LA FORMATION
SELON MARIE DE LA PASSION
La formation est pour Marie de la Passion une tâche essentielle, un
"ministère", une "mission" d'Eglise. On a déjà vu, en diverses périodes, quel soin elle
y apportait. En un temps l'on ne parlait guère de "formation permanente", elle
comprend que la formation initiale n'est qu'une base et qu'elle doit se prolonger tout
au long de la vie religieuse. A cette formation continue, elle travaille sans cesse par
ses écrits spirituels, sa correspondance, dont on pourrait tirer un vrai traité de
formation, ses contacts personnels, et elle a le souci de former celles qui seront à leur
tour formatrices de leurs soeurs.
Diverses sessions spécialisées ont déjà été données sur la formation en ses
différentes étapes. Ici, on se contentera de présenter d'une manière générale cette
formation continue, telle que la concevait Marie de la Passion, en mettant en lumière
trois aspects :
- la formation à la liberté et à la responsabilité;
- la formation à la prière;
- la formation à la vérité de l'amour.
Mais, avant d'étudier ces aspects, il est bon de rappeler trois principes qui
sont à la base de toute formation au sens chrétien du mot :
PRINCIPES DE BASE DE LA FORMATION
1. La formation est transmission d'une vie et pas seulement enseignement ou
modelage. Elle est une transformation progressive de l'être, et non un revêtement
extérieur. Celle qui forme doit donc agir avant tout par son témoignage de vie.
C'est pourquoi Marie de la Passion, traçant dans ses Coutumiers le profil de la
formatrice aux différents niveaux, insiste plus sur "ce qu'elle doit être" que sur "ce
qu'elle doit faire". Elle-même agissait par son exemple plus encore que par ses écrits
et ses paroles. "L'amour, écrit-elle, ne se fait comprendre que par l'amour" (Où me
conduisez-vous ?, 18). Il en est de même de toutes les vertus.
Mais, pour que le témoignage de vie agisse, il faut qu'il transparaisse dans une
ambiance de simplicité, de confiance, d'intimité. Marie de la Passion avait le sens
des contacts humains; sa délicatesse et sa simplicité mettaient à l'aise, même les plus
timides. Elle faisait confiance et elle donnait sa confiance, devenant ainsi "éveilleuse
d'âmes". Aux formatrices, elle recommande de se créer une intimité avec chacune
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pour susciter cette collaboration confiante dans laquelle se réalise la transmission de
vie qu'est la formation.
Une des premières novices des Châtelets, Soeur Catherine atteste comment
Marie de la Passion, par sa seule présence, agissait sur celles qui l'entouraient :
"Elle nous portait si doucement et si sûrement vers le bon Dieu... comme sans
effort et sans secousse aucune; je dirais même qu'on s'y portait avec attrait et comme
sous un charme irrésistible".
2. La formation est un processus de croissance intégrale de la personne; elle doit
donc s'accomplir dans le respect de la personnalité de chacune, en collaboration
avec elle. Il faut la développer, l'orienter, parfois la redresser, jamais l'étouffer.
Marie de la Passion donne pour modèle à la formatrice Jésus formant ses
apôtres: "Jésus redresse le caractère et forme l'âme de ses disciples; mais il laisse à
chacun d'eux leur individualité, leur trempe spéciale et s'en sert peu à peu, en la
transformant pour leur avancement et pour la plus grande gloire de Dieu" (CT/2, 73).
Ceci requiert de la formatrice:
- étude et réflexion: il faut "étudier les âmes", chercher à discerner les mobiles
des comportements;
- souplesse et patience pour adapter la formation à la diversité des natures et
au rythme de croissance de chacune, sans écraser, ni bousculer. Marie de la Passion
écrivait à ce sujet à Marie de Saint Damien en 1886:
"Je vous connais toutes en Dieu et vous aime toutes pour les dons qu'il vous a
donnés, mais je fais la part des moments et des personnes et je ne me presse jamais
plus, Dieu ne se presse pas non plus et bien souvent sa patience est le remède
souverain du mal".
- maîtrise de soi pour ne jamais réprimander ou corriger sous l'influence d'une
irritation naturelle. Marie de la Passion met en garde Marie de la Rédemption, jeune
maîtresse des novices, contre sa tendance à la vivacité: "luttez bien contre votre
vivacité... si vous saviez comme elle fait du mal... j'ai bien résolu de me corriger moi
aussi". Et à Marie de Saint Joseph, jeune supérieure, elle écrit :
"Je suis heureuse que vous ayez vu de vous-même le respect avec lequel une
autorité doit reprendre. La réprimande doit se faire pour un bien, autrement ce n'est
qu'une satisfaction que la nature se donne".
3. La formation est une coopération à l'oeuvre de Dieu, et requiert donc une
écoute attentive de l'Esprit-Saint.
C'est pourquoi la formatrice doit avoir une profonde vie intérieure, être "une
âme qui marche en la présence de Dieu et qui converse avec lui", qui "regarde sans
cesse d'un oeil simple le Dieu pour qui elle agit" (CT\2, 10, 11).
La formation est une conversion continuelle et c'est la grâce de Dieu qui
suscite cette conversion. "Il faut prier avant d'agir".
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Dieu dans la Bible se révèle le grand formateur de son peuple. Il forme
Abraham: après l'avoir appelé, il l'accompagne au long de son chemin de foi, l'instruit,
l'éprouve, le purifie dans un engagement sans cesse renouvelé. Il agit de même tout au
long de l'histoire d'Israël: avec patience, persévérance, à travers les infidélités et les
reprises, il le conduit vers son dessein de salut.
La formatrice doit donc laisser agir Dieu en celles qui lui sont confiées et ne
pas imposer sa propre personnalité, mais disparaître, devenir "toujours plus Jésus et
toujours moins vous", lui recommande Marie de la Passion. Seule la vie intérieure lui
permettra de suivre les inspirations de l'Esprit, afin de discerner les voies de Dieu sur
celles qu'elle doit former.
FORMATION A LA LIBERTÉ ET A LA RESPONSABILITÉ
Ces trois principes de base permettent d'éduquer à la liberté et à la
responsabilité.
Le développement de la liberté est le but et la condition d'une vraie formation.
La liberté de la personne se développe, lorsqu'on l'aide à discerner en elle et à
cultiver les valeurs positives, à l'aide desquelles seront éliminées peu à peu les
tendances négatives, non par contrainte, mais librement.
Dans quelques notes sur les novices des Châtelets, Marie de la Passion met en
valeur, à côté des fauts, les aspects positifs de chacune, recommandant de le
cultiver: "cultiver", "ouvrir", "développer", ces mots reviennent sans cesse sous sa
plume. Sur cette base positive, la jeune participera à sa propre formation et pourra
croître dans la vraie liberté, celle qui nous fait "reines", selon une expression familière
à la Fondatrice, sous ses différents aspects:
- Liberté du coeur, par la domination des affections, en sorte qu'elles ne
s'arrêtent pas à une sentimentalité stérile, mais deviennent "un itinéraire conduisant à
Dieu, qui seul doit en être le motif, l'aliment et le terme" (CT/2, 112).
Une attitude de simplicité et de détachement permet d'arriver à cette affection
vraie qui soutient, épanouit, sans qu'on se laisse dominer par elle.
Marie de la Passion sait par expérience le rôle positif de la sensibilité,
lorsqu'elle est libérée et orientée vers Dieu : "Il faut faire beau son coeur, mais non pas
l'étouffer. D'ailleurs certaines gens n'y arriveraient jamais. Moi, je ne crois pas que
j'aurais pu étouffer le mien, mais avec la grâce de Dieu, j'espère que je puis répéter en
vérité la devise d'une de nos duchesses de Bretagne : Sur toutes choses, que Dieu soit
le plus aimé!".
- Liberté de la volonté.
La vocation missionnaire exige des personnes fortes et, pour cela, Marie de la
Passion enseigne "la pédagogie de la volonté", volonté que la formatrice éduquera
en alliant fermeté et douceur, d'une manière progressive, réaliste, sachant mesurer les
renoncements aux capacités de chacune, mais lui faisant au besoin prendre conscience
de ses lâchetés : "Bannissez de votre petit jargon de femme: c'est impossible, je ne
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peux pas. Soyez donc franches et dites: je voudrais bien, mais je ne peux pas parce
que je ne veux pas", disait-elle. Et elle insistait: "avoir une volonté qui se fait forte au
point de ne jamais reculer, est une chose si avantageuse pour le bien de votre âme".
Cette force de volonté s'exprime concrètement sous divers aspects:
. La régularité, l'ordre, l'exactitude, qui garantit à la fois l'équilibre physique et
l'efficacité dans le travail: savoir organiser ses journées, faire les choses à l'heure dite,
utiliser son temps sans paresse et sans empressement excessif requiert la fermeté
envers soi-même et exerce la volonté.
. Le sens du devoir, librement accepté et vécu dans les détails de la vie quotidienne,
parce qu'il représente "le bon plaisir de Dieu"; devoir accompli sans faiblesse, en se
gardant libre des influences qui pourraient en détourner. Marie de la Passion ne peut
concevoir une vie religieuse sans "l'amour de tous les devoirs, même du plus petit".
. La persévérance dans l'effort, malgré les sensations de fatigue, de lassitude morale,
de découragement, qui peuvent venir du tempérament, des circonstances ou d'une
épreuve permise par Dieu. Marie de la Passion met en garde contre une certaine
complaisance romantique en ce genre de souffrance qui aliène la liberté et empêche la
volonté de réagir, tandis qu'une attitude d'humilité, de patience courageuse, soutenue
par la prière, permet de surmonter ces difficultés.
Parfois il pourra y avoir chez les personnalité fortes des crises plus graves. La
Fondatrice ne les redoute pas: c'est dans la lutte que se forment les caractères, que
grandissent les âmes et Marie de la Passion aime ces natures énergiques, qui, bien
dirigées, peuvent être capables de "grandes choses".
La croissance dans la liberté permet d'éduquer à la responsabilité
personnelle et communautaire.
l. La responsabilité personnelle sera favorisée par le développement, non
seulement des dispositions vertueuses, mais de toutes les capacités humaines.
Marie de la Passion veut pour les missionnaires un minimum d'instruction;
contrairement à certaines conceptions de l'époque, qui considéraient qu'il fallait laisser
dans l'humilité de l'ignorance les moins instruites, elle désire que tous les talents
soient cultivés, qu'une instruction plus complète ou une formation technique soit
donnée à toutes celles qui en sont capables, qu'un grand soin soit apporté à
l'enseignement de la doctrine chrétienne.
Cette formation humaine, commencée au probandat, se complète au noviciat et
souvent, après la profession, dans les "maisons d'études"; elle doit se prolonger
ensuite par la lecture de livres sérieux, que l'on doit trouver dans les bibliothèques des
maisons (CT/2, 323, 505) et d'autres formes de ressourcement. Elle vise, non
seulement à procurer à la future missionnaire les compétences nécessaires, mais aussi
à "cultiver les intelligences", les rendant capables d'initiative et de responsabilité.
Dans le même but, Marie de la Passion invite à donner des responsabilités aux
plus timides, afin de les forcer à vaincre cette timidité naturelle, qui les empêcherait
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de donner toute leur mesure. Les responsables aux différents niveaux doivent aussi
user envers celles qui les secondent d'une grande largeur d'esprit, de manière à ne pas
étouffer en elles l'esprit d'initiative (CT/2,354, 602).
Mais, plus encore qu'à ce sens psychologique de responsabilité, elle éduque à
la responsabilité spirituelle que comportent nos engagements envers Dieu :
responsabilité de notre consécration religieuse, responsabilité de notre vocation
spécifique dans l'Institut.
L'appel à suivre le Christ dans la vie consacrée est un incomparable "don de
Dieu"; librement accueilli, il nous engage à une réponse authentique et intégrale:
"Sur le Corps et le Sang de Celui qui nous a rachetées, nous avons contracté
un mariage divin. Comprenons-nous l'importance de cet engagement ?" (MD, 664).
Marie de la Passion demande à la formatrice de veiller à faire "connaître
parfaitement les obligations des voeux", mais aussi d'enseigner à vivre les vertus
correspondantes, "sans alliage" et sans compromissions (MD, 634).
"Les petites attaches, l'esprit de propriété, les recherches de la créature...
prennent une place bien grande dans la vie d'un grand nombre d'épouses de Notre
Seigneur", constate la Fondatrice, et elle insiste: "Ne perdons pas, n'altérons point la
grâce incomparable qui nous a été accordée" (CR/1, 26; MD, 664).
Notre vocation spécifique de Franciscaines Missionnaires de Marie est
aussi pour Marie de la Passion un "don de Dieu" dont elle sent fortement la
responsabilité pour elle-même et pour ses religieuses: "Je vous demande instamment
de peser devant Dieu vos obligations et l'appel de la Providence. N'entravez pas, je
vous en conjure les desseins du bon Dieu", écrit-elle dès 1882.
A mesure que les années s'écoulent et que l'Institut s'étend, ses appels se font
de plus en plus instants:
- "Je voudrais tant vous voir accomplir pleinement les fins de votre vocation."
- "O mes enfants, comme je voudrais vous faire saintes, dignes de ce nom de
Franciscaines Missionnaires de Marie!"
- "Ah ! si vous connaissiez le don de Dieu ! Que vous connaissiez ce don, que vous y
correspondiez et que vous l'appliquiez dans toute sa plénitude..." (JO, 13-3-1897, 2-2-
1899, 20-12-1901).
C'est pourquoi elle demande à toutes d'être, par leur fidélité et leur ferveur,
non seulement le corps de l'Institut, mais celles qui forment "comme l'âme de leur
Institut et qui lui communiquent la vie" (CR/2, 265).
2. La formation à la responsabilité communautaire a aussi une large place
dans l'enseignement de la Fondatrice, à laquelle l'expérience vécue en Inde avait fait
comprendre le rôle indispensable de la communauté comme soutien de la vie
missionnaire.
Si Marie de la Passion base cette responsabilité sur un solide fondement
spirituel, elle est aussi attentive aux aspects psychologiques et concrets qui
permettent de réaliser cet idéal dans la vie quotidienne.
a) Le fondement spirituel de la responsabilité communautaire.
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