2006, in Lebaud, D., Paulin, C., Ploog, K., eds, Constructions verbales et productions de sens, Presses
Universitaires de Franche-Comté, 2006.
Qu’est-ce qu’un verbe ?
Sarah de Vogüé, Université Paris X / Laboratoire LLF Paris 7
1. Des pistes divergentes
A la plupart des théories existantes sur ce que recouvre la catégorie grammaticale du verbe,
on reprochera, indépendamment du cadre épistémologique choisi, de privilégier un type de
verbe ou de configuration verbale, oubliant les autres cas de figure, ou espérant pouvoir les
traiter comme des cas dérivés ou périphériques. La diversité des solutions retenues est en tous
les cas frappante, surtout quand on la met en regard avec le silence que chacune peut faire sur
ses concurrentes : il y a des théories qui définissent le verbe par ce qui serait la dimension
nécessairement temporelle de son référent, d’autres par sa dimension processuelle, d’autres
par sa dimension causale, d’autres par sa dimension prédicative, avec la notion de prédicat
s’entendant soit au sens logique (un opérateur qui prend des arguments), soit dans le sens plus
pragmatique où il s’oppose à un thème sur lequel il porte ; il y a des théories pour lesquelles
un verbe réfère à un acte ou une activité, d’autres pour lesquelles il réfère à un événement, à
une situation transitoire, ou à une situation évolutive ; il y a des théories pour lesquelles le
verbe signifie l’affirmation (Port-Royal), véhicule une force illocutoire (Touratier), ou est
l’apport d’un support externe (Guillaume) ; il y a des théories pour lesquelles le verbe se
caractérise par le fait qu’il soit soumis à la diathèse, ou par le fait qu’il porte des indices
actanciels.
Chacune de ces théories est réfutée par des contre exemples plus ou moins importants :
ainsi, la dimension temporelle, ou processuelle ou évolutive ou même transitoire, ou
événementielle d’un verbe comme savoir est-elle largement problématique, sauf à considérer
qu’un état de savoir devrait nécessairement être temporellement borné ; que tout verbe réfère
à quelque segment d’une chaîne causale comme le défend Croft est discutable si on considère
qu’il est des procès contingents d’une part, qu’il est des cas où la cause d’un fait est liée à une
qualité, voire à la présence d’un individu, d’autre part ; d’autres mots que les verbes réfèrent à
des opérateurs logiques (par exemple les connecteurs) ou s’analysent comme les apports d’un
support externe (par exemple un nom comme blancheur) ; d’autres constituants que le
constituant verbal dans un énoncé peuvent constituer le propos de cet énoncé ; il est des cas
où les verbes ne portent pas d’indice actanciel (dans des configurations comme celle de
l’infinitif sauf à vouloir en faire un nom sur ce motif ; dans les rares langues où il n’y a pas de
tel marquage), il est des cas où le verbe, par exemple pris dans une subordonnée, ne supporte
pas l’affirmation et ne véhicule pas de force illocutoire
.
Ce parcours des solutions n’en est pas moins utile parce qu’il montre le champ
couvert. Ainsi n’est-il pas indifférent que des directions aussi divergentes que celles de la
temporalité, de la causalité et de la prédication (avec ses variantes du coté de l’apport, de
l’accord actanciel, de l’assertion ou de l’illocution) soient convoquées. La solution ici retenue
Il me semble en revanche que la théorie de la diathèse ou de la dispositio héritée des grammaires latines mérite
d’être examinée avec soin, si du moins l’on ne choisit pas de l’organiser autour de l’agir d’une forme active, et si
on l’envisage comme le déploiement d’un ensemble de configurations possibles autour d’un sujet, de ce qui
serait un état de choses qui le concerne. Cette piste, dont je ne sais pas si les recherches sur la diathèse l’ont
examinée, serait en tous les cas en phase avec ce qui sera envisagé ici.