leur nombrilisme les conduit souvent à ignorer le reste de la planète. Et de cela les associés
mondiaux d'Andersen en sont bien conscients. Dès le mois de février, ils tentent de se vendre
en bloc, hors Etats-Unis, et entament des discussions avec Deloitte & Touche et Ernst and
Young. Mais la veille de l'inculpation ils se retirent de la course. Le 18 mars, coup de théâtre,
Andersen et KPMG annoncent leurs fiançailles mondiales toujours sans le réseau américain,
qui doivent si tout va bien se solder par une fusion. Mais au sein du réseau Andersen le coeur
n'y est plus. Il faut à tout prix préserver le business. Hong Kong et la Chine se jettent dans les
bras de PricewaterhouseCoopers, la Russie convole avec Ernst and Young. La brèche est
ouverte. Les projets d'union avec KPMG tournent court.
Derniers instants
Dans chaque pays les associés négocient leur rachat avec leurs concurrents. Jo Berardino
démissionne de ses fonctions "worldwide", et c'est le patron d'Andersen en France, Aldo
Cardoso, qui prend la relève. Drôle de mission. Il doit assurer au mieux la vente des réseaux
Andersen qui aboutiront à la disparition de la marque. Quand on lui demande pourquoi il a
accepté cette tâche quelque peu morbide, Aldo Cardoso répond : "C'est pour l'honneur et le
respect des équipes qui n'ont pas démérité."
Aux Etats-Unis, où Paul Volcker a fini par déclarer forfait, Andersen part en lambeaux. 800
de ses clients sur 2.300 l'ont abandonné. Les bureaux, ville par ville, sont absorbés par la
concurrence. Lorsque le 15 juin les jurés du tribunal de Houston condamnent Arthur
Andersen LLP pour entrave à la justice, le réseau mondial est moribond. Il aura suffitde
quelques semaines pour rayer de la carte, l'un des "Big Five" de l'audit et du conseil.
Aujourd'hui les 84.000 collaborateurs d'Andersen vivent les derniers instants de la marque qui
a cimenté leurs carrières. Un vrai mélo s'il s'agissait d'une fiction. Mais l'agonie est là, bien
réelle. Et peu de gens comprennent pourquoi la machine s'est emballée à ce point. D'autant
que les équipes d'Andersen sont considérées par leurs pairs comme les meilleures du secteur.
Formés à la dure, à l'université maison de Chicago, les auditeurs en herbe d'Andersen avaient
un esprit de caste, un peu comme les aristocrates de l'Ancien Régime. Ils doivent se sentir
aujourd'hui un brin déboussolés.
Comprenne qui pourra à la chute de ce géant. Andersen s'est sans doute trouvé dans la nasse
au mauvais moment. Alors que la trop grande connivence entre les auditeurs et leurs clients
suscitaient de vifs débats. Alors que le savant mélange de l'audit et du conseil était vilipendé.
Andersen a eu aussi bon dos pour l'administration Bush. Crier haro sur les auditeurs a sans
doute permis d'esquiver, mais pour combien de temps, des débats gênants sur les relations
entre Enron et le candidat à la présidence des Etats-Unis, George Bush. Sachant que le
courtier en énergie a largement financé sa campagne.
Quels que soient les raisons qui ont contribué à la chute d'Andersen, le mal est fait. Rideau, la
fête est finie.
Dominique Mariette