
Japon constituent ce que F. Gipouloux appelle « la Méditerranée asiatique »
; et le trafic
intra-asiatique constitue en soi un système maritime ample
. Le Moyen Orient, avec ses
émirats et royaumes, la Turquie et ses « marches » en Asie centrale et caucasienne,
diverses façades latino-américaines ou nord-américaines, le Maghreb, sont aussi essentiels
à la globalisation que les sous-ensembles européens. Cet entrecroisement des mini-
systèmes de production avec l’animation d’une économie de marché globalisée a déclenché
la révolution d’une intensification des échanges maritimes (et aériens), un nouveau mode
de gestion du transport et de logistique et des firmes d’armement maritime.
3. Vers la globalisation de la gestion du commerce
L’économie maritime a longtemps reposé sur des maisons de négoce, souvent familiales,
ancrées dans leur pays d’origine et en liaison avec un petit nombre de ports, de chargeurs
et de sociétés publiques (pays communistes, puis aussi pays du Tiers-Monde socialisants)
ou privées d’exportation de denrées ou de minéraux. Une révolution a entraîné ce secteur à
partir des années 1970 : la taille géographique, quantitative et financière des marchés est
devenue telle que nombre de négociants ont disparu ou ont dû fusionner. De grands
groupes ont émergé, en Occident, au Japon, puis en Russie et en Chine
: Archer Daniels
Midland-ADM (USA), Bunge (Argentine), Cargill (USA), Glencore (Suisse), Louis Dreyfus
Commodities (France) – avec 230 000 salariés à eux cinq en 2013 –, Marubeni (Japon),
etc. Ces acteurs (depuis Genève ou Chicago, pour beaucoup) de la globalisation de
l’économie de marché exercent une influence certaine sur la vie des flux maritimes. Les
Bourses de denrées (Chicago, New York, Londres, etc., avec leurs marchés à terme) et leurs
courtiers (traders) et, tout en amont de la chaîne, le financement du négoce (trade
finance) par les firmes bancaires déterminent la vie des flux maritimes tout en aval, au sein
d’une économie globalisée.
Aussi imposant soit-il techniquement, chaque cargo est un pion sur la carte du négoce
mondial. Le jeu des cours détermine plus ou moins le rythme des échanges internationaux,
selon le prix du fret au jour le jour (« prix spot »). Nombre de navires sont réorientés en
cours de navigation vers tel ou tel port en fonction de l’évolution soudaine de la demande
et des prix. Cargill affrète 500 navires en 2012, puisque les négociants supervisent toute la
chaîne logistique, quasiment du silo de collecte au silo du port de destination. Et certaines
possèdent une filiale de vraquiers et cargos, comme Louis Dreyfus Armateurs
, qui, en
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