musicale ont décrit l'action humaine en termes carrément instrumentaux et l'ont analysée en
faisant abstraction de toute évaluation intériorisée du bien et du mal et de tout méta-récit
fournissant des téléologies à la fois morales et chronologiques. Aux prises avec la crise
perpétuelle de la modernité, les pères fondateurs de la sociologie croyaient que la modernité
vidait le monde de toute signification. Le capitalisme, l'industrialisation, la sécularisation, la
rationalisation, l'anomie et l'égoïsme, tels étaient selon eux les processus clés qui créaient des
individus confus et dominés, qui annhilaient la possibilité d'un but significatif, qui détruisaient
le pouvoir d'agencer le sacré et le profane. Pendant cette période, on ne voit apparaître qu'à
l'occasion une lueur de programme fort. Dans la sociologie religieuse de Weber, la recherche
du salut est un besoin culturel universel et les diverses solutions pour le satisfaire ont
nécessairement façonné la dynamique organisationnelle et motivationnelle des civilisations du
monde. Les Formes élémentaires de Durkheim laissent également croire que la vie sociale
comporte un élément spirituel inéluctable. Tout en souffrant des ambivalences causales
inhérentes à un programme faible, les écrits du jeune Marx sur l'espèce humaine laissent
penser, eux aussi, que des forces non matérielles rassemblent les humains dans des projets et
des destins communs.
Les révolutions communiste et fasciste qui ont marqué la première moitié de ce siècle avaient
pour prémisse la crainte généralisée que la modernité érode la possibilité de textes
significatifs. Les penseurs communistes et fascistes tentaient de redéfinir ce qu'ils
considéraient comme les codes stériles d'une société civile bourgeoise sous des formes
nouvelles et resacralisées qui pourraient accueillir la technologie et la raison dans des sphères
de sens élargies et globales (Smith, 1998). Dans le calme postérieur de l'après-guerre, Talcott
Parsons et ses collègues ont commencé à penser au contraire que la modernité elle-même ne
devait pas être considérée comme une force corrosive. Partant d'une prémisse analytique
plutôt qu'eschatologique, Parsons a conclu que les « valeurs » devaient être au centre des
actions et des institutions pour que la société puisse fonctionner comme une entreprise
cohérente. Il en est résulté une théorie que l'on a souvent accusée de distorsion idéaliste parce
qu'elle accordait un trop grand rôle à la culture (Lockwood, 1992). Nous proposons plutôt une
lecture de Parsons sous l'angle contraire. Du point de vue d'un programme fort, Parsons
semble manquer de culture et de « musicalité ». En l'absence d'un moment musical, lorsque le
texte social est réécrit dans sa forme pure, on ne trouve pas dans son oeuvre une puissante
dimension herméneutique. Même si les valeurs sont importantes dans sa théorie, Parsons
n'explique jamais leur nature. Au lieu de s'intéresser à l'imaginaire social, aux codes et aux
récits fiévreux qui constituent le texte social, il observe avec ses collègues fonctionnalistes
l'action du dehors et conclut à l'existence d'évaluations directrices en utilisant des schémas de
catégorisation présumément générés par une nécessité fonctionnelle. Sans une description
étoffée qui puisse faire contrepoids, nous nous retrouvons avec une approche où la culture
n'est autonome que dans un sens abstrait et analytique. Lorsque nous nous tournons vers le
monde empirique, nous découvrons que la logique des fonctionnalistes relie la forme
culturelle à une fonction sociale et à une dynamique institutionnelle, si bien qu'il est difficile
d'imaginer où se situe l'autonomie de la culture dans n'importe quelle situation concrète. Il en
résulte une théorie ingénieuse des systèmes sociaux qui demeure faible du point de vue
herméneutique, trop éloignée de la question de l'autonomie pour contribuer beaucoup à un
véritable programme fort.
Si boiteuse qu'ait été l'approche fonctionnaliste, les autres approches se révélèrent pires, bien
pires. Dans les années soixante, le monde vivait dans les conflits et les bouleversements.
Lorsque la guerre froide devint une guerre chaude, la théorie macrosociale se porta sur l'étude
du pouvoir d'un point de vue unilatéral et anticulturel. Les penseurs qui s'intéressaient au