Chapitre 12 – Fluctuations et Cycles économiques Plan : I. Une typologie des cycles .................................................................................................................... 3 A / Les différentes phases des cycles de croissance............................................................................ 3 B / Des cycles de durée plus ou moins longue .................................................................................... 4 C / Des cycles : des constructions statistiques ? ................................................................................. 6 II. Comment expliquer les cycles courts ? .......................................................................................... 7 A/ La logique libérale : Les cycles comme conséquences de chocs exogènes. .................................. 7 1. l’impossibilité des crises dans les analyses classiques et néoclassiques ..................................... 7 2. La critique monétariste des politiques monétaires ...................................................................... 7 3. La nouvelle économique classique : les cycles à l’équilibre ....................................................... 8 B/ La logique keynésienne : les explications endogènes des cycles. ............................................... 12 1. Le rôle de l’investissement : l'oscillateur de Samuelson ........................................................... 12 2. La répartition des revenus : Goodwin ....................................................................................... 13 3. Les variations du crédit : Minsky .............................................................................................. 15 III. Comment expliquer les cycles longs ? ......................................................................................... 16 A/ Les cycles Kondratieff dans l’histoire du capitalisme ................................................................. 16 B/ Les explications endogènes des cycles longs ............................................................................... 19 1. Le rôle de l’investissement : la thèse de Kondratieff ................................................................ 19 2. Cycles longs et progrès technique : l’analyse de Schumpeter ................................................... 19 3. Cycles longs et suraccumulation/dévalorisation du capital ....................................................... 22 C/ Les explications exogènes des fluctuations longues .................................................................... 23 1. L’explication par les guerres ..................................................................................................... 23 2. La quantité de monnaie en circulation....................................................................................... 24 IV. Les crises économiques ................................................................................................................. 25 A/ Les analyses theoriques des crises economiques ......................................................................... 25 1. La crise comme phénomène possible ........................................................................................ 25 2. La crise comme phénomène inéluctable .................................................................................... 32 B/ les crises depuis le debut du XIXeme siecle ................................................................................ 39 1. les crises de l’Ancien Régime : les crises frumentaires............................................................. 39 1 2. Les crises au XIXème : crises mixtes et crises classiques ......................................................... 40 C/ Les crises économiques au XXème siècle .................................................................................... 43 1. La crise de 1929 et la dépression du début des années 1930 ..................................................... 43 2. La rupture de 1973 : le 1er choc pétrolier…puis 2ème en 1979 ................................................... 46 3. La crise des « Subprimes » de 2008 .......................................................................................... 47 4. Peut-on comparer les crises de 1873, 1929 et 2008 ? ................................................................ 56 Bibliographie : Abraham-Frois, « Instabilité, Cycle, Chaos » (1995) Boyer Robert, « La théorie de la régulation : une analyse critique » (1986) Boyer Robert, « La théorie de la régulation. Les fondamentaux (2004). Burns Arthur, Mitchell Wesley, « Measuring Business Cycles » (1946) Ciriacy-Wantrup (Von) Sigfried, « Agrarkrisen und Stockungsspannen. Zur Frage der langen « Welle » in der wirtschaftlichen Entwicklung » (1936) De Long, Plosser « Real Business Cyles », in Journal of Political Economy, 1983). Fonteneau Alain, Muet Pierre-Alain, « La gauche face à la crise » (1985) Freeman Christopher, Perez Carlota, Structural crises of adjustment, business cycles and investment behaviour (1988) Friedman Milton « A monetary and fiscal framework for economic stability » in American Economic Review (1948) Friedman Milton, « The role of monetary policy » in American Economic Review (1968) Goodwin Richard, « A growth cycle » in Capitalism and economic growth (1967) Juglar Clément, « Les crises commerciales et leur retour » (1862) Keynes John M., Théorie générale (1936) Kitchin Joseph, « Cycles and Trends in Economic Factors » (1923) Kondratieff Nicolaï « Les grands cycles de la conjoncture » (1925) Kydland et Plosser dans « The Econometrics of the General Equilibrium Approach to Business Cycles », in The Scandinavian Journal of Economics (1991) Kydland, Prescott, « Time to build and aggregation fluctuation », in Econometrica, (1982) Labrousse Ernest, « La crise de l’économie française à la fin de l’Ancien Régime et au déut de la Révolution » (1944) Mensch Gerhard, « l’impasse technologique » (1979) Minsky, « Can it happen again ? errays on instability and finance » (1982) Plihon Dominique, « Peut-on comparer les grandes crises de 1873, 1929 et 2008 ? » in Idées en 2013, Dominique Plihon Robbins Lionel, « La Grande Dépression » (1932) Samuelson Paul, « A synthesis of the principle of acceleration and the multiplier », in Journal of Political Economy (1939) Schumpeter Joseph A., « Business Cycles » (1939) Varga Eugène, « La crise économique, sociale et politique » (1934), Von Hayek Friedrich, « Price and Production » (1931) Mots-clés : croissance potentielle, croissance effective, cycle Kondratieff (longs), cycle Juglar, cycle Kitchin, effet Slutsky, politique contracyclique, cycle d’équilibre, cycle réel, l'oscillateur de Samuelson, l’accélérateur, biens capitaux essentiels, innovation, entrepreneur, destruction créatrice, impasse technologique, le capitalisme monopoliste d’Etat, anticipations adaptatives, détour de production, crise exogène, crise transitoire, crise endogène, paradigme technoéconomique, mode de régulation, crise frumentaire, crise mixte, crise classique, Grande Dépression, crise de 1929, crise de 2008, choc pétrolier, subprimes, crise de liquidités, crise de l’endettement, crise financière. 2 I. Une typologie des cycles A / Les différentes phases des cycles de croissance Document n°1. Les différentes phases des cycles économiques 3 B / Des cycles de durée plus ou moins longue En 1939, dans « Business Cycles », Joseph A. Schumpeter distingue trois types de cycle mis en évidence par les économistes. Les cycles les plus longs ont été identifiés par Nicolaï Kondratieff en 1925 dans un article qui s’intitule « Les grands cycles de la conjoncture ». En étudiant des séries longues de prix, de production, de salaires, de taux d’intérêt essentiellement en France, en Angleterre et partiellement aux Etats-Unis, il repère l’existence de fluctuations d’environ 50 ans avec deux phases : une phase ascendante de 20/25 ans, puis une phase descendante de 20/25 ans. On parle également de phases A et B depuis que François Simiand les a nommés ainsi. Kondratieff a identifié deux cycles et demi de son vivant, mais les économistes et historiens, qui ont reconstitué ces cycles long après sa mort, ont coutume d’en distinguer quatre ou cinq : Document n°2. Cycles identifiés par Kondratieff N° du cycle Phase ascendante Phase descendante 1 Fin années 1780 ou début années 1790 jusqu’aux années 1810-1817 Des années 1810-1817 jusqu’aux années 1844-1851 2 3 Des années 1844-1851 Des années 1870-1875 jusqu’aux années 1870-1875 jusqu’aux années 1890 - 1896 Des années 1890 – 1896 jusqu’aux années 1914 1920 A partir des années 1914 1920 Des cycles « Juglar » ou « majeurs » de 8 à 10 ans ont été repérés par Clément Juglar dans un ouvrage de 1862, « Les crises commerciales et leur retour ». « Les crises se renouvellent avec une telle régularité qu’il faut y voir le résultat des écarts d’un développement inconsidéré de l’industrie (…) et d’une mobilisation d’un capital supérieur à l’épargne ». Juglar s’appuie, entre autres, sur des séries de prix, l’évolution des taux d’intérêt et des bilans bancaires pour rendre compte de ces cycles. Il distingue quatre phases : la phase d’expansion est liée à une confiance dans l’avenir, à une véritable euphorie, qui s’accompagne d’un développement du crédit, d’une consommation soutenue, d’une hausse de la production et des prix. La phase de crise est souvent une période brève. Il s’agit d’un retournement de conjoncture accompagnée parfois d’un krach avec des faillites bancaires qui entrainent une chute de l’activité et des prix provoquant une déflation. On assiste également à une contraction des crédits. La phase de dépression se traduit par une baisse cumulative de tous les indicateurs : les prix, les crédits, la les revenus, la production…Face à la baisse de leur production, les entreprises licencient, baissent les salaires, d’où une contraction de la demande. Enfin, la reprise est contrairement, à la crise un événement brusque. Elle est d’abord partielle, limitée à quelques domaines, puis se généralisent. Pour Juglar, les crises 4 sont une purge nécessaire du système financier pour restaurer la confiance et permettre une nouvelle phase d’expansion. Document n°3. Les cycles Juglar Les cycles les plus courts qu’on appelle « Kitchin » ou « mineurs » ont été mis en évidence par Joseph Kitchin en 1923 dans « Cycles and Trends in Economic Factors ». Ils durent environ 40 mois et sont liés à l’évolution du stock des entreprises : hausse des stocks de consommation, intermédiaires et de produits finis en phase d’expansion puis, quand l’augmentation prend fin, déstockage ce qui renforce la chute de l’activité et des prix. Pour synthétiser cette approche en termes de cycles, il est possible de superposer ces différents cycles comme s’ils s’emboîtaient les uns dans les autres. Document n°4. Une superposition des cycles Kondratieff, Juglar et Kitchin 5 C / Des cycles : des constructions statistiques ? 6 II. Comment expliquer les cycles courts ? A/ La logique libérale : Les cycles comme conséquences de chocs exogènes. 1. l’impossibilité des crises dans les analyses classiques et néoclassiques 2. La critique monétariste des politiques monétaires Dans un article de 1948 « A monetary and fiscal framework for economic stability » in American Economic Review, Milton Friedman soutient qu’une politique monétaire contracyclique peut avoir des effets déstabilisants sur les cycles d’activité. En effet, elle se heurte au problème de délias : si les cycles d’activité sont courts et si les délais d’efficacité 7 de la politique monétaire sont longs, alors une politique contracycliques risquent de se révéler procycliques. Prenons un exemple. Supposons qu’une économie connaisse des fluctuations régulières de l’activité : à une période t de croissance inflationniste succède une période t+1 de récession, avant que la croissance ne reparte en t+2. Si une politique monétaire expansionniste est mise en œuvre en t+1 pour lutter contre la récession et le délai d’efficacité de la politique monétaire est d’une période, alors les effets de cette politique vont se faire ressentir en t+2, c’est-à-dire lorsque l’activité économique repart. Elle va alors accentuer les tensions inflationnistes et accroître les fluctuations. Il y a plusieurs explications au délai d’efficacité de la politique monétaire : - un délai de reconnaissance qui correspond au laps de temps entre le moment où une économie entre en récession et le moment où l’on s’aperçoit du phénomène ; un délai administratif qui correspond au laps de temps entre le moment où la récession est identifiée et le moment où une action est décidée ; un délai intermédiaire qui concerne le laps de temps entre le moment où une politique monétaire est prise et celui où elle est répercutée par les banques de second rang ; le délai externe correspond au d’efficacité sur les objectifs finaux (stabilité des prix…) 3. La nouvelle économique classique : les cycles à l’équilibre 8 a. Les chocs monétaires Robert Lucas (1973) a développé un modèle dans lequel les fluctuations de l’activité constituent la réaction optimale des agents à un choc monétaire. Ce choc monétaire se traduit par une hausse des prix. Il provient d’une augmentation de la quantité de monnaie offerte. En effet, dans une perspective quantitativiste, Lucas estime qu’une hausse de la quantité de monnaie émise génère de l’inflation. Pour lui, l’offre de monnaie est composée de deux sous-ensembles : une composante systématique, qui dépend de la production antérieure, et une composante aléatoire. C’est la composante aléatoire qui est à l’origine des fluctuations. En effet, les agents économiques sont en mesure d’anticiper la composante systématique et la prennent en compte dans les comportements d’optimisation. Elle ne génère donc aucun choc. En revanche, face aux variations de la composante aléatoire, les agents économiques sont confrontés à un double questionnement face à une hausse des prix : - - La hausse des prix est-elle permanente ou aléatoire ? Si cette hausse est perçue comme permanente, elle ne provoque quasiment aucune fluctuation. Si cette hausse est perçue comme provisoire, elle provoque une augmentation de l’offre. En effet, si le prix de vente du jour est considéré comme plus élevé que le prix de vente du lendemain, les agents auront tout intérêt à accroître immédiatement leur offre. Par exemple, sur le marché du travail, si les salaires augmentent, l’offreur de travail a intérêt à travailler le plus possible et à repousser son temps de loisir. La hausse des prix est-elle générale ou localisée ? Si c’est le premier cas, il n’y a aucune fluctuation. Dans le second cas, elle exerce un effet incitatif et se traduit par une hausse de l’offre. Dans ces conditions, seule une hausse des prix, résultant d’un choc monétaire, perçue comme provisoire et spécifique à un bien conduit les producteurs à augmenter leur offre. Lorsque la Banque centrale augmente la masse monétaire, les agents constatent que leurs prix augmentent, mais ils ne perçoivent pas forcément que cette augmentation concerne tous les prix. Evoluant en information imparfaite, ils pensent que cette augmentation des prix provient d’une augmentation de la demande pour leurs produits (ou leur travail s’il s’agit de la population active). Ils vont alors accroître leur offre, ce qui entraîne une expansion. Puis ils vont se rendre compte de leur erreur et ils vont réajuster leur comportement. Ils ajustent leur production pour retrouver le niveau normal. Ils baissent alors leurs stocks en dessous de l’optimum et y reviennent progressivement. Le cycle provient donc de la réaction des agents à un choc exogène sur l’offre de monnaie. b. La théorie des cycles réels Cette théorie est apparue au début des années 1980 suite aux articles de Kydland et Prescott (« Time to build and aggregation fluctuation », in Econometrica, 1982) et de De Long et Plosser (« Real Business Cyles », in Journal of Political Economy, 1983). Elle se propose d’expliquer les cycles par les modifications (les « chocs ») que peuvent subir les fondamentaux d’une économie (goûts des ménages, techniques disponibles, dotations en ressources des agents). Cette théorie considère donc, contrairement à Lucas, que la monnaie n’a aucune influence sur l’économie et que les fluctuations proviennent uniquement de phénomènes « réels ». Il peut s’agir d’accidents extérieurs comme des guerres, catastrophes climatiques…mais également de chocs liés à la productivité. 9 Les premiers modèles de Kydland, Prescott et Long, Plosser analysent l’impact d’un choc de productivité sur l’offre et la demande. Le point de départ du modèle est simple : on considère un agent unique qui est à la fois consommateur et producteur. Le problème qui se pose est de savoir comment cet agent unique affecte de façon optimale dans le temps les ressources dont ils disposent. Les fluctuations sont donc liées à des comportements d’optimisation de la part de cet agent comme dans le cadre du modèle de Lucas. Ainsi, comme « au début de chaque période, Crusoé choisit (a) le panier de biens qu’ils consomment dans la période, (b) le temps qu’il consacre au loisir pendant cette période et (c) la quantité d’inputs et de travail qu’il consacre à la production…Pendant la période, plusieurs chocs aléatoires exogènes influencent l’activité de production. Ces chocs, ainsi que le choix concernant les inputs et le travail fait au début de la période, déterminent le stock de marchandises disponible au début de la nouvelle période » (De Long, Plosser, 1983). Tel Robinson Crusoé, l’agent unique doit faire des choix optimaux entre les consommations, les loisirs, le travail et les investissements présents et futurs pour maximiser son utilité intertemporelle. Pour les tenants de cette approche, la productivité, l’emploi et les salaires sont des mécanismes procycliques, c’est-à-dire qu’ils varient dans le même sens. Ainsi, en cas de choc positif de productivité, les salaires augmentent. Or, comme l’offre de travail est très élastique au salaire, l’emploi progresse également. L’agent rationnel décidera de travailler davantage aujourd’hui pour avoir plus de loisir plus tard (substitution intertemporelle du travail et du loisir). Cela permet aux théoriciens du cycle réel d’expliquer les fortes variations de l’emploi tout en considérant que le niveau de l’emploi est toujours à son niveau d’équilibre et que, ce faisant, le chômage est volontaire. Ces modèles admettent l’hypothèse de plein-emploi des ressources. Dès lors, en matière d’emploi, les fluctuations du taux de chômage seraient la réponse optimale des salariés à un choc exogène (changement technologique…) ce qui revient à dire que tout chômage est volontaire, même un chômage massif. En effet, pour l’école du cycle des affaires réel, il existe toujours un niveau salaire pour lequel l’embauche est rentable et pour lequel il y a plein emploi et mis à part les cas où il existe un obstacle réglementaire qui s’oppose à la baisse des salaires, le chômage sera donc toujours volontaire. De plus, selon le projet initial de Robert Lucas, les modèles macroéconomiques sur lesquels repose la théorie des cycles réels doivent être capables de reproduire les principaux faits stylisés d’une économie, sans qu'il soit nécessaire d'introduire des défauts de coordination, une rigidité des prix (à l'instar des néo-keynésiens) ou encore des chocs monétaires. Ainsi, pour Kydland et Plosser dans « The Econometrics of the General Equilibrium Approach to Business Cycles », The Scandinavian Journal of Economics (1991), les variations du « résidu » de Solow sont à l’origine de l’essentiel des mouvements de l’activité économique. Entre 1955 et 1985, les variations de ce « résidu » expliqueraient 70% de celle de la production américaine. Dans ces conditions, chaque choc de productivité a une influence permanente sur le comportement des agents économiques. L’économie ne revient donc pas à son trend, comme c’est le cas dans la conception de Burns et Mitchell, mais c’est la nature même de la croissance qui est modifiée suite à ces chocs. En ce sens, la théorie des cycles d’équilibre introduit une perspective originale puisque la théorie de la croissance et la théorie des cycles deviennent une seule et même théorie. 10 Enfin, les tenants de la théorie du cycle réel s’opposent à une intervention de l’Etat contracyclique puisqu’elle viendrait perturber les décisions optimales de l’agent économique. Par exemple, les phases de récession correspondent à un moment d’adaptation optimal à un nouveau contexte économique du à un choc exogène. La récession ne doit pas être interprété comme le signal d’une crise économique tel que le prévoit la conception traditionnelle des cycles. 11 B/ La logique keynésienne : les explications endogènes des cycles. Dans une perspective keynésienne, les cycles à court terme apparaissent comme le résultat de la dynamique d’investissement, de la répartition ou bien encore de l’offre de crédit. 1. Le rôle de l’investissement : l'oscillateur de Samuelson En 1939, dans l’article « A synthesis of the principle of acceleration and the multiplier », in Journal of Political Economy, Paul Samuelson veut montrer comment la combinaison du mécanisme de l’accélérateur de John Maurice Clark et celui du multiplicateur keynésien est susceptible d’engendrer des cycles (« oscillations ») dont l’origine est endogène, c’est-à-dire déterminés par le modèle et non en dehors de lui. Supposons que la consommation dépende en t dépende du niveau de revenu perçu en t-1 ; on a alors : Ct = cYt-1 avec c la propension à consommer, Ct la consommation en t et Yt-1 le revenu perçu en t-1. La relation d’accélération s’écrit It t- Ct-1) avec It consommation en t et Ct-1 la consommation en t-1. t la Par ailleurs, la condition d’équilibre s’écrit Yt = Ct + It + A avec Yt le revenu perçu en t, Ct la consommation en t, It le niveau d’investissement à la période t, A la dépense autonome. On peut réécrire alors la condition d’équilibre : Yt = c (1 + t-1 - t-2 +A du multiplicateur conduit à quatre formes d’oscillation : - S mouvements amortis et aucun mouvement cyclique durable (1) ; Si c est élevé et également, les oscillations sont explosives (2) ; des convergence monotone vers une production stable (3) ; la situation diverge de manière monotone, la hausse de la production s’accélère alors (4). 12 Document n°5. Les différentes formes d’oscillation 2. La répartition des revenus : Goodwin Dans un article « A growth cycle » publié dans l’ouvrage sous la direction de Feinstein Capitalism and economic growth en 1967, Richard Goodwin propose un modèle où les fluctuations cycliques s’expliquent par la dynamique de la répartition des revenus entre les profits et les salaires. Le modèle repose sur deux hypothèses : - la variation du salaire réel est une fonction décroissante du taux de chômage, selon un principe de la courbe de Philipps ; il existe un taux de chômage u*, tel que la variation du salaire réel est nulle ; les profits sont intégralement épargnés et investis, alors que les salaires sont intégralement consommés. Le modèle de Goodwin permet de distinguer quatre phases différentes : - - Phase 1 (point A) : Supposons que l’économie soit au point de départ A : à ce niveau, la part des profits est élevée, l’épargne et l’investissement également ; il en résulte une forte croissance économique qui fait baisser le taux de chômage. Tant que le chômage est supérieur à u*, le processus se poursuit. Phase 2 (A -> B) : Mais la diminution du taux de chômage débouche à un moment donné sur un taux de chômage inférieur à u*. Les salaires réels se mettent à augmenter, d’où une baisse de la part des profits. Phase 3 (B -> C) : Lorsque la part des profits devient inférieur à π*, la croissance de l’économie devient plus faible car il n’y pas assez d’investissements. Le chômage réaugmente à nouveau. Phase 4 (C -> D) : Lorsque le taux de chômage dépasse u*, les salaires réels diminuent, ce qui rétablit la part des profits et permet une reprise de l’investissement jusqu’à retourner au point A. 13 Document n°6. Cycle et répartition : le modèle de Goodwin Le modèle de l’accélérateur En 1908, dans « la réalité des surproductions générales », in Revue d’économie politique, Albert Aftalion énonce le principe de l’accélérateur en économie d’après lequel les fluctuations de l’investissement sont plus marquées que les fluctuations de la demande finale. La relation simplifiée d’accélération s’écrit : It = (Ct - Ct-1) Avec It le niveau d’investissement à la période t, le coefficient de capital (K/Y), Yt le revenu perçu en t et Yt-1 le revenu perçu à la période t-1. Comme le coefficient de capital est généralement supérieur à 1, une variation de la demande finale (biens de consommation finale) génère une augmentation plus que proportionnelle de la demande de biens de production. Cet effet d’amplification joue tant à la hausse qu’à la baisse. Dès lors, un ralentissement de la croissance de la demande entraine une baisse de l’investissement proportionnellement plus forte. Ainsi, les fluctuations de l’investissement sont plus fortes que les fluctuations de la demande finale. Le principe de l’accélérateur repose sur plusieurs hypothèses : - Les firmes fonctionnent à pleine capacité : une augmentation de la demande nécessiste alors l’achat de nouveaux biesn de production, d’où une hausse des dépenses d’investissement ; Le coefficient de capital est supposé constant de telle manière qu’il existe une relation fixe entre le stock de capital et la quantité produite. Cela revient à supposer que la fonction de production est à facteurs complémentaires ; Les entrepreneurs répondent à une hausse de la demande par une hausse des quantités produites et non les prix. Néanmoins, ces hypothèses ne sont pas toujours vérifiées dans la réalité. Concernant la première hypothèse, les entreprises n’utilisent pas toujours 100% de leur capacité de production, elles peuvent avoir des stocks en réserve. La seconde hypothèse pose également problème car le coefficient de capital n’est pas nécessairement fixe. Dès que les facteurs de production sont substituables, ce n’est plus le cas. Les entreprises peuvent alors augmenter la quantité de capital au détriment du travail, d’où une hausse du coefficient de capital. 14 3. Les variations du crédit : Minsky 15 III. Comment expliquer les cycles longs ? A/ Les cycles Kondratieff dans l’histoire du capitalisme Dans « Les grands cycles de la conjoncture » publié en 1925, Kondratieff distinguait deux cycles et demi entre les années 1780 et 1920 (cf document n°2). Plusieurs économistes ont poursuivi son travail en essayant d’identifier les différents cycles longs qui se sont succédés jusqu’à la mort de Kondratieff, mais également après tout au long du XXème siècle et au début du XXIème. Dans l’ensemble, ils aboutissent à des périodisations relativement proches si l’on se réfère au document suivant : Document n°7. Les différentes périodisations des cycles longs Trois cycles longs ressortent : - un premier cycle concernant la Révolution industrielle entre la fin des années 1780 et les années 1840 ; un second cycle « bourgeois » entre les années 1840 et le milieu des années 1890 ; un troisième cycle « néomercantiliste » entre le milieu des années 1890 et le début de la seconde Guerre Mondiale. Une périodisation plus large, incluant la seconde moitié du XXème siècle permet de dégager un quatrième cycle avec une phase ascendante jusqu’aux années 1973, puis une phase descendante jusqu’à la fin des années 1990 (avant la « nouvelle économie »). Ainsi, le premier Kondratieff correspondrait à la révolution industrielle entre la fin des années 1780 et les années 1840. Il se caractériserait par le développement d’un capitalisme marchand, le recul du poids de l’agriculture, l’existence de capitaux qui permettent de 16 financer des investissements dans l’industrie, l’apparition d’innovations. La phase ascendante (jusqu’aux années 1810) de ce cycle s’expliquerait par les effets des innovations dans le textile et à l’utilisation de la machine à vapeur. Dans le secteur textile, on peut prendre l’exemple de la Mule Jenny inventée par Samuel Crompton en 1779 qui permet de produire un fil fin et résistant. Grâce aux innovations, les gains productivité dans le secteur textile sont conséquents : de 50 000 heures pour filer 100 livres de coton en Inde, par exemple, on passe à 2000 heures en Angleterre avec les nouvelles machines puis 300 heures à la fin du XVIIIème siècle et 135 heures vers 1825. La phase descendante est amorcée vers le milieu des années 1810. Pour Philippe Gilles (« crises et cycles économiques », 1996), deux éléments y contribuent : une crise des conditions d’exploitation marquée par une forte résistance ouvrière (luddisme, mouvement chartiste) ; une crise structurelle qui résulte de l’écart entre le développement des fabriques et la production artisanale des machines. Le second cycle Kondratieff est qualifié de « cycle bourgeois » par Schumpeter dans « Business Cycle » (1939). Il débuterait aux environs des années 1840 jusqu’au milieu des années 1890. La phase ascendante s’explique par : - - - au développement des nouveaux moyens de transport et aux progrès de la sidérurgie. En effet, à partir des années 1840, on assiste à un essor considérable des chemins de fer, d’abord en Grande-Bretagne, puis en Belgique et en France. Il permet également d’unifier le marché intérieur et de désenclaver les territoires en abaissant le prix des transports, mais également d’offrir des débouchés à l’industrie sidérurgique ; un l’acier bon marché, produit en grande quantité. Cette expansion du secteur sidérurgique s’explique par la multiplication des innovations. Par exemple, le procédé Bessemer en 1856, qui consiste à insuffler de l’air pour obtenir une température extrêmement élevée pour produire l’acier, c’est-à-dire l’alliage fer-carbone selon la proportion recherchée, permet de diviser par 10 le coût de production d’une tonne d’acier ; l’extension du système bancaire et financier qui permet de financer les investissements croissants dans le secteur industriel ; le changement de statut juridique des entreprises : le statut de société anonyme se répand et permet d’attirer davantage de capitaux. La phase descendante est provoquée par la crise de 1873. Les effets d’entrainement du chemin de fer sur l’économie (dont la sidérurgie) s’estompe progressivement et l’émergence de nouveaux concurrents comme les Etats-Unis ou l’Allemagne déstabilise les pays à industrialisation précoce comme la Grande-Bretagne ou la France. Ainsi, la puissance industrielle, même si elle demeure de loin en tête, voit sa supériorité industrielle constestée. 17 18 B/ Les explications endogènes des cycles longs 1. Le rôle de l’investissement : la thèse de Kondratieff Kondratieff explique les cycles longs qu’il identifie par le rôle de l’investissement dans les « biens capitaux essentiels ». Tout d’abord, il distingue trois types de bien en fonction de la durée et des moyens nécessaires à leur production : - les biens qui n’exigent qu’un temps court et peu d’investissements (biens de consommation courants, matières premières ; les biens qui ont une durée de vie plus longue et qui nécessitent des investissements plus importants (biens de production) ; « les biens capitaux essentiels » qui ont une durée de vie très longue (plusieurs dizaines d’années) et qui exigent beaucoup d’investissements. Pour Kondratieff, le remplacement des « biens capitaux essentiels » est à l’origine des fluctuations longues : « la phase ascendante d’un grand cycle est liée au renouvellement et à l’extension des biens capitaux fondamentaux, à un changement radical et à un regroupement nouveau des principales forces productives de la société ». Le remplacement des « biens capitaux essentiels » nécessite des investissements massifs et, par conséquent, une épargne abondante. Or, c’est la comparaison entre le niveau d’épargne et le niveau d’investissement qui est à l’origine des phases ascendante et descendante de chaque cycle long : - - Au début de la phase ascendante, l’épargne est abondante. Les taux d’intérêt sont donc relativement bas et favorisent un niveau d’investissement élevé. Au cours de la phase ascendante, la demande de capitaux continue à croître pour financer des investissements croissants jusqu’à ce que le niveau d’épargne ne suffise plus ; La phase descendante démarre lorsque l’insuffisance de l’épargne pour répondre aux demandes de capitaux génère une hausse du taux d’intérêt. Il en résulte une baisse de l’investissement, puis une phase de dépression qui se poursuit jusqu’à ce que la reconstitution d’une épargne suffisante permette une nouvelle phase ascendante. 2. Cycles longs et progrès technique : l’analyse de Schumpeter 19 20 La thèse de Schumpeter a été reprise par plusieurs économistes qu’on qualifie de « néoschumpetériens ». On peut citer Gerhard Mensch qui publia en 1979 « l’impasse technologique ». Il établit une distinction entre trois types d’innovations : - les innovations fondamentales, qui sont à l’origine de secteurs entièrement nouveaux ; les innovations de perfectionnement ; les pseudo-innovations, marginales et, en définitive, peu importantes. Pour lui, ce sont les innovations fondamentales qui sont à l’origine des phases d’expansion de longue durée. Elles sont les seules à pouvoir générer de nouvelles industries susceptibles de créer de la croissance économique. Ces innovations fondamentales présentent un cycle de vie. La croissance prend alors fin lorsqu’elles atteignent leur niveau de saturation et que leur cycle de vie se termine. Des innovations de perfectionnement et des pseudo-innovations peuvent retarder l’échéance, mais elles ne l’empêcheront pas. L’économie se trouve alors en situation de blocage que Mensch qualifie d’ « impasse technologique ». Plus précisément, l’impasse technologique correspond à une situation où il y a une abondance de connaissances scientifiques et technologiques qui peinent à se traduire par des innovations fondamentales. Les conditions économiques ne sont pas favorables à leur essor. Les entrepreneurs ne sont pas prêts à prendre les risques nécessaires pour introduire ces innovations fondamentales. Les innovations fondamentales sont intervenues pour Mensch en 1764, 1825, 1886 et 1935. La croissance d’après guerre aurait été permise par les innovations des années 1930. En revanche, depuis les années 1970, l’économie des pays occidentaux se trouverait dans une nouvelle impasse technologique. Les conditions ne sont pas réunies pour qu’une innovation fondamentale crée un cycle expansionniste. Mensch peut être qualifié de « néo-schumpetérien » dans la mesure où il réactualise les thèses de Schumpeter sur le rôle des innovations radicales dans l’explication des cycles longs. Néanmoins, il s’en détache en présentant un modèle différent de dynamique économique. La dynamique économique ne suivrait pas une succession de pseudo-cycles, mais s’exprimerait sous la forme de « S ». Il y aurait discontinuité entre les différentes innovations fondamentales. 21 Document n°8. Les vagues d’innovation Source : Eric Bosserelle, Croissance et fluctuations, 1994. 3. Cycles longs et suraccumulation/dévalorisation du capital Dans une perspective marxiste, Paul Boccara explique les cycles longs par une logique de suraccumulation/dévalorisation du capital. Il réinterprète la composition organique du capital de Marx. Au lieu de retenir la formule c/v, il adopte la formule suivante : C0 = c/(v+pl) où c représente le capital constant (soit le capital fixe et le capital circulant), v le capital variable (soit le salaire des travailleurs) et pl la plusvalue que détienne les capitalistes. La formule de Boccara établit donc un rapport entre le travail passé accumulé en moyens matériels et le travail vivant qui le met en œuvre. En effet : Au cours de la phase d’expansion, les forces productives se développent rapidement. La substitution du capital au travail s’accélère et la composition organique gonfle puisque le capital constant (c) se substitue progressivement au capital variable (v). Il y a donc un processus d’accumulation du capital. Au cours de cette première phase, le taux de profit (π/K) s’accroît car l’augmentation du taux de plus-value (pl/v) est supérieure à l’augmentation de la composition organique du capital. Autrement dit, le taux de profit devrait diminuer puisque la quantité de capital variable, seule source de profit, diminue ; mais, le taux de plus-value, qui correspond à la part des salaires extorquée par le capitaliste, augmente si fortement que le taux de profit augmente quand même. 22 Néanmoins, dans la phase descendante, le taux de profit diminue car la composition organique du capital devient plus forte que le taux de plus-value. En effet, la quantité de capital variable a tellement diminué au profit du capital constant que les capitalistes ne peuvent plus suffisamment prélever de plus-value sur les salaires ; le taux de profit a donc tendance à baisser. La phase descendante correspond à une crise de surproduction puisque le nombre de travailleurs (capital variable) diminue trop fortement. Il y a un excès d’accumulation eu égard à la masse de plus-value disponible. Il devient indispensable de « purger le capital excédentaire ». Cette purge a lieu grâce à un processus de dévalorisation du capital lié à l’extension du chômage, la baisse des prix, la faillite d’entreprises, les désordres économiques, etc. La phase de dépression dure tant qu’il n’y a pas eu de « purge du capital excédentaire » suraccumulé. La reprise économique (phase ascendante) a lieu lorsque la purge du capital a eu lieu. Selon Boccara, il y aurait eu dès la fin des années 1960 une crise de suraccumulation du capital dans le cadre de ce qu’il appelle « le capitalisme monopoliste d’Etat »1. L’Etat aurait permis la croissance d’après-guerre en finançant l’accumulation de capitaux et la production des grandes entreprises privées. Dans les formes de ce financement, on peut citer les subventions, les allègements du coût du capital, les bonifications d’intérêts (c’est-à-dire la prise en charge par l’Etat d’une partie des intérêts des prêts), les commandes d’Etat, le rôle des entreprises publiques, etc. Cette crise de suraccumulation aurait également eu lieu, pour Boccara, en 1914-1915 ou encore 1873-1875. C/ Les explications exogènes des fluctuations longues Alors que les explications endogènes mettent l’accent sur les mécanismes inhérents aux systèmes économiques, les explications exogènes se concentrent sur les phénomènes aléatoires à l’origine des cycles longs, sans pour autant y voir un caractère inéluctable. 1. L’explication par les guerres 1 Paul Boccara, Études sur le capitalisme monopoliste d'État, sa crise et son issue, Éditions sociales, 1973 23 2. La quantité de monnaie en circulation 24 IV. Les crises économiques A/ Les analyses theoriques des crises economiques On peut opposer deux lectures différentes des crises économiques. Une première lecture considère la crise économique comme un déséquilibre quantitatif entre l’offre globale et la demande globale. La crise n’a alors rien d’inéluctable et il est possible d’en sortir, soit en relançant l’activité économique (logique keynésienne) ou en retirant les entraves à l’autorégulation du marché (logique néoclassique). Une deuxième lecture conçoit, a contrario, la crise économique comme un phénomène inévitable (logique schumpetérienne, marxiste). 1. La crise comme phénomène possible a. La logique libérale : la crise économique provient de l’intervention de l’Etat 25 La conception libérale des crises économiques s’exprime également à travers celle des années 1970. Elle apparaît également comme un phénomène exogène. L’accélération de l’inflation au cours cette période serait liée, dans une approche monétariste, à la politique monétaire. Dans un article publié en 1968, « The role of monetary policy » in American Economic Review, Milton Friedman réinterprète la courbe de Philipps et montre comment la politique économique expansionniste est inefficace à long terme. Dans une interprétation keynésienne, la courbe de Philipps établit une relation inverse entre le niveau d’inflation et le taux de chômage. Elle justifie donc les politiques keynésiennes de « stop and go » au cours des années 1960. Lorsque le chômage se développe, les pouvoirs publics relancent l’activité économique grâce à une politique économique expansionniste (par exemple, une baisse des taux d’intérêt), mais, au bout d’un certain temps, des tensions inflationnistes apparaissent et une politique économique restrictive (par exemple, hausse des taux d’intérêt) doit être menée pour réduire l’inflation, ce qui alimente la hausse du taux de chômage. Dans son article, Friedman juge ces politiques de stop and go inefficace à long terme car elles ne permettent pas de lutter contre le chômage et ne font qu’alimenter les tensions inflationnistes. Sa démonstration s’appuie sur une hypothèse centrale : les anticipations adaptatives. Un agent effectue une anticipation adaptative, en contexte d’information imparfaite, lorsqu’il adapte ses prévisions en tenant compte de l’information dont il dispose sur les grandeurs observées dans le passé ainsi que des erreurs d’anticipations commises sur ces valeurs passées. Friedman estime alors qu’une politique monétaire de relance ne permet pas de lutter contre le chômage à long terme en raison des « anticipations adaptatives » des agents économiques ; elle ne fait que créer de l’inflation en vertu de la théorie quantitative de la monnaie. En revanche, à court terme, la relance monétaire peut faire diminuer le chômage car les agents sont victimes d’une « illusion monétaire » (puisqu’ils raisonnent en information imparfaite) : certes la relance monétaire génère de l’inflation, mais les salariés ne se rendent pas compte que leur salaire réel a diminué ; compte tenu de cette diminution du salaire réel dont ils ont conscience, les employeurs augmentent leur demande de travail et le taux de chômage baisse. Le taux de chômage passe du point A au point B. Mais, grâce à leurs « anticipations adaptatives », les salariés prennent conscience de la hausse des prix, réclament une hausse de leur salaire nominal. La hausse du salaire nominal permet au salaire réel d’augmenter et de retrouver son niveau de départ. Mais, entre temps, le taux de chômage revient à son niveau d’origine, le puisque le coût salarial a augmenté et le taux d’inflation a augmenté (sur le graphique, on passe du point B au point C). La réinterprétation de la courbe de Philipps par Friedman repose sur des hypothèses restrictives (anticipations adaptatives, théorie quantitative de la monnaie, les agents économiques raisonnent en salaire réel…), mais elle a été corroborée par la période de stagflation économique qui débuta à la fin des années 1960. Dans les pays de l’OCDE, on assiste entre la fin des années 1960 et le début des années 1970 à une augmentation simultanée des prix et du chômage qui contredit l’interprétation keynésienne de la courbe de Phillips et conforte celle de Friedman. Ainsi, l’approche libérale de la crise économique se reflète dans les analyses des crises des années 1930 et 1970 de Robbins et Friedman. Dans les deux cas, la crise, si elle n’est pas niée contrairement à la loi des débouchés ou au modèle d’équilibre général, apparaît comme exogène et transitoire. Elle est exogène car elle s’explique par les interventions publiques qui entravent les mécanismes autorégulateurs du marché. Pour Robbins, il s’agit des réglementations sur le marché du travail, alors que pour Friedman, il s’agit des politiques économiques expansionnistes. La crise économique se veut également transitoire. Dans le modèle de Friedman, on peut voir comment le taux de chômage revient à son niveau d’origine grâce aux anticipations adaptatives des agents économiques. Le salaire réel joue le rôle de 26 variable d’ajustement sur le marché du travail, ce qui est conforme à la conception néoclassique. Document n°9. L’instabilité de la courbe de Philipps pour les monétaristes. La conception exogène et transitoire de la crise économique se lit également chez Friedrich Von Hayek qui propose toutefois une lecture originale dans « Price and Production » (1931). A la différence de Milton Friedman, il estime que l’augmentation de la masse monétaire n’est pas seulement une source d’inflation, mais qu’elle entraine également une réallocation des ressources entre les différents secteurs de l’économie. En ce sens, il remet en cause la théorie quantitative de la monnaie (ou pour le dire autrement la neutralité de la monnaie), qui domine dans les analyses libérales de la crise économique, puisque l’augmentation de la quantité de monnaie en circulation n’a pas qu’un effet nominal sur le niveau des prix, mais également un effet réel sur la « structure de production » de l’économie. La démonstration de Hayek s’appuie sur deux concepts-clés : - - La « structure de production » : il s’agit des différente étapes du processus de production qui existent dans une économie depuis, en amont, les « moyens originels de production » (= matières premières) jusqu’en aval les biens de consommation (= produits finis); Le « détour de production » : concept emprunté à Böhm-Bawerck qui désigne l’allongement du processus de production. Cet allongement se traduit par une multiplication des étapes intermédiaires dans le processus de production. Hayek estime que plus le détour de production est long, plus l’intensité capitalistique (K/Y) de la structure de production est élevée. Ce détour de production a pour objectif d’augmenter la quantité finale de biens de consommation. En effet, plus le détour de production est long, plus l’intensité capitalistique est élevée et, ce faisant, la capacité de production de biens de consommation. Il est possible d’illustrer ces deux concepts par la représentation en triangle proposée par Hayek. Sur ce graphique, l’axe horizontal mesure la valeur de la production des biens de consommation, alors que l’axe vertical, lu de haut en bas, mesure l’utilisation des biens de 27 production nécessaires pour assurer la production. La structure de production est représentée verticalement dans le passage des « moyens de production originels » (en haut du graphique) aux « biens de consommation » (en bas du graphique). Le détour de production est représenté par la diagonale : elle illustre l’utilisation croissante de biens de production à mesure que la valeur de la production des biens de consommation augmente. Document n°10. La représentation en triangle de la structure de production 28 29 On retrouve donc chez Hayek la conception libérale des crises économiques de Robbins ou Hayek : - - La crise est tout d’abord exogène : la crise économique provient donc d’une augmentation de la masse monétaire qui déséquilibre la structure de production. L’évolution de la demande de biens de consommation n’est pas cohérente avec l’évolution de la demande de biens de production, contrairement au premier cas où les consommateurs décidaient d’augmenter leur niveau d’épargne ; La crise est également transitoire : Pour Hayek, la crise économique a un rôle régulateur. L’Etat ne doit surtout pas intervenir. Il doit laisser le marché s’autoréguler. S’il intervient, son action ne pourra que renforcer les déséquilibres économiques. Par exemple, si l’Etat consent plus de crédits aux consommateurs pour remédier à la dépression, il ne fera que l’aggraver puisque la hausse des prix relatifs des biens de consommation par rapport aux biens de production accélérera l’effet d’accordéon, soit le raccourcissement du détour de production. En revanche, il se démarque de ces auteurs sur un point essentiel : la neutralité de la monnaie. Alors que pour Friedman, l’augmentation de la quantité de monnaie en circulation n’a à long terme qu’un effet nominal (inflation), Hayek souligne qu’il y a en plus de cet effet nominal un effet réel sur l’économie que ce soit par la dépression ou le chômage. La monnaie n’est pas neutre au sens où elle a un effet réel sur l’économie. La crise économique ne se traduit pas uniquement par une inflation, mais également par une contraction de l’activité économique et du chômage. L’interprétation que donne Hayek de la crise de 1929 reflète sa conception de la crise économique. Pour lui, cette crise provient d’un excès d’investissement financé par le crédit bancaire de façon spéculative et les thérapies apportées à l’époque, qui sont allés dans le sens d’une augmentation des crédits bancaires et des déficits budgétaires, n’ont fait qu’empirer les choses. b. Une logique keynésienne : la crise économique nécessite l’intervention de l’Etat Si l’analyse libérale (Robbins, Friedman, Hayek) explique l’apparition des crises économiques par l’intervention de l’Etat qui entraverait les mécanismes autorégulateurs du marché, l’analyse keynésienne met l’accent, au contraire, sur la nécessité pour les pouvoirs publics de mener des politiques contra-cycliques en raison de l’incapacité du marché à s’autoréguler. Les crises économiques proviennent alors de déséquilibres durables sur les marchés qui appellent à court terme une intervention de l’Etat. On peut distinguer, entre autres, chez Keynes deux sources (liées entre elles) de crise économique : - Les anticipations pessimistes : pour Keynes, les acteurs économiques évoluent dans un contexte d’incertitude radicale. Ils forment donc des anticipations sur la conjoncture à venir. C’est le cas notamment des entrepreneurs, qualifiés par Keynes d’ « esprits animaux », qui basent leur décision d’investissement sur la comparaison entre l’efficacité marginale du capital, qui mesure la rentabilité du projet, et le taux d’intérêt, qui mesure la rémunération d’un placement financier. Si l’efficacité marginale du capital est supérieure (inférieure) au taux d’intérêt, il est plus (moins) rentable pour l’entrepreneur d’investir que de placer ses capitaux. Le niveau d’investissement dépend des anticipations sur la conjoncture des entrepreneurs. Plus 30 - leurs anticipations seront optimistes, plus l’efficacité marginale du capital sera élevée et, toutes choses égales par ailleurs, le niveau d’investissement. A l’inverse, lorsque leurs anticipations sont pessimistes, l’efficacité marginale du capital est plus faible et le niveau d’investissement également, d’où un effet dépressif sur l’économie qui ouvre une phase de crise économique. La crise économique relève d’un processus de prophétie auto-réalisatrice : ce sont les anticipations pessimistes au départ des entrepreneurs qui sont à l’origine d’une crise économique qui valide ex post leurs croyances initiales. Comme la crise économique confirme les croyances initiales, celle-ci se répand aux différents acteurs économiques selon un principe de mimétisme. La crise économique devient cumulative. Une insuffisance de la demande effective : la crise économique se traduit chez Keynes par « un équilibre de sous-emploi », soit une situation où l’offre et la demande globale sont égales, mais où il existe du chômage en raison d’une insuffisance de la demande effective. Cette insuffisance peut provenir d’une consommation trop faible de la part des ménages ou d’un niveau d’investissement insuffisant de la part des entrepreneurs. Rappelons que pour Keynes la demande effective se compose à la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises. Dans un cas comme dans l’autre, les déséquilibres apparaissent durables puisque le marché ne peut s’autoréguler, d’où la nécessité d’une intervention de l’Etat. Dans le premier cas, lorsque les anticipations des entrepreneurs sont pessimistes, « il n’est pas facile de ranimer l’efficacité marginale du capital, telle que le détermine l’état d’esprit capricieux et déréglé des milieux d’affaires. C’est le retour de la confiance, pour user du langage courant, qu’il est difficile de provoquer, dans une économie fondée sur le capitalisme individuel ». Si le retour de la confiance, c’est-à-dire d’anticipations optimistes ne peut se réaliser sur une base individuelle, il n’y que l’intervention de l’Etat qui puisse modifier collectivement l’état d’esprit des entrepreneurs. Dans le second cas, l’économie se trouve en situation d’équilibre puisque l’offre est égale à la demande globale. Malgré cela, le pleinemploi n’est pas assuré. Le marché ne peut lutter de lui-même contre le sous-emploi car, contrairement à l’analyse néoclassique, le salaire réel n’est pas une variable d’ajustement sur le marché du travail pour Keynes2. Le retour au plein emploi requière alors une intervention 2 Pour les néoclassiques, l’équilibre sur le marché du travail suppose que le salaire réel soit égal à la productivité marginale dans le cadre d’une concurrence pure et parfaite. Autrement dit, c’est le salaire réel qui joue le rôle de variable d’ajustement. Or, pour Keynes, ce n’est pas possible car l’offre de travail raisonne en termes de salaire nominal alors que la demande de travail raisonne en termes de salaire réel. De plus, le salaire nominal est rigide à la baisse pour Keynes car les salariés résisteront à la baisse de leur salaire. 31 2. La crise comme phénomène inéluctable a. La logique schumpetérienne : la destruction créatrice La crise économique correspond à la phase descendante des cycles longs Kondratieff. Elle se caractérise par une surcapacité de production qui plonge l’économie dans une phase de dépression et déflation. La crise économique apparaît comme un phénomène inéluctable dans la mesure où elle exprime un processus de « destruction créatrice ». La phase ascendante se traduit par l’apparition d’innovations et donc la création d’activités nouvelles qui sont une source d’expansion. Néanmoins, au cours de la phase descendante, ces mêmes activités vieillissent et sont progressivement remplacées des activités innovantes à l’origine d’une nouvelle phase ascendante. Schumpeter applique cette grille de lecture aux trois cycles longs identifiés par Kondratieff. Ainsi, le premier cycle (1790-1849) s’appuie sur l’introduction de la machine à vapeur et l’essor de l’industrie textile. Le deuxième cycle Kondratieff (1849-1896) se fonde sur le chemin de fer et la métallurgie. Le troisième cycle qui commence en 1897 renvoie à l’essor de l’électricité et de la chimie. 32 La conception schumpetérienne de la crise économique a été reprise par des économistes plus contemporains pour comprendre les mécanismes des crises économiques. Parmi eux, se trouve Christopher Freeman. Tout au long de sa carrière, il a développé avec d’autres auteurs le concept de « paradigme technoéconomique » 3 : il s’agit d’un système technologique, composé de plusieurs innovations liées les unes aux autres, qui forme un tout cohérent avec les structures sociales, économiques et organisationnelles de la société. Ce concept permet de sortir de la vision trop « économiste » de l’innovation chez Schumpeter pour la resituer dans le cadre technologique, économique, social et organisationnel d’une société. Freeman propose alors une analyse des cycles et des crises économiques à partir des changements de paradigmes technoéconomique. A l’origine de chaque paradigme se trouve une « révolution technologique » : il s’agit d’une constellation de systèmes technologiques dotés d’une dynamique commune et intégrant un ensemble de technologies génériques pouvant s’appliquer largement ; chaque révolution se caractérise par l’explosion de nouveaux produits, de nouvelles industries et infrastructures qui donnent graduellement naissance à un paradigme technoéconomique. Cette révolution guide alors les entrepreneurs, les managers, les innovateurs, les investisseurs et les consommateurs, dans leurs décisions individuelles et leurs interactions, pendant toute la période de propagation de cet ensemble de techniques. Ainsi, la première révolution à l’origine du premier paradigme technoéconomique, le « Big Bang » a débuté en 1771 avec Richard Arkwright qui invente la waterframe, une machine à filer hydraulique, qui produit un fil solide. La seconde révolution « l’âge de la vapeur et des chemins de fer » a commencé avec le test de la machine à vapeur sur une locomotive entre Liverpool et Manchester en 1829. La troisième révolution, « l’âge du fer, de l’électricité et de l’ingénierie lourde », a été initiée avec le procédé Bessemer dans l’usine Carnegie à Pittsburg en 1875. La quatrième révolution, ‘l’âge du pétrole, de l’automobile et de la production de masse », est la première Ford T sortie de l’usine de Detroit en 1908. La cinquième révolution, « l’âge de l’information et des télécommunications » a débuté en 1971 avec la production du microprocesseur Intel à Santa Clara. La crise économique exprime le passage de l’ancien paradigme au nouveau, soit le fait que l’ancien paradigme a atteint ses limites et que le nouveau n’a pas encore réussi à s’imposer. En effet, chaque nouvelle révolution implique par ses effets structurants une transformation économique, sociale et organisationnelle de la société pour qu’un nouveau paradigme technoéconomique s’installe. Or, il existe des résistances à l’imposition de ce nouveau paradigme, d’où l’existence de conflits sociaux. La crise provient alors de la discordance entre le potentiel d’un système technologique en cours d’apparition et le cadre social, économique, organisationnel lié l’ancien paradigme. C’est dans ce sens que Christopher Freeman s’interroge sur la crise des années 1970. Elle traduirait le passage d’un paradigme technoéconomique tourné vers une organisation fordiste et la production de masse à un paradigme technoéconomique fondé sur les NTIC et biotechnologies4. 3 Freeman, Christopher, Perez, Carlota (1988). Structural crises of adjustment, business cycles and investment behaviour 4 Freeman, Christopher, Soete, Ludovic « Developing science, technology and innovation indicators: What we can learn from the past », in Research Policy, 2009, vol 38. 33 Document n°11. La succession des ondes longues et paradigmes technoéconomiques Source : Patrick Cohendet,Caroline Hussler,Thierry Burger-Helmchen, Les grands auteurs en management de l'innovation et de la créativité (2016) à partir de Freeman Christopher, System of innovation : Selected Essays in Evolutionnary Economics (2008) 34 b. La logique marxiste : les contradictions internes de l’accumulation capitaliste 35 c. L’Ecole de la régulation : le passage d’un mode de régulation à un autre L’Ecole de la régulation propose une analyse originale des crises économiques puisqu’elle mêle les approches keynésiennes et marxistes et s’appuie sur l’évolution du capitalisme. Ce courant est incarné particulièrement en France par Robert Boyer, dont on peut retrouver les principaux concepts économiques dans « La théorie de la régulation : une analyse critique » (1986) ou « La théorie de la régulation. Les fondamentaux (2004). L’approche historique du capitalisme des régulationnistes repose sur le concept de « régulation » : il désigne pour Boyer « la conjonction des mécanismes concourant à la reproduction d’ensemble, compte tenu des structures économiques et des formes sociales en vigueur ». Cette définition met l’accent sur l’interdépendance entre les structures économiques et sociales et la reproductibilité du système économique. 36 Chaque période de croissance est associée à un « mode de régulation » qui combine deux dimensions : - - le régime d’accumulation : il s’agit de « l’ensemble des régularités assurant une progression générale et relativement cohérente de l’accumulation du capital, c’est-àdire permettant de résorber et d’étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent en permanence du processus d’accumulation lui-même ». Le régime d’accumulation correspond donc à la sphère productive : organisation de la production de la firme, nature sectorielle de la production, mode d’extraction de la plus-value (production de plus-value absolue par allongement de la durée du travail ou production de plus-value relative par amélioration de la productivité du travail) ; les formes institutionnelles désignent « toute codification des rapports sociaux ». On distingue traditionnellement cinq formes institutionnelles : les formes de la concurrence, le rapport salarial, le rôle de l’État, le mode d’insertion internationale et le rôle de la monnaie. Deux modes de régulation ont été identifiés par l’école de la régulation depuis le XIXème siècle : le mode de régulation concurrentiel de 1850 à 1930 et le mode de régulation monopoliste durant les Trente Glorieuses. Le mode de régulation concurrentiel se divise en deux deux-périodes : - - Du milieu du XVIIIème siècle jusqu’au début du XXème siècle, le mode dominant est celui de « l’accumulation à dominante extensive » : o Le régime d’accumulation se caractérise par de faibles gains de productivité (plus-value absolue), une production industrielle tournée vers les biens d’équipement ; o Les formes institutionnelles : la concurrence règne sur le marché du travail (flexibilité des salaires) tandis que l’intervention de l’État reste limitée ; Du début du XXe siècle jusqu’aux années 1930 se met en place un « mode d’accumulation intensive sans consommation de masse » : o Le régime d’accumulation ce caractérise par de forts gains de productivité grâce au développement de l’organisation scientifique du travail (plus-value relative) et la production industrielle se réoriente à destination des biens de consommation ; o Les formes institutionnelles ne changent pas : le salaire est uniquement perçu comme un coût et non comme un vecteur de la demande. L’intervention de l’État reste limitée. 37 38 B/ les crises depuis le debut du XIXeme siecle 1. les crises de l’Ancien Régime : les crises frumentaires Dans son ouvrage « La crise de l’économie française à la fin de l’Ancien Régime et au déut de la Révolution » (1944), l’historien Ernest Labrousse écrit que « les économies ont les crises de leur structure ». Dans ces conditions, les crises économiques sous l’Ancien Régime présentent des spécificités par rapport aux crises économiques du XIXème et du XXème siècle dont les caractéristiques renvoient à l’industrialisation et au développement du capitalisme. Les crises sous l’Ancien Régime sont principalement des crises frumentaires pour Labrousse. Dans une société profondément rurale, ces crises présentent plusieurs caratéristiques : - - Une antécédence agricole : elles débutent toujours par une ou plusieurs mauvaises récoltes dues à des accidents climatiques ; La hausse des prix agricoles : la sous-production fait alors augmenter les prix. Les plus pauvres consacrent alors l’ensemble de leurs revenus à l’alimentation. Parfois, lorsque la crise est très grave, des périodes de disette ont lieu. La baisse des prix des biens non alimentaires : la crise économique se diffuse ensuite à la ville car l’augmentation des dépenses en produits alimentaires entraine une baisse de la demande de biens non alimentaires, dont les prix diminuent. C’est le cas par exemple du prix des produits artisanaux. Le chômage urbain a alors tendance à augmenter comme la pauvreté et la mendicité. Pour Labrousse : « la sous-production agricole déclenche une crise de sous-consommation industrielle, de surproduction industrielle relative ». On peut noter plusieurs exemples de crises frumentaires. Par exemple, en 1740 où l’on assiste à vague de refroidissement climatique. Les récoltes sont mauvaises et le prix des denrées alimentaires augmente : à Douai, Le prix du blé passe d’une moyenne de 4,43 livres parisis dans les années 1737-1739 à 11 en 17405. On peut également prendre l’exemple de la crise de 1787-1789 qu’a étudié particulièrement Labrousse. A partir de 1788, les moissons apparaissent maigres un peu partout en France. Le printemps et l’été 1788 ont été particulièrement chauds et ont grillé le maïs dans le Midi, puis de fortes pluies en juillet août ot compromis la récolte du froment. Ainsi, dès novembre 1788, les prix des céréales sont à la hausse et arrivent à leur plus haut niveau à l’été 1789. Il s’en suit une baisse du pouvoir d’achat pour une grande partie de la population et une situation sociale très précaire pour ceux qui perdent leur emploi. Dans le même temps, les propriétaires féodaux et le Clergé profitent de la hausse des prix agricoles puisqu’ils prélèvement respectivement le champart et la dîme dont le montant est proportionnel aux prix agricoles. Les inégalités économiques et sociales s’accroissent fortement et participent à la Révolution française. 5 Cristina Munno, « La crise démographique de 1740 à Charleville », Histoire & mesure [En ligne], XXVIII2 | 2013, mis en ligne le 31 décembre 2016, consulté le 06 mars 2017. URL : http://histoiremesure.revues.org/4799 39 2. Les crises au XIXème : crises mixtes et crises classiques Les crises économiques qui apparaissent au XIXème siècle présentent des caractéristiques différentes des crises frumentaires de l’Ancien Régime car les structures économiques et sociales changent considérablement sous l’effet de l’industrialisation et du développement du capitalisme. Traditionnellement, on distingue deux types de crise économique au XIXème siècle : les crises mixtes et les crises classiques. a. La crise mixte 40 b. La crise classique Les crises classiques constituent la seconde forme de crise économique qu’on peut retrouver au XIXème siècle. A la différence des crises frumentaires et mixtes, les crises classiques n’ont pas d’antécédence agricole : elles ne sont pas liées à une sous-production agricole, mais à une surproduction industrielle. En effet, la baisse des revenus s’accompagne d’une insuffisance de la demande face à l’offre. Dans le cadre des crises classiques, les exportations sont souvent insuffisantes pour compenser la faiblesse de la demande intérieure. La crise de surproduction se traduit régulièrement par une spirale dépressionniste (la baisse de la production entraine une hausse du chômage qui renforce la baisse des revenus, ce qui induit une nouvelle baisse de la demande, donc de la production) combinée à une déflation. On peut illustrer ces crises classiques à l’aune de l’exemple de la « Grande Dépression » qui intervient dans la plupart des pays développés à la fin du XIXème siècle. En France, on considère qu’elle s’est déroulée entre 1873 et 1896. Il s’agit de la première crise classique de l’histoire. Elle fut qualifiée de « Grande Dépression » à la fin du XIXème siècle car on estimait, à tort, que la baisse des prix à l’époque reflétait une baisse de la production. En réalité, le volume de production a continué à croître sur l’ensemble de la période. La production française a augmenté en moyenne de 0,5% entre 1873 et 1896 (de 2,5% en Allemagne et de 1,5% au Royaume-Uni). On note toutefois une baisse de 10% de la production française entre 1883 et 1887. Cette crise classique a pour origine une surcapacité de production industrielle. On assiste à un essouflement de l’industrie lourde et, plus particulièrement, du chemin de fer. Le marché du chemin de fer arrive à saturation en France, en Allemagne et aux Etats-Unis. Les grandes entreprises ferroviaires se trouvent en surcapacité de production. La prise de conscience de ces surcapacités de production sur les marchés conduit à un krach boursier en 1873 à Vienne et Berlin, puis aux Etats-Unis, qui met un terme à la forte spéculation qu’avait suscité l’essor du rail depuis les années 1840. Ce krach bousier se traduit par la faillite d’entreprises industrielles (notamment dans le secteur ferroviaire) et bancaires. Ces krachs ont des conséquences négatives sur l’activité économique en Angleterre et en France puisque leurs exportations vers l’Allemagne, l’Autriche et les Etats-Unis diminuent. Alors que la reprise économique s’amorce en France en 1877, de nouvelles difficultés apparaisent vers 1882. Pour contrer le déficit budgétaire, l’Etat suspend d’importants travaux publics et de programmes ferroviaires. C’est le cas notamment du Plan Freyssinet lancé en 1878 qui prévoit de donner accès au chemin de fer à tous les Français, de façon à favoriser le développement économique du pays et à désenclaver les régions reculées. Il inclut notamment la construction de 8 700 km de lignes d’intérêt local. La suspension des travaux provoque un krach boursier en 1882 à Lyon et Paris. Ce krach boursier conduit, à nouveau, à des faillites industrielles et bancaires (Union Générale). Aux difficultés industrielles et bancaires à l’origine de la « Grande Dépression », s’ajoutent des difficultés agricoles, sans pour autant que les effets soient aussi forts que dans le cadre d’une crise frumentaire ou mixte. Entre 1850 et 1870, la paysannerie française a profité d’une certaine stabilité et de prix modérément orientés à la hausse. Au début des années 1880, les progrès des transports maritimes favorisent l’importation en Europe de l’Ouest de denrées agricoles (blé) et de produits frais transportés dans des navires réfrigérés. Ces importations proviennnent des Etats-Unis, de la Russie, de l’Argentine, de l’Australie ou de la NouvelleZélande où de grandes exploitations, très compétitives (agriculture mécanisée et extensive), 41 proposent des tarifs bas. Dès lors, en Grande-Bretagne, en France ou en Italie, la production agricole a tendance à reculer ou stagner au cours de la « Grande Dépression ». Les difficultés industrielles et financières associées à celles du secteur agricole plongent plusieurs pays industrialisés dans une crise déflationniste : - Dans le secteur agricole, la concurrence étrangère tire les prix à la baisse ; Dans le secteur industriel, les prix des biens diminuent faute de demande. Le pouvoir d’achat des agriculteurs diminue avec la concurrence étrangère ; celui des salariés également avec la multiplication des faillites, des licenciements et les baisses de salaires. La demande de l’Etat baisse aussi avec la suspension des travaux publics et programmes ferroviaires. La « Grande Dépression » se traduit non seulement par une déflation, mais également, à certains moments, par une contraction de l’activité économique. Entre 1883 et 1887, la production baisse de 10% en France. Cette phase dépressionniste provient : - - d’une insuffisance de la demande ; de la multiplication des faillites d’entreprises industrielles : la production industrielle française baisse entre 1875 et 1880) et bancaires ; d’une baisse de l’investissement : dans un climat d’incertitude lié aux krachs boursiers, ou faillites d’entreprises industrielles et bancaires, le niveau d’investissement a tendance à baisser au cours de la Grande Dépression, ce qui réduit les capacités de production des entreprises ; du protectionnisme : en réponse à cette crise, tous les pays touchés adoptent des mesures protectionnistes à l’exception de la Grande-Bretagne. Par exemple, ils augmentent leurs tarifs comme la France en 1881 ou en 1892 (Tarif Méline), l’Allemagne en 1879 ou les Etats-Unis en 1890 (Tarif Mac-Kinley). Si ces pays pensent protéger leurs producteurs en réduisant leurs importations, ils pénalisent en même temps leurs exportations, ce qui participe à une baisse de la production nationale. C’est au milieu des années 1890 qu’on assiste à un arrêt de la déflation et à une nouvelle phase d’expansion. C’est le début de la « Belle Epoque ». Les profits des entreprises augmentent à tel point qu’ils atteignent des sommets entre 1909 et 1913 en France. Cette hausse des profits provient de : - - la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée au cours des années 1880 ; la multiplication des ententes et concentrations entre entreprises qui stoppe la baisse des prix (Pools aux Etats-Unis avec US Steel créé par Carnegie en 1901 ; Kartels en Allemagne avec Krupp, Thyssen ; Zaibatsu au Japon avec Mitsubishi…) la mise en place progressive de l’organisation scientifique du travail dans les activités nouvelles : électricité, chimie, automobile (Taylor à la Midval Steel Co à la fin des années 1870-début 1880) Cette hausse des profits permet aux entreprises d’investir davantage. D’autre part, la hausse des investissements est favorisée par : 42 - le retour du crédit avec les découvertes d’or (découvertes des gisements d’or en Afrique du Sud (1890) et dans le Grand Nord canadien (1896)) ; le développement de l’usage de la monnaie scripturale ; la conquête de nouveaux marchés étrangers dans les pays pauvres dominés politiquement en Amérique Latine, au Proche et Moyen-Orient. Dans ces conditions, la croissance économique repart. On estime qu’entre 1890 et 1914, la production augmente d’environ 50%, soit une hausse annuelle d’environ 2%. C/ Les crises économiques au XXème siècle 1. La crise de 1929 et la dépression du début des années 1930 43 44 45 2. La rupture de 1973 : le 1er choc pétrolier…puis 2ème en 1979 Historiquement, on considère souvent que la période de croissance économique exceptionnelle des Trente Glorieuses s’arrêterait en 1973 au moment du premier choc pétrolier. Toutefois, la rupture amorcée en 1973 avec la période de croissance économique précédente n’est pas aussi nette. En effet, dès la fin des années 1960, les moteurs de la croissance s’essoufflent. Des déséquilibres économiques apparaissent que le premier choc pétrolier accentue et fait éclater en crise économique. Dès la fin des années 1960, on assiste tout d’abord à des déséquilibres monétaires. D’une part, la croissance économique des Trente Glorieuses et fortement inflationniste. Le taux d’inflation s’accélère dès la fin des années 1960 : il est de 6,5% en 1969 alors qu’il est de 2,5% en 1965. Cette inflation nuit à la compétitivité des exportations. D’autre part, le système monétaire international de Bretton Woods s’effondre. Le 15 août 1971, les Etats-Unis suspendent la convertibilité or-dollar car le stock d’or américain ne cesse de fondre. Cette crise monétaire internationale entraine une crise de confiance chez les acteurs économiques. Leurs anticipations deviennent pessimistes et défavorables à l’investissement. Dès la fin des années 1960, une crise de la productivité apparaît également. En premier lieu, on assiste à un ralentissement de la productivité du travail à la fin des années 1960 en raison de la remise en cause de l’organisation scientifique du travail. Le caractère répétitif, monotone, sans intérêt ni responsabilité des tâches suscite chez les ouvriers un mécontentement croissant. Ils le manifestent par des conflits, de l’absentéisme, du turn-over, du gaspillage. Ensuite, la productivité du travail baisse en raison de la tertiarisation de l’économie : les gains de productivité sont en moyenne plus faibles dans le secteur des services (par exemple, dans la restauration, les services de proximité) que dans le secteur secondaire. Enfin, la productivité du capital diminue à cause du surinvestissement réalisé dans les années 1960. Les entreprises ont eu tendance à investir jusqu’au milieu des années 1960 alors que la demande commençait à être saturée et que la concurrence des nouveaux pays industrialisés s’accentuait. Le choc pétrolier de 1973 accélère les déséquilibres monétaires et la crise de productivité qui apparaissent à la fin des années 1960. Le choc est provoqué par la guerre israélo-arabe. Le 6 octobre 1973, l’Egypte et la Syrie déclenchent une offensive militaire contre Israël dans le but de reprendre les territoires occupés de l’Etat Hébreu depuis la guerre de six jours de 1967. Quelques jours plus, les pays de l’OPAEP (organisation arabe des pays exportateurs de pétrole) décident d’accroître la pression sur l’Occident en réduisant leurs exportations de pétrole de 5% par mois jusqu’au retrait d’Israël des territoires palestiniens. Le cours du baril de pétrole s’envole. En décembre 1973, les pays de l’OPAEP porte son prix à 11,65 dollars. Le prix du baril de pétrole a été quadruplé en 4 mois. Dans ces conditions, le choc pétrolier accentue l’inflation dans les pays importateurs de pétrole (on parle d’ « inflation importée »). En France, le taux d’inflation est de 9,2% en 1973 et 13,7% en 1974. Cette inflation accentue les déséquilibres des années 1960. D’une part, elle aggrave la dégradation de la compétitivité-prix des entreprises puisqu’elles sont contraintes de reporter la hausse de leurs coûts de production sur le prix de vente. La détérioration des termes des l’échange (prix des exportations/prix des importations) est associée à un prélèvement de 3% sur le PIB en France, Italie, Royaume-Uni et Japon. D’autre part, la forte inflation réduit les marges des entreprises et leur capacité d’investissement. Il y a deux raisons à cela : dans un contexte de concurrence internationale forte, les entreprises doivent essayer de contenir la hausse de leur prix et rognent sur leurs marges ; l’évolution des salaires est 46 indexée sur les prix (en France depuis 1952), donc plus l’inflation est élevée, plus les salaires augmentent et les marges diminuent. La FBCF diminue fortement : en 1974, elle recule de 9,5% au Japon, 6,8% aux Etats-Unis, 9,6% en RFA. Dans ces conditions, le taux de croissance économique ralentit. Il passe de 6,3% en 1973 à 4,3% en 1974 et – 1% en 1975 avant de remonter en 1976 à 4,3%. Même si par rapport aux années 1960, le rythme de la croissance économique est plus faible, il reste à un niveau plutôt élevé à l’exception de l’année 1974. La crise économique qui débute en 1973 se traduit également par des déséquilibres sociaux. On assiste à une montée du chômage, de la précarité et de l’exclusion. D’après l’INSEE, le taux de chômage est d’environ 2,2% en 1969, de 3,4% en 1974, 4,4% en 1975. Il monte tout au long des années 1970 jusqu’en 1986 pour atteindre 10,5% avant de redescendre. Les dépenses sociales croissantes et la baisse des recettes fiscales entrainent une augmentation des déficits publics et de la dette publique. Suite au choc pétrolier de 1973, un nouveau choc pétrolier a lieu en 1979. La situation politique iranienne est à nouveau à l’origine de ce choc. L’opposition islamiste au régime du Chah débouche sur une révolution qui perturbe la production. Des grèves entravent les exportations pétrolières iraniennes qui chutent de 6 millions de barils par jour à 400 000 entre septembre 1978 et février 1979. Sur le marché, les pays importateurs augmentent leur demande par mesure de précaution. La raréfaction de l’offre et la hausse de la demande concourent à la hausse des prix. Le baril passe de 14,50 à 40 dollars en 1980, soit une hausse de 125%. Les effets du choc pétrolier de 1979 sont moins forts que celui de 1973 car l’augmentation des prix est plus faible et plus diffuse dans le temps. Mais, surtout, il est compliqué de savoir si la phase de récession amorcée dans les pays industrialisés à partir de 1980 est due à ce choc ou aux politiques monétaires de grande rigueur menées. Par exemple, aux Etats-Unis, Le taux directeur de la Réserve fédérale qui avoisinait les 11,2 % en 1979, fut porté par Volcker à 20 % en juin 1981 dans le souci de réduire l’inflation très élevée puisqu’elle était de 13,5% en 1981. Quel que soit le facteur explicatif prépondérant, la récession est bien présente : alors que le TCAM des pays de l’OCDE était supérieur à 4% entre 1976 et 1979, elle passe à 1,5% en 1980, 1,7% en 1981 et à – 0,1% en 1982. La crise économique de 1973, couplée à celle de 1979, combine à la fois une forte inflation, une montée du chômage, un ralentissement de la croissance économique et un accroissement de la dette publique. Cependant, son impact sur l’économie est incomparable avec la crise de 1929 : 3. La crise des « Subprimes » de 2008 Le 15 septembre 2008, la banque d’affaires américaine Lehman Brothers est mise officiellement en faillite, précipitant le monde dans une crise financière, puis économique, dont l’ampleur ne peut se comparer qu’à celle de 1929. La crise de 2008 a commencé par l’éclatement d’une bulle spéculative sur les marchés financiers. Cette bulle concerne plusieurs secteurs : - L’immobilier : une bulle immobilière se forme tout au long de la seconde moitié des années 1990 et des années 2000, à l’exception de l’Allemagne, dans la plupart des pays européens et aux Etats-Unis. Lorsque la bulle éclate, le prix de l’immobilier américain est supérieur de 60% à son niveau de 1993, de 145% en Angleterre et en Irlande, de 87% en France. 47 - Dans les matières premières. Le cours du pétrole passe de 40 $ environ par baril au début des années 2000 à 150 $ à la veille de la crise. Le cours mondial du riz est multiplié par 2,5 à 3 entre 2000 et 2008. Document n°12. Prix de l’immobilier (Indice base 100 en 1993) Source : OCDE 48 49 La crise des « subprimes » s’est généralisée à l’ensemble du système financier dès l’été 2007 lorsque la situation de Lehman Brothers a commencé à sérieusement se détériorer. On peut invoquer deux raisons explicatives. D’une part, les subprimes se répandent sur les marchés financiers par le biais de la titrisation : c’est une technique financière qui consiste à transférer à des investisseurs des actifs financiers tels que des créances (donc les fameux « subprimes ») en transformant ces créances, par le passage à travers une société ad hoc, en titres financiers émis sur le marché des capitaux. En clair, les banques qui ont pris des risques en prêtant à des ménages désargentés peuvent, grâce à des innovations financières toujours plus complexes, se débarrasser des « subprimes » en les mettant avec d'autres crédits de meilleure qualité dans un même panier, et en revendant ce panier à d'autres acteurs financiers. Ces titres sont tellement complexes qu'ils agissent comme un rideau de fumée masquant les risques réels supportés par ceux qui les achètent. Tant que les taux d'intérêt américains sont faibles et que les prix de l'immobilier augmentent, ces titres sont très rentables. Ils vont donc trouver preneurs un peu partout dans le monde, mais particulièrement dans les grandes banques américaines. La titrisation permet aux banques, qui ont accumulé des subprimes de sortir ces créances douteuses de leur bilan. Elles peuvent donc continuer de prêter à des ménages peu solvables sans qu'apparaisse clairement dans leur bilan les risques qu'elles prennent. D’autre part, cette situation alimente une crise de défiance sur les marchés financiers, notamment dans le secteur bancaire. Les agents financiers deviennent méfiants quant à la valeur de leurs actifs. Ils en achètent moins et en vendent plus. Le volume de transactions diminue et entraine une baisse des cours. La crise financière de 2008 a engendré un assèchement des liquidités sur les marchés financiers. Comme, à l’époque, il est impossible de savoir quelles banques sont menacées de faillite par la possession en grande quantité de « subprimes » ou de titres correspondants, il en ressort un climat d'incertitude qui conduit les banques à moins se prêter de liquidités entre elles, alors qu'elles en ont besoin au quotidien, et à moins accorder de prêts aux entreprises et aux ménages, à moins que ceux-ci offrent des garanties très solides. Les taux du marché interbancaire (Libor aux Etats-Unis, Euribor en Europe) s’envolent. Le manque de liquidités et la hausse des taux freinent considérablement la consommation des ménages et les investissements des entreprises puisque le crédit coûte plus cher et est plus rare. Le crédit est d’autant plus rare que les banques ne prêtent qu’aux acteurs économiques qui offrent des garanties solides. C’est, entre autres, par le biais de ce « credit crunch » (resserrement du crédit) que la crise financière se propage à l’économie réelle. Dans l’urgence, les gouvernements ont mis en place plusieurs types de mesure dès l’été 2007 : - La réinjection de liquidités : face au manque de liquidités sur les marchés monétaires et la montée des taux du marché interbancaire, les banques centrales espérait réduire l’écart entre les taux directeurs et les taux du marché interbancaire comme l’Euribor ou le Libor (le « spread ») en accordant davantage de prêts de liquidités aux banques commerciales. Ce prêt à court terme peut être d’une durée variable : un jour, une semaine, un mois, trois mois, et a un coût pour la banque. La BCE a injecté une injection de 95 milliards d’euros le 9 août 2007, mais face aux tensions persistantes sur le marché interbancaire, elle a récidivé le 18 décembre 2007 avec une injection exceptionnelle de 348 milliards d’euros. Cette politique n’a pas été très efficace car, malgré ces injections de liquidité, le spread entre les taux directeurs et l’Euribor est resté dans la zone euro d’environ 70 à 80 points contre 20 points en temps normal ; 50 - - - Le sauvetage des banques : il a eu lieu sous deux formes différentes : accord de prêts, de garanties ou autres facilités pour que l’institution financière poursuive son activités ; nationalisations. Dans le premier cas, on peut citer l’exemple de la banque Bear Stearns aux Etats-Unis dont la Fed a permis le rachat en mars 2008 par JP Morgan grâce à un prêt de 29 milliards de dollars à 2,5%. Dans le second cas, prenons l’exemple de la Grande-Bretagne avec la nationalisation de la Northern Rock en février 2008 ou alors le plan de sauvetage de Gordon Brown, alors Premier Ministre, qui consiste à recapitaliser la Royal Bank of Scotland, la Lloyds TS et HBOS à hauteur de 38 milliards de livres et de nommer des administrateurs aux conseils des banques ; Des politiques monétaires de relance : Aux États-Unis, la politique de Bernanke est fidèle à celle de Greenspan: l’éclatement de la bulle du crédit immobilier a amené à une baisse rapide et importante du taux directeur, celui-ci passant de 5,25 % en septembre 2007 à 1 % en octobre 2008 et à moins de 0,25 % en décembre. La Banque centrale européenne, dont l’objectif final unique est la stabilité des prix, n’a amorcé une baisse des taux qu’à partir d’octobre 2008: son principal taux directeur a été maintenu à 4 % entre juin 2007 et juillet 2008, a augmenté de 25 points en juillet puis a été abaissé à 3,75 % en octobre, à 3,25 % en novembre et à 2,5 % en décembre ; Des politiques budgétaires de relance : La Grande-Bretagne a ainsi annoncé une baisse de la TVA de 2,5 points (passant de 17,5 % à 15 % jusqu’en 2011), appliquée dès décembre 2008. De même, le plan Bush lancé début 2008 et centré sur des remboursements d’impôts s’est accompagné d’une croissance de la consommation au 2e trimestre 2008, plus soutenue que lors des deux trimestres précédents ; Document n°13. Evolution du spread entre le taux directeur de la BCE et taux d’intérêt à 3 mois (Euribor) 51 Malgré toutes ces interventions, la crise financière s’est prolongée. Les cours en bourse ont continué à chuter. Au début du mois de septembre 2008, le Dow Jones valait environ 11 000 points et au début du mois de février 2009, au plus bas, 7000 points. Début septembre, le CAC40 valait 4000 points et passait à 2500 points au début du mois de mars. La crise financière s’est également traduite en crise économique dont les manifestations ont été : - - Une récession, voire dépression, forte : la crise de liquidités, la crise de confiance, les anticipations pessimistes ont entrainé à baisser leur niveau de production : elles ont moins investi, embauché et davantage licencié lorsqu’elles n’ont pas fait faillite. Dans le même temps, la baisse de la consommation a créé une crise de la demande qui a accentué les effets de la récession. Cette récession a été particulièrement forte au cours de l’année 2009 pour l’ensemble des pays. Puis, la situation s’est progressivement améliorée aux Etats-Unis, en France, en Allemagne, au cours de l’année 2010 et surtout 2011, tandis qu’elle s’est détériorée dans les pays d’Europe du Sud. Le taux de chômage a augmenté au cours des années 2009 et 2010 (à l’exception de la Grande-Bretagne) dans les pays de l’Union Européenne. La hausse du chômage a été particulièrement forte dans les pays d’Europe du Sud. Document n°14. Evolution du taux de chômage en Europe depuis la crise de 2007 52 Document n°15. PIB réel trimestriel corrigé des variations saisonnières - 06.01.16 Source : Eurostat 53 Document n°16. Diffusion de la crise financière à l’économie réelle 54 55 Document n°17. Evolution de la dette publique en Europe depuis la crise de 2007 4. Peut-on comparer les crises de 1873, 1929 et 2008 ? Dans un article, « Peut-on comparer les grandes crises de 1873, 1929 et 2008 ? » publié dans la revue Idées en 2013, Dominique Plihon estime que ces trois crises possèdent un premier point commun : elles sont de nature systémique au sens où elles ont entrainé un ralentissement durable de l’activité économique et qu’elles ont été d’ampleur mondiale. Elles se distinguent des crises économiques comme celle de la « nouvelle économie » en 2001 qui n’a pas eu une dimension internationale aussi forte. En outre, ces trois crises économiques présenteraient six « marqueurs » communs : - « Le libéralisme économique et le laisser-faire » : chaque grande crise est précédée d’une période de laisser-faire dont les déséquilibres économiques et financiers sont sous-estimés par les gouvernements et leurs politiques libérales. Ainsi, les années qui précèdent la crise de 1873 correspondent aux premières expériences de libéralisation du commerce international (Traité Cobden-Chevalier en 1860). Or, cette libéralisation croissante des échanges renforça les déséquilibres commerciaux, notamment en France ; d’où la mise en place de mesures protectionnistes qui compriment l’activité économique. L’absence de régulation des mouvements de capitaux aurait joué un rôle clé dans les crises de 1929 et 2008 ; 56 - - - « L’irruption de pays neufs » : les grandes crises éclatent souvent avec l’arrivée de « pays neufs » qui concurrencent les puissances dominantes. Les années précédant 1873, de nouvelles puissances agricoles déstabilisent la France, l’Allemagne et l’Angleterre. On y trouve le Canada, les USA, l’Argentine, l’Australie et la Russie. La production française est notamment gravement atteinte. En 1929, l’agriculture américaine est concurrencée par le retour des grandes puissances du 19ème siècle comme la France ou l’Allemagne. Avant 2008, les pays émergents d’Europe de l’Est ou d’Asie concurrencent les pays industrialisés en adoptant un modèle de croissance tourné vers l’exportation avec une compétitivitéprix élevée (bas salaires, prix élevé) ; d’où une dégradation du commerce extérieur (sauf l’Allemagne) et une hausse du chômage ; « L’effondrement du système bancaire et financier » : chaque grande crise économique procède d’une crise financière et bancaire. La Grande Dépression de 1873 débute le 9 mai à Vienne avec l’effondrement de la bourse. La crise financière se propage ensuite rapidement la Bourse de New-York et autres places financières. Cette crise financière provient notamment d’une spéculation sur les chemins de fer et la sidérurgie. La crise de 1929 commence avec le krach boursier de New-York du jeudi 24 octobre 1929 et celle de 2008 avec la baisse des cours de la bourse le 15 septembre 2008. Dans les deux cas, une bulle spéculative a éclaté dans l’immobilier. Dans les trois cas, la crise financière se propage à la sphère réelle car les krachs boursiers vont de pair avec la faillite des grandes banques et une crise de liquidités ; « l’excès d’investissement et la surproduction » : dans chaque grande crise, une crise de surproduction apparaît lorsque les capacités de production (due à un surinvestissement) dépassent l’évolution de la demande. La crise de 1873 succède à une période d’investissements massifs dans les chemins de fer en 1840 et 1870. Suite à la première Guerre Mondiale, les dépenses de reconstruction avaient été conséquentes et la crise a éclaté lorsque les entreprises ont pris conscience qu’elles avaient trop investi. La période qui précède la crise de 2008 s’est caractérisée par une forte augmentation des capacités productives des entreprises. Les FMN ont largement contribué à cette augmentation en multipliant les IDE dans les BRIC ; 57 58