regardé» et qui fait advenir «la honte d'avoir osé regarder» et celle d'être l'objet
d'un regard: III,1: Phèdre s'adresse à Oenone:
Cache-moi bien plutôt, je n'ai que trop parlé
Contrairement à ce qui se passe chez Corneille, pour les personnages de
Racine, «être vu n'implique pas la gloire, mais la honte».
Mais, s'il y a honte d'avoir regardé, cela n'empêche pas l'avidité du
regard. Même si son texte n'a rien de descriptif, Racine met en scène «un regard
qui convoite». Ses personnages ne cherchent que «le regard des autres» comme
nous avons déjà pu le voir dans la scène entre Hippolyte et Phèdre. C'est la seule
chose qui compte réellement. Cependant, ce qu'il y a de notable c'est que ce
regard désirant est de tout façon déçu ainsi que le montre cette réponse faite par
Aricie à Hippolyte (V,1) lorsqu'il lui annonce son départ:
Cruel, si de mes pleurs méprisant le pouvoir,
Vous consentez sans peine à ne me plus revoir.
Aricie, prise au jeu de l'amour et donc des regards, ne peut étancher son désir:
«il faut que les amants se voient et se revoient». Les yeux restent insatisfaits et
«même lorsqu'ils obtiennent la réponse attendue, quelque chose manque».
D'ailleurs, même s'il était assouvi, le regard serait à l'origine de remords et de
honte. «Dans tout regard désirant, il y a une transgression», une faute qui ne peut
pas rester impunie. «Le regard ne cesse de trahir l'insatisfaction et le
ressentiment». Il est associé à la faiblesse.
Ce thème du voir, de plus, va souvent de pair avec celui de la
connaissance. Dans I,3, Phèdre s'en veut après sa déclaration moins de ce qu'elle
vient d'avouer que du savoir où se trouve à présent sa confidente:
Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs
(En réalité, tout se base sur le fait que les personnages pensent être observés
par un regard dévoilant. ) Et, il est vrai que ce regard-question qui prédomine
chez Racine veut saisir la nature profonde des êtres et du monde. Il vise l'essence
pour Starobinski, «l'être total» c'est-à-dire le vrai. Il veut dépasser les apparences.
Il est «une question inquiète plongée dans l'âme des autres» où il cherche et les
autres et lui-même. En ce qui le concerne, il ne parvient à prendre conscience que
de sa faute, comme on à déjà pu le voir, ou de sa complexité psychologique. Dans
les deux cas de cette alternative, on peut dire que le regard apporte, en un sens,
une connaissance. C'est le cas aussi dans cet exemple qui reprend la réaction
d'Hippolyte aux déclarations de Phèdre. II,6:
Je ne puis sans horreur me regarder moi-même.
Il arrive que le regard offre des vérités. Mais ce sont là des vérités
insoutenables, néfastes et mortelles. Il faut noter aussi que ces vérités mortelles
sont des moteurs de l'action selon ce qu'affirme Starobinski: «la progression du
trouble tragique coïncide avec le progrès des connaissances».