Chapitre 11 : Une histoire de la croissance économique Plan : I. Les faits stylisés sur 2000 ans .................................................................................................................................. 3 II. La croissance économique au XIXème siècle : La révolution industrielle ............................................ 6 A. A la base : la révolution industrielle et ses conséquences ..................................................................... 6 1) Les facteurs d’offre ........................................................................................................................................... 6 2) La transition démographique : un préalable à la révolution industrielle ? ............................ 11 3) le libre-échange : un facteur de croissance ? ....................................................................................... 13 4) La révolution agricole : un préalable à la révolution industrielle ?............................................ 15 B. La révolution industrielle : un processus uniforme ? ............................................................................ 17 1.Walt Rostow et les étapes de la croissance économique : un chemin linéaire ........................ 17 2. Alexander Gerschenkron : des modèles d’industrialisation différents ..................................... 18 3. Dans les pays à industrialisation précoce (Grande-Bretagne, France) : une croissance lente............................................................................................................................................................................ 19 4. Dans les pays à industrialisation plus tardive : une croissance rapide due à un rôle important de l’Etat dans le processus de rattrapage ............................................................................. 22 III. La croissance économique au XXème siècle .................................................................................................. 25 A. La croissance de la Belle Époque : les bases d’un capitalisme nouveau ........................................ 26 B. la première Guerre Mondiale : une rupture dans la phase de croissance économique et l’instauration d’un nouvel ordre économique ............................................................................................... 26 C. Les années folles (années 1920) : une croissance fragile..................................................................... 27 D. Équilibres et déséquilibres de la croissance des « Trente Glorieuses »......................................... 28 E. Des niveaux de croissance différents selon les territoires .................................................................. 33 F. La croissance depuis les années 1970 dans les PDEM .......................................................................... 35 IV. Les analyses économiques de la croissance ................................................................................................. 38 A. La croissance, un phénomène équilibré ou déséquilibré ? .................................................................. 38 1. Modèle de Domar : la croissance déséquilibrée sur le marché des biens et services.......... 38 2. Le modèle de Harrod : la croissance déséquilibrée sur les marchés des biens et services et du travail ............................................................................................................................................................. 40 3. Les modèles de Solow et Kaldor : la croissance tend vers un état stationnaire .................... 43 B. Les sources de la croissance............................................................................................................................. 45 1 1. Croissance intensive/extensive ................................................................................................................. 45 2. D’où vient le « résidu » ? ............................................................................................................................... 46 Bibliographie : Ariès Philippe, « L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime » (1960) Aschauer David, « Is public expenditure productive », in Journal of Monetary Economics (1989) Asselain Jean-Claude, « Histoire économique de la France » (1989) Baverez Nicolas, « Les Trente Piteuses » (1998) Bairoch Paul, « Révolution industrielle et sous-développement » (1963) Barro Robert, « Government Spending in A Simple Model of Endogeneous Growth » (1990) Blanqui Adolphe, « Histoire de l’économie politique en Europe depuis les Anciens jusqu’à nos jours » (1837) Domar Evsey, « Expansion and employment », in American Economic Review (1947) Fogel Robert William, « Railroads and American economic growth : essays in economic history » (1964) Fourastié Jean, « Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975 » (1979) Gerschenkron Alexander, « Economic Backwardness in Historical Perspective » (1962) Kaldor Nicholas, « Alternative theories of distribution » in The Review of Economic Studies (1956) Lucas Robert, « On the Mechanics of Economic Development », in Journal of Monetary Economics (1988) Maddison Angus, « L'Économie mondiale : une perspective millénaire » (2001) North Douglas, « Sources of Productivity Change in Ocean Shipping, 1600-1850 »in Journal of Political Economy (1968) Romer Paul « Increasing Returns and Long Run Growth » in Journal of Political Economy (1986). Romer Paul, « Endogenous technical change » in Journal of Political Economy (1990) Rostow Walt Whitman, Les étapes de la croissance (1960) Roy Harrod, « An essay in economic theory » (1939) Solow Robert, « A Contribution to the Theory of Economic Growth », Quarterly Journal of Economics, 1956 Solow Robert, « Technical change and the aggregate production function », in The Review of Economics and Statistics (1957) Verley Patrick « La Révolution industrielle » (1985) Mots-clés : révolution industrielle, charbon, machine à vapeur, mule jenny, puddlage, laminage, acier, chemins de fer, navires, entreprise capitaliste, concentration, croissance démographique, transition démographique, le libre-échange, révolution agricole, assolement triennal, enclosures, les étapes de la croissance économique, les pays à industrialisation précoce/tardive, protoindustrialisation, Belle Epoque, nouvel ordre économique, les années folles, Trente Glorieuses, MITI, Keireitsu/Zaibatsu, Modèle de Domar, Modèle de Harrod, Modèle Harrod-Domar, Modèle de Solow, Modèle de Kaldor, croissance équilibrée/déséquilibrée, taux de croissance effectif, taux de croissance garanti, taux de croissance naturel, croissance intensive/extensive, le résidu, croissance endogène/exogène, externalités, capital physique, capital humain, capital technologique, capital public, cliométrie, institutionnalisme, méthode contre-factuelle. 2 I. Les faits stylisés sur 2000 ans Document n°1. PIB par habitant moyen mondial (en dollars de 1990) Document n°2. TCAM du POB par habitant en volume 3 Document n°3. Les inégalités du PIB par habitant depuis 2000 ans. 4 Document n°4 : Evolution de la part du PIB mondial détenue par la Chine et les autres puissances mondiales 5 II. La croissance économique au XIXème siècle : La révolution industrielle A. A la base : la révolution industrielle et ses conséquences Le concept de révolution industrielle est attribué à l’économiste libéral français Adolphe Blanqui (1798-1854) dans « Histoire de l’économie politique en Europe depuis les Anciens jusqu’à nos jours » (1837). Il qualifiait ainsi la nature de la révolution qui s’opérait en Angleterre à la fin du XVIIIème siècle grâce à la multiplication des inventions dans l’industrie (La machine à vapeur de James Watt…) : « tandis que la Révolution française faisait ses grandes expériences sociales sur un volcan, l’Angleterre commençait les siennes sur le terrain de l’industrie. La fin du XVIIIème siècle y était signalée par les découvertes admirables, destinées à changer la face du monde et à accroître de manière inespérée la puissance de leurs inventeurs (…) la révolution industrielle se mit en possession de l’Angleterre ». 1) Les facteurs d’offre a) Une série d’innovation Un changement de système énergétique : le passage au charbon 6 L’invention de la machine à vapeur : une innovation au cœur de la révolution industrielle A l’origine de la mécanisation se trouve la machine à vapeur. On retient souvent la machine à vapeur à condenseur séparé de James Watt en 1769 (année de dépôt du brevet), mais, en fait, elle est le résultat d’une succession d’innovations. En 1687, Denis Papin (1647-1714) met au point une machine comportant un piston et destinée à alimenter les bassins du château de Kassel, en Allemagne. Il met également au point un petit bateau à vapeur, actionné par des roues à aubes en 1707. Ces machines ne fonctionnent cependant qu’à l’état de maquettes. Il faut attendre la mise au point de la pompe de l’Anglais Thomas Newcomen pour passer du prototype à l’application pratique. Cette pompe fait remonter 500 litres d’eau à la minute à 45 mètres de profondeur grâce à la vapeur : la vapeur fait remonter un piston abaissant le balancier vers la nappe d’eau. Après injection d’eau froide, la vapeur se condense, aboutissant à la chute du piston qui relève le balancier, actionnant la pompe. Cette pompe, qui connaît un véritable succès en Europe, présente toutefois des limites : des pertes thermiques, une puissance faible. L’ingénieur écossais James Watt met au point une machine entre 1764 et 1776 qui corrige ces défauts grâce au condenseur. La séparation du cylindre et du condenseur a éliminé la perte de chaleur qui se produisait lorsque la vapeur d'eau se condensait dans le cylindre de travail d'un moteur Newcomen. Cela a amélioré l'efficacité thermique de la machine de Watt, ce qui a réduit la quantité de charbon qu'il consomme pour produire la même quantité de travail qu'une machine de Newcomen. Les améliorations ultérieures de la machine à vapeur à condenseur séparé permettent de l’appliquer à de nombreuses industries comme la métallurgie en 1776, la filature en 1785 ou le tissage en 1789. Le brevet de Watt déposé en 1769 tombe dans le domaine public en 1800. Néanmoins, la généralisation de ces machines est lente car en plus des difficultés d’approvisionnement de combustibles, la vapeur demeure une énergie difficile à maîtriser (risque d’explosion). 7 Des innovations dans les techniques de production La révolution industrielle est essentiellement une révolution technique. L’innovation s’avère décisive dans la mesure où elle induit des gains de productivité élevés dans plusieurs branches. Les innovations techniques participent à la croissance de l’industrie textile. Au début du XVIIIème siècle, avec le développement des plantations coloniales et les arrivages en provenance du Nouveau Monde, le coton prend le relai des fibres traditionnelles comme la laine ou le lin et qui relance l’industrie textile. Les importations de coton sont multipliées par 100 entre 1700 et 1800 en Grande-Bretagne. C’est dans ce contexte que des innovations techniques améliorent la productivité et participent à la croissance de cette industrie. Il y a tout d’abord l’invention de la navette volante de John Kay en 1733 : il s’agit d’un métier à tisser semi-automatique qui permet à un tisserand de faire le travail de deux grâce à un renvoi automatique de la navette. Elle n’est pourtant pas utilisée avant les années 1760 en raison des pénuries de fil. La première machine à filer efficace est mise au point par James Hargreaves en 1764. C’est la spinning jenny qui multiplie la productivité par 8, puis par 16. Le problème est que le fil obtenu est trop fragile et les étoffes doivent être mélangées de coton et de lin. En 1769, Richard Arkwright invente la waterframe, une machine à filer hydraulique, qui produit un fil solide. En 1785, la machine à vapeur lui sera appliquée. En 1779, la mule jenny de Samuel Crompton constitue un progrès décisif : il s’agit d’une machine intermédiaire qui peut produire un fil fin comme la jenny et assez résistant comme celui de la waterframe. La mule jenny domine le marché des métiers à tisser au début du XIXème siècle. Les gains de productivité dans l’industrie du textile sont substantiels : de 50 000 heures pour filer 100 livres de coton en Inde, par exemple, on passe à 2000 heures en Angleterre avec les nouvelles machines puis 300 heures à la fin du XVIIIème siècle et 135 heures vers 1825. Les innovations techniques participent également au développement de l’industrie sidérurgique. La première innovation concerne la fonte qui est obtenue à partir de 1709 par Abraham Darby à partir du charbon de terre (en fait du coke, résidu de la distillation de la houille). La méthode traditionnelle consistait à utiliser du charbon de bois puisqu’il produisait des fers de bonne qualité à la différence de la houille, souvent grasse et contenant du souffre, qui donnait des fers cassants et irréguliers. Grâce à l’invention de Darby, les fers produits grâce à la coke deviennent d’égale qualité à ceux produits avec du charbon de bois. La technique de fonte au coke se diffuse largement en Angleterre surtout à partir des années 1750 car elle réduit les coûts de production : le prix du charbon de terre devient inférieur au charbon de bois et la production de fonte réclame moins de main d’œuvre. La deuxième innovation majeure est celle d’Henry Cort en 1784 qui permet de produire le fer sur une grande échelle à bas prix. Il s’agit des procédés de puddlage et laminage, qui consistent à brasser la fonte en fusion dans des fours à réverbères chauffés au coke pour ramener les impuretés à la surface et éliminer le carbone. Puis le métal en fusion est laminé entre des cylindres pour donner du fer en barres. Cette invention est déterminante car elle était jusqu’à présent insuffisante pour le développement des diverses industries. Elle permet une hausse massive de la production tout en réduisant les prix. L’ère de l’acier bon marché débute dans la seconde moitié du XIXème siècle. On remplace alors progressivement nombre de matériaux par le fer ou la fonte, à commencer par les rails dont la durée de vie passe de 2 à 10 ans et la charge maximum de 8 à 70 tonnes, mais aussi les charpentes, les coques de bateaux, les outils et les machines. Il en résulte une explosion de la demande et une relance des investissements dans toutes l’Europe : la production d’acier passe de 0,5 Mt en 1865 à 50 Mt au début du XXème siècle. Parmi les 8 innovations, on trouve le procédé du convertisseur d’Henri Bessemer en 1856. L’air insufflé crée une température extrêmement élevée permettant d’obtenir l’acier, c’est-à-dire l’alliage fer-carbone selon la proportion recherchée. Le procédé Bessemer permet de diviser par 10 le coût de production d’une tonne d’acier. Une autre technique est inventée par Siemens-Martin en 1864 : elle est bien plus lente que le procédé de Bessemer, mais elle est plus économique car elle peut utiliser du fer de récupération et des charbons de médiocre qualité. Le procédé Gilchrist-Thomas est le premier à pouvoir absorber des minerais phosphoreux dont les rebuts furent ensuite employés comme engrais. Les gisements de fer phosphoreux en Lorraine, au Luxembourg et en Allemagne purent être exploités. Les trois principaux procédés coexistent en Europe en fonction des caractéristiques des minerais et des usages de l’acier. Ils entrainent une baisse des coûts de 80 à 90% entre les années 1860 et 1890. Des innovations dans les techniques de transport La machine à vapeur a également adaptée aux navires. Les premiers essais ont lieu en 1807 lorsque Robert Fuleon fait naviguer le Clermont, équipé de roues à aubes, sur l’Hudson entre New York et Albany. Cette technique bien adaptée aux cours d’eau s’avère cependant limitée en haute mer en raison des faibles performances et de la fragilité du dispositif. Dès lors, les premiers steamers (navire à vapeur) qui effectuent des sorties régulières en haute mer associent toujours la voile et la vapeur, celle-ci étant utilisée comme source d’appoint. En 1832, l’invention de l’hélice par Frédéric Sauvage rend la machine à vapeur utilisable en navigation hauturière. D’autre part, l’allongement des navires, l’emploi du fer puis de l’acier dans la carène, améliorent leurs capacités hydrodynamiques et doublent les cargaisons emportées en abaissant considérablement le coût du fret. Au début du XIXème siècle, un parcours New-York – Londres demandait plus d’un mois en fonction des vents. En 1830, il faut 14 jours et en 1860, 9 jours. Il faut néanmoins attendre les années 1870 avant que le steamer ne s’impose davantage. Il nécessite en effet un personnel aux qualifications spécifiques et est étroitement dépendant des possibilités d’approvisionnement en charbon dans les ports. Les navires à voile, issus d’une longue tradition, sont donc plus répandus jusqu’à cette époque. 9 b) Le triomphe de l’entreprise capitaliste La mise en œuvre des innovations et du progrès technique nécessite l’apparition d’entreprises capables de rassembler des capitaux, des travailleurs et des moyens commerciaux d’une ampleur sans précédent. Pour avoir un ordre d’idées, au Creusot, le métallurgiste Schneider fait croître le nombre d’ouvriers de 230 en 1812 à 1850 en 1839, puis 14000 en 1875. Cet exemple est symptomatique de l’expansion des grandes entreprises industrielles au XIXème siècle. Tout d’abord, cette expansion se traduit par un mouvement de concentration des entreprises. Cette concentration est à la fois technique, financière et géographique : - - - La concentration technique se traduit par le passage de la protoindustrie (domestic system), l’artisanat urbain à la grande usine (factory system) (cf. Chapitre 8). On regroupe alors en même lieu un nombre important d’ouvriers, de machines dans le but de réaliser des économies d’échelle grâce à une meilleure division du travail et un agrandissement des unités de production ; La concentration financière est de plus en plus poussée. La concentration prend des formes différentes selon les pays. En Allemagne, les Konzern correspondent à une concentration verticale. Par exemple, l’entreprise Krupp gère l’ensemble du processus de production de la forge à Essen (1811), aux charbonnages et mines de fer en amont,et aux armes (dont la « grosse Bertha », Bertha Krupp) et chantiers navals. Aux Etats-Unis, on trouve des mouvements de concentration horizontale avec les trusts. Les « trusts » américains contrôlent à la fin du XIXème siècle 60% de la production de papier du pays, 81% de la chimie, 85% du pétrole. Au Japon, la concentration est plutôt conglomérale. On peut citer l’exemple de Mitsubishi. Fondée en 1869, il s’agit au départ d’une entreprise de transport maritime qui exploite des bateaux à vapeur. En 1873, la compagnie commence à investir dans l’exploitation minière, puis poursuit à la fin du XIXème sa stratégie de diversification dans les activités bancaires, d’assurance. Proche de la concentration financière, les cartels se développent dans la seconde moitié du XIXème siècle (surtout dans les années 1870 et 1880 qui correspondent à une phase de récession) en France, en Russie et surtout en Allemagne. Des entreprises indépendantes s’entendent alors sur les prix et/ou leurs parts de marché respectives ; La concentration spatiale s’intensifie dans les grandes régions industrielles. Cette concentration spatiale s’explique par la fourniture de matières premières. Pour abaisser les coûts de transport, les industriels s’implantent par exemple dans les bassins miniers. C’est le cas du Black Country (le Pays Noir à cause de la pollution) en Angleterre vers Birmingham où sont associés les mines de charbon du sud du Staffordshire, l'exploitation du coke, les fonderies de fer et les aciéries. La concentration spatiale provient également de la recherche d’une main d’œuvre qualifiée et à bas coût. Le travail de la laine domine encore dans les grandes régions textiles de l’époque préindustrielle comme le Yorkshire, la Hollande, les Flandres ou la Champagne. D’autre part, la constitution de grandes entreprises nécessite un changement de statut juridique pour drainer davantage de capitaux. Le statut de société anonyme se répand progressivement dans la seconde moitié du XIXème siècle au détriment des sociétés de personnes (sociétés en noms collectifs, société en commandite simple, société en commandite par actions). La société anonyme est plus adapté à l’entreprise capitaliste : Ce statut est plus favorable à un tissu industriel où les grandes entreprises se développent car la responsabilité limitée des associés leur permet de prendre moins de risque, de s’engager plus facilement que 10 dans une société de personnes. Les associés peuvent d’autant plus facilement le faire que leur nom n’apparaît pas dans la dénomination de l’entreprise. Ce statut juridique permet de faire appel plus facilement, et en plus grande quantité, aux capitaux extérieurs (via les actions) et ainsi de faire croître l’entreprise. Il correspond donc davantage aux grandes entreprises. La société anonyme n’est autorisée qu’après 1850 dans les principaux Etats européens : la loi anglaise sur les Private Comany Limited en 1856 ; la société anonyme n’est légalisée en France que sous le Second Empire, par les lois de 1863 et 1867. 2) La transition démographique : un préalable à la révolution industrielle ? L’industrialisation a répondu à la forte poussée de la demande européenne au XIXème siècle qui ne pouvait plus se satisfaire des structures de production ancienne. Cette progression de la demande découle d’une période de transition démographique qui s’amorce au début du XIXème siècle en Europe. La transition démographique est une période transitoire entre un ancien régime démographique (taux de natalité et taux de mortalité élevés) et un nouveau régime démographique (taux de natalité et taux de mortalité faibles). Elle se caractérise alors par deux phases : une première phase où le taux de mortalité baisse drastiquement alors que le taux de natalité se maintient (accroissement naturel très élevé) ; une seconde phase où le taux de natalité baisse conjointement au taux de mortalité (l’accroissement naturel reste élevé mais diminue). La population européenne passe ainsi de 187 millions de personnes en 1800 à 420 millions en 1900. 11 Document n°5. Evolution de la population entre 1750 et 1900 France GrandeBretagne Allemagne Italie Russie d'Europe Europe 1750 23 1800 27,3 1850 35,7 1900 38,9 7,4 17 13,6 14,5 140 15 23 18,1 36 187 22,9 35,9 24 57 266 38 56,3 32,4 103 420 La baisse du taux de mortalité, dont résulte la transition démographique, peut s’expliquer de plusieurs manières : - - La forte augmentation de la production et de la productivité agricole aurait permis de disposer d’une nourriture plus abondante et meilleure marché ; Les progrès de la médecine qui devient plus scientifique et efficace. Des campagnes de sensibilisation permettent d’améliorer les conditions d’hygiène. L’utilisation de la quinine contre les fièvres, les débuts de la vaccination contre la variole (qui tue de nombreux nouveau-nés), mis au point par Jenner, les pratiques d’asepsie…permettent de réduire la mortalité. Des changements de mentalités. Philippe Ariès 1 montre par exemple que « le sentiment de l’enfance », qui s’amorce à la fin du XVIIème siècle, se généralise à partir des années 1760. Il en résulte alors au XIXème siècle un investissement affectif des parents croissant qui participe à une baisse du taux de mortalité infantile. Autre exemple : jusqu’au XVIIIème siècle, la mort est vécue comme l’expression de la volonté divine, mais les progrès scientifiques, les hommes ont refusé ce fatalisme pour limiter sa progression (mis en quarantaine, progrès dans l’acheminement de la nourriture…). Croissance démographique et croissance industrielle n’entretiennent pas des rapports simples. Par exemple, au cours de la première moitié du XIXème siècle, la Russie connait une forte croissance démographique sans pour autant bénéficier d’une forte industrialisation. A l’inverse, la France (Bassin parisien, Alsace), l’Angleterre (Black country) connaissent en même temps une forte croissance démographique et une phase d’industrialisation poussée. Au milieu du XIXème siècle, les villes regroupent le quart de la population française, la moitié de la population anglaise et seulement 10% de la population russe. 1 Philippe Ariès, « L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime » (1960) 12 Cependant, des auteurs, comme Patrick Verley (« La Révolution industrielle », 1985) nuance l’effet de demande qu’aurait assuré la croissance démographique. Il remarque que les bouleversements démographiques n'interviennent qu'après le début de la révolution industrielle : même dans le cas britannique, les changements démographiques ne surviennent que pendant la première phase de l'industrialisation, ou après son démarrage. Il serait donc logique de les considérer comme conséquence de cette dernière plutôt que comme cause. À long terme, l'industrialisation a concouru à un profond recul de la mortalité et à un meilleur contrôle de la natalité. On peut même penser que la faiblesse de la population au XVIIIème siècle a pu inciter à l'innovation et aux investissements, en permettant l'élévation du revenu par tête. 3) le libre-échange : un facteur de croissance ? Le libre-échange s’affirme dans les pays européens entre les années 1840 et 18601870. Au début du siècle du XIXème siècle, le protectionnisme domine. C’est en GrandeBretagne que le libre-échange est impulsé. Au début du siècle, David Ricardo développe sa théorie des avantages comparatifs, justifiant le libre-échange généralisé. Il s’oppose notamment aux Corn Laws qui interdisent les importations de céréales du fait des droits de douanes dissuasifs. Néanmoins, R. Peel, alors Premier Ministre, entre 1841 et 1846, mène des politiques d’ouverture au libre-échange : en 1842, il réduit les droits de douanes sur les biens d’équipement et lève l’interdiction d’exportation qui les frappait depuis le XVIIIème siècle ; en 1846, il fait abroger les Corn Laws. En 1849, l’acte de navigation protégeant les armateurs britanniques depuis le XVIIème siècle est abrogé. L’ouverture commerciale britannique se traduit par une augmentation des exportations. Le succès britannique attire de nombreux pays. En France, dès le début des années 1850, la France met en œuvre une réduction du niveau 13 moyen des droits de douanes. Elle adopte également le traité commercial de libre-échange franco-britannique (Traité Cobden-Chevallier). Il s’en suit une baisse substantielle du taux moyen de prélèvement douanier qui passe de 11,8% en 1859 à 5,3% en 1961. La libéralisation du commerce français se poursuit par d’autres traités commerciaux avec la Belgique et la Turquie en 1861, le Zollverein en 1862, etc. Les effets de cette libéralisation sur la croissance économique française sont discutés par les historiens. Par exemple, pour Paul Bairoch, cette expérience de libéralisation est un échec du point de vue de la croissance économique : à partir des années 1860, l’assouplissement de la politique commerciale aurait permis une augmentation des importations de produits manufacturés et agricoles. La concurrence plus forte dans le secteur agricole aurait entrainé une baisse du prix des denrées agricoles, donc du revenu des agriculteurs. Cette contraction de la demande aurait freiné la demande adressée à l’industrie (textile, biens de consommation), d’où une baisse de la production industrielle en plus de la production agricole. En Allemagne, un Zollverein, institué en 1834, associe plusieurs Etats allemands : ceux-ci adopte des règles du libre-échange pour leurs échanges mutuels et appliquent un tarif extérieur commun modéré à leurs importations en provenance de pays tiers. 14 4) La révolution agricole : un préalable à la révolution industrielle ? Dans plusieurs pays, la révolution agricole qui se déroule au XVIIIème siècle, intervient avant la révolution industrielle. Entre Grande-Bretagne, elle a lieu entre le début et milieu du XVIIIème siècle alors que la révolution industrielle intervient dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. En France, la modernisation de l’agriculture a lieu dans la seconde moitié du XVIIIème siècle alors que la révolution industrielle se concentre dans la première moitié du XIXème siècle. Les historiens et économiques s’interrogent alors sur la contribution de la révolution agricole à la révolution industrielle. Tout d’abord, la révolution agricole se caractérise par deux évolutions essentielles : - - La disparition de l'assolement triennal, et son remplacement par un assolement quadriennal ou quinquennal, permet d'augmenter la surface des terres cultivées car ce n’est plus un tiers de la surface agricole qui est condamnée, mais un quart ou un cinquième. La disparition de la jachère, permise par la rotation entre la culture de céréales (blé, orge, froment, seigle ou avoine) et celle de plantes à fourrage, permet d'augmenter encore les rendements. La culture des plantes fourragères (trèfle, luzerne, sainfoin, chou-rave) permet le développement de l'élevage et donc une production supplémentaire de fumure, ce qui augmente la fertilité des terres. Une des rotations les plus connues est celle de Norfolk avec navet, blé, trèfle et orge. L'élevage et la culture, concurrentiels auparavant, deviennent complémentaires dans l'augmentation des rendements ; Le mouvement des enclosures s’accélère jusqu’à la disparition presque totale de l’open field au XIXème siècle. L’enclosure permet l'affirmation d'un propriétaire sur une terre. La clôture des terres est d'abord pratiquée par les éleveurs qui souhaitent pouvoir préserver les troupeaux. Mais, surtout, elle favorise l’innovation agraire puisque le fermier peut décider d’une innovation sans avoir obtenu l’accord de la communauté (ce qui est le cas dans l’open field). Le fermier est d’autant plus incité à le faire que les bénéfices éventuels lui reviennent. Dans ces conditions, la taille des domaines augmente (25 ha en 1700 ; 60 ha en moyenne en 1800) puisque la concentration permet la rationalisation, l’application des nouvelles méthodes et attire plus facilement les capitaux nécessaires aux investissements. La révolution agricole se traduit par une forte augmentation de la production agricole. En Grande-Bretagne, elle aurait à peu près doublé au cours du XVIIIème siècle : de 32 millions de boisseaux à 65 pour le grain ; de 370 à 888 millions de livres pour la production de viande. La productivité par travailleur aurait augmenté de plus de 60% entre 1650 et 1800. Cette augmentation de la productivité et de production agricole aurait été un préalable à la révolution industrielle à plusieurs niveaux : - - Au niveau de la population active : o La hausse de la productivité permet de relâcher une partie de la main d’œuvre agricole qui peut aller dans les villes. En Grande-Bretagne, l’emploi agricole représente environ 61% de la population active en 1700 contre 40,8% en 1800 tandis que l’emploi industriel représente respectivement 18,5% et 29,5% ; o La hausse de la production permet de nourrir plus facilement une population active qui croît fortement ; La production agricole fournit des produits et des matières premières qui sont transformées par les usines (brasseries, meuneries, fabriques textiles, de peaux…) ; La production agricole fournit des marchés croissants pour les produits 15 - manufacturés (outil de fer, clôtures, machines…) ; La production agricole permet de dégager une épargne qui trouve à s’investir dans l’industrie ; La production agricole fournit des devises et de l’or par ses exportations, qui permettent, en retour, d’importer des matières premières (coton) ou des biens d’équipements nécessaires au développement industriel. Document n°6. L’assolement triennal Dans « Révolution industrielle et sous-développement » (1963), Paul Bairoch souligne que la révolution agricole constitue un préalable à la révolution industrielle pour les raisons que nous venons d’évoquer. Il avance plusieurs arguments qui appuient cette thèse : - - - La révolution agricole aurait commencé en Grande-Bretagne à la fin du XVIIème siècle dans le sud-est du pays. Ces progrès seraient liés à l’importation de techniques nouvelles à travers l’émigration de protestants chassés des Flandres par la domination espagnole ; Dans le deuxième quart du XVIIIème siècle, Bairoch constate simultanément l’existence de soldes céréaliers et la hausse de la production et de la consommation de fer à usage agricole. La production agricole fournit donc des marchés croissants pour les produits manufacturés ; Toujours dans deuxième quart du XVIIIème siècle, Bairoch note une détérioration des termes de l’échange des produits agricoles vis-à-vis des produits industriels. Cette détérioration semble témoigner d’une intensification des gains de productivité dans le secteur agricole. 16 Cependant, quelques analyses contradictoires remettent en cause ces mécanismes. Il semble tout d'abord que les landlords anglais aient relativement peu réinvesti leurs capitaux dans l'industrie. Pour l'historien François Crouzet, « le rôle des capitaux ruraux a été tout à fait secondaire. Leur apport a même été moins important au XVIIIe siècle qu'au XVIIe. Finalement, ce fut plutôt de l'industrie vers la grande propriété foncière qu'il y a eu des mouvements de capitaux, les industriels enrichis se hâtant d'acquérir des domaines ». Crouzet réfute également l'idée selon laquelle les enclosures ont entraîné une baisse de la population agricole. Il observe au contraire une progression de la population dans les villages qui ont mis en place ce système. Enfin, il faut souligner que les régions qui s'industrialisent en GrandeBretagne (le Nord) ne sont pas prioritairement les régions agricoles (le sud du pays), ce qui limite les possibilités de transferts de revenus. B. La révolution industrielle : un processus uniforme ? 1.Walt Rostow et les étapes de la croissance économique : un chemin linéaire 17 L’analyse de Rostow a fait l’objet de plusieurs critiques : - - Un manque de neutralité : l’ouvrage, publié en 1960, se veut « un manifeste noncommuniste ». C’est le sous-titre de l’ouvrage. Les étapes de la croissance économique ont pour ambition de promouvoir un autre mode de développement que celui en vigueur dans les économistes socialistes. Elles montrent comment il est possible de se développer « sans supprimer la possibilité pour l’homme d’être libre (…) L’homme est un être pluraliste, (…) et il a le droit de vivre dans une société pluraliste ». Dans un contexte d’opposition forte entre les Etats-Unis et l’URSS, Les pays en voie de développement sont invités à suivre un mode de développement inspirés des pays en voie d’industrialisation au XIXème siècle : accroître la productivité agricole ; attirer des investissements extérieurs ; avoir des élites non communistes qui se concentrent sur le développement de leur pays et non pas la guerre froide ; La réalité historique met en évidence des trajectoires bien plus diverses que les étapes de la croissance économique ne le supposent. La séquence de développement en 5 étapes que la Grande-Bretagne a sans doute connu n’est pas valable pour les autres pays. 2. Alexander Gerschenkron : des modèles d’industrialisation différents 18 Le modèle de Gerschenkron présente l’intérêt de rendre compte des différents modèles de développement nationaux par une déviation progressive par rapport au modèle britannique. Ainsi, en France ou en Belgique, pays à industrialisation précoce, les entreprises étaient plutôt petites, familiales. Les banques soutenaient peu l’industrie. Dans les pays allemands, le modèle de croissance parvenait à une déviation supérieure avec le rôle plus important de la grande entreprise, le lien entre banques et entreprises industrielles. Avec le Japon et la Russie, on atteint le degré maximal de déviation avec le rôle le plus fort de l’Etat et, en Russie, l’importance des capitaux étrangers qui compensaient l’insuffisance des capitaux nationaux. 3. Dans les pays à industrialisation précoce (Grande-Bretagne, France) : une croissance lente 19 Si l’on se réfère à la catégorisation de Gerschenkron, La G-B et la France constituent les deux grands pays à industrialisation précoce. Leur industrialisation se caractérise par une croissance plus lente que celle des pays à industrialisation tardive puisque ceux-ci bénéficient d’un effet de rattrapage qui les fait dévier du modèle d’industrialisation britannique. Toutefois, l’industrialisation britannique diffère de l’industrialisation française car elle est à la fois plus précoce et plus intense. Les historiens considèrent alors que la révolution industrielle britannique se traduit par une phase de décollage au sens de Rostow tandis qu’en France, ce décollage n’a pas vraiment eu lieu. L’industrialisation a été plus lente et progressive. La révolution britannique a été la plus précoce. C’est là que la révolution industrielle a débuté dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Le taux de croissance de la production industrielle atteignait 0,7% entre 1710 et 1760 contre environ 3% tout au long du XIXème siècle. L’industrie textile (coton), les mines (charbon, minerais de fer) et les industries mécaniques (machines à vapeur, métiers à tisser…), puis les chemins de fer vers 1830-1840 constituent les industries motrices de la révolution industrielle britannique. 20 La France est le second grand pays à entrer dans l’ère de l’industrialisation au cours de la première moitié du XIXème siècle. L’essor industriel est moins intense et plus progressif qu’en Grande-Bretagne : - Il est moins intense car le taux de croissance annuel du produit industriel est moins élevé qu’en G-B au plus fort de la révolution industrielle : 2,1% entre 1840 et 1860 contre 3,7% en G-B entre 1820 et 1840 ; Il est plus progressif : pour la plupart des historiens, il n’y a pas eu de décollage en France contrairement à la G-B. Il n’y a pas eu d’accélération aussi forte qu’en G-B (à partir de 1780 et à nouveau à partir de 1830-1840). On peut toutefois distinguer plusieurs périodes : une phase de rattrapage intervient à la fin du Premier Empire (1815-1824) ; une phase de freinage de la croissance ; puis redémarrage vers 1840 jusqu’au milieu des années 1850 ; puis ralentissement jusqu’à la fin du siècle. L’industrialisation française se caractérise par : - Des industries motrices similaires à celles qu’on trouve en Grande-Bretagne : le textile, la métallurgie, les chemins de fer (à partir de 1840) ; Des industries motrices différentes de la G-B comme le luxe et les produits alimentaires ; Une protoindustrialisation, en particulier dans le textile, joue un rôle plus important qu’en Grande-Bretagne grâce à une main d’œuvre rurale abondante et peu chère ; Un poids de l’agriculture plus élevé qu’en Grande-Bretagne : en 1850, les agriculteurs représentaient la moitié de la population active en France contre 22% en G-B ; L’industrialisation française se compose donc d’un tissu dual jusqu’aux année 1870 avec, d’un côté, des structures anciennes toujours vivaces (protoindustrialisation) dans les campagnes et une industrialisation performante et moderne dans les villes. Elle trouve son origine dans une série de facteurs : - - - Sur le plan politique, la Révolution française se traduit par un net ralentissement de la production, mais elle implique des changements qui à terme favorisent l’industrialisation : la promotion de la liberté d’entreprendre et de la propriété privée, la déréglementation du marché du travail (Loi Le Chapelier et décret d’Allarde en 1791) ; La modernisation agricole est moins forte qu’en G-B, mais elle fait baisser la mortalité. En revanche, le taux de natalité diminue en même temps. L’accroissement naturel est faible. Cela explique le rattrapage de la population britannique qui est aussi nombreuse à la fin du XIXème siècle qu’en France alors qu’en 1750 elle est trois fois moins importante ; L’intervention, si elle est modeste dans l’ensemble, joue un rôle important. L’Etat mène une politique protectionniste entre les années 1815 et 1860 : l’industrie et 21 - - l’agriculture sont protégées par des droits de douanes élevés. Certains y voient un facteur de développement (Protectionnisme éducateur de Friedrich List) ; d’autres un facteurs de blocage. La part des dépenses publiques liées au développement économique s’accroît dans le domaine des transports, l’éducation…En 1839 et 1899, les dépenses d’instructions publiques sont multipliées par 100 ; Le rôle de la demande : la demande intérieure se compose de la classe moyenne (à partir du début du XIXème siècle), des agriculteurs, qui profitent d’une hausse du prix et de la croissance des produits agricoles. La demande extérieure contribue également à la croissance économique : les exportations, composées à 60% de produits manufacturés, progressent plus vite que la croissance économique jusqu’aux années 1870. Une modernisation technique : on assiste à une double augmentation dela productivité et de la production grâce à la mécanisation dans les industries textiles à la fin du XIXème siècle, l’industrie sidérurgique entre les années 1820 et 1850, tirée notamment par le rail. La France adopte progressivement le « système technique » de la G-B (Bertrand Gilles). 4. Dans les pays à industrialisation plus tardive : une croissance rapide due à un rôle important de l’Etat dans le processus de rattrapage À nouveau, si on reprend la distinction opérée par Gerschenkron, on constate que les pays à industrialisation tardive se caractérisent, dans l’ensemble, par une croissance économique plus forte que dans les pays à industrialisation précoce grâce à un effet de rattrapage. Le retard donc pris par ces pays constitue un atout. On peut regrouper dans cette catégorie l’Allemagne, les Etats-Unis, le Japon ou la Russie. Leur décollage, au sens de Rostow, intervient plutôt dans la seconde moitié du XIXème siècle, voire début XXème dans la Russie. Aux Etats-Unis, le décollage intervient vers les années 1830-1840. Le taux de croissance annuel du produit industriel est d’environ 8 à 9% entre 1820 et 1840. La croissance industrielle est dès lors bien plus intense qu’en G-B et, a fortiori, en France. L’essor industriel américain se manifeste principalement dans le Nord-Est du pays. Il concerne surtout les industries extractives et l’industrie textile. En 1814 est créée la première usine textile au monde intégrant le tissage et le filage. Dans le reste du pays, ce sont plutôt des productions agricoles qui participent à la croissance économique et industrielle : le coton et le tabac dans le Sud, les céréales et l’élevage dans l’Ouest. La construction d’un vaste réseau ferré à partir des années 1860 donne un second souffle à l’essor industriel en stimulant l’industrie sidérurgie et en offrant de nouveaux débouchés. La première ligne transcontinentale est créée en 1869. Les compagnies ferroviaires bénéficient de l’octroi gratuit des terres qu’elles peuvent revendre ou utiliser comme garantie à leurs emprunts auprès des prêteurs américains et étrangers. Le décollage américain intervient sous l’impulsion de plusieurs facteurs : - L’extension du territoire : la surface du territoire américain passe de 2,5 millions de km2 à 8 millions de km2 entre 1789 et 1865 (fin de la guerre de Sécession), ce qui permet de cultiver de nouvelles terres et d’accroître la production agricole ; Les progrès agricoles permettent d’augmenter la productivité grâce aux innovations techniques en 1793, la machine à égrener le coton de Whitney multiplie par 50 la productivité de l’esclave chargé de séparer le coton de la graine du cotonnier. La moissonneuse Mac Cormick est mise au point en 1824. 22 - - La croissance démographique est très forte. D’une part, les progrès agricoles font chuter la mortalité alors que la natalité reste élevée. D’autre part, l’immigration est très forte. Elle a pour but de fournir de la main d’œuvre pour répondre à l’extension vers l’ouest. Entre 1815 et 1860, il y a 5 millions à entrer aux Etats-Unis., dont 55% d’origine britannique et 30% d’origine allemande. La population américaine passe de 4 millions en 1790 à 40 millions en 1870. Cette croissance démographique participe à la croissance économique par des effets d’offre et de demande ; Une abondance de matières premières (terres, mines, coton…) qui sont à l’origine de biens intermédiaires transformés par l’industrie nationale : le coton pour l’industrie textile… Le rôle de l’Etat : Malgré la guerre d’indépendance en 1783, la guerre de Sécession entre 1861 et 1865, les Etats-Unis se dotent d’institutions, d’une Constitution (1787) qui aident au développement économique. L’Etat distribue des terres à l’ouest dès le début du XIXème siècle. Les collectivités publiques financent les infrastructures (routes, canaux, chemins de fer) et contribuent à l’amélioration des transports sur le territoire. Le commerce peut s’y développer plus facilement. Pour Gerschenkron, l’Allemagne est un pays à industrialisation tardive. Son décollage est amorcé au cours des années 1840-1860. Son décollage s’appuie sur le développement rapide de l’industrie métallurgique et chimique, l’essor du chemin de fer et, dans une moindre mesure, l’expansion du secteur textile. La production de charbon augmente très fortement : la production houillère passe de 2 millions de tonnes en 1850 à 9 en 1865. Le décollage allemand s’appuie sur plusieurs facteurs : - - - La présence de matières premières en grande quantité : à partir de 1830, date de leur découverte, elle possède les gisements de charbon les plus importants au monde en Ruhr. Les gisements de fer sont également très profonds ; Sur un plan politique, l’unification allemande se fait progressivement et participe au développement économique. En 1834, parmi une quarantaine d’Etats allemands, six, dont surtout la Prusse, constituent un Zollverein. Il s’agit d’une union douanière : les barrières douanières sont réduites ou supprimées entre les 6 Etats et un tarif extérieur commun est adopté. Le Zollverein s ‘agrandit progressivement et la coopération économique et monétaire s’intensifie : en 1857, l’Union adopte une monnaie commune, le thaler (monnaie de la Prusse). En 1871, sous la houlette de Bismarck, l’Empire allemand est institué. L’intégration économique est complète car le Reich dispose d’une monnaie, le mark-or. Cette unification allemand participe à la croissance économique dans la mesure où les barrières à l’échange disparaissent, le marché s’étend et l’environnement politique est stabilisé ; La croissance démographique a été un moteur de la croissance économique. Le nombre d’habitants passe de 25 millions en 1800 à 36 en 1850 et 56 en 1900. L’abandon du servage libère les paysans et favorise la natalité. La mortalité baisse sous l’effet de la progression de la production agricole. ; Les banques universelles allemandes (banques d’affaires et de dépôts), très concentrées, participent au capital et au développement des firmes industrielles de très grande taille (Konzern) qui se constituent dans la seconde moitié du XIXème siècle. 23 Document n°7. La croissance du produit industriel entre 1710 et 1880 24 III. La croissance économique au XXème siècle 25 A. La croissance de la Belle Époque : les bases d’un capitalisme nouveau Après la grande dépression dans le dernier quart du XIXème siècle, une phase de croissance est amorcée partir de 1890. Dans les pays industrialisés, on constate en moyenne une augmentation du produit d’environ 50%, ce qui suppose un taux annuel proche de 2%. En France, cette période de croissance économique est confirmée par d’autres indicateurs monétaires et financiers. On assiste à un doublement de la masse monétaire entre 1895 et 1913. Les prix sont tournés à la hausse à partir de 1896. Les salaires nominaux augmentent mais peinent à suivre la hausse des prix. Le niveau des profits atteint des sommets entre 1909 et 1913. Cette période de croissance économique trouve son origine dans : - - les progrès de l’industrialisation. D’une part, l’industrialisation est tirée vers le haut en Angleterre, en France, en Allemagne et aux Etats-Unis, les industries métallurgiques, chimiques, électriques connaissent des taux de croissance de plus de 6 % par an, alors qu’au même le montant des investissements dans les chemin de fer est en baisse, les réseaux étant déjà construits. L’industrialisation est également portée par des produits nouveaux comme l’automobile, l’aviation. Enfin, l’industrialisation s’appuie sur un important effort d’investissement dans l’outillage industriel car dans les nouvelles industries motrices, les équipements sont plus lourds et l’intensité capitalistique pus élevée ; Une course aux débouchés extérieurs : malgré le retour du protectionnisme dans les années 1880 jusque vers la fin du siècle, le commercial international s’intensifie entre les grandes puissances. Dans le cas de la France, les exportations de produits industriels ont doublé entre les périodes 1897-1901 et 1909-1913 alors que le volume des importations en produits industriels augmentait également. B. la première Guerre Mondiale : une rupture dans la phase de croissance économique et l’instauration d’un nouvel ordre économique 26 C. Les années folles (années 1920) : une croissance fragile On peut établir une certaine continuité entre la croissance de la Belle époque et celle des années folles tant au niveau du trend que des mécanismes à l’origine de cette croissance. Alors qu’en 1918, le PNB des pays en guerre est inférieur d’un 1/3 en moyenne à celui de 1914, la production européenne atteint son niveau de 1913 en 1924, signe d’un retour de la croissance économique. En ce qui concerne la France, Jean-Claude Asselain dans « Histoire économique de la France » montre que la production industrielle et le revenu national retrouvent leur niveau de 1913 en 1924 et la poursuite de la croissance économique pendant les années 1920 permet à la France de rejoindre sa droite de trend : en 1929, le niveau de production atteint est le même que s’il y avait eu progression régulière entre 1913 et 1929, soit une hausse d’un tiers. Cette croissance en France et, plus largement, dans les pays industrialisés demeure fragile. Elle est tout d’abord stoppée par une crise de surproduction en 1920-1921 suite au 27 retour progressif des belligérants européens sur le marché mondial et à un resserrement du crédit aux Etats-Unis, au Japon et en Grande-Bretagne. En 1922, la croissance reprend en alternant des phases d’expansion et de récession. De plus, dans de nombreux pays industrialisés, la croissance du commerce international est inférieure à celle du PIB, alors même que les exportations représentent une part essentielle de leur PIB : 13% en France, 15 à 16% en Allemagne et en G-B en 1929 d’après Maddisson. Dans l’ensemble des pays développés à économie de marchés, les moteurs de la croissance économique des années 1920 peuvent être rapprochés de ceux de la Belle Epoque : - - L’industrialisation progresse. Les industries automobiles, chimiques, métallurgiques, électriques poursuivent, comme au cours des années 1890-1910, leur essor. Cette industrialisation s’appuie une main d’œuvre croissante. En France, l’exode rural s’accélère avec l’arrivée de 710 000 travailleurs industriels entre 1913 et 1929 dans les secteurs automobiles, chimiques, mécaniques et de l’électricité. Les progrès de l’industrialisation repose également sur des gains de productivité croissants. Aux Etats-Unis, la diffusion de nouvelles organisations du travail comme le taylorisme ou le fordisme permettent d’accroître de manière spectaculaire le niveau de productivité ; Les débouchés jouent un rôle moteur, mais il s’agit davantage de la demande intérieure par rapport à la belle époque. La demande de consommation est en nette augmentation par rapport à l’avant-guerre. D’une part, Les besoins de la reconstruction dopent les marchés intérieurs. D’autre part, la baisse des prix des biens de consommation industriel augmente le pouvoir d’achat des ménages. Enfin, même si on ne peut pas encore parler de consommation de masse, sauf aux Etats-Unis où elle connaît ses débuts, les ménages sont à la recherche de nouveaux produits : l’électroménager en est à ses débuts, le téléphone se répand (30 000 abonnés avant 1920, puis hausse de 40 000 à 50 000 par an). Toutefois, selon les pays, la croissance prend des formes différentes. Elle est plutôt intensive aux Etats-Unis. L’augmentation du produit national est surtout imputable à la croissance de la productivité des facteurs de production grâce à la diffusion du taylorisme et du fordisme, ainsi qu’à la mécanisation. Les gains de productivité bénéficient surtout aux catégories favorisées dont la consommation stimule la consommation d’automobiles et la production de logements. Dans les autres PDEM, la croissance tend plutôt à être extensive en raison de la faible diffusion du fordisme et du taylorisme. C’est surtout l’augmentation du volume des facteurs de production qui génère de la croissance économique. D. Équilibres et déséquilibres de la croissance des « Trente Glorieuses » Au cours des années 1950-1973, la croissance économique atteint un niveau sans précédent dans tous les pays industrialisés. Pour Maddisson (2001), le PIB des pays de l’OCDE augmente de presque 4% par an en moyenne sur cette période. Le rythme de croissance économique progresse sensiblement par rapport aux périodes précédentes. Certains pays bénéficient d’une croissance économique plus forte que d’autres. On trouve dans le peloton de tête le Japon dont le taux de croissance annuel moyen est supérieur à 9% sur l’ensemble de cette période, l’Allemagne, la France et l’Italie qui connaissent avec un niveau supérieur à 5%. En revanche, les Etats-Unis et le Royaume-Uni et la G-B connaissent une croissance économique moins forte avec respectivement 4% et 3%. Cette hiérarchie est confirmée par les données sur le PIB/habitant. 28 Document n°8. Le taux de croissance économique Cette période de forte croissance économique s’accompagne d’autres performances exceptionnelles. La croissance économique demeure plutôt équilibré. Si l’on se réfère au carré magique de Kaldor, alors on peut constater que : - Le taux de chômage est très faible. Sur la période 1950-1973, il est en moyenne de 2,6% dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest, de 1,6% au Japon. ; Le taux d’inflation est plutôt contenu. On parle à l’époque d’une inflation « rampante ». Il est d’environ 2,3% en RFA, 3,5% en Italie, 4,9% en France et au Japon ; Le commerce extérieur tend vers l’équilibre pour chacun des grands pays industrialisés. L’Allemagne, le Japon parviennent même à dégager des excédents commerciaux ; 29 Par ailleurs, l’endettement demeure relativement maîtrisé qu’il s’agisse du déficit budgétaire ou de la dette publique grâce à l’inflation qui réduit les dettes et les rentrées fiscales générées par la forte croissance économique. 30 31 Le respect des principaux équilibres macroéconomiques au cours des années 1950-1973 dans la plupart des pays industrialisés a fait que Jean Fourastié a qualifié cette période de « Trente Glorieuses » dans un ouvrage publié en 1979 « Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975 ». Il insiste alors sur le caractère révolutionnaire de cette période en raison de la nette accélération du rythme de la croissance économique et de l’élévation rapide du niveau de vie. Le premier chapitre 2 de cet ouvrage est révélateur des bouleversements économiques et sociaux que connaît la France à ce moment. Il compare deux villages fictifs Madère, un village sous-développé au Portugal, et Cessac, un village plus développé en France. Il souligne alors l’écart de développement qui existe entre ces deux localités (habitat, niveau de vie, équipements…). A la fin du chapitre, Fourastié révèle qu’il s’agit en fait d’un même village en France, Douelle, mais à trente ans d’intervalle. L’expression de Jean Fourastié mérite toutefois d’être nuancée. D’une part, les bornes historiques de cet âge d’or de la croissance économique sont discutables. Il a plutôt duré une vingtaine d’années dans les pays industrialisés. Jusqu’aux années 1950, on note de fortes tensions inflationnistes qui perturbent la croissance économique au Japon, en France ou en Italie. Les années 1974 et 1975 sont marquées par une stagnation de la croissance dans la plupart des pays. D’autre part, la croissance économique au cours des années 1950-1973 s’est accompagnée de plusieurs déséquilibres : - - Les tensions inflationnistes : de la fin des années 1940 à la fin des années 1950, les tensions inflationnistes dans les PDEM est surtout de nature conjoncturelle en raison des pénuries d’après-guerre, la hausse du coût des matières premières suite à la Guerre de Corée (1950-1953) et de la crise de Suez (1956). A partir des années 1960, l’inflation revêt un caractère davantage structurel. Les causes de l’inflation sont plus profondes et durables. La hausse des salaires, indexée sur les gains de productivité, contraint les entreprises à augmenter leur prix pour maintenir leurs profits. D’autre part, la mise en place d’Etats-providence favorise la hausse des prix en raison d’une augmentation des dépenses publiques (revenus des transfert…) et du fait que ces dépenses sont financées par la création monétaire. En outre, dans le cadre des accords de Bretton Woods, le dollar devient une monnaie internationale. Comme les EtatsUnis connaissent un déficit de leur balance des paiements au cours des années 50 et 60, les banques centrales nationales doivent émettre de la monnaie en contrepartie des réserves en dollars qu’elles accumulent. La masse monétaire a alors tendance à croître, ce qui nourrit l’inflation. Cette croissance de la mase monétaire est d’autant plus forte que le volume croissant de dollars détenus en dehors des USA est tellement élevé qu’un véritable marché eurodollar se met en place sur le marché de Londres où les banques accordent des crédits en dollars. La croissance ne bénéficie pas équitablement à tous les acteurs économiques. Il y a tout d’abord la pauvreté. Aux Etats-Unis, la pauvreté touche 20% de la population en 1959. Cette pauvreté, qui s’explique par un niveau de chômage plus élevé qu’en Europe occidentale ou au Japon, frappe principalement les personnes âgées, les minorités (Noirs, Indiens…). Néanmoins, les programmes de « nouvelle frontière » de Kennedy et « grande société » de Johnson au cours des années 1960 contribuent au 2 Ce chapitre est consultable en ligne à l’adresse suivante : http://www.fourastiesauvy.org/reference/textesjean/11-30glorieuses 32 - recul de la pauvreté. Elle concerne en 1970 12% de américains. Ensuite, les inégalités de revenus et de patrimoine ne disparaissent pas. En France, les inégalités de salaires entre cadres et ouvriers se creusent jusqu’au début des années 1960, puis diminuent. Les inégalités de patrimoines s’accentuent elles en revanche entre 1949 et 1975. Les questions environnementales. L’intensité de la croissance économique se traduit par un épuisement progressif des ressources naturelles et une pollution croissante. En 1972, le rapport Meadows, établi à la demande du Club de Rome, dresse un tableau très sombre des conséquences environnementales de la croissance économique. En 1972, la Conférence des Nations Unies institue le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). E. Des niveaux de croissance différents selon les territoires Si l’on s’intéresse aux principales puissances mondiales au cours de la période1950-1973, on peut constater des trajectoires économiques différentes tant au niveau de l’intensité de la croissance économique que de ses origines. On peut alors distinguer les pays industrialisés à croissance forte de ceux à croissance modérée. Dans ce dernier groupe, on trouve les Etats-Unis et la G-B. Les Etats-Unis se caractérise par une croissance plutôt modérée jusqu’aux années 1960, puis une accélération de celle-ci jusqu’à 1973 : - - La croissance demeure modérée jusqu’aux années 1960 car la reconversion de l’économie américaine après la guerre se traduit par une baisse du PIB. Néanmoins, l’accroissement des dépenses publiques, le baby boom et les exportations vers les pays européens induit par le plan Marshall provoque un retour de la croissance. En 1951, le PIB retrouve son niveau de 1944. La guerre de Corée (1950-1953) contribue à stimuler la croissance économique : le PIB augmente de 10% en 1950 et en 1951. Néanmoins, face aux tensions inflationnistes, le président républicain Eisenhower mène des politiques restrictives. La croissance ralentit : entre 1953 et 1960, le PIB américain progresse de 2,5% en moyenne ; A partir des années 1960, la croissance s’accélère. Elle résulte notamment des politiques expansionnistes menées par les présidents démocrates. Le programme « nouvelle frontière » mis en œuvre par JF Kennedy en 1961 a pour objectif de lutter contre le chômage. Il se traduit par la hausse des dépenses publiques destinées à réduire la pauvreté, au développement de l’industrie spatiale. Après l’assassinat de Kennedy en 1963, Johnson met en application son programme « grande Société » qui poursuit l’œuvre de Kennedy. D’autre part, la guerre du Viêt-Nam en 1965 entraîne une hausse des dépenses publiques qui stimule la croissance économique. Enfin, l’accroissement démographique et l’ouverture croissante des Etats-Unis au commerce international boostent la croissance. Toutefois, à partir de 1970, une récession apparaît sous l’effet de la politique d’austérité menée par Richard Nixon. Une nouvelle politique de relance est instaurée qui dope la croissance jusqu’en 1973. La Grande-Bretagne connaît comme les Etats-Unis une croissance plutôt modérée. Entre 1950 et 1973, le PIB s’accroît en moyenne de 3%M contre 5 à 6% en France et en Allemagne. Cette croissance modérée peut s’expliquer par de faibles gains de productivité du fait d’un appareil productif vieillissant et d’un taux d’investissement inférieur aux autres pays européens. De plus, la G-B est confrontée à des tensions inflationnistes en raison des politiques de relance, destinées à lutter contre le déséquilibre commercial, et de la hausse des 33 salaires réels supérieure aux gains de productivité. Pour lutter contre ces tensions inflationnistes, le gouvernement mène des politiques de stop and go qui bride la croissance. Parmi les pays industrialisés à croissance forte au cours des Trente Glorieuses, il y a l’Allemagne et le Japon. Le Japon est le pays où la croissance économique est la plus forte. Elle est en moyenne de 9%. Le pays peut s’appuyer sur plusieurs facteurs favorables : - L’aide extérieure : après la seconde Guerre Mondiale, le pays bénéficie de l’aide financière, alimentaire et technique américaine pour la reconstruction ; L’interventionnisme étatique : en 1949 est créé le MITI (Ministry of International Trade and Industry). Il définit les secteurs prioritaires, qu’il protège de la concurrence internationale et coordonne les entreprises autour de ces priorités ; La guerre de Corée dope les commandes aux industries sidérurgiques, chimiques ; Après la guerre, la forte limitation des dépenses militaires permet au pays de consacrer des dépenses d’investissement conséquentes et ainsi d’accroître sensiblement ses gains de productivité ; La croissance démographique : le Japon bénéficie d’un afflux de réfugiés qui accroît la demande et fournit une main d’œuvre peu coûteuse et souvent qualifiée ; Des structures industrielles spécifiques : il y a tout d’abord les keireitsu, qui succèdent au Zaibatsu démantelés après la guerre. Il s’agit d’un ensemble d'entreprises, de domaines variés, entretenant entre elles des participations croisées (concentration conglomérale) autour desquelles gravitent des entreprises sous-traitantes qui amortissent les variations conjoncturelles. D’autre part, le toyotisme apparaît dans les années 1950 : il s’agit d’une organisation du travail élaborée par Taïchi Ohno dans les usines Toyota dans laquelle les travailleurs sont polyvalents, la production réalisée en petite série avec des biens de qualité ; cette méthode est une source de gains de productivité élevée. L’Allemagne se caractérise comme au Japon par une croissance très forte. Elle est toutefois moins forte puisque le taux de croissance annuel moyen est d’environ 6% en 1950 et 1973. Parmi les sources de cette croissance, on trouve : - Comme au Japon, après la seconde Guerre Mondiale, le pays bénéficie de l’aide financière, alimentaire et technique américaine pour la reconstruction ; De même, le pays bénéficie d’une forte croissance démographique. L’Allemagne accueille de nombreux réfugiés et bénéficie d’un baby boom après guerre, ce qui stimule la demande ; L’Allemagne tire sa croissance également d’un élargissement de la demande extérieure : en 1950, les exportations représentent 8% du PIB allemand contre 21% en 1973 ; L’Etat met en œuvre une « économie sociale de marché » : il s’agit pour l’Etat de respecter les conditions de concurrence et de liberté d’initiatives sur le marché tout en s’assurant que les besoins de tous sont satisfaits et les inégalités réduites ; La stabilité monétaire : l’Etat allemand, traumatisé par l’épisode d’hyperinflation des années 1922-1923, a pour objectif de limiter l’inflation (la banque centrale allemande est notamment indépendante). 34 F. La croissance depuis les années 1970 dans les PDEM Depuis la fin des Trente Glorieuses, la croissance économique est plus faible dans les pays industrialisés. Le taux de croissance annuel moyen passe de 4% entre 1950 et 1973 à 2,4% entre 1973 et 1992 aux Etats-Unis, de 5% à 2,25% par an en France, de 9% à 3,25% au Japon de 6% à 2,3% en Allemagne, de 3% à 1,6% en G-B. Entre 1992 et 2008, indépendamment des variations conjoncturelles, le taux de croissance annuel moyen se relève aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. A l’inverse, le ralentissement se confirme en France, en Allemagne et au Japon. La rupture est telle avec la croissance des années 1950-1973 que des économistes comme Nicolas Baverez parle de « Trente Piteuses » dans un ouvrage publié en 1998. 35 Cependant, ce pessimisme mérite d’être relativisé : - - D’une part, le rythme de la croissance économique demeure à un niveau relativement élevé au regard de l’histoire économique. Il s’agit d’une des phases de croissance les plus dynamiques. Ainsi en Europe de l’ouest , sur la période 1975-2006, le taux de croissance annuel moyen est de 2,20%, ce qui est bien plus élevé que n’importe quelle période de l’histoire économique en dehors de la période 1950-1975 (document n°1) ; D’autre part, on assiste à des périodes de croissance économique élevée. C’est le cas à partir des années 1990 où l’on constate que certaines économies des pays avancés renouent avec la croissance. Il s’agit des Etats-Unis, la Finlande, l’Irlande, la France, etc. Ce nouvel essor économique se réalise surtout entre 1996 et 2000 et dans une moindre mesure jusqu’en 2007. On qualifie souvent cette période de croissance économique de « nouvelle économie », voire troisième révolution industrielle en raison de la progression des ordinateurs, du développement de nouveaux moyens de communication (internet, téléphonie mobile) et de biotechnologies. Le taux de croissance des USA passe de 2% en 1990 à 4,7% en 1999 ; en France, il passe de 1,4% en 1996 à 3,4% en 1999. Les gains de productivité sont plus élevés au cours de cette période : l’OCDE mesure ainsi une progression de 2% par an en moyenne entre 1996 et 2006 de la PGF aux Etats-Unis. Il semblerait qu’à cette occasion de la paradoxe de Solow soit enfin surmonté. Comment toutefois peut-on expliquer ce ralentissement de la croissance économique à partir des années 1975 ? En fait, les moteurs de l’âge d’or de la croissance économique se sont éteints : - - - Tout d’abord, les gains de productivité sont plus faibles en Europe de l’ouest, aux Etats-Unis et au Japon. La PGF, qui mesure le rôle du progrès technique, contribuait à 5,1 points à la croissance du PIB entre 1950 et 1973 contre 0,6 point entre 1973 et 2003 ; aux Etats-Unis, les données sont respectivement de 1,8 points et 0,7 point. La croissance économique est donc moins intensive. La baisse des gains de productivité proviendrait d’un ralentissement du progrès technique, après une période très intense entre 1950 et 1973 : les innovations de procédés (fordisme…), de produits (biens d’équipement ménagers…) ne dynamisent plus l’offre et la demande. L’effet de rattrapage d’après-guerre s’est estompé. D’autre part, plusieurs chocs d’offre déstabilisent les niveaux de production au cours des années 1970. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 contraignent les entreprises à réduire leur marge et leur niveau d’investissement. Ainsi, au cours du premier choc, la FBCF recule 9,5% en 1974 au Japon, de 6,8% aux Etats-Unis. De plus, des politiques de rigueur menées pour juguler la hausse des prix pèsent encore davantage sur la croissance économique. La faible croissance qui résulte de ces chocs pétroliers, alliée à une période d’inflation (la stagflation) contribue à la montée du chômage au cours des années 1970 - 1980 dans la plupart des pays industrialisés. La demande adressée aux entreprises est alors d’autant plus faible. Les chocs d’offre des années 1970 se doublent de chocs de demande. Par ailleurs, dans un contexte inflationniste, les politiques économiques mises en œuvre depuis la fin des années 1970 visent principalement à lutter contre l’inflation dans les pays industrialisés. Le sommet du G5 (USA, GB, France, Allemagne, Japon) réuni à Tokyo en 1979 juge prioritaire l’éradication de l’inflation. Dans ces conditions, les politiques économiques privilégient moins la recherche de la croissance économique si l’on se réfère à la courbe de Phillips. 36 - Enfin, le recul de l’Etat-providence sous l’effet du renouveau libéral se traduit par une baisse des dépenses publiques (investissements publics, revenus de transfert…) dont le niveau très élevé au cours des années 1950-1973 avait soutenu la croissance économique. Document n°9. La productivité globale des facteurs de 1870 à 2003 La période économique qui suit les Trente glorieuses est marquée par l’essor des pays d’Asie orientale, dont le niveau de vie rejoint celui des pays industrialisés. C’est le cas, sous des modalités différentes de la Corée du Sud, de Taiwan, de Hong Kong, Singapour, la Thaïlande, la Malaisie ou l’Indonésie. Ainsi en 1997, le niveau de vie de la Corée du Sud était équivalent à celui de l’Espagne alors même qu’en 1950, le niveau de vie était trois fois supérieur. Plus particulièrement, la Corée du Sud et Taiwan connaissent une expansion économique spectaculaire. Ils passent du statut de pays pauvre à celui de pays riche en un demi-siècle grâce à la promotion de leurs exportations, des politiques actives de développement économique, des investissements massifs dans l’éducation (Corée du Sud). A partir des années 1980, c’est au tour de la Chine de se réveiller portée par la politique de modernisation menée par Deng Xiaoping à partir de 1978. Le modèle économique chinois repose sur une économie mixte avec, d’un côté, la planification économique et, de l’autre, une ouverture aux capitaux étrangers et la mise en œuvre d’une économie libérale. La Chine attire rapidement les entreprises étrangères intéressées par une main d’œuvre peu chère, mais aussi par les zones économiques spéciales qui se trouvent sur le littoral qui proposent des conditions préférentielles (droits de douane, libre rapatriement des investissements et des bénéfices, pas d’impôts pendant plusieurs années puis impôts très bas, statut d’extra-territorialité pour les cadres qui viennent travailler…). Le développement économique s’appuie également sur la recherche d’un transfert de technologies pour concurrence les pays industrialisés sur des productions à valeur ajoutée de plus en plus élevée. Enfin, les exportations chinoises sont un moteur de la croissance économique dès les années 1980 : le pays bénéficie de coût de production faible qui renforce sa compétitivité-prix. 37 IV. Les analyses économiques de la croissance A. La croissance, un phénomène équilibré ou déséquilibré ? Durant l’entre-deux-guerres, les crises économiques et financières se multiplient : crise de reconversion en France et en Grande-Bretagne, hyperinflation allemande en 1922-1923, fonctionnement houleux du système monétaire international de Gênes, krach boursier de Wall Street en 1929, etc. C’est dans ce contexte économique et financier instable que le keynésianisme s’élabore. D’une part, John Maynard Keynes renverse la logique économique défendue par les économistes classiques (en dehors de Marx et Malthus) et néoclassiques : l’équilibre sur les marchés ne se réalise pas spontanément sur les marchés par la flexibilité des prix. Au contraire, la rigidité des prix empêche cet équilibre et, dans ces conditions, des déséquilibres apparaissent entre l’offre et la demande sous la forme, notamment d’équilibre de sous-emploi. D’autre part, des économistes s’inscrivent dans la logique keynésienne et développent des modèles qui tendent à expliquer les déséquilibres macroéconomiques. C’est notamment le cas de Roy Harrod et Evsey Domar. Ils montrent que la croissance économique est déséquilibrée et que, dès lors, des crises de surproduction ou sousproduction sont possibles. 1. Modèle de Domar : la croissance déséquilibrée sur le marché des biens et services 38 Pour Domar, il n’y a aucune raison que cette condition d’équilibre soit vérifiée puisque les décisions d’investissement, d’épargne et le coefficient de capital sont déterminées de manière indépendante. La croissance est donc condamnée à être déséquilibrée. Deux types de déséquilibre sont possibles ici : - Si l’effet de capacité est inférieur à l’effet de revenu, il y a un risque d’inflation due à une insuffisante de l’offre globale ; Si l’effet de capacité est supérieur à l’effet de revenu, alors un risque de contraction de l’économie et de déflation est possible avec une hausse du chômage. Le deuxième cas est le plus probable pour Domar qui adhère à la fonction de consommation keynésienne et pense que l’épargne va croître plus vite que le revenu. La hausse de l’épargne réduit l’effet de revenu puisque . Cette situation appelle une intervention de l’Etat pour ramener l’économie à l’équilibre. Par exemple, l’Etat peut réduire la propension à épargner s en modifiant la répartition des revenus. L’Etat peut taxer les revenus les plus élevés qui ont une forte propension à épargner et subventionner les revenus les plus faibles qui ont une propension à consommer plus forte. Ainsi, ce modèle de Domar permet de conclure à la faible probabilité d’une croissance équilibrée à long terme en dehors d’une intervention publique. Il n’y a aucun mécanisme endogène susceptible de ramener l’économie à l’équilibre. Cette conclusion s’explique par le contexte des années 1930. Domar, comme Keynes, est resté marqué par la Grande Dépression avec son chômage de masse, des capacités de production excédentaires, le dumping, la déflation. Il appréhendait sans doute que le boom des dépenses occasionnées par la guerre entraine à nouveau une crise de surproduction où l’effet de capacité serait largement supérieure à l’effet de revenu. Or, ce n’est pas qu’il advint puisque de 1950 à 1973, la croissance économique a été très forte dans les pays à économie de marché. Peut-on pour autant en déduire que le modèle de Domar était erroné ? Non pas nécessairement, car cette période se caractérisa par un très fort niveau d’interventionnisme qui a permis de stimuler la demande comme le recommandait Domar. Ce modèle de Domar présente plusieurs intérêts : 39 - - Une première explication de l’instabilité de la croissance à long terme ; L’importance de l’intervention de l’Etat pour lutter contre les déséquilibres macroéconomiques ; Un premier modèle de croissance dynamique qui relie l’investissement, l’épargne, donc l’accumulation du capital à la croissance économique. Il aura des retombées importantes en économie du développement, où beaucoup de théories chercheront les conditions pour qu’une épargne permette de lancer l’accumulation du capital. Une règle simple pour calculer la croissance, qui fonctionne assez bien d’une année sur l’autre : propension à épargner / coefficient de capital (en retirant le taux de dépréciation du capital). Il se heurte également à plusieurs limites : - - Si l’on fait une critique interne du modèle, l’hypothèse d’un coefficient de capital fixe est discutable. En effet, cette hypothèse implique que les facteurs de production soient complémentaires. Or, s’il s’avère que c’est souvent le cas à court terme, à long terme, cette situation est rarement vérifiée car les entreprises ont le temps de modifier leur mode de d’organisation ; Si l’on raisonne en termes de critique externe, ce modèle ne tient pas compte de l’influence du progrès technique sur la croissance économique. De plus, tous les facteurs de croissance économique sont exogènes. 2. Le modèle de Harrod : la croissance déséquilibrée sur les marchés des biens et services et du travail Dans un article publié en 1939, « An essay in economic theory », Roy Harrod cherche à dégager, comme Domar, les conditions d’une croissance équilibrée à la fois sur le marché des biens et services et, en même temps, sur le marché du travail. L’équilibre sur le marché des biens et services : le taux de croissance garanti Pour identifier la condition d’équilibre sur le marché des biens et services, Harrod fait l’hypothèse que l’épargne S est proportionnelle au revenu Y ; soit : S = sY, avec s la propension à épargner comprise entre 0 et 1 (1) D’autre part, Harrod pose dans la logique du multiplicateur d’investissement que l’investissement I est proportionnel aux variations du revenu Y, donc que : Y, avec v > 0 (2) Pour qu’il y ait équilibre sur le marché des biens et services, c’est-à-dire que l’offre globale Y soit égale à la demande globale DG, il faut que l’épargne S soit égale à l’investissement I. En effet, la demande globale DG est égale à la consommation C plus l’investissement I, de telle sorte que DG = C + I. L’offre globale est mesurée par le revenu national Y. Y est égal aux revenus distribués, qui se partagent entre la consommation C et l’épargne S. Donc, Y = C + S. Dans ces conditions si DG = Y, alors C + I = C + S, d’où I = S Si à l’équilibre sur le marché des biens et services, I = S, alors on peut tirer des équations (1) et (2) que sY = v∆Y ou de façon équivalente : (3) 40 L’équilibre nécessite que le taux de croissance effectif du revenu national soit égal que Harrod appelle le « taux de croissance garanti ». Or, il n’y a aucune raison pour que cette égalité soit assurée dans la mesure où Y, s et v sont des variables indépendantes : Y, le revenu national dépend des choix individuels, s la propension à épargner du revenu des agents économiques et v, le coefficient de capital, est fixe. Si le taux de croissance garanti assure un équilibre sur le marché des biens et services, on parle de « sentier d’équilibre », c’est-à-dire que sur ce « sentier », à tout instant les décisions des épargnants (les ménages) sont compatibles avec celles des investisseurs (les entreprises). 41 L’équilibre sur le marché du travail : le taux de croissance naturel Dès lors, les déséquilibres sur le marché des biens et services risquent de s’accompagner de déséquilibres du marché du travail. En effet, si le taux de croissance naturel est inférieur au taux de croissance garanti, ou si le taux de croissance effectif est inférieur au taux de croissance garanti, alors l’économie entre dans une phase de récession voire dépression. Le taux de croissance effectif chute jusqu’à devenir inférieur au taux de croissance naturel, d’où résulte le chômage. Cette situation pourrait refléter les années 1930 ou 1970 avec toutefois une différence forte : dans les années 1970, la chute du taux de croissance effectif a été enrayée par le soutien qu’ont apporté les Etats à la demande. En revanche, si le taux de croissance effectif est supérieur au taux de croissance garanti, une phase d’expansion cumulative a lieu. Le taux de croissance effectif augmente jusqu’à rejoindre le taux de croissance naturel, qui dans une économie de plein emploi, est le taux de croissance maximal. La croissance forte s’accompagne d’un chômage faible, mais de tensions inflationnistes (tous les facteurs de production étant employés). Cette situation correspondrait historiquement plutôt à la période des Trente glorieuses. 42 3. Les modèles de Solow et Kaldor : la croissance tend vers un état stationnaire Le modèle de Kaldor : l’épargne, une variable d’ajustement Dans un article publié en 1956 « Alternative theories of distribution » in The Review of Economic Studies, Nicholas Kaldor défend l’idée que la croissance économique est stable dans la mesure où la propension à épargner s varie en fonction de la répartition des revenus. Soit sw, la propension à consommer salariés et sπ, la propension à épargner des capitalistes. Faisons l’hypothèse que les capitalistes soient plus riches que les salariés. Dans ces conditions, s π > sw Si W représente la masse salariale et π, la masse des profits. Alors l’épargne totale du pays, S, est égale à : 43 S = sw W + sπ π S = sw (Y – π) + sπ π S = sw Y + (sπ - sw) π En divisant l’équation par Y, on obtient une expression de la propension moyenne à consommer : S/Y = sw + (sπ - sw) π / Y Cette équation fait apparaître que le taux d’épargne, S/Y, d’une pays est une fonction croissante de la part des profits dans le produit national, π / Y. Le taux d’épargne varie donc selon la répartition du revenu entre salaires et profits. Il augmente si la part des profits augmente au détriment de la part de la masse salariale W/Y et diminue si la masse salariale augmente au détriment de la part des profits. 44 4. Le modèle de Solow : l’intensité capitalistique, une variable d’ajustement Robert Solow reproche aux modèles de Harrod et Domar d’aboutir à des dynamiques de croissance trop extrêmes puisque la croissance effective tend à s’écarter de plus en plus d’un sentier régulier de croissance dès qu’une économique quitte ce sentier. Pour Solow, même si elle traversée régulièrement par d’importantes fluctuations, l’histoire économique prend le plus souvent un rythme continu, comme si des mécanismes économiques empêchaient la croissance de trop s’écarter d’un sentier régulier. Cf Diaporama B. Les sources de la croissance 1. Croissance intensive/extensive Initiée par Solow en 1957 dans un article « Technical change and the aggregate production function », in The Review of Economics and Statistics, les travaux économétriques sur une fonction de production de type Cobb-Douglas mettent en évidence les facteurs de la croissance économique. Avec Y, le produit national, K, le capital, L, le travail, A, un progrès technique autonome. Les coefficients α et β correspondent à la répartition des revenus entre le travail et le capital. On considère que α + β = 1, ce qui signifie que les rendements d’échelle sont constants : en multipliant par 2, les quantités de travail et de capital, la fonction de production est multipliée également par 2. Pour l’étude de la croissance économique dans le temps, il faut dériver la fonction (la dérivée permet de mesurer l’évolution d’une variable). En passant en log et en dérivant, on obtient : Cette fonction permet alors de mesurer la contribution de : - l’évolution de la quantité de capital à la croissance économique : - l’évolution de la quantité de travail à la croissance économique : l’évolution du « résidu », c’est-à-dire le progrès technique à la croissance économique : Les deux premiers sont à l’origine de ce qu’on appelle une « croissance extensive ». La croissance extensive est la part de la croissance économique qui découle de l'augmentation de la quantité de facteurs de production au sein de l’économie : travail, capital. Le dernier facteur est une source de « croissance intensive » : il s’agit de la part de la croissance due à une meilleure efficacité de production (hausse de la productivité). 45 Exercice : Croissance annuelle moyenne en volume, 1985-2008 en% Allemagne Etats-Unis Japon France Canada Main-d'œuvre Capital en TIC (1)Capital hors TIC -0,17 0,29 0,31 0,94 0,54 0,32 -0,35 0,40 0,45 0,04 0,24 0,31 1,18 0,44 0,66 PGF(2) 1,07 1,09 1,60 1,16 0,37 Croissance du PIB 1,50 2,89 2,10 1,75 2,65 Source : OCDE (1) TIC : Technologies de l’information et de la communication. (2) PGF : Productivité globale des facteurs de production. Q1. Calculer la part du « résidu » dans l’explication de la croissance économique pour chaque pays. Q2. Dites pour chaque pays si la croissance est plutôt de nature intensive ou extensive. 2. D’où vient le « résidu » ? a. Les théories de la croissance exogène 46 b. La théorie de la croissance endogène Le rôle de l’accumulation des connaissances dans la croissance économique a été défendu dans le premier modèle de croissance endogène présenté par Paul Romer « Increasing Returns and Long Run Growth » in Journal of Political Economy (1986). Il suppose que l’accumulation de capital physique et de connaissances sont assimilables l’un à l’autre. Dès lors, l’accumulation d’équipements productifs favorise l’émergence de nouvelles connaissances techniques, d’où résulte une hausse de la productivité marginale du capital et de la croissance économique. Cette croissance permet de financer de nouveaux investissements en capital physique qui sont rentables pour les entreprises puisque la productivité marginale du capital augmente. Romer ajoute que l’accumulation de capital physique est une source d’externalités positives : les connaissances accumulées ne profitent pas qu’aux entreprises qui en sont à l’origine, mais à l’ensemble des entreprises par des phénomènes d’apprentissage. Mais en raison de cet effet externe positif, les firmes sousinvestissent dans le capital physique. Le taux de croissance n’est pas optimal. Romer soutient alors que l’intervention publique est nécessaire pour que le taux de croissance économique soit optimal. Il doit fournir une subvention à l’investissement pour faire en sorte que les firmes investissent plus et que l’accumulation du capital soit plus importante. 47 Robert Lucas dans un article publié en 1988, « On the Mechanics of Economic Development », in Journal of Monetary Economics, a proposé un modèle de croissance endogène qui repose sur l’accumulation de capital humain. Pour lui, les individus doivent arbitrer entre travailler pour produire ou consacrer leur temps à accumuler du capital humain afin d’être plus productif. Certes, ils ont un coût d’opportunité en se formant, mais les connaissances acquises sont des biens privés (c’est-à-dire qu’elles sont rivales et exclusives), ils peuvent en restreindre l’accès et donc les vendre, d’où une hausse de leur rémunération. Les connaissances accumulées individuellement ne sont donc pas une source d’externalités positives. Lucas considère par ailleurs que les rendements d’échelles sont donc constants (son modèle repose sur une fonction Cobb-Douglas). Comment le progrès technique est-il endogénéiser alors ? Lucas fait alors l’hypothèse que c’est de la rencontre entre plusieurs individus que naissent des connaissances collectives, fruit des échanges d’idées, qui sont à l’origine d’externalités positives. Dans ce modèle, c’est le capital humain moyen et non total qui est invoqué, autrement dit, c’est la qualité des échanges plus que leur nombre qui importe dans l’explication de la croissance économique. En 1990, Paul Romer publie un article « Endogenous technical change » in Journal of Political Economy dans lequel il pointe le rôle des connaissances technologiques dans l’endogénéisation du progrès technique. Il considère que le secteur de la R&D produit des connaissances techniques et scientifiques qui sont des biens non rivaux et presque non exclusifs, générateur d’externalités positives (secteur de R&D diffère du secteur de production des biens et services, qui lui revend les connaissances techniques et scientifiques sous forme de brevets). L’activité de Recherche-Développement est donc caractérisée par des rendements qui augmentent au fur et à mesure que les dépenses en R-D augmentent. Les externalités positives et la diffusion de la connaissance compensent dans ces conditions au niveau global la décroissance des rendements factoriels au niveau de chaque firme. En 1990, Robert Barro publie « Government Spending in A Simple Model of Endogeneous Growth », dans lequel il présente un modèle où les dépenses publiques d’investissement, qui sont des biens publics (non rivaux et non exclusif), contribuent à la croissance de la production, et par conséquent à mettre en évidence un lien explicite entre la politique gouvernementale et la croissance économique de long terme dans un cadre de croissance endogène. Prenons l’exemple du financement d’une route. Elle permet aux chauffeurs d’éviter les détours par les routes secondaires et d’amener plus vite les produits au marché. Ces gains de temps permettent aux producteurs de payer moins cher le chauffeur et une usure moindre du camion. L’investissement public permet aux entreprises privées de payer moins cher. Les théories de la croissance endogène mettent en avant le rôle de l’Etat dans la production d’externalités positives et la croissance économique. En effet, sans cette intervention, le taux de croissance économique ne peut être optimal car sur le marché, il y a une sous-production des activités à externalités positives. En effet, les connaissances produites ne profitent pas qu’aux entreprises qui en sont à l’origine, mais à l’ensemble des entreprises par des phénomènes d’apprentissage. Dans ces conditions, des comportements de passager clandestin ont lieu, c’est-à-dire que des agents souhaitent bénéficier de ces connaissances sans avoir à en subir les coûts. Le stock de capital à l’origine des externalités positives est sous-optimal et le taux de croissance économique également. L’Etat peut alors intervenir directement en finançant des infrastructures publiques (Modèle de Barro) ou la recherche et développement (Modèle de Romer) ou alors inciter les agents 48 économiques privés à produire accumuler ces capitaux sous le forme de capital physique (Modèle de Romer) ou de capital humain (Modèle de Lucas). Ces modèles ont fait l’objet de plusieurs tests empiriques. C’est le cas du modèle de Barro. Aschauer a ainsi estimé la contribution des infrastructures publiques à la croissance économique dans un article de 1989 (« Is public expenditure productive », in Journal of Monetary Economics) Il obtient une élasticité estimée de la production aux Etats-Unis par rapport aux dépenses publiques non militaires d’environ 0,36, supérieure aux à la contribution du capital privé estimée à 0,27. Ainsi, une augmentation de 1% du capital public entraine une hausse de 0,36% du PIB, dans le premier cas, et 0,27% dans le second. Les théories de la croissance endogène présentent plusieurs intérêts : 49 En revanche, cet ensemble théorique pose plusieurs questions : - Il prédit une croissance auto-entretenue, voire même explosive, ce qui n’apparaît pas empiriquement (récession, dépression) ; - Il ne prend pas en compte les fluctuations économiques comme la croissance est supposée auto-entretenue. Ces modèles s’inscrivent dans la droite ligne du modèle de Solow et considère qu’il n’y a pas de déséquilibre possible ; - Il est insuffisant pour expliquer la totalité du résidu. Il laisse de côté les déterminants institutionnels car ils sont difficiles à intégrer dans un modèle mathématique de croissance. Document n°10. Schéma de la croissance endogène c. Les approches institutionnalistes Parmi ces approches, on peut tout d’abord citer l’importance des facteurs politiques, sociaux tels qu’ils sont établis dans les analyses de Rostow ou Gerschenkron (cf supra) Il y a également le courant de la cliométrie ou de la nouvelle histoire économique. Littéralement, la cliométrie signifie « mesure de l’histoire ». Lancée aux Etats-Unis dans les années 1960, son objectif est d’introduire au sein de la recherche historique les concepts néoclassiques (ex : le concept de maximisation sous contrainte) ainsi que les méthodes utilisées en science économique. Fondateur de cette branche, dans « Railroads and American economic growth : essays in economic history » (1964), Robert William Fogel a remis en cause la thèse selon laquelle les chemins de fer avaient été un moteur fondamental de la croissance américaine. Pour mesurer cette influence, il a recours à une méthode contre-factuelle : elle consiste à mesurer l’influence d’un facteur (en l’occurrence le chemin de fer) en faisant la différence entre l’évolution observée de la variable et celle, hypothétique, à laquelle on aurait assisté si le facteur n’avait jamais existé. Ainsi, sans le chemin de fer, la croissance américaine aurait-elle 50 été aussi forte ? Fogel montre ainsi que la part de la croissance américaine imputable aux chemins de fer est négligeable (moins de 3%). Pour Fogel, ce sont surtout les institutions qui ont joué un rôle central. Par institutions, il entend des variables qui ne relèvent pas nécessairement de la sphère économique mais qui ont une influence sur le niveau d’activité économique ; en particulier l’instauration d’un système de droits de propriété, qui incite à innover et le développement d’un esprit pionnier. Dans la même perspective, Douglas North dans « Sources of Productivity Change in Ocean Shipping, 1600-1850 »in Journal of Political Economy (1968) estime que les institutions ont joué un rôle plus important que les inventions techniques dans le développement du commerce transocéanique entre 1600 et 1850. L’innovation, l’investissement en capital physique et en capital humain ne sont que les manifestations de la croissance : les causes doivent être recherchées dans les institutions telles que les droits de propriété. 51