’à ce que, telle la Lune qui présente toujours la même face à la
Terre, cette planète présente toujours la même face à l’étoile. Il y aurait un hémisphère en
permanence au jour, et un hémisphère en permanence dans la nuit.
Avec ce que l’on sait faire aujourd’hui, on peut avoir d’autres informations utiles sur le
caractère habitable d’une planète. On pense que l’apparition de la vie nécessite aussi un
minimum de stabilité à long terme, ce qui permet déjà d’éliminer le voisinage des étoiles
massives et chaudes. En effet, leur durée de vie est courte et, de plus, elles rayonnent
beaucoup dans l’ultraviolet dont les photons de grande énergie sont fort dangereux pour les
molécules organiques. Il faut aussi qu’une planète ait une masse suffisante, ce qui lui donne
une gravité qui lui permet de retenir son atmosphère. C’est ainsi que Mars, dont la masse est
de l’ordre de 1/8 de celle de la Terre, n’a pas pu retenir son atmosphère d’origine, qu’elle a
aujourd’hui presque complètement perdue. Aujourd’hui, la pression atmosphérique y est si
basse que l’eau ne peut plus se trouver de façon permanente à sa surface.
Planètes habitées
L’essentiel du flux lumineux rayonné par une atmosphère planétaire se trouve dans
l’infrarouge. Si l’on examine dans ce domaine les spectres de trois planètes bien connues
comme Vénus, la Terre et Mars, on peut se faire une idée des différences que l’on peut
attendre entre planètes habitées et planètes sans vie.
La signature du dioxyde de carbone (CO2) est omniprésente, ce qui apporte peu de
renseignements, car ce gaz est très abondant dans le milieu interstellaire. En revanche seule
parmi ces trois planètes la Terre présente la signature de la vapeur d’eau, ce qui donne déjà
une présomption de présence d’eau liquide, et, en tout cas, d’une atmosphère d’épaisseur
significative.
La preuve la plus convaincante d’une activité biologique serait la signature spectrale de
l’ozone (O3) à la longueur d’onde de10 µm, qui indiquerait de façon certaine une atmosphère
planétaire riche en oxygène. On sait que l’atmosphère primitive des planètes, comme le milieu
interstellaire dont elles sont issues, doit être pauvre en cet élément. Ce n’est que par le résultat
de milliards d’années d’activité microbiologique, consommant du CO2 pour en utiliser le
carbone et rejetant l’oxygène comme un déchet, que l’atmosphère de la Terre a atteint la
concentration d’oxygène qu’elle connaît aujourd’hui, celle-ci donnant à un observateur
lointain la possibilité de détecter l’ozone. A ce jour, la présence simultanée des trois
signatures spectrales de CO2, H2O et O3, est considérée comme la meilleure preuve
observationnelle d’un monde « habité ».
Les exoplanètes sont légion, -dessus il n’y a plus guère de doute. Combien d’entre elles ont
vu se développer des formes de vie, voir des êtres intelligents ? Là, chacun choisit son camp,
car nous n’avons pas de réponse « scientifique », seulement des conjectures. La réponse est,
peut être, sur les paillasses des laboratoires de biologie, ou, aussi bien, à la portée de nos
télescopes, ou même de notre écoute radio comme celle du programme SETI (Search for
Extra Terrestrial Intelligence), mais c’est une autre histoire dont nous pourrions parler une
autre fois.
1 / 5 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !