Economie POLITIQUE ENERGETIQUE Autant en emporte le vent Les conclusions d’une étude demandée par le gouvernement fédéral sur les progrès de l’énergie éolienne sont au cœur d’un vif débat : l’énergie écologique préconisée par la coalition rose-verte coûte sensiblement plus cher que prévu à ses utilisateurs. [légendes photos : - Jürgen Trittin, le ministre de l’environnement, sur une éolienne : « un coût raisonnable » - Batterie d’éoliennes dans le Schleswig-Holstein : résistance à l’aspergisation croissante des paysages - Le ministre de l’économie Wolfgang Clement à la tribune de l’opérateur d’énergie e-on : en bisbille avec son collègue Trittin] [graphiques : - La croissance sur les côtes allemandes Puissance éolienne installée en gigawatts Energie des installations off-shore installations rénovées installations on-shore Prévisions Source : dena - Des projets très chers Prix payé pour l’énergie éolienne fournie, en millions d’Euros (prévision) Prix moyen du Mégawatt/h 2003 : 90,40 € 2015 : 69,80 € Surcoût consécutif à la fourniture de courant alternatif * pour un foyer de quatre personnes, avec une consommation annuelle de 4000 kW/h, en Euros * incluant photovoltaïque, énergie de la biomasse, etc., et en supposant des dépenses constantes pour le courant produit à partir d’énergies fossiles. Source : dena] ----------- Officiellement, tout était réglé. Plusieurs mois avaient été nécessaires pour que des représentants du gouvernement fédéral, des grands groupes électriques et de la branche industrielle éolienne se mettent d’accord pour conclure le débat miné sur la pertinence ou non de nouvelles parts de marché pour l’énergie éolienne. Une étude économique devait être menée. A l’initiative de l’Agence fédérale pour l’énergie (dena), qui devait répondre à la question suivante, sans être influencée par une idéologie quelconque : l’énergie éolienne supplémentaire prévue par le gouvernement allemand est-elle encore distribuable ? Quel en est le coût ? Quelle technique mettre en œuvre pour conduire le courant écologique ? Quels sont les effets du courant éolien sur la consommation d’électricité en Allemagne ? Des instituts scientifiques réputés tels que l’Institut allemand pour l’énergie éolienne (DEWI) ou l’Institut économie et énergie de Cologne (EWI) ont été sollicités, des experts indépendants de renommée internationale chargés de l’évaluation des résultats. Et, lundi dernier, comme les représentants des sociétés de distribution se réunissaient avec ceux de l’industrie éolienne, il ne devait plus s’agir que de simples formalités : entre autres, de l’adoption d’un communiqué commun pour le public. Mais la rencontre a mal tourné. Les participants rapportent qu’au lieu d’approuver une étude pratiquement bouclée, les représentants de l’industrie éolienne ont exigé d’en revoir la rédaction. Sans cela, ils n’autoriseraient pas sa publication. Ils avaient certes une bonne raison : ce que les scientifiques rapportent au long de 490 pages sur l’énergie éolienne et son extension est peu élogieux pour le projet écologique modèle de la coalition rose-verte. Les débats sur l’étude que le SPIEGEL a pu se procurer sont de nature à plonger dans d’autres turbulences une branche éolienne déjà bien ébranlée. Il est en l’occurrence de peu d’aide que Jürgen Trittin, le ministre fédéral de l’environnement (Verts), de concert avec les représentants éoliens, mette en garde contre toute « interprétation erronée » des résultats avant même la publication de ceux-ci. Les constats et les chiffres soulèvent des questions brûlantes, même s’il a été veillé avec un lot de précautions extrêmes à ce que chaque partie puisse continuer à exposer ses positions en se référant à l’expertise. En effet, à en croire l’étude, un nouvel effort technique et financier est exigé pour que la quantité additionnelle de courant écologique prévue par le gouvernement allemand jusqu’en 2015 puisse être transportée par le réseau. 845 km de lignes à haute tension doivent être construites pour 1,1 milliards d’Euros dans les prochaines années, pour pouvoir intégrer les parcs d’éoliennes poussant sur le territoire de la République Fédérale d’Allemagne. en dépit d’investissements élevés dans des techniques perfectionnées, tout risque ne peut absolument être exclu pour l’alimentation en courant. le dégagement d’une quantité équivalente de gaz CO2 nocif pour le climat pourrait être évité de manière plus économique par d’autres moyens que l’énergie éolienne. le coût du courant écologique pour les utilisateurs est nettement supérieur à ce qui était envisagé jusqu’à aujourd’hui. Rien que pour la hausse de part du courant éolien projetée par le gouvernement fédéral de 2003 à 2015, l’étude évalue les « coûts additionnels nets » à un total compris entre 12 et 17 milliards d’Euros. Et celui-ci n’inclut même pas les investissements pour le réseau et l’entretien des équipements anciens. L’étude paraît alors que la branche éolienne connaît une situation critique de toute façon. La résistance des populations touchées à une « aspergisation » intensive des paysages ne cesse de croître. Et ceux qui s’imaginaient faire des affaires avec le passage à l’énergie éolienne sont chaque jour plus déçus. Les investisseurs apprennent avec amertume que les prévisions de profits des exploitants de parcs d’éoliennes et constructeurs d’installations étaient partiellement infondées. Quelques entreprises, encore fêtées comme porteuses d’espoir il y a peu, déclarent aujourd’hui des pertes records. Enfin, de plus en plus nombreux sont les scientifiques, les politiques et les entrepreneurs qui mettent en garde contre une politique hasardeuse en matière d’énergie. Jürgen Thumann, Président du Syndicat des industries allemandes, ne déclarait-il pas la semaine dernière : « Nous risquons un black-out pour ce qui est de la satisfaction de nos besoins en électricité, si nous continuons à soutenir les énergies renouvelables de cette manière. » L’étude de la dena pourrait justement apporter de l’eau au moulin de telles critiques. En effet, les données prélevées par les experts permettent de prévoir que la part de l’énergie éolienne en Allemagne continuera à progresser de manière spectaculaire dans les années à venir du fait des mesures de soutien engagées par la coalition rose-verte. Elle devrait passer de près de 23 terrawattheures (en 2003) à plus de 77 en 2015. Soit représenter 16 % de la consommation totale de courant en Allemagne. En plus de nouvelles tiges d’asperge à l’intérieur des terres, des installations dites « off-shore » doivent ainsi voir le jour en Mer du Nord et sur la Baltique. Mais le raccordement de ces parcs d’éoliennes va manifestement de pair avec des risques accrus. En 2003, d’après l’étude, le courrant éolien, imprévisible, a déjà été cause de risques importants pour la sécurité. Particulièrement pendant les mois d’hiver à fort vent, des « creux de tension et des pannes de réseau auraient été susceptibles de toucher de vastes surfaces », pouvant entraîner des « risques majeurs pour la sécurité d’alimentation du réseau électrique allemand et européen ». Les représentants de l’industrie éolienne et le ministre Trittin pensent pouvoir éviter de tels dangers à l’avenir. C’est ainsi que de premières modifications ont été apportées aux normes d’alimentation. D’autres mesures techniques sur le réseau et les installations devraient elles aussi élever le degré de sécurité. Mais la question demeure de savoir si elles seront appliquées à temps, et si elles suffiront. Et, si l’on en croit l’étude de la dena, des situations critiques pourraient ressurgir en 2015 au plus tard dans quelques régions du réseau, après une première phase de stabilisation temporaire. Les commentaires sur un des principaux arguments avancés pour soutenir l’énergie éolienne, à savoir la réduction des émanations de CO2, gaz à effet de serre, sont eux aussi peu amènes. Il est vrai que les rejets de ce « délinquant climatique » sont sensiblement réduits par renonciation aux combustibles fossiles que sont le charbon, le pétrole ou le gaz naturel. Mais cet effet peut selon l’étude être également être obtenu par d’autres mesures techniques – bien moins coûteuses. Par la modernisation des anciennes centrales thermiques, par exemple, de nature à élever leur rendement et leur efficacité. Il y a une semaine à peine, le ministre fédéral de l’économie Wolfgang Clement mettait ainsi clairement en garde contre d’autres expérimentations en matière de politique énergétique. Depuis plusieurs mois, Clement et son confrère au gouvernement Trittin sont en désaccord sur la question de l’extension de l’énergie éolienne. Fort des résultats de l’étude, Wolfgang Clement peut désormais exprimer ouvertement ses doutes. D’après lui, le coût du courant écologique devrait passer de 1,4 milliards d’Euros aujourd’hui à 5,4 milliards en 2015. D’où sa question : est-ce que l’Allemagne peut se le permettre ? La réplique de Trittin ne s’est pas fait attendre longtemps : Clement s’est appuyé sur des chiffres inexacts, souligne le ministre de l’environnement. De fait, l’étude de la dena montre que de nouveaux progrès de l’énergie éolienne sont possibles sans dérapage de coûts. La charge supplémentaire pour un foyer serait au maximum de un Euro par an. Mais la volonté d’apaisement du ministre de l’environnement est aussi peu fondée que les chiffres de son contradicteur. En réalité, le prix à payer aux exploitants des parcs d’éoliennes en application de la loi sur la fourniture d’électricité (EEG) doit selon l’étude progresser de 2,1 milliards d’Euros (2003) à près de 5,4 milliards d’Euros en 2015. Ce montant comprend aussi le prix commercial pour la quantité d’électricité correspondante. Celui-ci doit être déduit du total des aides pour pouvoir déterminer le surcoût de l’énergie éolienne par rapport au courant conventionnel. D’autres frais devant être ajoutés ou déduits, tels que la dépense additionnelle pour l’énergie de régulation et de réserve pendant les périodes sans vent, à imputer sur les dépenses d’électricité courantes par les groupes de distribution électrique. C’est là précisément ce qu’ont fait les auteurs de l’étude en dressant un modèle détaillé et en tenant compte de différents scénarios d’évolution possible des prix des matières premières (charbon, pétrole et gaz naturel). Résultat : pour la seule électricité éolienne générée dans les installations construites à partir de 2003, les consommateurs devront payer entre 1,4 et 2,1 milliards € de plus que le courant conventionnel à partir de 2015. Pour un foyer normal consommant annuellement environ 4000 kW/h, ce surcoût s’établirait donc à 15,40-19 €. Mais cette fourchette ne représente que le « seuil inférieur », « les frais indirects » résultant des subventions aux autres énergies renouvelables – et aux éoliennes déjà existantes en 2003 – « n’y étant pas pris en compte ». Si on ajoute ceux-ci, « l’augmentation de la facture de référence » annuelle pour un foyer normal sera comprise entre 36 et 44 Euros pour toutes les énergies renouvelables à partir de 2015. De tels chiffres sont très éloignés de ceux sur lesquels le lobby du courant écologique et les Verts s’appuyaient jusqu’à présent. Ceux-ci supposent que le prix de l’électricité conventionnelle va rapidement augmenter et que le courant écologique pourrait prochainement redevenir concurrentiel. Mais c’est bien là que gît le problème. Au lieu de dire ouvertement quels risques et difficultés réserve la politique énergétique adoptée, et quels peuvent en être les coûts à répartir arbitrairement entre les citoyens, on blablate, manipule et tient des propos lénifiants. En l’occurrence, nombreux sont les citoyens qui restent disposés à soutenir l’énergie éolienne en dépit de son prix élevé, pour réduire la dépendance actuelle au pétrole, au gaz et au charbon. Car rien ne peut être généralement objecté à la technique en tant que telle. Sur des sites réellement venteux, elle peut apporter sa contribution à la fourniture d’électricité – même si celle-ci se caractérise par son étendue limitée. Mais un subventionnement massif et une extension sans limites recèlent des dangers et sont à l’origine de factures de plusieurs milliards, que l’étude dena évoque pour la première fois. Il est cependant douteux qu’une telle connaissance ait rapidement des effets politiques. Le ministre de l’économie a beau vouloir s’appuyer sur les données de l’étude pour contenir l’expansion des énergies renouvelables dans une bien moindre mesure que ce qui était prévu, il paraît hautement improbable qu’il en fasse l’essai dès cette législature. Car entre les contradicteurs Clement et Trittin, une tierce partie a tout intérêt à éviter un nouveau conflit entre l’économie et l’écologie avant la longue campagne électorale qui se profile dans les prochains mois : il ne s’agit de personne d’autre que du chancelier Schröder. Qui aimerait bien que cette affaire … ne soulève pas de vent. FRANK DOHMEN MICHAEL SAUGA