III. La croissance économique au XXème siècle

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Chapitre 11 : Une histoire de la croissance
économique
Plan :
I. Les faits stylisés sur 2000 ans .................................................................................................................................. 3
II. La croissance économique au XIXème siècle : La révolution industrielle ............................................ 6
A. A la base : la révolution industrielle et ses conséquences ..................................................................... 6
1) Les facteurs d’offre ........................................................................................................................................... 6
2) La transition démographique : un préalable à la révolution industrielle ? ............................ 11
3) le libre-échange : un facteur de croissance ? ....................................................................................... 13
4) La révolution agricole : un préalable à la révolution industrielle ?............................................ 15
B. La révolution industrielle : un processus uniforme ? ............................................................................ 17
1.Walt Rostow et les étapes de la croissance économique : un chemin linéaire ........................ 17
2. Alexander Gerschenkron : des modèles d’industrialisation différents ..................................... 18
3. Dans les pays à industrialisation précoce (Grande-Bretagne, France) : une croissance
lente............................................................................................................................................................................ 19
4. Dans les pays à industrialisation plus tardive : une croissance rapide due à un rôle
important de l’Etat dans le processus de rattrapage ............................................................................. 22
III. La croissance économique au XXème siècle .................................................................................................. 25
A. La croissance de la Belle Époque : les bases d’un capitalisme nouveau ........................................ 26
B. la première Guerre Mondiale : une rupture dans la phase de croissance économique et
l’instauration d’un nouvel ordre économique ............................................................................................... 26
C. Les années folles (années 1920) : une croissance fragile..................................................................... 27
D. Équilibres et déséquilibres de la croissance des « Trente Glorieuses »......................................... 28
E. Des niveaux de croissance différents selon les territoires .................................................................. 33
F. La croissance depuis les années 1970 dans les PDEM .......................................................................... 35
IV. Les analyses économiques de la croissance ................................................................................................. 38
A. La croissance, un phénomène équilibré ou déséquilibré ? .................................................................. 38
1. Modèle de Domar : la croissance déséquilibrée sur le marché des biens et services.......... 38
2. Le modèle de Harrod : la croissance déséquilibrée sur les marchés des biens et services
et du travail ............................................................................................................................................................. 40
3. Les modèles de Solow et Kaldor : la croissance tend vers un état stationnaire .................... 43
B. Les sources de la croissance............................................................................................................................. 45
1
1. Croissance intensive/extensive ................................................................................................................. 45
2. D’où vient le « résidu » ? ............................................................................................................................... 46
Bibliographie :
Ariès Philippe, « L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime » (1960)
Aschauer David, « Is public expenditure productive », in Journal of Monetary Economics (1989)
Asselain Jean-Claude, « Histoire économique de la France » (1989)
Baverez Nicolas, « Les Trente Piteuses » (1998)
Bairoch Paul, « Révolution industrielle et sous-développement » (1963)
Barro Robert, « Government Spending in A Simple Model of Endogeneous Growth » (1990)
Blanqui Adolphe, « Histoire de l’économie politique en Europe depuis les Anciens jusqu’à nos jours »
(1837)
Domar Evsey, « Expansion and employment », in American Economic Review (1947)
Fogel Robert William, « Railroads and American economic growth : essays in economic history »
(1964)
Fourastié Jean, « Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975 » (1979)
Gerschenkron Alexander, « Economic Backwardness in Historical Perspective » (1962)
Kaldor Nicholas, « Alternative theories of distribution » in The Review of Economic Studies (1956)
Lucas Robert, « On the Mechanics of Economic Development », in Journal of Monetary Economics
(1988)
Maddison Angus, « L'Économie mondiale : une perspective millénaire » (2001)
North Douglas, « Sources of Productivity Change in Ocean Shipping, 1600-1850 »in Journal of
Political Economy (1968)
Romer Paul « Increasing Returns and Long Run Growth » in Journal of Political Economy (1986).
Romer Paul, « Endogenous technical change » in Journal of Political Economy (1990)
Rostow Walt Whitman, Les étapes de la croissance (1960)
Roy Harrod, « An essay in economic theory » (1939)
Solow Robert, « A Contribution to the Theory of Economic Growth », Quarterly Journal of
Economics, 1956
Solow Robert, « Technical change and the aggregate production function », in The Review of
Economics and Statistics (1957)
Verley Patrick « La Révolution industrielle » (1985)
Mots-clés : révolution industrielle, charbon, machine à vapeur, mule jenny, puddlage, laminage, acier,
chemins de fer, navires, entreprise capitaliste, concentration, croissance démographique, transition
démographique, le libre-échange, révolution agricole, assolement triennal, enclosures, les étapes de la
croissance économique, les pays à industrialisation précoce/tardive, protoindustrialisation, Belle
Epoque, nouvel ordre économique, les années folles, Trente Glorieuses, MITI, Keireitsu/Zaibatsu,
Modèle de Domar, Modèle de Harrod, Modèle Harrod-Domar, Modèle de Solow, Modèle de Kaldor,
croissance équilibrée/déséquilibrée, taux de croissance effectif, taux de croissance garanti, taux de
croissance naturel, croissance intensive/extensive, le résidu, croissance endogène/exogène, externalités,
capital physique, capital humain, capital technologique, capital public, cliométrie, institutionnalisme,
méthode contre-factuelle.
2
I. Les faits stylisés sur 2000 ans
Document n°1. PIB par habitant moyen mondial (en dollars de 1990)
Document n°2. TCAM du POB par habitant en volume
3
Document n°3. Les inégalités du PIB par habitant depuis 2000 ans.
4
Document n°4 : Evolution de la part du PIB mondial détenue par la Chine et les autres
puissances mondiales
5
II. La croissance économique au XIXème siècle : La
révolution industrielle
A. A la base : la révolution industrielle et ses conséquences
Le concept de révolution industrielle est attribué à l’économiste libéral français Adolphe
Blanqui (1798-1854) dans « Histoire de l’économie politique en Europe depuis les Anciens
jusqu’à nos jours » (1837). Il qualifiait ainsi la nature de la révolution qui s’opérait en
Angleterre à la fin du XVIIIème siècle grâce à la multiplication des inventions dans
l’industrie (La machine à vapeur de James Watt…) : « tandis que la Révolution française
faisait ses grandes expériences sociales sur un volcan, l’Angleterre commençait les siennes
sur le terrain de l’industrie. La fin du XVIIIème siècle y était signalée par les découvertes
admirables, destinées à changer la face du monde et à accroître de manière inespérée la
puissance de leurs inventeurs (…) la révolution industrielle se mit en possession de
l’Angleterre ».
1) Les facteurs d’offre
a) Une série d’innovation
Un changement de système énergétique : le passage au charbon
6
L’invention de la machine à vapeur : une innovation au cœur de la révolution industrielle
A l’origine de la mécanisation se trouve la machine à vapeur. On retient souvent la machine à vapeur à
condenseur séparé de James Watt en 1769 (année de dépôt du brevet), mais, en fait, elle est le résultat d’une
succession d’innovations. En 1687, Denis Papin (1647-1714) met au point une machine comportant un piston
et destinée à alimenter les bassins du château de Kassel, en Allemagne. Il met également au point un petit
bateau à vapeur, actionné par des roues à aubes en 1707. Ces machines ne fonctionnent cependant qu’à l’état
de maquettes. Il faut attendre la mise au point de la pompe de l’Anglais Thomas Newcomen pour passer du
prototype à l’application pratique. Cette pompe fait remonter 500 litres d’eau à la minute à 45 mètres de
profondeur grâce à la vapeur : la vapeur fait remonter un piston abaissant le balancier vers la nappe d’eau.
Après injection d’eau froide, la vapeur se condense, aboutissant à la chute du piston qui relève le balancier,
actionnant la pompe. Cette pompe, qui connaît un véritable succès en Europe, présente toutefois des limites :
des pertes thermiques, une puissance faible. L’ingénieur écossais James Watt met au point une machine entre
1764 et 1776 qui corrige ces défauts grâce au condenseur. La séparation du cylindre et du condenseur a
éliminé la perte de chaleur qui se produisait lorsque la vapeur d'eau se condensait dans le cylindre de travail
d'un moteur Newcomen. Cela a amélioré l'efficacité thermique de la machine de Watt, ce qui a réduit la
quantité de charbon qu'il consomme pour produire la même quantité de travail qu'une machine de Newcomen.
Les améliorations ultérieures de la machine à vapeur à condenseur séparé permettent de l’appliquer à de
nombreuses industries comme la métallurgie en 1776, la filature en 1785 ou le tissage en 1789. Le brevet de
Watt déposé en 1769 tombe dans le domaine public en 1800. Néanmoins, la généralisation de ces machines est
lente car en plus des difficultés d’approvisionnement de combustibles, la vapeur demeure une énergie difficile
à maîtriser (risque d’explosion).
7
Des innovations dans les techniques de production
La révolution industrielle est essentiellement une révolution technique. L’innovation s’avère
décisive dans la mesure où elle induit des gains de productivité élevés dans plusieurs
branches.
Les innovations techniques participent à la croissance de l’industrie textile. Au début du
XVIIIème siècle, avec le développement des plantations coloniales et les arrivages en
provenance du Nouveau Monde, le coton prend le relai des fibres traditionnelles comme la
laine ou le lin et qui relance l’industrie textile. Les importations de coton sont multipliées par
100 entre 1700 et 1800 en Grande-Bretagne. C’est dans ce contexte que des innovations
techniques améliorent la productivité et participent à la croissance de cette industrie. Il y a
tout d’abord l’invention de la navette volante de John Kay en 1733 : il s’agit d’un métier à
tisser semi-automatique qui permet à un tisserand de faire le travail de deux grâce à un renvoi
automatique de la navette. Elle n’est pourtant pas utilisée avant les années 1760 en raison des
pénuries de fil. La première machine à filer efficace est mise au point par James Hargreaves
en 1764. C’est la spinning jenny qui multiplie la productivité par 8, puis par 16. Le problème
est que le fil obtenu est trop fragile et les étoffes doivent être mélangées de coton et de lin. En
1769, Richard Arkwright invente la waterframe, une machine à filer hydraulique, qui produit
un fil solide. En 1785, la machine à vapeur lui sera appliquée. En 1779, la mule jenny de
Samuel Crompton constitue un progrès décisif : il s’agit d’une machine intermédiaire qui peut
produire un fil fin comme la jenny et assez résistant comme celui de la waterframe. La mule
jenny domine le marché des métiers à tisser au début du XIXème siècle. Les gains de
productivité dans l’industrie du textile sont substantiels : de 50 000 heures pour filer 100
livres de coton en Inde, par exemple, on passe à 2000 heures en Angleterre avec les nouvelles
machines puis 300 heures à la fin du XVIIIème siècle et 135 heures vers 1825.
Les innovations techniques participent également au développement de l’industrie
sidérurgique. La première innovation concerne la fonte qui est obtenue à partir de 1709 par
Abraham Darby à partir du charbon de terre (en fait du coke, résidu de la distillation de la
houille). La méthode traditionnelle consistait à utiliser du charbon de bois puisqu’il produisait
des fers de bonne qualité à la différence de la houille, souvent grasse et contenant du souffre,
qui donnait des fers cassants et irréguliers. Grâce à l’invention de Darby, les fers produits
grâce à la coke deviennent d’égale qualité à ceux produits avec du charbon de bois. La
technique de fonte au coke se diffuse largement en Angleterre surtout à partir des années 1750
car elle réduit les coûts de production : le prix du charbon de terre devient inférieur au
charbon de bois et la production de fonte réclame moins de main d’œuvre. La deuxième
innovation majeure est celle d’Henry Cort en 1784 qui permet de produire le fer sur une
grande échelle à bas prix. Il s’agit des procédés de puddlage et laminage, qui consistent à
brasser la fonte en fusion dans des fours à réverbères chauffés au coke pour ramener les
impuretés à la surface et éliminer le carbone. Puis le métal en fusion est laminé entre des
cylindres pour donner du fer en barres. Cette invention est déterminante car elle était jusqu’à
présent insuffisante pour le développement des diverses industries. Elle permet une hausse
massive de la production tout en réduisant les prix.
L’ère de l’acier bon marché débute dans la seconde moitié du XIXème siècle. On
remplace alors progressivement nombre de matériaux par le fer ou la fonte, à commencer par
les rails dont la durée de vie passe de 2 à 10 ans et la charge maximum de 8 à 70 tonnes, mais
aussi les charpentes, les coques de bateaux, les outils et les machines. Il en résulte une
explosion de la demande et une relance des investissements dans toutes l’Europe : la
production d’acier passe de 0,5 Mt en 1865 à 50 Mt au début du XXème siècle. Parmi les
8
innovations, on trouve le procédé du convertisseur d’Henri Bessemer en 1856. L’air insufflé
crée une température extrêmement élevée permettant d’obtenir l’acier, c’est-à-dire l’alliage
fer-carbone selon la proportion recherchée. Le procédé Bessemer permet de diviser par 10 le
coût de production d’une tonne d’acier. Une autre technique est inventée par Siemens-Martin
en 1864 : elle est bien plus lente que le procédé de Bessemer, mais elle est plus économique
car elle peut utiliser du fer de récupération et des charbons de médiocre qualité. Le procédé
Gilchrist-Thomas est le premier à pouvoir absorber des minerais phosphoreux dont les rebuts
furent ensuite employés comme engrais. Les gisements de fer phosphoreux en Lorraine, au
Luxembourg et en Allemagne purent être exploités. Les trois principaux procédés coexistent
en Europe en fonction des caractéristiques des minerais et des usages de l’acier. Ils entrainent
une baisse des coûts de 80 à 90% entre les années 1860 et 1890.
Des innovations dans les techniques de transport
La machine à vapeur a également adaptée aux navires. Les premiers essais ont lieu en 1807
lorsque Robert Fuleon fait naviguer le Clermont, équipé de roues à aubes, sur l’Hudson entre
New York et Albany. Cette technique bien adaptée aux cours d’eau s’avère cependant limitée
en haute mer en raison des faibles performances et de la fragilité du dispositif. Dès lors, les
premiers steamers (navire à vapeur) qui effectuent des sorties régulières en haute mer
associent toujours la voile et la vapeur, celle-ci étant utilisée comme source d’appoint. En
1832, l’invention de l’hélice par Frédéric Sauvage rend la machine à vapeur utilisable en
navigation hauturière. D’autre part, l’allongement des navires, l’emploi du fer puis de l’acier
dans la carène, améliorent leurs capacités hydrodynamiques et doublent les cargaisons
emportées en abaissant considérablement le coût du fret. Au début du XIXème siècle, un
parcours New-York – Londres demandait plus d’un mois en fonction des vents. En 1830, il
faut 14 jours et en 1860, 9 jours. Il faut néanmoins attendre les années 1870 avant que le
steamer ne s’impose davantage. Il nécessite en effet un personnel aux qualifications
spécifiques et est étroitement dépendant des possibilités d’approvisionnement en charbon
dans les ports. Les navires à voile, issus d’une longue tradition, sont donc plus répandus
jusqu’à cette époque.
9
b) Le triomphe de l’entreprise capitaliste
La mise en œuvre des innovations et du progrès technique nécessite l’apparition
d’entreprises capables de rassembler des capitaux, des travailleurs et des moyens
commerciaux d’une ampleur sans précédent. Pour avoir un ordre d’idées, au Creusot, le
métallurgiste Schneider fait croître le nombre d’ouvriers de 230 en 1812 à 1850 en 1839, puis
14000 en 1875. Cet exemple est symptomatique de l’expansion des grandes entreprises
industrielles au XIXème siècle.
Tout d’abord, cette expansion se traduit par un mouvement de concentration des entreprises.
Cette concentration est à la fois technique, financière et géographique :
-
-
-
La concentration technique se traduit par le passage de la protoindustrie (domestic
system), l’artisanat urbain à la grande usine (factory system) (cf. Chapitre 8). On
regroupe alors en même lieu un nombre important d’ouvriers, de machines dans le but
de réaliser des économies d’échelle grâce à une meilleure division du travail et un
agrandissement des unités de production ;
La concentration financière est de plus en plus poussée. La concentration prend des
formes différentes selon les pays. En Allemagne, les Konzern correspondent à une
concentration verticale. Par exemple, l’entreprise Krupp gère l’ensemble du processus
de production de la forge à Essen (1811), aux charbonnages et mines de fer en
amont,et aux armes (dont la « grosse Bertha », Bertha Krupp) et chantiers navals. Aux
Etats-Unis, on trouve des mouvements de concentration horizontale avec les trusts.
Les « trusts » américains contrôlent à la fin du XIXème siècle 60% de la production de
papier du pays, 81% de la chimie, 85% du pétrole. Au Japon, la concentration est
plutôt conglomérale. On peut citer l’exemple de Mitsubishi. Fondée en 1869, il s’agit
au départ d’une entreprise de transport maritime qui exploite des bateaux à vapeur. En
1873, la compagnie commence à investir dans l’exploitation minière, puis poursuit à la
fin du XIXème sa stratégie de diversification dans les activités bancaires, d’assurance.
Proche de la concentration financière, les cartels se développent dans la seconde
moitié du XIXème siècle (surtout dans les années 1870 et 1880 qui correspondent à
une phase de récession) en France, en Russie et surtout en Allemagne. Des entreprises
indépendantes s’entendent alors sur les prix et/ou leurs parts de marché respectives ;
La concentration spatiale s’intensifie dans les grandes régions industrielles. Cette
concentration spatiale s’explique par la fourniture de matières premières. Pour
abaisser les coûts de transport, les industriels s’implantent par exemple dans les
bassins miniers. C’est le cas du Black Country (le Pays Noir à cause de la pollution)
en Angleterre vers Birmingham où sont associés les mines de charbon du sud du
Staffordshire, l'exploitation du coke, les fonderies de fer et les aciéries. La
concentration spatiale provient également de la recherche d’une main d’œuvre
qualifiée et à bas coût. Le travail de la laine domine encore dans les grandes régions
textiles de l’époque préindustrielle comme le Yorkshire, la Hollande, les Flandres ou
la Champagne.
D’autre part, la constitution de grandes entreprises nécessite un changement de statut
juridique pour drainer davantage de capitaux. Le statut de société anonyme se répand
progressivement dans la seconde moitié du XIXème siècle au détriment des sociétés de
personnes (sociétés en noms collectifs, société en commandite simple, société en commandite
par actions). La société anonyme est plus adapté à l’entreprise capitaliste : Ce statut est plus
favorable à un tissu industriel où les grandes entreprises se développent car la responsabilité
limitée des associés leur permet de prendre moins de risque, de s’engager plus facilement que
10
dans une société de personnes. Les associés peuvent d’autant plus facilement le faire que leur
nom n’apparaît pas dans la dénomination de l’entreprise. Ce statut juridique permet de faire
appel plus facilement, et en plus grande quantité, aux capitaux extérieurs (via les actions) et
ainsi de faire croître l’entreprise. Il correspond donc davantage aux grandes entreprises. La
société anonyme n’est autorisée qu’après 1850 dans les principaux Etats européens : la loi
anglaise sur les Private Comany Limited en 1856 ; la société anonyme n’est légalisée en
France que sous le Second Empire, par les lois de 1863 et 1867.
2) La transition démographique : un préalable à la révolution industrielle ?
L’industrialisation a répondu à la forte poussée de la demande européenne au XIXème
siècle qui ne pouvait plus se satisfaire des structures de production ancienne. Cette
progression de la demande découle d’une période de transition démographique qui
s’amorce au début du XIXème siècle en Europe. La transition démographique est une période
transitoire entre un ancien régime démographique (taux de natalité et taux de mortalité élevés)
et un nouveau régime démographique (taux de natalité et taux de mortalité faibles). Elle se
caractérise alors par deux phases : une première phase où le taux de mortalité baisse
drastiquement alors que le taux de natalité se maintient (accroissement naturel très élevé) ;
une seconde phase où le taux de natalité baisse conjointement au taux de mortalité
(l’accroissement naturel reste élevé mais diminue). La population européenne passe ainsi de
187 millions de personnes en 1800 à 420 millions en 1900.
11
Document n°5. Evolution de la population entre 1750 et 1900
France
GrandeBretagne
Allemagne
Italie
Russie d'Europe
Europe
1750
23
1800
27,3
1850
35,7
1900
38,9
7,4
17
13,6
14,5
140
15
23
18,1
36
187
22,9
35,9
24
57
266
38
56,3
32,4
103
420
La baisse du taux de mortalité, dont résulte la transition démographique, peut s’expliquer de
plusieurs manières :
-
-
La forte augmentation de la production et de la productivité agricole aurait permis de
disposer d’une nourriture plus abondante et meilleure marché ;
Les progrès de la médecine qui devient plus scientifique et efficace. Des campagnes de
sensibilisation permettent d’améliorer les conditions d’hygiène. L’utilisation de la
quinine contre les fièvres, les débuts de la vaccination contre la variole (qui tue de
nombreux nouveau-nés), mis au point par Jenner, les pratiques d’asepsie…permettent
de réduire la mortalité.
Des changements de mentalités. Philippe Ariès 1 montre par exemple que « le
sentiment de l’enfance », qui s’amorce à la fin du XVIIème siècle, se généralise à
partir des années 1760. Il en résulte alors au XIXème siècle un investissement affectif
des parents croissant qui participe à une baisse du taux de mortalité infantile. Autre
exemple : jusqu’au XVIIIème siècle, la mort est vécue comme l’expression de la
volonté divine, mais les progrès scientifiques, les hommes ont refusé ce fatalisme pour
limiter sa progression (mis en quarantaine, progrès dans l’acheminement de la
nourriture…).
Croissance démographique et croissance industrielle n’entretiennent pas des rapports
simples. Par exemple, au cours de la première moitié du XIXème siècle, la Russie connait une
forte croissance démographique sans pour autant bénéficier d’une forte industrialisation. A
l’inverse, la France (Bassin parisien, Alsace), l’Angleterre (Black country) connaissent en
même temps une forte croissance démographique et une phase d’industrialisation poussée. Au
milieu du XIXème siècle, les villes regroupent le quart de la population française, la moitié de
la population anglaise et seulement 10% de la population russe.
1
Philippe Ariès, « L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime » (1960)
12
Cependant, des auteurs, comme Patrick Verley (« La Révolution industrielle », 1985) nuance
l’effet de demande qu’aurait assuré la croissance démographique. Il remarque que les
bouleversements démographiques n'interviennent qu'après le début de la révolution
industrielle : même dans le cas britannique, les changements démographiques ne surviennent
que pendant la première phase de l'industrialisation, ou après son démarrage. Il serait donc
logique de les considérer comme conséquence de cette dernière plutôt que comme cause. À
long terme, l'industrialisation a concouru à un profond recul de la mortalité et à un meilleur
contrôle de la natalité. On peut même penser que la faiblesse de la population au XVIIIème
siècle a pu inciter à l'innovation et aux investissements, en permettant l'élévation du revenu
par tête.
3) le libre-échange : un facteur de croissance ?
Le libre-échange s’affirme dans les pays européens entre les années 1840 et 18601870. Au début du siècle du XIXème siècle, le protectionnisme domine. C’est en GrandeBretagne que le libre-échange est impulsé. Au début du siècle, David Ricardo développe sa
théorie des avantages comparatifs, justifiant le libre-échange généralisé. Il s’oppose
notamment aux Corn Laws qui interdisent les importations de céréales du fait des droits de
douanes dissuasifs. Néanmoins, R. Peel, alors Premier Ministre, entre 1841 et 1846, mène des
politiques d’ouverture au libre-échange : en 1842, il réduit les droits de douanes sur les biens
d’équipement et lève l’interdiction d’exportation qui les frappait depuis le XVIIIème siècle ;
en 1846, il fait abroger les Corn Laws. En 1849, l’acte de navigation protégeant les armateurs
britanniques depuis le XVIIème siècle est abrogé. L’ouverture commerciale britannique se
traduit par une augmentation des exportations. Le succès britannique attire de nombreux pays.
En France, dès le début des années 1850, la France met en œuvre une réduction du niveau
13
moyen des droits de douanes. Elle adopte également le traité commercial de libre-échange
franco-britannique (Traité Cobden-Chevallier). Il s’en suit une baisse substantielle du taux
moyen de prélèvement douanier qui passe de 11,8% en 1859 à 5,3% en 1961. La libéralisation
du commerce français se poursuit par d’autres traités commerciaux avec la Belgique et la
Turquie en 1861, le Zollverein en 1862, etc. Les effets de cette libéralisation sur la croissance
économique française sont discutés par les historiens. Par exemple, pour Paul Bairoch, cette
expérience de libéralisation est un échec du point de vue de la croissance économique : à
partir des années 1860, l’assouplissement de la politique commerciale aurait permis une
augmentation des importations de produits manufacturés et agricoles. La concurrence plus
forte dans le secteur agricole aurait entrainé une baisse du prix des denrées agricoles, donc du
revenu des agriculteurs. Cette contraction de la demande aurait freiné la demande adressée à
l’industrie (textile, biens de consommation), d’où une baisse de la production industrielle en
plus de la production agricole. En Allemagne, un Zollverein, institué en 1834, associe
plusieurs Etats allemands : ceux-ci adopte des règles du libre-échange pour leurs échanges
mutuels et appliquent un tarif extérieur commun modéré à leurs importations en provenance
de pays tiers.
14
4) La révolution agricole : un préalable à la révolution industrielle ?
Dans plusieurs pays, la révolution agricole qui se déroule au XVIIIème siècle, intervient
avant la révolution industrielle. Entre Grande-Bretagne, elle a lieu entre le début et milieu
du XVIIIème siècle alors que la révolution industrielle intervient dans la seconde moitié du
XVIIIème siècle. En France, la modernisation de l’agriculture a lieu dans la seconde moitié
du XVIIIème siècle alors que la révolution industrielle se concentre dans la première moitié
du XIXème siècle. Les historiens et économiques s’interrogent alors sur la contribution de la
révolution agricole à la révolution industrielle.
Tout d’abord, la révolution agricole se caractérise par deux évolutions essentielles :
-
-
La disparition de l'assolement triennal, et son remplacement par un assolement
quadriennal ou quinquennal, permet d'augmenter la surface des terres cultivées car ce
n’est plus un tiers de la surface agricole qui est condamnée, mais un quart ou un
cinquième. La disparition de la jachère, permise par la rotation entre la culture de
céréales (blé, orge, froment, seigle ou avoine) et celle de plantes à fourrage, permet
d'augmenter encore les rendements. La culture des plantes fourragères (trèfle, luzerne,
sainfoin, chou-rave) permet le développement de l'élevage et donc une production
supplémentaire de fumure, ce qui augmente la fertilité des terres. Une des rotations les
plus connues est celle de Norfolk avec navet, blé, trèfle et orge. L'élevage et la culture,
concurrentiels auparavant, deviennent complémentaires dans l'augmentation des
rendements ;
Le mouvement des enclosures s’accélère jusqu’à la disparition presque totale de
l’open field au XIXème siècle. L’enclosure permet l'affirmation d'un propriétaire sur
une terre. La clôture des terres est d'abord pratiquée par les éleveurs qui souhaitent
pouvoir préserver les troupeaux. Mais, surtout, elle favorise l’innovation agraire
puisque le fermier peut décider d’une innovation sans avoir obtenu l’accord de la
communauté (ce qui est le cas dans l’open field). Le fermier est d’autant plus incité à
le faire que les bénéfices éventuels lui reviennent. Dans ces conditions, la taille des
domaines augmente (25 ha en 1700 ; 60 ha en moyenne en 1800) puisque la
concentration permet la rationalisation, l’application des nouvelles méthodes et attire
plus facilement les capitaux nécessaires aux investissements.
La révolution agricole se traduit par une forte augmentation de la production agricole. En
Grande-Bretagne, elle aurait à peu près doublé au cours du XVIIIème siècle : de 32 millions
de boisseaux à 65 pour le grain ; de 370 à 888 millions de livres pour la production de viande.
La productivité par travailleur aurait augmenté de plus de 60% entre 1650 et 1800.
Cette augmentation de la productivité et de production agricole aurait été un préalable à
la révolution industrielle à plusieurs niveaux :
-
-
Au niveau de la population active :
o La hausse de la productivité permet de relâcher une partie de la main d’œuvre
agricole qui peut aller dans les villes. En Grande-Bretagne, l’emploi agricole
représente environ 61% de la population active en 1700 contre 40,8% en 1800
tandis que l’emploi industriel représente respectivement 18,5% et 29,5% ;
o La hausse de la production permet de nourrir plus facilement une population
active qui croît fortement ;
La production agricole fournit des produits et des matières premières qui sont
transformées par les usines (brasseries, meuneries, fabriques textiles, de peaux…) ;
La production agricole fournit des marchés croissants pour les produits
15
-
manufacturés (outil de fer, clôtures, machines…) ;
La production agricole permet de dégager une épargne qui trouve à s’investir dans
l’industrie ;
La production agricole fournit des devises et de l’or par ses exportations, qui
permettent, en retour, d’importer des matières premières (coton) ou des biens
d’équipements nécessaires au développement industriel.
Document n°6. L’assolement triennal
Dans « Révolution industrielle et sous-développement » (1963), Paul Bairoch souligne que
la révolution agricole constitue un préalable à la révolution industrielle pour les raisons
que nous venons d’évoquer. Il avance plusieurs arguments qui appuient cette thèse :
-
-
-
La révolution agricole aurait commencé en Grande-Bretagne à la fin du XVIIème
siècle dans le sud-est du pays. Ces progrès seraient liés à l’importation de techniques
nouvelles à travers l’émigration de protestants chassés des Flandres par la domination
espagnole ;
Dans le deuxième quart du XVIIIème siècle, Bairoch constate simultanément
l’existence de soldes céréaliers et la hausse de la production et de la consommation de
fer à usage agricole. La production agricole fournit donc des marchés croissants pour
les produits manufacturés ;
Toujours dans deuxième quart du XVIIIème siècle, Bairoch note une détérioration des
termes de l’échange des produits agricoles vis-à-vis des produits industriels. Cette
détérioration semble témoigner d’une intensification des gains de productivité dans le
secteur agricole.
16
Cependant, quelques analyses contradictoires remettent en cause ces mécanismes. Il
semble tout d'abord que les landlords anglais aient relativement peu réinvesti leurs capitaux
dans l'industrie. Pour l'historien François Crouzet, « le rôle des capitaux ruraux a été tout à
fait secondaire. Leur apport a même été moins important au XVIIIe siècle qu'au XVIIe.
Finalement, ce fut plutôt de l'industrie vers la grande propriété foncière qu'il y a eu des
mouvements de capitaux, les industriels enrichis se hâtant d'acquérir des domaines ». Crouzet
réfute également l'idée selon laquelle les enclosures ont entraîné une baisse de la population
agricole. Il observe au contraire une progression de la population dans les villages qui ont mis
en place ce système. Enfin, il faut souligner que les régions qui s'industrialisent en GrandeBretagne (le Nord) ne sont pas prioritairement les régions agricoles (le sud du pays), ce qui
limite les possibilités de transferts de revenus.
B. La révolution industrielle : un processus uniforme ?
1.Walt Rostow et les étapes de la croissance économique : un chemin linéaire
17
L’analyse de Rostow a fait l’objet de plusieurs critiques :
-
-
Un manque de neutralité : l’ouvrage, publié en 1960, se veut « un manifeste noncommuniste ». C’est le sous-titre de l’ouvrage. Les étapes de la croissance
économique ont pour ambition de promouvoir un autre mode de développement que
celui en vigueur dans les économistes socialistes. Elles montrent comment il est
possible de se développer « sans supprimer la possibilité pour l’homme d’être libre
(…) L’homme est un être pluraliste, (…) et il a le droit de vivre dans une société
pluraliste ». Dans un contexte d’opposition forte entre les Etats-Unis et l’URSS, Les
pays en voie de développement sont invités à suivre un mode de développement
inspirés des pays en voie d’industrialisation au XIXème siècle : accroître la
productivité agricole ; attirer des investissements extérieurs ; avoir des élites non
communistes qui se concentrent sur le développement de leur pays et non pas la guerre
froide ;
La réalité historique met en évidence des trajectoires bien plus diverses que les
étapes de la croissance économique ne le supposent. La séquence de développement
en 5 étapes que la Grande-Bretagne a sans doute connu n’est pas valable pour les
autres pays.
2. Alexander Gerschenkron : des modèles d’industrialisation différents
18
Le modèle de Gerschenkron présente l’intérêt de rendre compte des différents modèles de
développement nationaux par une déviation progressive par rapport au modèle britannique.
Ainsi, en France ou en Belgique, pays à industrialisation précoce, les entreprises étaient plutôt
petites, familiales. Les banques soutenaient peu l’industrie. Dans les pays allemands, le
modèle de croissance parvenait à une déviation supérieure avec le rôle plus important de la
grande entreprise, le lien entre banques et entreprises industrielles. Avec le Japon et la Russie,
on atteint le degré maximal de déviation avec le rôle le plus fort de l’Etat et, en Russie,
l’importance des capitaux étrangers qui compensaient l’insuffisance des capitaux nationaux.
3. Dans les pays à industrialisation précoce (Grande-Bretagne, France) : une
croissance lente
19
Si l’on se réfère à la catégorisation de Gerschenkron, La G-B et la France constituent les
deux grands pays à industrialisation précoce. Leur industrialisation se caractérise par une
croissance plus lente que celle des pays à industrialisation tardive puisque ceux-ci bénéficient
d’un effet de rattrapage qui les fait dévier du modèle d’industrialisation britannique.
Toutefois, l’industrialisation britannique diffère de l’industrialisation française car elle
est à la fois plus précoce et plus intense. Les historiens considèrent alors que la révolution
industrielle britannique se traduit par une phase de décollage au sens de Rostow tandis qu’en
France, ce décollage n’a pas vraiment eu lieu. L’industrialisation a été plus lente et
progressive.
La révolution britannique a été la plus précoce. C’est là que la révolution industrielle a
débuté dans la seconde moitié du XVIIIème siècle.
Le taux de croissance de la production industrielle atteignait 0,7% entre 1710 et 1760 contre
environ 3% tout au long du XIXème siècle. L’industrie textile (coton), les mines (charbon,
minerais de fer) et les industries mécaniques (machines à vapeur, métiers à tisser…), puis les
chemins de fer vers 1830-1840 constituent les industries motrices de la révolution industrielle
britannique.
20
La France est le second grand pays à entrer dans l’ère de l’industrialisation au cours de la
première moitié du XIXème siècle. L’essor industriel est moins intense et plus progressif
qu’en Grande-Bretagne :
-
Il est moins intense car le taux de croissance annuel du produit industriel est moins
élevé qu’en G-B au plus fort de la révolution industrielle : 2,1% entre 1840 et 1860
contre 3,7% en G-B entre 1820 et 1840 ;
Il est plus progressif : pour la plupart des historiens, il n’y a pas eu de décollage en
France contrairement à la G-B. Il n’y a pas eu d’accélération aussi forte qu’en G-B (à
partir de 1780 et à nouveau à partir de 1830-1840). On peut toutefois distinguer
plusieurs périodes : une phase de rattrapage intervient à la fin du Premier Empire
(1815-1824) ; une phase de freinage de la croissance ; puis redémarrage vers 1840
jusqu’au milieu des années 1850 ; puis ralentissement jusqu’à la fin du siècle.
L’industrialisation française se caractérise par :
-
Des industries motrices similaires à celles qu’on trouve en Grande-Bretagne : le
textile, la métallurgie, les chemins de fer (à partir de 1840) ;
Des industries motrices différentes de la G-B comme le luxe et les produits
alimentaires ;
Une protoindustrialisation, en particulier dans le textile, joue un rôle plus important
qu’en Grande-Bretagne grâce à une main d’œuvre rurale abondante et peu chère ;
Un poids de l’agriculture plus élevé qu’en Grande-Bretagne : en 1850, les agriculteurs
représentaient la moitié de la population active en France contre 22% en G-B ;
L’industrialisation française se compose donc d’un tissu dual jusqu’aux année 1870 avec,
d’un côté, des structures anciennes toujours vivaces (protoindustrialisation) dans les
campagnes et une industrialisation performante et moderne dans les villes.
Elle trouve son origine dans une série de facteurs :
-
-
-
Sur le plan politique, la Révolution française se traduit par un net ralentissement de
la production, mais elle implique des changements qui à terme favorisent
l’industrialisation : la promotion de la liberté d’entreprendre et de la propriété privée,
la déréglementation du marché du travail (Loi Le Chapelier et décret d’Allarde en
1791) ;
La modernisation agricole est moins forte qu’en G-B, mais elle fait baisser la
mortalité. En revanche, le taux de natalité diminue en même temps. L’accroissement
naturel est faible. Cela explique le rattrapage de la population britannique qui est aussi
nombreuse à la fin du XIXème siècle qu’en France alors qu’en 1750 elle est trois fois
moins importante ;
L’intervention, si elle est modeste dans l’ensemble, joue un rôle important. L’Etat
mène une politique protectionniste entre les années 1815 et 1860 : l’industrie et
21
-
-
l’agriculture sont protégées par des droits de douanes élevés. Certains y voient un
facteur de développement (Protectionnisme éducateur de Friedrich List) ; d’autres un
facteurs de blocage. La part des dépenses publiques liées au développement
économique s’accroît dans le domaine des transports, l’éducation…En 1839 et 1899,
les dépenses d’instructions publiques sont multipliées par 100 ;
Le rôle de la demande : la demande intérieure se compose de la classe moyenne (à
partir du début du XIXème siècle), des agriculteurs, qui profitent d’une hausse du prix
et de la croissance des produits agricoles. La demande extérieure contribue également
à la croissance économique : les exportations, composées à 60% de produits
manufacturés, progressent plus vite que la croissance économique jusqu’aux années
1870.
Une modernisation technique : on assiste à une double augmentation dela
productivité et de la production grâce à la mécanisation dans les industries textiles à la
fin du XIXème siècle, l’industrie sidérurgique entre les années 1820 et 1850, tirée
notamment par le rail. La France adopte progressivement le « système technique » de
la G-B (Bertrand Gilles).
4. Dans les pays à industrialisation plus tardive : une croissance rapide due à un
rôle important de l’Etat dans le processus de rattrapage
À nouveau, si on reprend la distinction opérée par Gerschenkron, on constate que les pays à
industrialisation tardive se caractérisent, dans l’ensemble, par une croissance économique plus
forte que dans les pays à industrialisation précoce grâce à un effet de rattrapage. Le retard
donc pris par ces pays constitue un atout. On peut regrouper dans cette catégorie l’Allemagne,
les Etats-Unis, le Japon ou la Russie. Leur décollage, au sens de Rostow, intervient plutôt
dans la seconde moitié du XIXème siècle, voire début XXème dans la Russie.
Aux Etats-Unis, le décollage intervient vers les années 1830-1840. Le taux de croissance
annuel du produit industriel est d’environ 8 à 9% entre 1820 et 1840. La croissance
industrielle est dès lors bien plus intense qu’en G-B et, a fortiori, en France. L’essor industriel
américain se manifeste principalement dans le Nord-Est du pays. Il concerne surtout les
industries extractives et l’industrie textile. En 1814 est créée la première usine textile au
monde intégrant le tissage et le filage. Dans le reste du pays, ce sont plutôt des productions
agricoles qui participent à la croissance économique et industrielle : le coton et le tabac dans
le Sud, les céréales et l’élevage dans l’Ouest. La construction d’un vaste réseau ferré à partir
des années 1860 donne un second souffle à l’essor industriel en stimulant l’industrie
sidérurgie et en offrant de nouveaux débouchés. La première ligne transcontinentale est créée
en 1869. Les compagnies ferroviaires bénéficient de l’octroi gratuit des terres qu’elles
peuvent revendre ou utiliser comme garantie à leurs emprunts auprès des prêteurs américains
et étrangers.
Le décollage américain intervient sous l’impulsion de plusieurs facteurs :
-
L’extension du territoire : la surface du territoire américain passe de 2,5 millions de
km2 à 8 millions de km2 entre 1789 et 1865 (fin de la guerre de Sécession), ce qui
permet de cultiver de nouvelles terres et d’accroître la production agricole ;
Les progrès agricoles permettent d’augmenter la productivité grâce aux innovations
techniques en 1793, la machine à égrener le coton de Whitney multiplie par 50 la
productivité de l’esclave chargé de séparer le coton de la graine du cotonnier. La
moissonneuse Mac Cormick est mise au point en 1824.
22
-
-
La croissance démographique est très forte. D’une part, les progrès agricoles font
chuter la mortalité alors que la natalité reste élevée. D’autre part, l’immigration est
très forte. Elle a pour but de fournir de la main d’œuvre pour répondre à l’extension
vers l’ouest. Entre 1815 et 1860, il y a 5 millions à entrer aux Etats-Unis., dont 55%
d’origine britannique et 30% d’origine allemande. La population américaine passe de
4 millions en 1790 à 40 millions en 1870. Cette croissance démographique participe à
la croissance économique par des effets d’offre et de demande ;
Une abondance de matières premières (terres, mines, coton…) qui sont à l’origine
de biens intermédiaires transformés par l’industrie nationale : le coton pour l’industrie
textile…
Le rôle de l’Etat : Malgré la guerre d’indépendance en 1783, la guerre de Sécession
entre 1861 et 1865, les Etats-Unis se dotent d’institutions, d’une Constitution (1787)
qui aident au développement économique. L’Etat distribue des terres à l’ouest dès le
début du XIXème siècle. Les collectivités publiques financent les infrastructures
(routes, canaux, chemins de fer) et contribuent à l’amélioration des transports sur le
territoire. Le commerce peut s’y développer plus facilement.
Pour Gerschenkron, l’Allemagne est un pays à industrialisation tardive. Son décollage est
amorcé au cours des années 1840-1860. Son décollage s’appuie sur le développement rapide
de l’industrie métallurgique et chimique, l’essor du chemin de fer et, dans une moindre
mesure, l’expansion du secteur textile. La production de charbon augmente très fortement : la
production houillère passe de 2 millions de tonnes en 1850 à 9 en 1865.
Le décollage allemand s’appuie sur plusieurs facteurs :
-
-
-
La présence de matières premières en grande quantité : à partir de 1830, date de leur
découverte, elle possède les gisements de charbon les plus importants au monde en
Ruhr. Les gisements de fer sont également très profonds ;
Sur un plan politique, l’unification allemande se fait progressivement et participe au
développement économique. En 1834, parmi une quarantaine d’Etats allemands, six,
dont surtout la Prusse, constituent un Zollverein. Il s’agit d’une union douanière : les
barrières douanières sont réduites ou supprimées entre les 6 Etats et un tarif extérieur
commun est adopté. Le Zollverein s ‘agrandit progressivement et la coopération
économique et monétaire s’intensifie : en 1857, l’Union adopte une monnaie
commune, le thaler (monnaie de la Prusse). En 1871, sous la houlette de Bismarck,
l’Empire allemand est institué. L’intégration économique est complète car le Reich
dispose d’une monnaie, le mark-or. Cette unification allemand participe à la
croissance économique dans la mesure où les barrières à l’échange disparaissent, le
marché s’étend et l’environnement politique est stabilisé ;
La croissance démographique a été un moteur de la croissance économique. Le
nombre d’habitants passe de 25 millions en 1800 à 36 en 1850 et 56 en 1900.
L’abandon du servage libère les paysans et favorise la natalité. La mortalité baisse
sous l’effet de la progression de la production agricole. ;
Les banques universelles allemandes (banques d’affaires et de dépôts), très
concentrées, participent au capital et au développement des firmes industrielles de
très grande taille (Konzern) qui se constituent dans la seconde moitié du XIXème
siècle.
23
Document n°7. La croissance du produit industriel entre 1710 et 1880
24
III. La croissance économique au XXème siècle
25
A. La croissance de la Belle Époque : les bases d’un capitalisme
nouveau
Après la grande dépression dans le dernier quart du XIXème siècle, une phase de croissance
est amorcée partir de 1890. Dans les pays industrialisés, on constate en moyenne une
augmentation du produit d’environ 50%, ce qui suppose un taux annuel proche de 2%.
En France, cette période de croissance économique est confirmée par d’autres indicateurs
monétaires et financiers. On assiste à un doublement de la masse monétaire entre 1895 et
1913. Les prix sont tournés à la hausse à partir de 1896. Les salaires nominaux augmentent
mais peinent à suivre la hausse des prix. Le niveau des profits atteint des sommets entre 1909
et 1913.
Cette période de croissance économique trouve son origine dans :
-
-
les progrès de l’industrialisation. D’une part, l’industrialisation est tirée vers le haut
en Angleterre, en France, en Allemagne et aux Etats-Unis, les industries
métallurgiques, chimiques, électriques connaissent des taux de croissance de plus de
6 % par an, alors qu’au même le montant des investissements dans les chemin de fer
est en baisse, les réseaux étant déjà construits. L’industrialisation est également portée
par des produits nouveaux comme l’automobile, l’aviation. Enfin, l’industrialisation
s’appuie sur un important effort d’investissement dans l’outillage industriel car dans
les nouvelles industries motrices, les équipements sont plus lourds et l’intensité
capitalistique pus élevée ;
Une course aux débouchés extérieurs : malgré le retour du protectionnisme dans les
années 1880 jusque vers la fin du siècle, le commercial international s’intensifie entre
les grandes puissances. Dans le cas de la France, les exportations de produits
industriels ont doublé entre les périodes 1897-1901 et 1909-1913 alors que le volume
des importations en produits industriels augmentait également.
B. la première Guerre Mondiale : une rupture dans la phase de
croissance économique et l’instauration d’un nouvel ordre
économique
26
C. Les années folles (années 1920) : une croissance fragile
On peut établir une certaine continuité entre la croissance de la Belle époque et celle des
années folles tant au niveau du trend que des mécanismes à l’origine de cette croissance.
Alors qu’en 1918, le PNB des pays en guerre est inférieur d’un 1/3 en moyenne à celui de
1914, la production européenne atteint son niveau de 1913 en 1924, signe d’un retour de la
croissance économique. En ce qui concerne la France, Jean-Claude Asselain dans « Histoire
économique de la France » montre que la production industrielle et le revenu national
retrouvent leur niveau de 1913 en 1924 et la poursuite de la croissance économique pendant
les années 1920 permet à la France de rejoindre sa droite de trend : en 1929, le niveau de
production atteint est le même que s’il y avait eu progression régulière entre 1913 et 1929,
soit une hausse d’un tiers.
Cette croissance en France et, plus largement, dans les pays industrialisés demeure
fragile. Elle est tout d’abord stoppée par une crise de surproduction en 1920-1921 suite au
27
retour progressif des belligérants européens sur le marché mondial et à un resserrement du
crédit aux Etats-Unis, au Japon et en Grande-Bretagne. En 1922, la croissance reprend en
alternant des phases d’expansion et de récession. De plus, dans de nombreux pays
industrialisés, la croissance du commerce international est inférieure à celle du PIB, alors
même que les exportations représentent une part essentielle de leur PIB : 13% en France, 15 à
16% en Allemagne et en G-B en 1929 d’après Maddisson.
Dans l’ensemble des pays développés à économie de marchés, les moteurs de la croissance
économique des années 1920 peuvent être rapprochés de ceux de la Belle Epoque :
-
-
L’industrialisation progresse. Les industries automobiles, chimiques, métallurgiques,
électriques poursuivent, comme au cours des années 1890-1910, leur essor. Cette
industrialisation s’appuie une main d’œuvre croissante. En France, l’exode rural
s’accélère avec l’arrivée de 710 000 travailleurs industriels entre 1913 et 1929 dans les
secteurs automobiles, chimiques, mécaniques et de l’électricité. Les progrès de
l’industrialisation repose également sur des gains de productivité croissants. Aux
Etats-Unis, la diffusion de nouvelles organisations du travail comme le taylorisme ou
le fordisme permettent d’accroître de manière spectaculaire le niveau de productivité ;
Les débouchés jouent un rôle moteur, mais il s’agit davantage de la demande
intérieure par rapport à la belle époque. La demande de consommation est en nette
augmentation par rapport à l’avant-guerre. D’une part, Les besoins de la
reconstruction dopent les marchés intérieurs. D’autre part, la baisse des prix des biens
de consommation industriel augmente le pouvoir d’achat des ménages. Enfin, même si
on ne peut pas encore parler de consommation de masse, sauf aux Etats-Unis où elle
connaît ses débuts, les ménages sont à la recherche de nouveaux produits :
l’électroménager en est à ses débuts, le téléphone se répand (30 000 abonnés avant
1920, puis hausse de 40 000 à 50 000 par an).
Toutefois, selon les pays, la croissance prend des formes différentes. Elle est plutôt intensive
aux Etats-Unis. L’augmentation du produit national est surtout imputable à la croissance de
la productivité des facteurs de production grâce à la diffusion du taylorisme et du fordisme,
ainsi qu’à la mécanisation. Les gains de productivité bénéficient surtout aux catégories
favorisées dont la consommation stimule la consommation d’automobiles et la production de
logements. Dans les autres PDEM, la croissance tend plutôt à être extensive en raison de
la faible diffusion du fordisme et du taylorisme. C’est surtout l’augmentation du volume des
facteurs de production qui génère de la croissance économique.
D. Équilibres et déséquilibres de la croissance des « Trente
Glorieuses »
Au cours des années 1950-1973, la croissance économique atteint un niveau sans
précédent dans tous les pays industrialisés. Pour Maddisson (2001), le PIB des pays de
l’OCDE augmente de presque 4% par an en moyenne sur cette période. Le rythme de
croissance économique progresse sensiblement par rapport aux périodes précédentes.
Certains pays bénéficient d’une croissance économique plus forte que d’autres. On trouve
dans le peloton de tête le Japon dont le taux de croissance annuel moyen est supérieur à 9%
sur l’ensemble de cette période, l’Allemagne, la France et l’Italie qui connaissent avec un
niveau supérieur à 5%. En revanche, les Etats-Unis et le Royaume-Uni et la G-B connaissent
une croissance économique moins forte avec respectivement 4% et 3%. Cette hiérarchie est
confirmée par les données sur le PIB/habitant.
28
Document n°8. Le taux de croissance économique
Cette période de forte croissance économique s’accompagne d’autres performances
exceptionnelles. La croissance économique demeure plutôt équilibré. Si l’on se réfère au
carré magique de Kaldor, alors on peut constater que :
-
Le taux de chômage est très faible. Sur la période 1950-1973, il est en moyenne de
2,6% dans l’ensemble de l’Europe de l’Ouest, de 1,6% au Japon. ;
Le taux d’inflation est plutôt contenu. On parle à l’époque d’une inflation
« rampante ». Il est d’environ 2,3% en RFA, 3,5% en Italie, 4,9% en France et au
Japon ;
Le commerce extérieur tend vers l’équilibre pour chacun des grands pays
industrialisés. L’Allemagne, le Japon parviennent même à dégager des excédents
commerciaux ;
29
Par ailleurs, l’endettement demeure relativement maîtrisé qu’il s’agisse du déficit budgétaire
ou de la dette publique grâce à l’inflation qui réduit les dettes et les rentrées fiscales générées
par la forte croissance économique.
30
31
Le respect des principaux équilibres macroéconomiques au cours des années 1950-1973 dans
la plupart des pays industrialisés a fait que Jean Fourastié a qualifié cette période de « Trente
Glorieuses » dans un ouvrage publié en 1979 « Les Trente Glorieuses ou la révolution
invisible de 1946 à 1975 ». Il insiste alors sur le caractère révolutionnaire de cette période en
raison de la nette accélération du rythme de la croissance économique et de l’élévation rapide
du niveau de vie. Le premier chapitre 2 de cet ouvrage est révélateur des bouleversements
économiques et sociaux que connaît la France à ce moment. Il compare deux villages fictifs
Madère, un village sous-développé au Portugal, et Cessac, un village plus développé en
France. Il souligne alors l’écart de développement qui existe entre ces deux localités (habitat,
niveau de vie, équipements…). A la fin du chapitre, Fourastié révèle qu’il s’agit en fait d’un
même village en France, Douelle, mais à trente ans d’intervalle.
L’expression de Jean Fourastié mérite toutefois d’être nuancée. D’une part, les bornes
historiques de cet âge d’or de la croissance économique sont discutables. Il a plutôt duré une
vingtaine d’années dans les pays industrialisés. Jusqu’aux années 1950, on note de fortes
tensions inflationnistes qui perturbent la croissance économique au Japon, en France ou en
Italie. Les années 1974 et 1975 sont marquées par une stagnation de la croissance dans la
plupart des pays.
D’autre part, la croissance économique au cours des années 1950-1973 s’est accompagnée de
plusieurs déséquilibres :
-
-
Les tensions inflationnistes : de la fin des années 1940 à la fin des années 1950, les
tensions inflationnistes dans les PDEM est surtout de nature conjoncturelle en raison
des pénuries d’après-guerre, la hausse du coût des matières premières suite à la Guerre
de Corée (1950-1953) et de la crise de Suez (1956). A partir des années 1960,
l’inflation revêt un caractère davantage structurel. Les causes de l’inflation sont plus
profondes et durables. La hausse des salaires, indexée sur les gains de productivité,
contraint les entreprises à augmenter leur prix pour maintenir leurs profits. D’autre
part, la mise en place d’Etats-providence favorise la hausse des prix en raison d’une
augmentation des dépenses publiques (revenus des transfert…) et du fait que ces
dépenses sont financées par la création monétaire. En outre, dans le cadre des accords
de Bretton Woods, le dollar devient une monnaie internationale. Comme les EtatsUnis connaissent un déficit de leur balance des paiements au cours des années 50 et 60,
les banques centrales nationales doivent émettre de la monnaie en contrepartie des
réserves en dollars qu’elles accumulent. La masse monétaire a alors tendance à croître,
ce qui nourrit l’inflation. Cette croissance de la mase monétaire est d’autant plus forte
que le volume croissant de dollars détenus en dehors des USA est tellement élevé
qu’un véritable marché eurodollar se met en place sur le marché de Londres où les
banques accordent des crédits en dollars.
La croissance ne bénéficie pas équitablement à tous les acteurs économiques. Il y
a tout d’abord la pauvreté. Aux Etats-Unis, la pauvreté touche 20% de la population en
1959. Cette pauvreté, qui s’explique par un niveau de chômage plus élevé qu’en
Europe occidentale ou au Japon, frappe principalement les personnes âgées, les
minorités (Noirs, Indiens…). Néanmoins, les programmes de « nouvelle frontière » de
Kennedy et « grande société » de Johnson au cours des années 1960 contribuent au
2
Ce chapitre est consultable en ligne à l’adresse suivante : http://www.fourastiesauvy.org/reference/textesjean/11-30glorieuses
32
-
recul de la pauvreté. Elle concerne en 1970 12% de américains. Ensuite, les inégalités
de revenus et de patrimoine ne disparaissent pas. En France, les inégalités de salaires
entre cadres et ouvriers se creusent jusqu’au début des années 1960, puis diminuent.
Les inégalités de patrimoines s’accentuent elles en revanche entre 1949 et 1975.
Les questions environnementales. L’intensité de la croissance économique se traduit
par un épuisement progressif des ressources naturelles et une pollution croissante. En
1972, le rapport Meadows, établi à la demande du Club de Rome, dresse un tableau
très sombre des conséquences environnementales de la croissance économique. En
1972, la Conférence des Nations Unies institue le Programme des Nations Unies pour
l’Environnement (PNUE).
E. Des niveaux de croissance différents selon les territoires
Si l’on s’intéresse aux principales puissances mondiales au cours de la période1950-1973, on
peut constater des trajectoires économiques différentes tant au niveau de l’intensité de la
croissance économique que de ses origines.
On peut alors distinguer les pays industrialisés à croissance forte de ceux à croissance
modérée. Dans ce dernier groupe, on trouve les Etats-Unis et la G-B.
Les Etats-Unis se caractérise par une croissance plutôt modérée jusqu’aux années 1960,
puis une accélération de celle-ci jusqu’à 1973 :
-
-
La croissance demeure modérée jusqu’aux années 1960 car la reconversion de
l’économie américaine après la guerre se traduit par une baisse du PIB. Néanmoins,
l’accroissement des dépenses publiques, le baby boom et les exportations vers les pays
européens induit par le plan Marshall provoque un retour de la croissance. En 1951, le
PIB retrouve son niveau de 1944. La guerre de Corée (1950-1953) contribue à
stimuler la croissance économique : le PIB augmente de 10% en 1950 et en 1951.
Néanmoins, face aux tensions inflationnistes, le président républicain Eisenhower
mène des politiques restrictives. La croissance ralentit : entre 1953 et 1960, le PIB
américain progresse de 2,5% en moyenne ;
A partir des années 1960, la croissance s’accélère. Elle résulte notamment des
politiques expansionnistes menées par les présidents démocrates. Le programme
« nouvelle frontière » mis en œuvre par JF Kennedy en 1961 a pour objectif de lutter
contre le chômage. Il se traduit par la hausse des dépenses publiques destinées à
réduire la pauvreté, au développement de l’industrie spatiale. Après l’assassinat de
Kennedy en 1963, Johnson met en application son programme « grande Société » qui
poursuit l’œuvre de Kennedy. D’autre part, la guerre du Viêt-Nam en 1965 entraîne
une hausse des dépenses publiques qui stimule la croissance économique. Enfin,
l’accroissement démographique et l’ouverture croissante des Etats-Unis au commerce
international boostent la croissance. Toutefois, à partir de 1970, une récession apparaît
sous l’effet de la politique d’austérité menée par Richard Nixon. Une nouvelle
politique de relance est instaurée qui dope la croissance jusqu’en 1973.
La Grande-Bretagne connaît comme les Etats-Unis une croissance plutôt modérée. Entre
1950 et 1973, le PIB s’accroît en moyenne de 3%M contre 5 à 6% en France et en Allemagne.
Cette croissance modérée peut s’expliquer par de faibles gains de productivité du fait d’un
appareil productif vieillissant et d’un taux d’investissement inférieur aux autres pays
européens. De plus, la G-B est confrontée à des tensions inflationnistes en raison des
politiques de relance, destinées à lutter contre le déséquilibre commercial, et de la hausse des
33
salaires réels supérieure aux gains de productivité. Pour lutter contre ces tensions
inflationnistes, le gouvernement mène des politiques de stop and go qui bride la croissance.
Parmi les pays industrialisés à croissance forte au cours des Trente Glorieuses, il y a
l’Allemagne et le Japon.
Le Japon est le pays où la croissance économique est la plus forte. Elle est en moyenne de 9%.
Le pays peut s’appuyer sur plusieurs facteurs favorables :
-
L’aide extérieure : après la seconde Guerre Mondiale, le pays bénéficie de l’aide
financière, alimentaire et technique américaine pour la reconstruction ;
L’interventionnisme étatique : en 1949 est créé le MITI (Ministry of International
Trade and Industry). Il définit les secteurs prioritaires, qu’il protège de la concurrence
internationale et coordonne les entreprises autour de ces priorités ;
La guerre de Corée dope les commandes aux industries sidérurgiques, chimiques ;
Après la guerre, la forte limitation des dépenses militaires permet au pays de consacrer
des dépenses d’investissement conséquentes et ainsi d’accroître sensiblement ses gains
de productivité ;
La croissance démographique : le Japon bénéficie d’un afflux de réfugiés qui accroît la
demande et fournit une main d’œuvre peu coûteuse et souvent qualifiée ;
Des structures industrielles spécifiques : il y a tout d’abord les keireitsu, qui
succèdent au Zaibatsu démantelés après la guerre. Il s’agit d’un ensemble d'entreprises,
de domaines variés, entretenant entre elles des participations croisées (concentration
conglomérale) autour desquelles gravitent des entreprises sous-traitantes qui
amortissent les variations conjoncturelles. D’autre part, le toyotisme apparaît dans les
années 1950 : il s’agit d’une organisation du travail élaborée par Taïchi Ohno dans les
usines Toyota dans laquelle les travailleurs sont polyvalents, la production réalisée en
petite série avec des biens de qualité ; cette méthode est une source de gains de
productivité élevée.
L’Allemagne se caractérise comme au Japon par une croissance très forte. Elle est toutefois
moins forte puisque le taux de croissance annuel moyen est d’environ 6% en 1950 et 1973.
Parmi les sources de cette croissance, on trouve :
-
Comme au Japon, après la seconde Guerre Mondiale, le pays bénéficie de l’aide
financière, alimentaire et technique américaine pour la reconstruction ;
De même, le pays bénéficie d’une forte croissance démographique. L’Allemagne
accueille de nombreux réfugiés et bénéficie d’un baby boom après guerre, ce qui
stimule la demande ;
L’Allemagne tire sa croissance également d’un élargissement de la demande
extérieure : en 1950, les exportations représentent 8% du PIB allemand contre 21%
en 1973 ;
L’Etat met en œuvre une « économie sociale de marché » : il s’agit pour l’Etat de
respecter les conditions de concurrence et de liberté d’initiatives sur le marché tout en
s’assurant que les besoins de tous sont satisfaits et les inégalités réduites ;
La stabilité monétaire : l’Etat allemand, traumatisé par l’épisode d’hyperinflation des
années 1922-1923, a pour objectif de limiter l’inflation (la banque centrale allemande
est notamment indépendante).
34
F. La croissance depuis les années 1970 dans les PDEM
Depuis la fin des Trente Glorieuses, la croissance économique est plus faible dans les pays
industrialisés. Le taux de croissance annuel moyen passe de 4% entre 1950 et 1973 à 2,4%
entre 1973 et 1992 aux Etats-Unis, de 5% à 2,25% par an en France, de 9% à 3,25% au Japon
de 6% à 2,3% en Allemagne, de 3% à 1,6% en G-B. Entre 1992 et 2008, indépendamment des
variations conjoncturelles, le taux de croissance annuel moyen se relève aux Etats-Unis et en
Grande-Bretagne. A l’inverse, le ralentissement se confirme en France, en Allemagne et au
Japon. La rupture est telle avec la croissance des années 1950-1973 que des économistes
comme Nicolas Baverez parle de « Trente Piteuses » dans un ouvrage publié en 1998.
35
Cependant, ce pessimisme mérite d’être relativisé :
-
-
D’une part, le rythme de la croissance économique demeure à un niveau relativement
élevé au regard de l’histoire économique. Il s’agit d’une des phases de croissance
les plus dynamiques. Ainsi en Europe de l’ouest , sur la période 1975-2006, le taux
de croissance annuel moyen est de 2,20%, ce qui est bien plus élevé que n’importe
quelle période de l’histoire économique en dehors de la période 1950-1975 (document
n°1) ;
D’autre part, on assiste à des périodes de croissance économique élevée. C’est le cas
à partir des années 1990 où l’on constate que certaines économies des pays avancés
renouent avec la croissance. Il s’agit des Etats-Unis, la Finlande, l’Irlande, la France,
etc. Ce nouvel essor économique se réalise surtout entre 1996 et 2000 et dans une
moindre mesure jusqu’en 2007. On qualifie souvent cette période de croissance
économique de « nouvelle économie », voire troisième révolution industrielle en
raison de la progression des ordinateurs, du développement de nouveaux moyens de
communication (internet, téléphonie mobile) et de biotechnologies. Le taux de
croissance des USA passe de 2% en 1990 à 4,7% en 1999 ; en France, il passe de
1,4% en 1996 à 3,4% en 1999. Les gains de productivité sont plus élevés au cours de
cette période : l’OCDE mesure ainsi une progression de 2% par an en moyenne entre
1996 et 2006 de la PGF aux Etats-Unis. Il semblerait qu’à cette occasion de la
paradoxe de Solow soit enfin surmonté.
Comment toutefois peut-on expliquer ce ralentissement de la croissance économique à partir
des années 1975 ? En fait, les moteurs de l’âge d’or de la croissance économique se sont
éteints :
-
-
-
Tout d’abord, les gains de productivité sont plus faibles en Europe de l’ouest, aux
Etats-Unis et au Japon. La PGF, qui mesure le rôle du progrès technique, contribuait à
5,1 points à la croissance du PIB entre 1950 et 1973 contre 0,6 point entre 1973 et
2003 ; aux Etats-Unis, les données sont respectivement de 1,8 points et 0,7 point. La
croissance économique est donc moins intensive. La baisse des gains de productivité
proviendrait d’un ralentissement du progrès technique, après une période très intense
entre 1950 et 1973 : les innovations de procédés (fordisme…), de produits (biens
d’équipement ménagers…) ne dynamisent plus l’offre et la demande. L’effet de
rattrapage d’après-guerre s’est estompé.
D’autre part, plusieurs chocs d’offre déstabilisent les niveaux de production au cours
des années 1970. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 contraignent les entreprises à
réduire leur marge et leur niveau d’investissement. Ainsi, au cours du premier choc, la
FBCF recule 9,5% en 1974 au Japon, de 6,8% aux Etats-Unis. De plus, des politiques
de rigueur menées pour juguler la hausse des prix pèsent encore davantage sur la
croissance économique. La faible croissance qui résulte de ces chocs pétroliers, alliée
à une période d’inflation (la stagflation) contribue à la montée du chômage au cours
des années 1970 - 1980 dans la plupart des pays industrialisés. La demande adressée
aux entreprises est alors d’autant plus faible. Les chocs d’offre des années 1970 se
doublent de chocs de demande.
Par ailleurs, dans un contexte inflationniste, les politiques économiques mises en
œuvre depuis la fin des années 1970 visent principalement à lutter contre l’inflation
dans les pays industrialisés. Le sommet du G5 (USA, GB, France, Allemagne, Japon)
réuni à Tokyo en 1979 juge prioritaire l’éradication de l’inflation. Dans ces conditions,
les politiques économiques privilégient moins la recherche de la croissance
économique si l’on se réfère à la courbe de Phillips.
36
-
Enfin, le recul de l’Etat-providence sous l’effet du renouveau libéral se traduit par
une baisse des dépenses publiques (investissements publics, revenus de transfert…)
dont le niveau très élevé au cours des années 1950-1973 avait soutenu la croissance
économique.
Document n°9. La productivité globale des facteurs de 1870 à 2003
La période économique qui suit les Trente glorieuses est marquée par l’essor des pays d’Asie
orientale, dont le niveau de vie rejoint celui des pays industrialisés. C’est le cas, sous des
modalités différentes de la Corée du Sud, de Taiwan, de Hong Kong, Singapour, la Thaïlande,
la Malaisie ou l’Indonésie. Ainsi en 1997, le niveau de vie de la Corée du Sud était équivalent
à celui de l’Espagne alors même qu’en 1950, le niveau de vie était trois fois supérieur. Plus
particulièrement, la Corée du Sud et Taiwan connaissent une expansion économique
spectaculaire. Ils passent du statut de pays pauvre à celui de pays riche en un demi-siècle
grâce à la promotion de leurs exportations, des politiques actives de développement
économique, des investissements massifs dans l’éducation (Corée du Sud). A partir des
années 1980, c’est au tour de la Chine de se réveiller portée par la politique de modernisation
menée par Deng Xiaoping à partir de 1978. Le modèle économique chinois repose sur une
économie mixte avec, d’un côté, la planification économique et, de l’autre, une ouverture aux
capitaux étrangers et la mise en œuvre d’une économie libérale. La Chine attire rapidement
les entreprises étrangères intéressées par une main d’œuvre peu chère, mais aussi par les
zones économiques spéciales qui se trouvent sur le littoral qui proposent des conditions
préférentielles (droits de douane, libre rapatriement des investissements et des bénéfices, pas
d’impôts pendant plusieurs années puis impôts très bas, statut d’extra-territorialité pour les
cadres qui viennent travailler…). Le développement économique s’appuie également sur la
recherche d’un transfert de technologies pour concurrence les pays industrialisés sur des
productions à valeur ajoutée de plus en plus élevée. Enfin, les exportations chinoises sont un
moteur de la croissance économique dès les années 1980 : le pays bénéficie de coût de
production faible qui renforce sa compétitivité-prix.
37
IV. Les analyses économiques de la croissance
A. La croissance, un phénomène équilibré ou déséquilibré ?
Durant l’entre-deux-guerres, les crises économiques et financières se multiplient : crise de
reconversion en France et en Grande-Bretagne, hyperinflation allemande en 1922-1923,
fonctionnement houleux du système monétaire international de Gênes, krach boursier de Wall
Street en 1929, etc. C’est dans ce contexte économique et financier instable que le
keynésianisme s’élabore. D’une part, John Maynard Keynes renverse la logique économique
défendue par les économistes classiques (en dehors de Marx et Malthus) et néoclassiques :
l’équilibre sur les marchés ne se réalise pas spontanément sur les marchés par la flexibilité des
prix. Au contraire, la rigidité des prix empêche cet équilibre et, dans ces conditions, des
déséquilibres apparaissent entre l’offre et la demande sous la forme, notamment d’équilibre
de sous-emploi. D’autre part, des économistes s’inscrivent dans la logique keynésienne et
développent des modèles qui tendent à expliquer les déséquilibres macroéconomiques. C’est
notamment le cas de Roy Harrod et Evsey Domar. Ils montrent que la croissance
économique est déséquilibrée et que, dès lors, des crises de surproduction ou sousproduction sont possibles.
1. Modèle de Domar : la croissance déséquilibrée sur le marché des biens et
services
38
Pour Domar, il n’y a aucune raison que cette condition d’équilibre soit vérifiée puisque
les décisions d’investissement, d’épargne et le coefficient de capital sont déterminées de
manière indépendante. La croissance est donc condamnée à être déséquilibrée. Deux types
de déséquilibre sont possibles ici :
-
Si l’effet de capacité est inférieur à l’effet de revenu, il y a un risque d’inflation due à
une insuffisante de l’offre globale ;
Si l’effet de capacité est supérieur à l’effet de revenu, alors un risque de contraction de
l’économie et de déflation est possible avec une hausse du chômage.
Le deuxième cas est le plus probable pour Domar qui adhère à la fonction de consommation
keynésienne et pense que l’épargne va croître plus vite que le revenu. La hausse de l’épargne
réduit l’effet de revenu puisque
. Cette situation appelle une intervention de l’Etat
pour ramener l’économie à l’équilibre. Par exemple, l’Etat peut réduire la propension à
épargner s en modifiant la répartition des revenus. L’Etat peut taxer les revenus les plus
élevés qui ont une forte propension à épargner et subventionner les revenus les plus faibles
qui ont une propension à consommer plus forte.
Ainsi, ce modèle de Domar permet de conclure à la faible probabilité d’une croissance
équilibrée à long terme en dehors d’une intervention publique. Il n’y a aucun mécanisme
endogène susceptible de ramener l’économie à l’équilibre. Cette conclusion s’explique par le
contexte des années 1930. Domar, comme Keynes, est resté marqué par la Grande
Dépression avec son chômage de masse, des capacités de production excédentaires, le
dumping, la déflation. Il appréhendait sans doute que le boom des dépenses occasionnées par
la guerre entraine à nouveau une crise de surproduction où l’effet de capacité serait largement
supérieure à l’effet de revenu. Or, ce n’est pas qu’il advint puisque de 1950 à 1973, la
croissance économique a été très forte dans les pays à économie de marché. Peut-on pour
autant en déduire que le modèle de Domar était erroné ? Non pas nécessairement, car cette
période se caractérisa par un très fort niveau d’interventionnisme qui a permis de stimuler la
demande comme le recommandait Domar.
Ce modèle de Domar présente plusieurs intérêts :
39
-
-
Une première explication de l’instabilité de la croissance à long terme ;
L’importance de l’intervention de l’Etat pour lutter contre les déséquilibres
macroéconomiques ;
Un premier modèle de croissance dynamique qui relie l’investissement, l’épargne,
donc l’accumulation du capital à la croissance économique. Il aura des retombées
importantes en économie du développement, où beaucoup de théories chercheront les
conditions pour qu’une épargne permette de lancer l’accumulation du capital.
Une règle simple pour calculer la croissance, qui fonctionne assez bien d’une année
sur l’autre : propension à épargner / coefficient de capital (en retirant le taux de
dépréciation du capital).
Il se heurte également à plusieurs limites :
-
-
Si l’on fait une critique interne du modèle, l’hypothèse d’un coefficient de capital
fixe est discutable. En effet, cette hypothèse implique que les facteurs de production
soient complémentaires. Or, s’il s’avère que c’est souvent le cas à court terme, à long
terme, cette situation est rarement vérifiée car les entreprises ont le temps de modifier
leur mode de d’organisation ;
Si l’on raisonne en termes de critique externe, ce modèle ne tient pas compte de
l’influence du progrès technique sur la croissance économique. De plus, tous les
facteurs de croissance économique sont exogènes.
2. Le modèle de Harrod : la croissance déséquilibrée sur les marchés des biens et
services et du travail
Dans un article publié en 1939, « An essay in economic theory », Roy Harrod cherche à
dégager, comme Domar, les conditions d’une croissance équilibrée à la fois sur le
marché des biens et services et, en même temps, sur le marché du travail.
L’équilibre sur le marché des biens et services : le taux de croissance garanti
Pour identifier la condition d’équilibre sur le marché des biens et services, Harrod fait
l’hypothèse que l’épargne S est proportionnelle au revenu Y ; soit :
S = sY, avec s la propension à épargner comprise entre 0 et 1 (1)
D’autre part, Harrod pose dans la logique du multiplicateur d’investissement que
l’investissement I est proportionnel aux variations du revenu Y, donc que :
Y, avec v > 0 (2)
Pour qu’il y ait équilibre sur le marché des biens et services, c’est-à-dire que l’offre globale Y
soit égale à la demande globale DG, il faut que l’épargne S soit égale à l’investissement I. En
effet, la demande globale DG est égale à la consommation C plus l’investissement I, de telle
sorte que DG = C + I. L’offre globale est mesurée par le revenu national Y. Y est égal aux
revenus distribués, qui se partagent entre la consommation C et l’épargne S. Donc, Y = C + S.
Dans ces conditions si DG = Y, alors C + I = C + S, d’où I = S
Si à l’équilibre sur le marché des biens et services, I = S, alors on peut tirer des équations (1)
et (2) que sY = v∆Y ou de façon équivalente :
(3)
40
L’équilibre nécessite que le taux de croissance effectif du revenu national
soit égal
que Harrod appelle le « taux de croissance garanti ». Or, il n’y a aucune raison pour que
cette égalité soit assurée dans la mesure où Y, s et v sont des variables indépendantes : Y,
le revenu national dépend des choix individuels, s la propension à épargner du revenu des
agents économiques et v, le coefficient de capital, est fixe.
Si le taux de croissance garanti assure un équilibre sur le marché des biens et services, on
parle de « sentier d’équilibre », c’est-à-dire que sur ce « sentier », à tout instant les décisions
des épargnants (les ménages) sont compatibles avec celles des investisseurs (les entreprises).
41
L’équilibre sur le marché du travail : le taux de croissance naturel
Dès lors, les déséquilibres sur le marché des biens et services risquent de s’accompagner
de déséquilibres du marché du travail. En effet, si le taux de croissance naturel est inférieur
au taux de croissance garanti, ou si le taux de croissance effectif est inférieur au taux de
croissance garanti, alors l’économie entre dans une phase de récession voire dépression. Le
taux de croissance effectif chute jusqu’à devenir inférieur au taux de croissance naturel, d’où
résulte le chômage. Cette situation pourrait refléter les années 1930 ou 1970 avec toutefois
une différence forte : dans les années 1970, la chute du taux de croissance effectif a été
enrayée par le soutien qu’ont apporté les Etats à la demande.
En revanche, si le taux de croissance effectif est supérieur au taux de croissance garanti, une
phase d’expansion cumulative a lieu. Le taux de croissance effectif augmente jusqu’à
rejoindre le taux de croissance naturel, qui dans une économie de plein emploi, est le taux de
croissance maximal. La croissance forte s’accompagne d’un chômage faible, mais de tensions
inflationnistes (tous les facteurs de production étant employés). Cette situation correspondrait
historiquement plutôt à la période des Trente glorieuses.
42
3. Les modèles de Solow et Kaldor : la croissance tend vers un état stationnaire
Le modèle de Kaldor : l’épargne, une variable d’ajustement
Dans un article publié en 1956 « Alternative theories of distribution » in The Review of
Economic Studies, Nicholas Kaldor défend l’idée que la croissance économique est stable
dans la mesure où la propension à épargner s varie en fonction de la répartition des
revenus.
Soit sw, la propension à consommer salariés et sπ, la propension à épargner des capitalistes.
Faisons l’hypothèse que les capitalistes soient plus riches que les salariés. Dans ces conditions,
s π > sw
Si W représente la masse salariale et π, la masse des profits. Alors l’épargne totale du pays, S,
est égale à :
43
S = sw W + sπ π
 S = sw (Y – π) + sπ π
 S = sw Y + (sπ - sw) π
En divisant l’équation par Y, on obtient une expression de la propension moyenne à
consommer :
S/Y = sw + (sπ - sw) π / Y
Cette équation fait apparaître que le taux d’épargne, S/Y, d’une pays est une fonction
croissante de la part des profits dans le produit national, π / Y. Le taux d’épargne varie donc
selon la répartition du revenu entre salaires et profits. Il augmente si la part des profits
augmente au détriment de la part de la masse salariale W/Y et diminue si la masse salariale
augmente au détriment de la part des profits.
44
4. Le modèle de Solow : l’intensité capitalistique, une variable d’ajustement
Robert Solow reproche aux modèles de Harrod et Domar d’aboutir à des dynamiques de
croissance trop extrêmes puisque la croissance effective tend à s’écarter de plus en plus d’un
sentier régulier de croissance dès qu’une économique quitte ce sentier. Pour Solow, même si
elle traversée régulièrement par d’importantes fluctuations, l’histoire économique prend le
plus souvent un rythme continu, comme si des mécanismes économiques empêchaient la
croissance de trop s’écarter d’un sentier régulier.
Cf Diaporama
B. Les sources de la croissance
1. Croissance intensive/extensive
Initiée par Solow en 1957 dans un article « Technical change and the aggregate production
function », in The Review of Economics and Statistics, les travaux économétriques sur une
fonction de production de type Cobb-Douglas mettent en évidence les facteurs de la
croissance économique.
Avec Y, le produit national, K, le capital, L, le travail, A, un progrès technique autonome. Les
coefficients α et β correspondent à la répartition des revenus entre le travail et le capital. On
considère que α + β = 1, ce qui signifie que les rendements d’échelle sont constants : en
multipliant par 2, les quantités de travail et de capital, la fonction de production est multipliée
également par 2.
Pour l’étude de la croissance économique dans le temps, il faut dériver la fonction (la dérivée
permet de mesurer l’évolution d’une variable). En passant en log et en dérivant, on obtient :
Cette fonction permet alors de mesurer la contribution de :
-
l’évolution de la quantité de capital à la croissance économique :
-
l’évolution de la quantité de travail à la croissance économique :
l’évolution du « résidu », c’est-à-dire le progrès technique à la croissance
économique :
Les deux premiers sont à l’origine de ce qu’on appelle une « croissance extensive ».
La croissance extensive est la part de la croissance économique qui découle de l'augmentation
de la quantité de facteurs de production au sein de l’économie : travail, capital. Le dernier
facteur est une source de « croissance intensive » : il s’agit de la part de la croissance due à
une meilleure efficacité de production (hausse de la productivité).
45
Exercice : Croissance annuelle moyenne en volume, 1985-2008
en%
Allemagne
Etats-Unis
Japon
France
Canada
Main-d'œuvre Capital en TIC (1)Capital hors TIC
-0,17
0,29
0,31
0,94
0,54
0,32
-0,35
0,40
0,45
0,04
0,24
0,31
1,18
0,44
0,66
PGF(2)
1,07
1,09
1,60
1,16
0,37
Croissance du PIB
1,50
2,89
2,10
1,75
2,65
Source : OCDE
(1) TIC : Technologies de l’information et de la communication.
(2) PGF : Productivité globale des facteurs de production.
Q1. Calculer la part du « résidu » dans l’explication de la croissance économique pour
chaque pays.
Q2. Dites pour chaque pays si la croissance est plutôt de nature intensive ou extensive.
2. D’où vient le « résidu » ?
a. Les théories de la croissance exogène
46
b. La théorie de la croissance endogène
Le rôle de l’accumulation des connaissances dans la croissance économique a été
défendu dans le premier modèle de croissance endogène présenté par Paul Romer
« Increasing Returns and Long Run Growth » in Journal of Political Economy (1986). Il
suppose que l’accumulation de capital physique et de connaissances sont assimilables l’un à
l’autre. Dès lors, l’accumulation d’équipements productifs favorise l’émergence de
nouvelles connaissances techniques, d’où résulte une hausse de la productivité marginale du
capital et de la croissance économique. Cette croissance permet de financer de nouveaux
investissements en capital physique qui sont rentables pour les entreprises puisque la
productivité marginale du capital augmente. Romer ajoute que l’accumulation de capital
physique est une source d’externalités positives : les connaissances accumulées ne profitent
pas qu’aux entreprises qui en sont à l’origine, mais à l’ensemble des entreprises par des
phénomènes d’apprentissage. Mais en raison de cet effet externe positif, les firmes sousinvestissent dans le capital physique. Le taux de croissance n’est pas optimal. Romer soutient
alors que l’intervention publique est nécessaire pour que le taux de croissance économique
soit optimal. Il doit fournir une subvention à l’investissement pour faire en sorte que les
firmes investissent plus et que l’accumulation du capital soit plus importante.
47
Robert Lucas dans un article publié en 1988, « On the Mechanics of Economic
Development », in Journal of Monetary Economics, a proposé un modèle de croissance
endogène qui repose sur l’accumulation de capital humain. Pour lui, les individus doivent
arbitrer entre travailler pour produire ou consacrer leur temps à accumuler du capital humain
afin d’être plus productif. Certes, ils ont un coût d’opportunité en se formant, mais les
connaissances acquises sont des biens privés (c’est-à-dire qu’elles sont rivales et exclusives),
ils peuvent en restreindre l’accès et donc les vendre, d’où une hausse de leur rémunération.
Les connaissances accumulées individuellement ne sont donc pas une source d’externalités
positives. Lucas considère par ailleurs que les rendements d’échelles sont donc constants (son
modèle repose sur une fonction Cobb-Douglas). Comment le progrès technique est-il
endogénéiser alors ? Lucas fait alors l’hypothèse que c’est de la rencontre entre plusieurs
individus que naissent des connaissances collectives, fruit des échanges d’idées, qui sont à
l’origine d’externalités positives. Dans ce modèle, c’est le capital humain moyen et non total
qui est invoqué, autrement dit, c’est la qualité des échanges plus que leur nombre qui importe
dans l’explication de la croissance économique.
En 1990, Paul Romer publie un article « Endogenous technical change » in Journal of
Political Economy dans lequel il pointe le rôle des connaissances technologiques dans
l’endogénéisation du progrès technique. Il considère que le secteur de la R&D produit des
connaissances techniques et scientifiques qui sont des biens non rivaux et presque non
exclusifs, générateur d’externalités positives (secteur de R&D diffère du secteur de
production des biens et services, qui lui revend les connaissances techniques et scientifiques
sous forme de brevets). L’activité de Recherche-Développement est donc caractérisée par des
rendements qui augmentent au fur et à mesure que les dépenses en R-D augmentent. Les
externalités positives et la diffusion de la connaissance compensent dans ces conditions au
niveau global la décroissance des rendements factoriels au niveau de chaque firme.
En 1990, Robert Barro publie « Government Spending in A Simple Model of Endogeneous
Growth », dans lequel il présente un modèle où les dépenses publiques d’investissement,
qui sont des biens publics (non rivaux et non exclusif), contribuent à la croissance de la
production, et par conséquent à mettre en évidence un lien explicite entre la politique
gouvernementale et la croissance économique de long terme dans un cadre de croissance
endogène. Prenons l’exemple du financement d’une route. Elle permet aux chauffeurs
d’éviter les détours par les routes secondaires et d’amener plus vite les produits au marché.
Ces gains de temps permettent aux producteurs de payer moins cher le chauffeur et une usure
moindre du camion. L’investissement public permet aux entreprises privées de payer moins
cher.
Les théories de la croissance endogène mettent en avant le rôle de l’Etat dans la
production d’externalités positives et la croissance économique. En effet, sans cette
intervention, le taux de croissance économique ne peut être optimal car sur le marché, il y a
une sous-production des activités à externalités positives. En effet, les connaissances
produites ne profitent pas qu’aux entreprises qui en sont à l’origine, mais à l’ensemble des
entreprises par des phénomènes d’apprentissage. Dans ces conditions, des comportements de
passager clandestin ont lieu, c’est-à-dire que des agents souhaitent bénéficier de ces
connaissances sans avoir à en subir les coûts. Le stock de capital à l’origine des externalités
positives est sous-optimal et le taux de croissance économique également.
L’Etat peut alors intervenir directement en finançant des infrastructures publiques (Modèle
de Barro) ou la recherche et développement (Modèle de Romer) ou alors inciter les agents
48
économiques privés à produire accumuler ces capitaux sous le forme de capital physique
(Modèle de Romer) ou de capital humain (Modèle de Lucas).
Ces modèles ont fait l’objet de plusieurs tests empiriques. C’est le cas du modèle de Barro.
Aschauer a ainsi estimé la contribution des infrastructures publiques à la croissance
économique dans un article de 1989 (« Is public expenditure productive », in Journal of
Monetary Economics) Il obtient une élasticité estimée de la production aux Etats-Unis par
rapport aux dépenses publiques non militaires d’environ 0,36, supérieure aux à la contribution
du capital privé estimée à 0,27. Ainsi, une augmentation de 1% du capital public entraine une
hausse de 0,36% du PIB, dans le premier cas, et 0,27% dans le second.
Les théories de la croissance endogène présentent plusieurs intérêts :
49
En revanche, cet ensemble théorique pose plusieurs questions :
- Il prédit une croissance auto-entretenue, voire même explosive, ce qui n’apparaît pas
empiriquement (récession, dépression) ;
- Il ne prend pas en compte les fluctuations économiques comme la croissance est
supposée auto-entretenue. Ces modèles s’inscrivent dans la droite ligne du modèle de
Solow et considère qu’il n’y a pas de déséquilibre possible ;
- Il est insuffisant pour expliquer la totalité du résidu. Il laisse de côté les déterminants
institutionnels car ils sont difficiles à intégrer dans un modèle mathématique de
croissance.
Document n°10. Schéma de la croissance endogène
c. Les approches institutionnalistes
Parmi ces approches, on peut tout d’abord citer l’importance des facteurs politiques, sociaux
tels qu’ils sont établis dans les analyses de Rostow ou Gerschenkron (cf supra)
Il y a également le courant de la cliométrie ou de la nouvelle histoire économique.
Littéralement, la cliométrie signifie « mesure de l’histoire ». Lancée aux Etats-Unis dans les
années 1960, son objectif est d’introduire au sein de la recherche historique les concepts
néoclassiques (ex : le concept de maximisation sous contrainte) ainsi que les méthodes
utilisées en science économique.
Fondateur de cette branche, dans « Railroads and American economic growth : essays in
economic history » (1964), Robert William Fogel a remis en cause la thèse selon laquelle
les chemins de fer avaient été un moteur fondamental de la croissance américaine. Pour
mesurer cette influence, il a recours à une méthode contre-factuelle : elle consiste à mesurer
l’influence d’un facteur (en l’occurrence le chemin de fer) en faisant la différence entre
l’évolution observée de la variable et celle, hypothétique, à laquelle on aurait assisté si le
facteur n’avait jamais existé. Ainsi, sans le chemin de fer, la croissance américaine aurait-elle
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été aussi forte ? Fogel montre ainsi que la part de la croissance américaine imputable aux
chemins de fer est négligeable (moins de 3%). Pour Fogel, ce sont surtout les institutions qui
ont joué un rôle central. Par institutions, il entend des variables qui ne relèvent pas
nécessairement de la sphère économique mais qui ont une influence sur le niveau d’activité
économique ; en particulier l’instauration d’un système de droits de propriété, qui incite à
innover et le développement d’un esprit pionnier.
Dans la même perspective, Douglas North dans « Sources of Productivity Change in Ocean
Shipping, 1600-1850 »in Journal of Political Economy (1968) estime que les institutions ont
joué un rôle plus important que les inventions techniques dans le développement du
commerce transocéanique entre 1600 et 1850. L’innovation, l’investissement en capital
physique et en capital humain ne sont que les manifestations de la croissance : les causes
doivent être recherchées dans les institutions telles que les droits de propriété.
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