Réactivité élémentaire gaz/solide à l’échelle moléculaire Ludovic Martin-Gondre2,3, Cédric Crespos1, Pascal Larregaray1 et Jean-Claude Rayez1 1 Institut des Sciences Moléculaires, UMR 5255 CNRS, Université Bordeaux 1, 351 Cours de la Libération, 33405 Talence Cedex, France 2 Donostia International Physics Center DIPC, P Manuel de Lardizabal 4, 20018 San Sebastián, Spain 2 Centro de Física de Materiales Centro Mixto CSIC-UPV/EHU, Avenida de Tolosa 72, 20018 San Sebastián, Spain 1. Introduction Historiquement, l’étude des réactions chimiques élémentaires à l’interface gaz/solide prend naissance dans un contexte de recherche lié à la catalyse dite hétérogène (dans une grande majorité des cas le catalyseur solide est en présence de réactifs à l’état gazeux ou liquide, d’où le terme hétérogène par opposition à la catalyse homogène où réactifs et catalyseurs sont dans une même phase). Après l’introduction de la notion de « catalyse » par Berzelius en 1835, il a fallu attendre le début du 20 ème siècle pour voir une réelle application industrielle de la catalyse hétérogène. La synthèse de l’ammoniac, proposée par Fritz Haber en 1909, en est le premier exemple [Ertl 1999]. Les années suivantes ont alors été témoins des premiers développements théoriques en science des surfaces avec les travaux précurseurs de Langmuir sur la cinétique d’adsorption d’atomes ou de molécules sur les surfaces de solides suivis par les premières études de réactivité effectuées par Hinshelwood, Eley et Rideal [Langmuir 1922, Eley 1940,1941]. Lennard-Jones a également participé à ces recherches en décrivant qualitativement l’évolution de l’énergie potentielle lors d’un processus d’adsorption dissociative moléculaire [Lennard-Jones 1932]. Ainsi, jusque dans les années 60, l’étude théorique des phénomènes de catalyse de surface s’est limité à des études cinétiques des réactions d’adsorption et de désorption [Darling 1995]. A cette époque, les premières analyses expérimentales sur la structure et la composition des surfaces apparaissent avec le développement des technologies d’ultravide (UHV : Ultra High Vacuum) associé aux techniques de préparation des surfaces monocristallines. La technologie ultravide permet de travailler dans un environnement peu pollué (limitant la pollution de la surface par des espèces adsorbées ainsi que les collisions réactives ou non entre les espèces atomiques et moléculaires dans la phase gaz). Les expériences en UHV ont alors rendu possible l’utilisation de techniques d’analyse (spectroscopies de surface) conduisant aux premières observations de l’agencement des adsorbats sur les surfaces cristallines [Duke 2003, Somorjai 2005]. Les années 70 ont vu l’avènement des techniques de jets atomiques ou moléculaires qui ont permis d’analyser la réactivité sur les surfaces monocristallines [Darling 1995, Somorjai 2000]. Ce contexte expérimental poussa les théoriciens à développer des outils adaptés pour interpréter ces résultats expérimentaux. Dans les années 60-70, les premières simulations de dynamique moléculaire réactionnelles sur les surfaces ont alors été entreprises permettant d’accéder à un niveau de description plus détaillé que les modèles cinétiques existants [Raff 1967, McCreery 1975, McCreery 1977]. Depuis plus de 40 ans, les progrès conséquents des techniques expérimentales et des approches théoriques nous permettent, aujourd’hui, d’interpréter les mécanismes réactionnels gaz/surface à une échelle moléculaire et atomique. Dans la suite, après avoir décrit de manière non exhaustive quelques unes des techniques expérimentales utilisées dans le cadre d’étude des mécanismes gaz/surface, nous exposerons les différentes caractéristiques des approches théoriques. Nous tenterons de relever les apports de la théorie et les difficultés rencontrées lors de la modélisation de ces réactions élémentaires. Les difficultés sont liées principalement à la complexité de ces réactions, tant du point de vue du nombre de paramètres qui influent sur la réactivité que du grand nombre de degrés de liberté que comportent ces réactions. Dans une dernière partie, nous tenterons d’apporter un éclairage sur une application possible des études de dynamique des réactions élémentaires à des problèmes plus larges comme par exemple celui de la rentrée atmosphérique de véhicules spatiaux. L’objectif étant d’évaluer le flux de chaleur d’origine chimique (chimie hétérogène de surface) perçu par le bouclier thermique du véhicule lors d’une phase de rentrée. Puis nous conclurons notre propos sur les perspectives offertes par le domaine d’étude des interactions gaz/solide. 2. Etude de la réactivité élémentaire à l’interface gaz/solide 2.1 Techniques expérimentales Les techniques expérimentales appliquées à l’étude des réactions gaz/surface se doivent de respecter au moins deux critères : sensibilité et spécificité dans la détection d’un signal qui doit provenir de la surface et non pas du cœur du matériau (souvent désigné par le terme anglais « bulk »). Du point de vue de la sensibilité, les méthodes d’analyses doivent être capables de détecter un atome ou une molécule adsorbée sur une collection d’atomes de surface. Si on considère une surface de 1 cm2. Elle contient environ 1015 atomes. La détection d’un adsorbat représentant 1% de ce nombre d’atomes nécessite une technique sensible à 1013 atomes. Cette quantité représente 1 ppb (1 partie par billion – 10-9) par rapport à un nombre d’atomes contenus dans un volume de 1 cm3 (~ 1022 atomes). Aucune technique d’analyse de « bulk » ne présente cette sensibilité (en général, elles peuvent détecter 1019 à 1018 atomes ou molécules – facteur 10-3 à 10-4) ainsi la RMN (Résonance Magnétique Nucléaire) n’est d’aucune utilité pour l’analyse des surfaces. Le second critère de spécificité est lui aussi un critère essentiel pour l’étude des interactions gaz/surface. Certaines méthodes d’analyse enregistrent une information venant du matériau dans son ensemble et donc à la fois de la surface et du « bulk ». Il faut faire en sorte que le signal venant du « bulk » soit très faible par rapport à celui de la surface (environ 10-5 fois plus faible). On dit alors que de telles méthodes sont « surface sensitive ». Elles reposent essentiellement sur les propriétés des électrons lents. C’est le cas, par exemple, de la spectroscopie Auger (AES : Auger Electron Spectroscopy) et de la spectroscopie photoelectronique (XPS : X-Ray Photoemission Spectroscopy ou UPS : Ultraviolet Photoemission Spectroscopy). Des rayons X mous (200 à 2000 eV) pénètrent le matériau sur environ 1 mm. Les atomes du matériau émettent des électrons (ce sont des électrons de cœur pour ces énergies). Ceux-ci sont analysés en vitesse à la sortie du matériau. Ces électrons émis proviennent principalement des atomes localisés près de la surface car ils ne subissent aucune collision inélastique. En effet, dans chaque matériau, on peut définir un libre parcours moyen (« Inelastic Mean Free Path : IMFP ») des électrons émis en fonction de leur énergie. A titre d’exemple, la valeur de l’IMFP est de l’ordre de 1 nm pour des énergies d’électrons dans l’intervalle 15 < E (eV) < 350 et de 2 nm pour des énergies comprises dans 10 < E (eV) < 1400. Par suite, les IMFP associés aux electrons lents correspondent à quelques couches atomiques. Ils définissent le concept de surface. Actuellement, il existe de nombreuses techniques qui remplissent ces exigences. Sans être exhaustif, on peut citer les méthodes suivantes classées selon les propriétés qu’elles mesurent [Masel 1996, Ertl 1999]: i. Structure et topologie de la surface : La méthode LEED (Low-Energy Electron Diffraction) est une technique de diffraction des électrons par la surface. Les électrons diffusés caractérisent l’arrangement des atomes de surface et des couches d’adsorbats (comme pour la diffraction des rayons X). Les méthodes STM (Scanning Tunneling Microscopy) et AFM (Atomic Force Microscopy) sont des techniques dites « champ proche » utilisant une pointe qui explore la surface. Elles s’appuient sur l’effet tunnel (STM) ou sur les forces électrostatiques (AFM), elles sont particulièrement utiles pour obtenir une carte topographique de la surface, révélant par exemple les défauts de surface [Duke 2003]. ii. Composition de la surface : Les méthodes de spectroscopie des électrons comme les spectroscopies AES, XPS ou UPS permettent, à partir de la mesure de l’énergie cinétique d’un électron arraché à la surface par un photon incident, d’évaluer l’énergie de liaison de l’électron. Cette énergie est fonction de l’élément chimique dont est issu l’électron. On a accès alors à la composition chimique des atomes de surface. iii. Propriétés énergétiques : La technique TPD (Temperature Programmed Desorption) mesure la vitesse de désorption d’espèces gazeuses préalablement adsorbées en fonction d’une augmentation de la température de surface. A l’aide d’un spectromètre de masse, on peut avoir accès aux types d’espèces qui désorbent en fonction de la température. Ces mesures donnent alors des indications sur l’énergie de liaison des adsorbats ainsi que sur les barrières d’activation à la désorption des différentes espèces présentes sur la surface. Cette technique est souvent utilisée pour la caractérisation de l’agencement ou de l’état d’agrégation des atomes ou des molécules adsorbés sur la surface (structure en couches, îlots, agrégats de différentes tailles). iv. Réactivité : Les techniques de jets moléculaires sont probablement celles qui caractérisent le mieux les collisions élastiques, inélastiques et réactives entre les molécules d’un gaz et une surface. Elle utilise des faisceaux moléculaires proches d’une distribution monocinétique en translation. Dans certains cas, il est possible de sélectionner les états vibrationnels et rotationnels des molécules du jet. L’interaction de ce jet avec une surface peut alors donner des informations diverses sur les phénomènes collisionnels. Pour cela, un procédé de détection (REMPI : Resonance-Enhanced Multiphoton Ionization) couplé à une mesure du temps de vol (TOF : Time Of Flight) permettent d’estimer la distribution d’états rovibrationnels des molécules réfléchies ainsi que leurs énergies cinétiques de translation. Par exemple, le couplage de cette technique avec une spectroscopie Auger permet de détecter la fraction d’espèces gazeuses qui s’est adsorbée sur la surface donnant accès à la probabilité d’adsorption en fonction de l’état énergétique des molécules incidentes (translation, vibration, rotation) ainsi que de l’angle d’incidence [Rendulic 1994, Rettner 1996, Maroni 2005]. Ce dernier exemple nous montre la précision des informations qui peuvent être apportés par ces techniques expérimentales. On peut en effet, étudier la réactivité en fonction de paramètres comme : l’état rotationnel ou vibrationnel des molécules incidentes, leur énergie cinétique de collision, Ces informations sont aujourd’hui directement comparables à des études théoriques des réactions gaz/surface et permettent de mieux comprendre les relations structure/activité des catalyseurs [Goodman 1996]. Dans un futur proche, de nouveaux objectifs de recherche en science expérimentale des surfaces sont envisageables grâce au développement important des nanosciences. En effet, les nanoparticules peuvent jouer le rôle de catalyseur. Les réactions chimiques sur ces nano-catalyseurs vont fortement dépendre de sa taille, de sa composition et de sa structure de surface. On entrerait ainsi dans l’ère du contrôle et de la sélectivité des réactions chimiques à l’échelle atomique [Somorjai 2007]. 2.2 Approches théoriques Les outils théoriques, issus des méthodes de la physique de l’état solide, de la physique moléculaire et de la chimie quantique, nous permettent d’appréhender les observables en proposant des interprétations sur les mécanismes gaz/surface à un niveau moléculaire. Si les modèles cinétiques étudient de manière globale la réactivité gaz/surface en déterminant les constantes de vitesse de chaque processus, la dynamique réactionnelle s’intéresse à l’ensemble des processus collisionnels qu’ils soient réactifs ou non, dans leur aspect mécanistique. Les études de dynamique s’appuient sur une simulation des différents événements réactionnels au travers de modèles, pour déterminer les différents échanges d’énergie qui accompagne chaque réaction (voir Figure 1). En complément des informations sur les probabilités de réaction et sur la distribution d’états des molécules réfléchies, la dynamique moléculaire est en mesure de fournir l’évolution de l’état dynamique du système dans l’espace des phases au cours du temps qui constitue une trajectoire. Ces différentes données sur la dynamique des réactions permettent alors d’accroître notre compréhension des mécanismes réactionnels. Figure 1 : Description schématique d’un processus collisionnel entre une molécule et une surface. Etr, v et j définissent respectivement l’énergie de translation, le nombre quantique de vibration et le nombre quantique de rotation de la molécule. Lors d’un processus inélastique, la molécule réfléchit vers la phase gaz pourra être dans des niveaux vibrationnels (v v’), rotationnels (j j’) et translationnels (Etr Etr’) excités ou désexcités. Outre les aspects cinétiques et dynamiques, l’apport majeur de la théorie provient de la chimie quantique pour la détermination des interactions entre des atomes/molécules est des surfaces de solides de nature diverse. Il existe désormais un grand nombre de méthodes de calcul de structure électronique (dominées par les approches de type fonctionnelle de la densité – DFT : Density Functional Theory) qui nous permettent de : (i) calculer les forces agissant sur les différents partenaires d’une réaction, (ii) déterminer les chemins de réaction qui correspondent aux chemins de moindre énergie, (iii) localiser les sites de surface où l’adsorption est privilégiée, (iv) les barrières d’activation relatives aux processus de désorption et d’adsorption etc… Toutes les informations issues des calculs de chimie théorique sont très précieuses car de nombreux paramètres vont influencer la réactivité: structure électronique et géométrique de la surface, défauts de surface, nature de la surface (métal, semi-conducteur, isolant), température de surface, effet des reconstructions locales, état rovibrationnel des molécules incidentes (dans le cas de l’adsorption dissociative), angle d’incidence des réactifs, diffusion des espèces réactives sur la surface, taux d’espèces préadsorbés (couverture de surface) et nature de ces espèces qui peuvent agir comme des inhibiteurs ou comme des accélérateurs de réaction. Une simulation de la dynamique réactionnelle prenant en compte tous ces paramètres est difficilement réalisable. En effet, la seule prise en compte des défauts de surface est pour le moment très limitée au niveau des calculs théoriques qui considère plutôt des surfaces idéales monocristallines dont la périodicité est plus aisément reproduite. Malgré ces limites évidentes, les progrès des études théoriques ont permis récemment de corréler des résultats issus de la dynamique moléculaire à ceux obtenus par l’expérience [McCormack 2000, Watts 2001, Busnengo 2004, Farias 2004]. Un exemple marquant est celui obtenu par C. Diaz et al. qui ont déterminé la probabilité d’adsorption dissociative de N2 sur la surface de Ru (0001) en fonction de l’énergie de collision des molécules [Diaz 2006]. Les données expérimentales ont été obtenues avec des expériences de jets moléculaires pour différentes températures de la tuyère et les calculs de dynamique ont été réalisés pour deux températures vibrationnelles de la molécule correspondant aux différentes températures de la tuyère (voir Figure 2). Figure 2 : Logarithme décimal de la probabilité de dissociation de N2 sur Ru(0001) en fonction de l’énergie normale de translation de N2. Les lignes continues représentent les résultats issus des calculs théoriques pour différentes températures de la tuyère (Tn). Les mesures expérimentales sont décrites par les symboles [Diaz 2006]. 2.2.1 Simulation de la dynamique réactionnelle La simulation de la dynamique des réactions gaz/surface comporte un certains nombre de limitations qui sont essentiellement dues à la difficulté de construire des surfaces d’énergies potentielles de nature réactive prenant en compte toute la complexité du problème. Il convient donc d’en faire une brève description pour bien comprendre qu’elles sont les possibilités réelles d’interprétation offertes par les études de dynamique. Pour une géométrie donnée du système atome/molécule avec une surface, l’équation de Schrödinger indépendante du temps prend la forme générale suivante : Hˆ T R, r ET R, r où R er r sont respectivement les coordonnées nucléaires et électroniques. (1) est la fonction d’onde et Hˆ T est l’hamiltonien total du système : Hˆ T Hˆ el R, r Kˆ n R où Kˆ n représente l’énergie cinétique des noyaux et Hˆ el (2) est l’hamiltonien électronique qui peut s’exprimer sous la forme suivante : Hˆ el R, r Kˆ e r Vˆee r Vˆen R, r Vˆnn R avec : (3) Kˆ e , terme représentant l’énergie cinétique des électrons Vˆee , terme représentant l’énergie potentielle électron-électron Vˆen , terme représentant l’énergie potentielle électron-noyau Vˆnn , terme représentant l’énergie potentielle noyau-noyau La résolution de l’équation de Schrödinger est généralement réalisée en se plaçant dans le cadre de la séparation de BornOppenheimer qui est basée sur le fait que la vitesse des électrons est grande devant celles des noyaux. On suppose alors que les électrons du système vont instantanément s’adapter au mouvement des noyaux. En négligeant les termes de couplages entre les mouvements nucléaires et électroniques (approximation adiabatique), il est possible de décrire le système à l’aide de deux équations aux valeurs propres, une pour les électrons (Equation 4) et une pour les noyaux (Equation 5) [Darling 1995]: Hˆ el R, r R, r Eel R R, r Hˆ n R R Kˆ n R Eel R R ET R (4) (5) Où est la fonction d’onde pour le mouvement électronique et est la fonction d’onde pour le mouvement nucléaire. Il apparaît alors que la solution Eel de l’équation de Schrödinger électronique (Equation 4) n’est rien d’autre que l’énergie potentielle dans l’équation de Schrödinger nucléaire (Equation 5). Cette énergie potentielle est une fonction multidimensionnelle de la position des noyaux, appelée surface d’énergie potentielle (SEP). Dans le cadre de l’approximation Born-Oppenheimer, la démarche de toute modélisation de dynamique réactionnelle s’effectue en deux étapes : (i) résolution du problème électronique pour différentes positions des noyaux (configurations), on résout l’équation électronique pour en déduire la SEP qui contient alors toutes les informations sur le champ de force du système gaz/surface, et (ii) résolution du problème nucléaire en simulant le mouvement des noyaux sur la SEP. Le mouvement des noyaux est reproduit par l’intégration numérique de l’équation de Schrödinger nucléaire dépendante ou indépendante du temps [Gross 1998, Kroes 1999]. On peut également se placer dans le cadre de l’approximation classique en simulant le mouvement des noyaux par la résolution pas à pas de l’équation de Newton [Darling 1995, Gross 1998]. Il est important de noter qu’une hypothèse implicite apparaît dans l’application de l’approximation adiabatique. En effet, cette approximation implique que les noyaux évoluent sur une seule surface d’énergie potentielle correspondant à un état électronique donné. Autrement dit, la résolution de l’équation électronique se limite généralement à déterminer l’état fondamental du système. Une des conséquences directes de cette approximation est de ne pouvoir traiter (ou de manière approximative) les phénomènes non adiabatiques impliquant des excitations électroniques ou des transferts de charge dus aux croisements de plusieurs surfaces d’énergie potentielle. Ces excitations électroniques, difficiles à traiter, restent encore peu connues et leur impact sur la réactivité est un des problèmes majeurs que les théoriciens s’attachent à résoudre [Gross 1998, Tully 2000, Juaristi 2008, Kroes 2008]. La simulation du mouvement des noyaux, effectuée dans le cadre de la mécanique quantique, utilise généralement une approche dépendante du temps : R, t Hˆ n R R, t i t (6) Pour un hamiltonien indépendant du temps, on peut écrire la fonction d’onde sous la forme suivante : iHˆ n R t R, t exp R,0 (7) où le terme exponentiel est un opérateur d’évolution ou propagateur et R est la fonction d’onde initial qui est localisé loin de la surface, c’est-à-dire dans une région où l’interaction entre l’atome (ou la molécule) et la surface est négligeable. Il permet de décrire l’énergie moyenne de translation de l’atome (ou de la molécule) isolée ainsi que l’état rovibrationnel dans le cas d’une molécule. La procédure de calcul dans un formalisme de paquet d’ondes dépendant du temps (TDWP : Time-Dependent Wave Packet) se décompose en trois étapes : (i) choix du paquet d’ondes initial, (ii) propagation du paquet d’ondes par le biais de l’Equation 7 et de méthodes diverses pour exprimer l’opérateur d’évolution [Pijper 2002], (ii) analyse asymptotique du paquet d’ondes qui consiste à évaluer la partie de la fonction d’onde qui est diffusée loin de la surface. Cette analyse nous renseigne alors sur les probabilités de diffusion élastique ou inélastique d’états à états et par différence sur la probabilité de réaction. Cette méthode permet d’obtenir des résultats incluant les effets quantiques, néanmoins elle est coûteuse en temps de calculs. Elle a été appliquée en particulier pour des systèmes impliquant H2 sur des surfaces métalliques telles que Cu(100), Cu(111) et Pt(111) [Wiesenekker 1996, Crespos 2001, Watts 2001, Somers 2002, Somers 2004]. Pour une description plus détaillée de cette méthode ainsi que de la méthode indépendante du temps, on pourra consulter les revues suivantes [Darling 1995, Gross 1998, Kroes 1999]. Une alternative intéressante aux approches quantiques est d’utiliser un formalisme issu de la mécanique classique. Dans ce cas, on utilise les équations de Hamilton pour modéliser le mouvement des noyaux sur la surface d’énergie potentielle [Billing 2000]. Les équations du mouvement de Hamilton sont décrites par un système de 2N équations différentielles couplées du premier ordre, N étant le nombre de degrés de libertés du système : qk H n q, p t pk (8) H n q, p pk t qk (9) avec k = 1,…,N. Les qk et pk sont les coordonnées et moments conjugués des noyaux et H(q,p) la fonction de hamilton du problème traité. Il est important de s’arrêter quelques instants sur la dimensionnalité N du problème. Lors de l’interaction d’un atome ou d’une molécule avec une surface, il faut considérer les coordonnées des Ng atomes de la phase gaz mais également les coordonnées des NS atomes de surface. N peut alors s’écrire comme : N = 3Ng + 3NS Le nombre d’atomes de surface pouvant être considérables, on fait l’hypothèse qu’ils sont fixes dans leur position d’équilibre. Le système va alors se simplifier à un problème à 3Ng dimensions (3 dimensions pour le cas atome/surface et 6 dimensions pour le cas molécule/surface). Cette hypothèse implique que la surface est rigide et qu’il ne peut y avoir d’échange d’énergie entre les atomes de la phase gaz et les phonons de surface. Elle est souvent justifiée par le modèle de Baule des collisions binaires qui énonce que plus la différence de masse entre un atome de la phase gaz et un atome de la surface est importante, moins l’échange d’énergie est effectif par collision [Masel 1996]. En réalité, cette approximation n’est pas toujours très réaliste. Le fait est que le mouvement des atomes de surface peut jouer le rôle de perturbateur de la dynamique gaz/surface comme le montrent certains résultats expérimentaux sur des systèmes H2/surfaces métalliques [Murphy 1998, Watts 1999]. De plus, le mécanisme de l’adsorption atomique peut être étudié seulement si les phonons de surface sont considérés puisque ce processus nécessite des échanges d’énergie avec la surface afin de piéger l’atome incident [Pineau 2005]. Ainsi, des modèles théoriques ont été proposés pour étudier les effets des phonons de surface en utilisant par exemple des oscillateurs harmoniques pour décrire le mouvement des atomes de surface. Le modèle SO (Surface Oscillator) ou un modèle d’oscillateurs couplées à un bain thermique (GLO : Generalized Langevin Oscillator) en sont des exemples [Tully 1980, Polanyi 1985, Hand 1990, Dohle 1997, Busnengo 2001, Pineau 2005]. Lors d’un calcul de dynamique moléculaire, on souhaite par exemple déterminer la probabilité associée à un événement donné (dissociation, adsorption, reflexion etc…) et représenté par un canal de sortie dans l’algorithme de simulation de la dynamique. Cette probabilité représente une grandeur moyenne de la fonction Pcanal(q0, p0) sur l’ensemble de l’espace des phases accessible aux réactifs à l’instant initial (q0, p0) où q0 et p0 sont les coordonnées et moments conjugués initiaux du réactif : Pcanal P q , p f q , p dq dp f q , p dq dp canal 0 0 0 0 0 0 0 0 0 (10) 0 où f(q0, p0) définit la fonction de distribution ou fonction de probabilité des variables q0 et p0. On peut approximer cette grandeur par une somme discrète selon la formule ci-dessous : P q , p f q , p n 1 Pcanal . i 1 n canal i 0 i 0 i 0 f q , p n i 0 i 0 (11) i 0 i 1 Cette approximation est justifiée si la valeur de n, autrement dit le nombre de sommation, est suffisamment élevé. Dans la méthode des trajectoires classiques, on utilise l’Equation 11 pour évaluer la grandeur moyenne Pcanal en utilisant une méthode de type Monte Carlo. Ainsi, on effectue une moyenne statistique sur un grand nombre de trajectoires n en réalisant pour chacune de ces trajectoires, un tirage aléatoire sur les conditions initiales dans l’espace des phases (q0, p0) à M dimensions (M = 6 pour un système atome/surface et M = 12 dimensions pour un système molécule/surface). Ce tirage aléatoire est compatible avec un ensemble statistique donné (microcanonique, canonique, grand canonique etc…) et permet par exemple de connaître les probabilités associées à l’état final des réactifs en fonction de leur énergie cinétique de translation initiale et de comparer ces résultats théoriques directement avec les expériences. De par sa mise en œuvre aisée, ce formalisme a largement été employé pour les études de dynamique gaz/surface. Cependant, les systèmes d’études étant intrinsèquement quantiques, certains phénomènes ne peuvent être décrits par la dynamique classique. Ainsi, les phénomènes quantiques comme l’effet tunnel, les résonnances ou les interférences ne sont pas représentés par cette approche. Néanmoins, ces effets quantiques peuvent en général être négligés pour les systèmes faisant intervenir des atomes plus lourds que l’hydrogène, c’est-à-dire lorsque l’amplitude de la longueur d’onde de de Broglie est suffisamment faible devant les dimensions du système [Darling 1995]. Un problème plus important intervient dans le traitement classique de la dynamique : la conservation du niveau d’énergie vibrationnel fondamental (ZPE : Zero Point Energy). En effet, en mécanique quantique, l’énergie d’une particule confinée dans un puits de potentiel est quantifiée et possède un minimum qui est le ZPE. En mécanique classique, une particule au repos ne possède pas d’énergie de vibration, la distance internucléaire est égale à la distance d’équilibre. Pour rendre la simulation plus réaliste, on utilise une approche dite de dynamique quasi-classique (QC) qui consiste à incorporer artificiellement une énergie de vibration initiale à la molécule correspondant au ZPE [Busnengo 2002]. Par exemple, cette approche permet dans certains cas de rendre compte du phénomène de relaxation vibrationnelle. Ce phénomène se traduit par le transfert de l’énergie de vibration vers l’énergie de translation dû à la diminution de la constante de force du mouvement de vibration lorsque la molécule s’approche d’une surface. La molécule subit alors une accélération qui peut favoriser le franchissement de barrières d’énergie potentielle et donc d’influer sur la réaction. Une grande partie de l’énergie de vibration peut être transférée vers les autres degrés de libertés conduisant à la violation de conservation du ZPE. Le problème majeur est que ce transfert surestimé de l’énergie du ZPE peut modifier de manière conséquente la réactivité, en particulier à basse énergie. Différentes approches ont été proposées pour résoudre ce problème [Miller 1989, Stock 1999]. Cependant, il n’existe pas aujourd’hui de solution définitive au traitement du ZPE. Il apparaît que le choix du traitement (classique ou quasi-classique) doit être fait en fonction du système étudié et des observables mesurées [Kroes 1999, Rivière 2005]. Malgré ces difficultés, toute la dimensionnalité du problème peut être traitée par une approche classique, ce qui n’est pas toujours le cas pour une approche quantique. Par ailleurs, de nombreux résultats issus de la mécanique classique sont comparables aux calculs quantiques et même dans certains cas aux mesures expérimentales. 2.2.2 Surfaces d’énergie potentielles réactives Dans la partie précédente, afin de résoudre les équations du mouvement, on a supposé la SEP connue. En réalité, la construction d’une telle surface est une étape longue et difficile entraînant souvent des limitations dans l’étude de la dynamique. Par exemple, pour l’étude d’un système molécule diatomique/surface, il est nécessaire de construire une SEP à six dimensions. Cette construction implique alors de traiter le problème électronique pour un ensemble de configurations pertinentes du système (chaque calcul ab initio correspondant à une valeur donnée des coordonnées du problème). Ce travail peut devenir rapidement insurmontable en raison de la haute dimensionnalité des systèmes étudiés. Cette partie s’attache à décrire succinctement les calculs de structure électronique ainsi que les méthodes de construction de SEP. La construction d’une surface d’énergie potentielle nécessite la résolution de l’équation de Schrödinger électronique. Le traitement usuel, en chimie moléculaire, est d’utiliser la théorie de Hartree-Fock (HF) et le large panel de méthodes post-HF qui permettent d’inclure la corrélation électronique. En physique de la matière condensée où les systèmes étudiés possèdent un nombre considérable d’électrons, la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) est l’outil de choix. Le formalisme de la DFT s’appuie sur l’utilisation de la densité électronique (r) comme fonction permettant de réduire le nombre de degrés de liberté de 3Ne (Ne : nombre d’électrons du système) à 3 ((r) est une fonction d’espace à trois variables). Cette formulation repose sur les deux théorèmes de Hohenberg et Kohn qui stipulent que pour un système de Ne électrons en interaction dans un potentiel externe (potentiel dû aux noyaux), l’état fondamental du système électronique est une fonctionnelle unique de la densité électronique [Hohenberg 1964, Kohn 1965]. L’énergie de l’état fondamental s’écrit alors de la manière suivante : Eel r KeS r VeeS r Vext r Exc r (12) avec l’énergie cinétique des électrons KeS et l’énergie potentielle électron-électron VeeS. Cette méthode implique dans un premier temps de considérer les électrons comme indépendants entre eux baignant dans un champ moyen dû aux électrons et dans un potentiel externe dû aux noyaux. Par suite, les termes KeS et VeeS ne tiennent pas compte des effets d’interaction entre les électrons hormis ceux provenant de l’interaction coulombienne. La fonctionnelle Exc, appelée communément énergie d’échange corrélation, est alors introduite pour corriger ces effets électroniques. Ainsi, si le terme Exc est connu, la formulation de la DFT permet d’obtenir l’énergie fondamentale exacte d’un système à Ne électrons. En pratique, la forme exacte de la fonctionnelle d’échange corrélation est inconnue. L’efficacité d’un calcul DFT va alors dépendre de la qualité de la fonctionnelle proposée [Jensen 1999]. Historiquement, la première approximation pour l’expression de Exc est celle basée sur l’approximation de la densité locale (LDA : Local-Density Approximation) qui considère le système électronique comme un gaz uniforme d’électrons. Ainsi, ce modèle fournit de très bons résultats pour les systèmes où la variation de la densité électronique est douce. Cependant, cette approximation ne permet pas de décrire précisément les données énergétiques des réactions chimiques (enthalpie de réaction, barrière d’activation). Les fonctionnelles de type GGA (Generalized Gradient Approximation) permettent de pallier ces défauts en incluant le gradient de la densité électronique dans sa formulation. Elles permettent ainsi de rendre compte de la nonuniformité du gaz d’électrons. L’intérêt de cette approche « semi-locale » est d’améliorer nettement la précision des données énergétiques par rapport à la LDA. Les fonctionnelles PW91 (Perdew-Wang 91) [Perdew 1992] et RPBE (Revised Perdew-BurkeErnzerhof) [Hammer 1999] sont des exemples de fonctionnelles de type GGA qui sont largement utilisées dans le domaine des gaz/surface pour la construction de surface d’énergie potentielle [Hammer 1994, Wiesenekker 1996, Persson 1999]. Dans le cadre de la DFT, l’étude de systèmes semi-infinis comme les surfaces nécessite d’utiliser des outils adaptés [Payne 1992] : i. Les pseudopotentiels : un des problèmes inhérents à l’étude de systèmes cristallins est le nombre considérable d’électrons à considérer. Une façon de contourner cette difficulté consiste à utiliser la méthode des pseudopotentiels [Vanderbilt 1990, Blöchl 1994, Kresse 1999]. Cette méthode utilise le fait que les propriétés chimiques d’un système sont essentiellement gouvernées par les électrons de valence tandis que les électrons de cœur peuvent être considérés comme gelés. On définit alors un potentiel effectif (ou pseudopotentiel) représentant l’influence des électrons de cœur sur les électrons de valence. L’utilisation de ces pseudopotentiels permet de réduire fortement le nombre d’ondes planes nécessaire pour décrire la fonction d’onde et rend alors possible l’étude de systèmes comprenant un grand nombre d’atomes. ii. Les bases d’ondes planes : dans l’étude de systèmes quantiques, il est utile de développer les fonctions d’onde comme une combinaison linéaire de fonctions de base. En particulier, dans les systèmes périodiques où les électrons sont fortement délocalisés (systèmes métalliques), ces fonctions d’onde peuvent être décrites convenablement par une base d’ondes planes (fonctions de Bloch). Leur intérêt majeur est de rendre la diagonalisation de l’hamiltonien et donc la résolution du problème électronique très efficace. iii. Supercellules : l’utilisation des ondes planes implique de considérer une périodicité dans les trois directions de l’espace. La méthode de la supercellule permet de rendre compte de cette périodicité. Dans cette méthode, on construit une supercellule qui contient une superposition de couches d’atomes de surface (appelée communément « slab ») et une région de vide (cf. Fig. 3). Cette supercellule est alors répétée périodiquement dans les trois directions de l’espace pour assurer la périodicité du système. Pour éviter les interactions non physiques entre les slabs, la distance du vide doit être suffisamment grande. De même, le nombre d’atomes par couche ainsi que le nombre de couches doivent être choisis de manière à limiter les effets d’interaction entre images afin de reproduire le plus fidèlement possible les caractéristiques de la surface solide. Figure 3 : Modèle de la supercellule utilisé pour simuler la périodicité en 3 dimensions de l’interaction molécule/surface. La zone verte correspond à une cellule unité qui est répétée dans les 3 directions de l’espace. Ces différents outils permettent aujourd’hui d’étudier en détail les propriétés de systèmes de plus en plus complexes mettant en jeu un grand nombre d’atomes. Ces études sont facilitées par l’existence de codes qui tiennent compte de tous ces développements. L’utilisation d’un code de dynamique réactionnelle nécessite une connaissance complète de la surface d’énergie potentielle afin d’avoir accès à la valeur de l’énergie électronique pour toutes les configurations du système. Pour obtenir une telle surface, il faut donc a priori calculer la structure électronique du système étudié pour un nombre infini de configurations géométriques. La détermination d’une infinité de points ab initio n’étant pas réalisable, des méthodes analytiques et numériques ont été développées pour permettre de construire une SEP continue et dérivable par rapport aux coordonnées de l’espace des configurations à partir d’un nombre fini de points ab initio. Historiquement, les premières méthodes de construction de SEP utilisaient des modèles à dimensionnalité réduite basés sur des potentiels de type Morse [Zwanzig 1960, Goodman 1962, Raff 1967]. La première détermination d’un potentiel contenant toutes les dimensions du problème pour un système molécule diatomique/surface (dans l’approximation de la surface cristalline rigide) fut initiée par McCreery et Wolken [McCreery 1975, McCreery 1977]. Pour ce faire, ils adaptèrent le modèle de London-EyringPolanyi-Sato (LEPS), initialement utilisé pour l’étude de la réactivité en phase gaz (réaction à trois atomes) [London 1929, Eyring 1931, Sato 1955a,1955b, Kuntz 1966]. Depuis cette époque, et ceci grâce aux développements importants des outils numériques, le nombre de méthodes disponibles s’est largement accru. On peut distinguer deux types d’approches : les approches globales et les approches locales [Fernandez-Ramos 2006] : i. Les méthodes globales : le modèle LEPS est sans doute l’exemple le plus célèbre utilisant une approche globale. Dans ces méthodes, une forme analytique est utilisée pour représenter le potentiel. Les paramètres entrant dans la définition de cette expression analytique sont alors déterminés par des procédures d’ajustement réalisées à l’aide des points ab initio et des données de la littérature disponibles. Ces méthodes sont désignées comme « globales » puisque l’utilisation d’une forme analytique leur permet d’être définies sur tout l’espace des configurations. De plus, elles permettent le plus souvent d’assurer une bonne description des canaux asymptotiques. Néanmoins, leur expression analytique conduit généralement à l’obtention de SEP peu flexibles qui ne peuvent prétendre décrire correctement toute la complexité des interactions gaz/surface. ii. Les méthodes locales : dans le but d’améliorer ce degré de précision, le développement de méthodes locales a récemment été entrepris. Ces méthodes sont basées sur des techniques d’interpolation numériques. En ce sens, elles sont qualifiées de « locales » puisque l’énergie potentielle pour une configuration donnée du système est obtenue à partir de points ab initio géométriquement proches de cette configuration. Ainsi, ces méthodes sont bien adaptées à une description précise du potentiel sur une zone limitée de l’espace des configurations. La procédure de réduction de la corrugation (CRP : Corrugation Reducing Procedure) est un exemple de ce type d’approche [Busnengo 2000, Olsen 2002]. Cette méthode s’appuie sur le fait que la forte variation du potentiel est essentiellement due aux interactions de paires atome/surface. Ainsi, en retranchant cette contribution au potentiel total, on obtient une fonction beaucoup plus douce qui peut être interpolée de manière très précise. Les SEP issues de cette procédure présente un écart moyen entre les données ab initio (non utilisées dans l’interpolation) et les points interpolés n’excédant pas 100 meV. De nouvelles approches locales ont été récemment proposées qui permettent également d’atteindre des hauts degrés de précision [Crespos 2003,2004, Lorenz 2004, Lorenz 2006]. Les méthodes locales sont particulièrement intéressantes par leur fiabilité et leur capacité à fournir des SEP très précises. Cependant, elles ont le principal inconvénient d’être coûteuses en temps de calcul (les méthodes d’interpolation nécessitent un grand nombre de points ab initio : plusieurs milliers) et d’être généralement réduite à l’étude d’un seul mécanisme élémentaire puisqu’elles sont définies dans une région restreinte de l’espace des configurations correspondant aux points ab initio disponibles. Les méthodes globales sont donc une alternative intéressante puisqu’elles permettent d’étudier plusieurs mécanismes élémentaires (SEP définie sur l’ensemble de l’espace des configurations) et ceci pour un effort numérique raisonnable. En effet, elles ont l’avantage de nécessiter que peu de points ab initio (généralement quelques centaines) et leur construction est plus aisée. 2. Une application dans le cadre des technologies de rentrée atmosphérique 2.1 Généralités Au cours de la rentrée atmosphérique d’une mission spatiale, les véhicules possèdent des vitesses hypersoniques (quelques km/s correspondant à un domaine allant de Mach 10 à 25). Le contact violent de la navette avec les hautes couches de l’atmosphère provoque une onde de choc qui transforme une partie de l’énergie cinétique du véhicule en énergie thermique libérée dans le gaz (Fig. 4 et Fig. 5). La température peut atteindre dans certains cas 10 000 K dans la couche de gaz environnant le véhicule. La dissipation d’une telle quantité d’énergie induit un changement brutal des conditions de pression et de température et engendre alors une réactivité complexe dans le gaz conduisant à la dissociation et à l’ionisation des molécules présentent dans l’atmosphère. Dans le cadre de l’atmosphère terrestre, le plasma formé est le siège d’une chimie mettant en jeu un grand nombre d’espèces atomiques, moléculaires, radicalaires et ionisées (N2, O2, NO, N, O, N2+, O2+ …) à l’état électronique fondamental ou dans une multitude d’états excités [Anderson 1989]. Figure 4 : Démonstrateur de rentrée atmosphérique (ARD) libéré à 830 km d’altitude par Ariane 5, le 21 Octobre 1998. Figure 5 : Démonstrateur de rentrée Pre-X dont le vol est prévu pour l’année 2010. La conséquence directe de la présence de ce plasma hautement énergétique autour du véhicule spatial est d’échauffer de manière très importante la paroi du véhicule, ce flux de chaleur étant typiquement de plusieurs centaines de kW/m². Pour cette raison, le choix du système de protection thermique (« Thermal Protection System » : TPS) est d’une importance vitale pour le succès des missions de rentrées planétaires mais leur conception est rendue difficile en raison de la complexité des mécanismes de transfert de chaleur mis en jeu. En effet, le flux total de chaleur reçu par l’engin peut avoir trois principales composantes [Hankey 1988, Anderson 1989] : (i) un flux de chaleur conductif issu du transport de chaleur dans le milieu gazeux associé aux gradients de températures entre la paroi du véhicule (300 à 1500 K) et la phase gaz (1000 à 10000 K), (ii) un flux de chaleur diffusif qui provient de la diffusion des espèces gazeuses vers la surface du bouclier thermique. Ces espèces peuvent ensuite réagir sur la paroi du matériau de protection thermique. Ces réactions chimiques, dépendent des propriétés catalytiques du matériau considéré et peuvent libérer d’importantes quantités d’énergie à la paroi du véhicule. Enfin, (iii) un flux de chaleur radiatif qui trouve son origine dans l’émission des espèces gazeuses provenant de leurs désexcitations électroniques, vibrationnelles et rotationnelles. Les contributions convectives et diffusives au flux total de chaleur sont souvent considérées comme les plus importantes, la contribution radiative étant importante seulement lorsque le gaz entourant le véhicule est suffisamment chaud [Rini 2006]. Ainsi, pour le développement et le dimensionnement de bouclier thermique, les aérothermodynamiciens doivent être en mesure d’estimer ce flux total de chaleur reçu par la paroi. Cette quantité d’énergie dépend de nombreux facteurs inhérents à la mission spatiale tels que les paramètres de la trajectoire dans l’atmosphère (vitesse de rentrée en fonction de l’altitude, angle d’attaque), les caractéristiques de la navette (poids, forme, volume) ainsi que les propriétés du revêtement thermique. Ce dernier est généralement constitué de matériaux composites à base de carbone et recouverte par une couche protectrice de carbure de silicium (SiC). Ce type de revêtement est stable à haute température et possède un faible pouvoir catalytique qui limite le flux de chaleur diffusif [Sekigawa 2001]. Dans le but de développer des matériaux toujours plus performants, de nouveaux moyens ont été mis en œuvre pour caractériser les phénomènes de transfert de chaleur. Deux types d’approches existent pour évaluer le flux de chaleur à la surface des véhicules de rentrée. La première est basée sur des mesures expérimentales du flux de chaleur, en vol ou au sol, par le biais de divers fluxmètres (sondes, calorimètres, thermocouples) [Biagioni 1998]. Les mesures en vol sont pour le moment peu fréquentes en raison des coûts importants associés à la réalisation de ce type de programme. Les essais au sol sont, quant à eux, largement répandus avec en particulier l’utilisation de souffleries hypersoniques qui permettent la reproduction des conditions aérodynamiques de rentrée (composition, température, pression et vitesse d’écoulement de la phase gazeuse) [Vennemann 1999]. Néanmoins, les conditions réelles de rentrée sont très difficiles à réaliser, car il faut générer un écoulement hypersonique continu à très hautes températures pendant une durée suffisante. En général, des souffleries à haute enthalpie (aussi appelées souffleries à plasma) sont utilisées pour l’étude des matériaux de protection thermique. Ce type de soufflerie ne permet pas de reproduire la vitesse d’un écoulement hypersonique, mais génère des écoulements à hautes enthalpies pendant des durées de l’ordre de 30 minutes [Neumann 1992, Wright 2006]. La seconde approche, qui s’appuie sur la simulation numérique d’un écoulement à haute enthalpie en interaction avec une surface, est basée sur la résolution des équations de Navier-Stokes. L’intégration numérique de ces équations différentielles, non linéaires fortement couplées à l’aide des codes de dynamique des fluides (Computational Fluid Dynamics : CFD), nécessite la modélisation correcte des propriétés physico-chimiques (pression, viscosité, conductivité thermique, coefficient de diffusion, capacité calorifique et enthalpie du mélange gazeux) de l’écoulement gazeux. De nombreux modèles de complexités variables, reposant sur la théorie cinétique des gaz [Sawley 1995] ainsi que sur la thermodynamique statistique, sont disponibles dans la littérature [Bottin 2000]. Cependant, en raison des conditions hautement énergétiques du milieu gazeux, les propriétés chimiques du plasma doivent également être prises en compte. La Figure 6 explicite ces phénomènes en décrivant les principales caractéristiques d’un écoulement gazeux au voisinage du fuselage d’un engin spatial. Lors de la rentrée atmosphérique, deux zones caractéristiques, en aval de l’onde de choc, sont à considérer. La première zone, la couche de choc, dans laquelle se forme le plasma, est le siège de nombreuses réactions (production d’espèces radicalaires et ionisées très réactives). En raison de la vitesse élevée de l’écoulement et de la lenteur de la cinétique chimique du mélange, liées aux conditions de basses pressions et de hautes températures du milieu, le plasma est en fort déséquilibres chimique et thermique [Anderson 1989]. Figure 6 : Evolution schématique d’un écoulement gazeux en aval d’une onde de choc produite par un véhicule spatial lors de sa rentrée atmosphérique. Le flux gazeux atteint ensuite une zone particulière proche de la paroi du véhicule (à quelques millimètres), appelée couche limite où les propriétés du milieu sont très différentes de celles de la couche de choc (la vitesse du flux gazeux tend alors vers zéro et sa température vers celle de la surface du bouclier). Dans cette région, l’équilibre thermique peut être admis mais la chimie reste hors équilibre. De plus, la présence de la paroi du véhicule peut exalter les réactions chimiques de recombinaison entre les atomes de la phase gaz. Cette réactivité hétérogène s’ajoute à la réactivité chimique homogène de la phase gazeuse. Les propriétés physiques et thermodynamiques de l’écoulement gazeux dépendent fortement de la composition des espèces en présence dans le mélange gazeux. Or, cette composition est elle-même liée à la réactivité chimique se déroulant dans la phase gaz ou sur la surface du bouclier thermique. La prise en compte des effets chimiques est donc indispensable dans toute simulation numérique d’un écoulement gazeux réactif en interaction avec une paroi solide. Les phénomènes chimiques en phase gaz sont intégrés aux simulations CFD à l’aide de différents modèles de cinétiques chimiques qui considèrent, selon leurs degrés de sophistication, un nombre plus ou moins important d’espèces gazeuses [Dunn 1973, Gupta 1990, Park 1993, Bourdon 2006, Sergievskaya 2006]. Cependant, la description précise des propriétés d’un plasma d’air réactif est complexe du fait du nombre d’espèces chimiques à considérer pour lesquelles les constantes de vitesse des réactions élémentaires sont souvent mal connues. La description de la réactivité hétérogène et sa prise en compte dans les codes de dynamique des fluides est également une tâche ardue. Le flux de chaleur d’origine diffusif est fortement corrélé aux propriétés catalytiques du matériau considéré. Cependant, on peut se demander quelle est l’influence de ces propriétés catalytiques sur le flux total de chaleur reçu par le bouclier thermique. Un élément de réponse est donné dans la Figure 7 représentant l’évolution du flux de chaleur au point d’arrêt (Le point d’arrêt est un point de l’écoulement où la vitesse du fluide est nulle au contact de la navette spatiale. Pour un écoulement hypersonique, le point d’arrêt est presque toujours le point le plus chaud sur la surface du véhicule de rentrée [Hankey 1988]) en fonction de l’altitude déduite de mesures faites en vol sur le véhicule OREX (La mission OREX : « Orbital Re-entry Experiment », initiée par le Japon, était un programme expérimental dont le but était principalement d’évaluer les matériaux de protection thermique. La capsule OREX fut lancée en février 1994 du centre spatial Tanegashima au Japon). La courbe du flux de chaleur dans les conditions réelles de rentrée comporte un maximum situé à environ 64 km d’altitude, et tend ensuite vers zéro à l’approche de la surface de la Terre. Afin d’appréhender les effets des phénomènes catalytiques, des calculs utilisant les codes CFD considèrent généralement deux cas limites en ce qui concerne les propriétés de la paroi du TPS. Soit la paroi est non catalytique et on considère que la surface du bouclier est inerte chimiquement vis-à-vis de l’écoulement gazeux réactif. Dans ce cas de figure, aucun mécanisme de recombinaison sur la surface n’est pris en compte. Soit la paroi est totalement catalytique et au contraire du cas précédent, la surface favorise ces recombinaisons permettant une réactivité chimique maximale sur la paroi du véhicule. Figure 7 : Comparaison de l’évolution du flux de chaleur au point d’arrêt mesuré sur le vol OREX et déterminé à l’aide de calculs CFD [Conte 2002, Doihara 2002, Kurotaki 2003]. Les résultats de ces deux calculs CFD montrent clairement l’impact des propriétés catalytiques du matériau sur le flux total de chaleur. En particulier, le maximum du flux de chaleur double lors du passage d’une paroi non catalytique à une paroi totalement catalytique. Les mesures d’OREX montrent un comportement intermédiaire, ce qui conduit à penser que lors de ce vol expérimental l’échauffement dû à la chimie hétérogène était non négligeable ( 30% du flux total de chaleur). La contribution de la catalyse de surface peut même atteindre dans certains cas 40% du flux total de chaleur au point d’arrêt [Barbato 1996]. Ces effets sont connus depuis de nombreuses années mais la compréhension et la modélisation de ces phénomènes hétérogènes est une tâche ardue qui pousse les concepteurs de systèmes de protection thermique à considérer les surfaces comme complètement catalytiques. La conséquence directe de cette approximation est le surdimensionnement du bouclier. Depuis une dizaine d’années, de nombreuses études ont été entreprises pour mieux comprendre ces phénomènes catalytiques afin de pouvoir les insérer correctement dans les codes de dynamique des fluides [Barbato 1996, Jumper 1996, Nasuti 1996, Reggiani 1996, Desmeuzes 1997, Kurotaki 2003, Guerra 2004, Kurunczi 2005, Guerra 2007]. Néanmoins, l’étude de ces phénomènes est encore loin d’être achevée et de nombreuses zones d’ombres subsistent dans les méthodes expérimentales ou théoriques qui servent à les caractériser. La catalycité apparaît comme un phénomène essentiel des missions de rentrée et sa prise en compte dans les modèles de simulation des écoulements gazeux réactifs est de première importance pour estimer convenablement les phénomènes de transfert de chaleur vers la surface d’un bouclier thermique. Il est courant d’assimiler la catalycité à des phénomènes de catalyse hétérogène. Néanmoins, les réactions mises en jeu lors des rentrées atmosphériques terrestres sont des processus de recombinaison diatomique (formation de O2, N2 et NO) qui ne présentent pas de barrières à la réaction en phase gaz. Il paraît donc abusif de parler de catalyse pour les phénomènes de catalycité. En réalité, la surface du véhicule spatial permet principalement d’augmenter la section efficace de réaction ainsi que d’emmagasiner l’énergie libérée par ces recombinaisons (rôle de troisième corps). La catalycité fait intervenir un certain nombre d’étapes élémentaires qu’il convient de préciser. Ainsi, on peut distinguer les mécanismes qui peuplent la surface d’atomes ou de molécules de la phase gaz (procédés d’adsorption) des mécanismes qui jouent le rôle inverse en dépeuplant cette surface (procédés de recombinaison ou de désorption) [Masel 1996]. L’adsorption représente la formation d’une liaison entre un atome (ou une molécule) et une surface solide. On distingue deux types d’adsorption en fonction de la nature de la liaison formée : i. L’adsorption physique (physisorption) : associée à la formation d’une liaison faible due aux forces attractives de van der Waals. L’atome ou la molécule n’interagit que très faiblement avec la surface et l’énergie de liaison est généralement inférieure à 200 meV [Masel 1996]. Ce type d’adsorption se rencontre uniquement lorsque le réactif possède une énergie cinétique suffisamment faible. La physisorption joue en général le rôle d’état précurseur à la chimisorption. ii. L’adsorption chimique (chimisorption) : provient de la formation d’une liaison chimique forte entre l’espèce gazeuse et la surface. Cette liaison est rendue possible grâce aux propriétés électroniques d’une surface solide créant des sites actifs sur lesquels l’adsorption est possible. Dans ce cas, l’énergie de liaison varie de quelques centaines de meV à plusieurs eV. La chimisorption peut être de nature différente selon le réactif considéré (atome ou molécule). On distingue alors l’adsorption atomique de l’adsorption moléculaire (cf. Figure 8). L’adsorption atomique (AA) est associée à la formation d’une liaison chimique entre un atome de la phase gaz et la surface. L’atome est alors piégé dans un puits de potentiel du système atome/surface. Dans le cas de surfaces métalliques, ce type de processus est généralement non activé (pas de barrière d’activation) et l’exothermicité de la réaction peut être très élevée (plusieurs eV) [Pineau 2005]. L’adsorption moléculaire (AM) fait référence à deux cas particuliers : l’adsorption dissociative et l’adsorption non dissociative. Le premier cas a lieu lorsque l’interaction de la molécule avec la surface permet de dissocier la molécule en deux atomes qui vont s’adsorber sur deux sites actifs de surface. Ce processus peut présenter un comportement activé ou non activé qui dépend des réactifs et du catalyseur considéré ainsi que de la structure cristallographique de ce dernier. Dans le cas de l’adsorption non dissociative, la molécule garde son statut moléculaire au cours de la chimisorption. En règle générale, le puits de potentiel associé à l’adsorption non dissociative est faible et les conditions de pression et de température ne permettent pas de maintenir la molécule dans cet état [Masel 1996]. Dans la suite de ce travail, ce second cas ne sera donc pas considéré. Figure 8 : principe schématique du processus d’adsorption atomique et d’adsorption moléculaire dissociative Les processus d’adsorptions atomique et moléculaire ont pour conséquence de peupler la surface d’atomes. De plus, l’adsorption étant souvent exothermique, elle s’accompagne d’un transfert significatif de chaleur vers la surface. Les atomes adsorbés à la surface du catalyseur sont alors des candidats idéaux aux phénomènes de recombinaison. Ces phénomènes peuvent se classer selon deux mécanismes limites (cf. Figure 9) [Masel 1996] : i. Le mécanisme de type Eley-Rideal (ER) met en jeu un atome de la phase gaz qui vient interagir avec un atome initialement adsorbé sur la surface [Eley 1940,1941]. Ces deux atomes se lient chimiquement et la molécule formée désorbe ensuite dans la phase gaz (le complexe surface et les deux atomes présente une durée de vie très brève, de l’ordre d’une vibration moléculaire). Contrairement aux procédés d’adsorption, ce processus n’est pas toujours exothermique. Cette exothermicité dépend des énergies mises en jeu dans la liaison atome/surface et dans la liaison atome/atome qui dépendent du système étudié. ii. Le mécanisme de type Langmuir-Hinshelwood (LH) fait intervenir deux atomes préalablement adsorbés sur la surface [Langmuir 1922]. Ces deux atomes, en équilibre thermique avec la surface, peuvent diffuser et se recombiner. Comme précédemment, la molécule formée va désorber rapidement dans la phase gaz. Cette réaction a lieu seulement si l’un des deux atomes possède suffisamment d’énergie pour franchir les barrières à la diffusion et migrer vers le site du second atome. Ce type de mécanisme est généralement activé dû à la présence de ces barrières à la diffusion et souvent endothermique puisque il nécessite la rupture de deux liaisons atome/surface (très énergétiques dans le cas de surface métallique) pour former une liaison diatomique [Michelsen 1994, Lanzani 2007]. Figure 9 : Principe schématique des processus de recombinaison de type Eley-Rideal et Langmuir-Hinshelwood Il existe un mécanisme intermédiaire aux deux précédents. Ce processus consiste en la réaction entre un atome thermalisé sur la surface et un atome diffusant rapidement sur celle-ci. Cette large diffusion est possible si l’énergie cinétique de l’atome n’est pas ou peu dissipée vers la surface du catalyseur, en d’autres termes si l’atome incident ne subit pas de procédés de thermalisation. On parle alors de mécanisme « hot atom » (HA) en référence à l’énergie de l’atome incident [Harris 1981, Sinniah 1989, Lanzani 2007]. Le processus de désorption est associé au pouvoir catalytique de la surface en mettant à disposition de nouveaux sites actifs pour les phénomènes d’adsorption. Les mécanismes de recombinaison sont par essence même des processus prenant en compte la désorption mais cette dernière étape est suffisamment rapide pour qu’on la confonde avec le processus de recombinaison. Par ailleurs, la désorption atomique (DA) (ou désorption thermique) est un autre mécanisme de désorption à considérer. Ce processus, décrit dans la Figure 10, représente le mécanisme inverse de l’adsorption atomique où un atome initialement adsorbé peut retourner dans la phase gaz si son énergie cinétique lui permet de quitter le puits de potentiel atome/surface. L’énergie nécessaire à cette désorption est dans de nombreux cas relativement élevée (plusieurs eV), ce qui implique que l’activité de ce processus devient importante à seulement très hautes températures [Pagni 1973, Adams 1981, Grimmelmann 1981]. La désorption moléculaire peut également avoir lieu si l’adsorption moléculaire non dissociative est effective [Masel 1996]. Figure 10 : Principe schématique du processus de désorption atomique Tous les mécanismes élémentaires précédemment décrits jouent un rôle dans les phénomènes catalytiques. Néanmoins, les mécanismes de recombinaison sont essentiels pour permettre un recyclage de la surface en libérant des sites d’adsorption et assurer donc un entretien continu de ces réactions chimiques. Ainsi, plus une paroi favorise ce phénomène, plus elle contribue à son propre échauffement. La Figure 11 suivante donne un aperçu qualitatif de ce cycle catalytique et permet de bien comprendre l’exothermicité du bilan de ces réactions chimiques. Dans ce diagramme, on tient compte seulement de l’énergie potentielle du système, la contribution cinétique de la surface ou des deux atomes n’est pas prise en compte car il s’agit d’une analyse statique. Le zéro d’énergie potentielle correspond à la situation où la surface présente un taux de couverture nul et où les deux atomes de la phase gaz sont infiniment séparés. On envisage alors les situations auxquelles peuvent conduire les différents mécanismes élémentaires, c’est-à-dire aux situations où il y a, soit 1 atome adsorbé à une énergie -QAA, soit deux atomes adsorbés à une énergie -2QAA ou encore une molécule dans la phase gaz à une énergie -D. Il est important de noter que, si l’adsorption atomique correspond toujours à un mécanisme exothermique, les réactions de recombinaison ont une enthalpie de réaction qui dépend du système considéré. En effet, la valeur de l’énergie de la liaison diatomique par rapport à l’énergie d’adsorption atomique fixe le bilan énergétique des réactions de recombinaison. Par exemple, la Fig. 11 illustre le cas du système N2/W(100) où l’énergie de la liaison N2 est de -9.80 eV [Huber 1979] et celle de la liaison N/W(100) est de -7.37 eV au-dessus d’un site hollow [Volpilhac 2003]. Figure 11 : Diagramme schématique de l’énergie potentielle d’un système composé de deux atomes et d’une surface. Les cinq mécanismes élémentaires exposés dans la partie 2.2 sont présentés ainsi que les étapes numérotées d’un cycle catalytique. Le bilan énergétique du cycle catalytique (énergie cinétique mise à part) présente un excès d’énergie égal à l’énergie de la liaison diatomique. Cette énergie correspond donc à l’énergie maximale qui peut être transmise à la surface. On comprend alors par ce simple diagramme la source du flux de chaleur d’origine chimique. En réalité, l’énergie réellement transmise à la surface au cours d’un cycle catalytique est au plus égale à l’énergie D, la molécule nouvellement formée pouvant emporter une partie de l’énergie disponible dans ses degrés de libertés translationnels, vibrationnels ou rotationnels. Un des objectifs des études de catalycité sera alors d’estimer la fraction réelle de l’énergie de la liaison diatomique transmise à la paroi. Les modèles théoriques décrivant les phénomènes catalytiques ont connu un essor important depuis les années 90. Ainsi, il existe aujourd’hui divers modèles dont le degré d’élaboration dépend essentiellement du nombre de mécanismes élémentaires ainsi que des espèces gazeuses qu’ils considèrent [Kim 1991, Seward 1991, Jumper 1996, Nasuti 1996, Reggiani 1996, Desmeuzes 1997, Jackson 2002, Kurotaki 2003, Guerra 2004, Guerra 2007]. Parmi les modèles disponibles dans la littérature, on a choisi de décrire le modèle proposé par Nasuti et al. [Nasuti 1996, Reggiani 1996]. Ce modèle tient compte des cinq processus élémentaires décrits plus haut. Le modèle de Nasuti est basé sur des concepts simples dérivés de l’approche de Langmuir et permettant de décrire analytiquement les équations cinétiques de l’adsorption et de la désorption. En particulier, dans le traitement de Langmuir, la vitesse de chaque processus élémentaire est fonction du taux de couverture de surface multiplié par une constante de vitesse de réaction [Kang 1994]. Dans le modèle de Nasuti et al., on définit un flux atomique (nombre de processus par unité de surface et unité de temps : processus.m-2.s-1) associé à chaque processus élémentaire considéré. Ce flux atomique Fi peut s’écrire de manière générale comme : Fi Fj Pi (13) où l’indice i correspond au mécanisme élémentaire considéré. Fj représente la fréquence par unité de surface et unité de temps de l’évènement j (fréquence de collision ou de vibration) pouvant conduire à la réaction i. La fréquence de l’évènement j doit être pondérée par la probabilité de réaction Pi exprimant le fait que chaque évènement j ne permet pas systématiquement d’aboutir à la réaction i. Hormis le choix du système gaz/surface, Pi dépend explicitement du taux de couverture de surface. s’exprimer de la manière suivante, pour les mécanismes d’adsorption : Pads Sads n 1 n Pi peut (14) et pour les mécanismes de désorption : Pdes Sdes n n (15) où les termes Sads et Sdes, qui sont fonctions de la température des réactifs (cette dépendance est fonction du mécanisme envisagé), représentent le pourcentage de collisions conduisant à la réaction si le taux de couverture de surface est nul dans le cas de l’adsorption et égal à 1 dans le cas de la désorption. On introduit la dépendance en selon les critères du modèle de Langmuir : (i) Les processus d’adsorption sont effectifs seulement si les sites de surface correspondants sont libres. Pads est alors proportionnelle au taux de surface libre f qui est égal à (1-). (ii) Les processus de désorption dépendent, quant à eux, du pourcentage de sites occupés Le paramètre n est égal à 1 pour les processus n’impliquant qu’un seul site de surface (libre ou occupé), c’est le cas de l’adsorption et de la désorption atomique mais également de la recombinaison ER. Pour l’adsorption dissociative et la recombinaison LH impliquant deux sites de surfaces, n est égal à 2. On peut écrire les flux atomiques pour les cinq processus élémentaires suivants : Adsorption Moléculaire dissociative (AM) : Ag S AS A2 g 2S 2 AS Recombinaison Eley-Rideal (ER) : Ag AS A2 g S Adsorption Atomique (AA) : Recombinaison Langmuir-Hinshelwood (LH) : Désorption Atomique (DA) : 2AS A2 g 2S AS Ag S (16) (17) (18) (19) (20) avec : [Ag] : densité d’atomes A dans la phase gaz (atomes/m 3) [A2g] : densité de molécules A2 dans la phase gaz (molécules/m 3) [S] : densité de sites libres (sites/m2) [S0] : densité totale de sites (sites/m2) [AS]: densité d’atomes A adsorbés sur la surface (atomes/m2) Il faut noter que dans ce formalisme, le taux de couverture de surface s’exprime de la manière suivante : AS S0 (21) L’adsorption atomique : Fj représente le taux de collision d’espèces gazeuses atomiques A sur une surface. Ce taux peut s’exprimer par le biais de la théorie des collisions : FAg kBT Ag 2 mA (22) où mA est la masse de l’atome A. De plus, PAA peut s’écrire de la manière suivante, n étant égal à 1 : PAA sA0 1 (23) Où SA0 définit la probabilité d’adsorption atomique à taux de couverture nul. Le flux atomique de ce processus est donc (avec kAA, la constante de vitesse du processus) : FAA k AA Ag S s0A 1 . kBT A 2 mA g (24) L’adsorption moléculaire dissociative : Comme précédemment, le taux de collision d’espèces gazeuses moléculaires A2 sur une surface s’écrit comme : FA2 g k BT A2 g 2 mA2 (25) où mA2 est la masse de la molécule diatomique A2. De plus, PAM est égale à (n étant cette fois égal à 2) : 0 PAM 2s AM 1 2 (26) où SAM0 définit la probabilité d’adsorption moléculaire dissociative à taux de couverture nul. Le flux atomique de ce processus est alors (avec kAM, la constante de vitesse du processus): 0 FAM 2k AM A2 g S 2s AM 1 . kBT A 2 mA 2 g 2 2 2 (27) La recombinaison Eley-Rideal : Le nombre d’atomes incidents et d’atomes adsorbés impliqués dans ce processus sont égaux. La fréquence de collision est donc identique à celle employée pour l’adsorption atomique. Le flux atomique associé à cette recombinaison peut alors s’écrire de la manière suivante : kBT A 2 mA g * FER kER Ag AS ER . (28) où kER définit la constante de vitesse de la réaction et *ER représente la probabilité de recombinaison Eley-Rideal pour un taux de couverture égal à 1. La recombinaison Langmuir-Hinshelwood : Fj représente dans ce cas une fréquence de collision entre deux atomes adsorbés qui peut-être estimée à l’aide d’un modèle de diffusion d’un gaz 2D dans le cadre de la théorie des collisions : F2 AS kBT 2mA d S0 2 (29) où d représente le diamètre atomique de l’atome A. Une énergie d’activation ELH est considérée et prise égale à l’endothermicité de la réaction QLH, c’est-à-dire à la différence d’énergie entre les réactifs et les produits. Il faut noter que la collision est effective dans chaque cas et peut conduire à la réaction si l’énergie de la molécule formée est supérieure à QLH (le terme SLH est alors décrit par une simple loi d’Arrhenius), ce qui nous conduit au flux atomique suivant (avec kLH, la constante de vitesse du processus) : Q 2 FLH kLH AS 2 2 exp LH kBT . kBT 2mA d S0 2 (30) La désorption atomique : On associe cette fois la fréquence de l’évènement j à la fréquence de vibration de l’atome adsorbé sur la surface. En utilisant la théorie de l’état de transition, cette fréquence de vibration s’exprime comme [Laidler 1940]: FAS k BT S0 h (31) avec h, la constante de Planck en J.s. La barrière d’activation se confond avec l’énergie de désorption (EDA = QDA) et chaque évènement vibrationnel peut conduire à la désorption si l’énergie de l’atome adsorbé est supérieure à QDA (avec kDA, la constante de vitesse du processus) : Q FDA kDA AS exp DA . kBT S kBT h 0 (32) On suppose qu’après une période de transition, un équilibre dynamique est rapidement atteint où les procédés de peuplement et de dépeuplement se compensent [Halpern 1978]. En d’autres termes, on fait l’approximation de l’état quasistationnaire (AEQS) sur la couverture de surface : d 0 dt (33) Cette approximation permet alors d’écrire l’égalité suivante entre les flux atomiques entrants et sortants : FAA FAM FER FLH FDA (34) Ainsi, en utilisant les expressions des flux atomiques associés à chaque processus élémentaire, on arrive à un système du second degré en : a 2 b c 0 avec : a S0 . 2k AM A2 g 2kLH 2 c S .k (35) b S0 . k AA Ag 4k AM A2 g S0 kER Ag kDA 0 AA Ag 2k AM A2 g S0 La résolution de ce système nous conduit alors à une expression analytique de la couverture de surface . Il s’agit d’un paramètre très important du point de vue de l’analyse de processus gaz/surface ayant lieu sur le matériau de rentrée. La forme analytique du taux de couverture de surface permet d’obtenir la valeur des différents flux atomiques vis-à-vis de la température T et de la concentration en espèces atomiques [Ag] et moléculaires [A2g] de la phase gaz moyennant la connaissance des paramètres SA0, S0AM, *ER, [S0], d, QLH, QDA. Le flux d’atomes se recombinant à la paroi peut maintenant s’exprimer comme la somme de deux flux [Nasuti 1996]: 1. le flux d’atomes qui s’adsorbent moins ceux qui désorbent comme atomes 2. le flux d’atomes incidents qui participent à la recombinaison ER. Par conséquent, ce flux d’atomes recombinant divisé par le flux d’atomes incidents conduit à l’expression suivante pour la probabilité de recombinaison AA de deux atomes A : AA FAA FDA FER FAg (36) De plus, l’énergie QT (W/m2) transmise à la paroi par unité de surface et de temps est définie comme la somme des flux de chaleur associé à chaque processus élémentaire : QT FAAQAA FAM QAM Q FERQER FLH LH FDAQDA 2 2 (37) Le modèle cinétique de Nasuti et al. peut également intégrer un schéma réactif contenant plusieurs espèces atomiques et moléculaires. En particulier, ils ont adapté ce modèle à l’étude d’un mélange gazeux contenant les deux entités majoritaires de l’air (O, N) en définissant par conséquent les quatre probabilités de recombinaison suivantes : OO , NN , ON , NO . Ainsi donc, les approches théoriques peuvent nous permettre d’apporter un regard critique et interprétatif sur la catalycité. L’originalité de cette approche est d’étudier les mécanismes élémentaires un à un à une échelle atomique. Ainsi, via les outils de la chimie quantique, on peut déterminer les interactions entre un atome/molécule et une surface, autrement dit les énergies de liaison et les énergies d’activation. Ces énergies d’interaction peuvent nous servir à réaliser des simulations des mécanismes réactionnels où l’acte chimique peut être étudié de manière très fine. Ces simulations nous donnent alors des données concrètes sur les probabilités de réaction mais également sur la distribution d’états des molécules recombinées, sur la dynamique de diffusion d’un atome sur une surface … Des études de dynamique moléculaire ont déjà été initiées dans le domaine des rentrées atmosphériques avec notamment la réactivité de l’oxygène et de l’azote moléculaire sur des surfaces de silicates (quartz et cristobalite) [Balat-Pichelin 2002, Bedra 2006]. Néanmoins, ces études sont encore peu nombreuses et il nous reste beaucoup à apprendre des phénomènes catalytiques aussi bien d’un point de vue atomique ou moléculaire que macroscopique. 1. Conclusion Les réactions chimiques élémentaires à l’interface gaz/solide constituent un sujet d’étude qui touche de nombreux domaines de recherche comme par exemple ceux : de la catalyse hétérogène, de la chimie du milieu atmosphérique, de la chimie du milieu interstellaire, des interactions plasma/paroi dans les tokamaks, ou comme nous l’avons vu dans ce texte, des problèmes de catalycité des boucliers thermiques de véhicules spatiaux. Notre compréhension de l’acte élémentaire reste très incomplète et une étude au niveau moléculaire tant expérimentale que théorique doit nous donner des éléments d’interprétation et d’analyse performants. Les limitations sont fortes, surtout du point de vue de la modélisation théorique où l’ensemble des degrés de liberté du problème ne peuvent très souvent pas être tous traites. Néanmoins, des lois de comportements et des tendances ont d’ores et déjà été mis en évidence qui souligne l’aspect qualitatif voir semi-quantitatif des ces approches. Bibliographie [Billing 2000] G. D. Billing. Dynamics of Molecule Surface Interactions. John Wiley & Sons, New-York, (2000). [Blöchl 1994] P. E. Blöchl. Projector augmented-wave method. Phys. Rev. B, 50, 17953, (1994). [Busnengo 2000] H. F. Busnengo, A. Salin, and W. Dong. Representation of the 6D potential energy surface for a diatomic molecule near a solid surface. J. Chem. Phys., 112, 7641, (2000). [Busnengo 2001] H. F. Busnengo, W. Dong, P. Sautet, and A. Salin. Surface temperature dependence of rotational excitation of H2 scattered from Pd(111). Phys. Rev. Lett., 87, 127601, (2001). [Busnengo 2002] H. F. Busnengo, C. Crespos, W. Dong, J. C. 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