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RELATION ENTRE TOURISME, CROISSANCE ET DEVELOPPEMENT
INCLUSIFS DANS LES PETITES DESTINATIONS INSULAIRES DE LUXE
L’EXEMPLE DE ANGUILLA DANS LA CARAIBE
LINK BETWEEN TOURISM, ECONOMIC GROWTH AND INCLUSIVE
DEVELOPMENT IN SMALL ISLAND LUXURY DESTINATIONS:
THE CASE OF ANGUILLA IN CARIBBEAN AREA
Louis Dupont
The George Washington University
Résumé
L’image idyllique du tourisme de luxe dans certains territoires de la Caraïbe, de l’océan
indien et du pacifique fait souvent rêver et attire depuis longtemps une clientèle fortunée. Pour
autant, les dépenses effectuées sur place par cette clientèle induisent-elles véritablement des
retombées positives sur la croissance et le développement économique de ces territoires, sur le
niveau de vie de la population, contribuent-elles à combattre le chômage et à réduire la
pauvreté ?. Quels en sont les impacts au plan environnemental et humain ?. En deux mots, les
principes du développement durable trouvent-ils sur place un terrain d’application favorable
et conforme à ce concept ?. Pour y répondre, Anguilla, petite destination touristique de luxe
de la Caraïbe, fréquentée majoritairement par une clientèle de séjour en provenance des
Etats-Unis est utilisée comme étude de cas. Aussi, cette étude a pour but d’analyser les
relations complexes entre le tourisme et la problématique du développement local dans ce
micro-territoire, en se fixant deux objectifs : en premier lieu, voir si l’hypothèse de la
croissance tirée par le tourisme est une option concevable dans cette petite destination
touristique. En second lieu, vérifier si l’activité touristique exerce un impact positif sur le
développement économique inclusif de Anguilla, par sa capacité ou non à stimuler les autres
secteurs d’activité. A cet effet, deux modèles de régression, employés dans un cadre de
cointégration seront utilisés successivement. D’une part, les résultats montrent qu’un
accroissement de 1% de la recette touristique à Anguilla se traduit à long terme par une
augmentation de 0.6% de son PIB, confirmant ainsi l’hypothèse de la croissance tirée par le
tourisme. De plus, les tests de causalité de Granger révèlent l’existence d’une causalité
bidirectionnelle entre activité touristique et croissance économique. D’autre part, ces résultats
montrent que la croissance du secteur touristique s’accompagne par une contraction de
l’activité agricole à Anguilla, engendrant de ce fait une perte de ressources pour le pays, ainsi
qu’un accroissement de <fuites> liées aux importations dérivées. En conséquence, le potentiel
du tourisme en tant que facteur de développement inclusif devient une hypothèse irrecevable
dans ce petit territoire et ce, en raison des effets multiplicateurs et de liaison limités sur les
producteurs locaux.
Mots clés : tourisme de luxe, Anguilla, performance du tourisme (PDT), cointégration, tests
de causalité de Granger.
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Sommaire
1.0 Introduction
2.0 Le rôle potentiel du tourisme dans la croissance économique et la réduction
de la pauvreté
3.0 La performance économique du tourisme à Anguilla
3.01 Application du concept PDT (performance du tourisme) à Anguilla
3.02 Evaluation des <fuites> et du contenu en importation de l’activité
touristique
3.03 Evaluation de la performance compétitive du tourisme à Anguilla par
rapport aux autres destinations touristiques de la Caraïbe.
4.0 Spécification et estimation des modèles : Cadre méthodologique
4.01 Spécification du modèle de la relation entre tourisme et croissance
économique
4.02 Spécification du modèle de la relation entre tourisme et
développement économique inclusif
4.03 Estimation du modèle de la relation entre tourisme et croissance
économique
4.04 Estimation du Modèle de la relation entre tourisme et développement
économique inclusif.
5.0 Conclusion et implications politiques
Références bibliographiques
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1.0 Introduction
De nombreux pays en développement notamment dans la Caraïbe considèrent que le tourisme
est un puissant vecteur de croissance, de développement économique et de réduction de la
pauvreté. Cependant, le lien entre tourisme, croissance et développement économique n’est
pas un mécanisme automatique, car la croissance est une condition nécessaire, mais non
suffisante pour amplifier le développement. La croissance du tourisme peut même comporter
des effets pervers et s’avérer en définitive une croissance <appauvrissante> si elle n’entraîne
pas un développement inclusif et durable. Autrement dit, cette relation ne peut exister que si
le tourisme crée de nouveaux emplois, établit des liens, en particulier avec l’agriculture et
l’agro-transformation, avec la pêche, l’industrie manufacturière, les secteurs de prestations de
services, et stimule le développement de l’infrastructure de base par la construction en
particulier de routes et d’installations portuaires et aéroportuaires, d’équipements divers
etc..Par conséquent, ce lien n’est pertinent que si l’activité touristique engendre de la
croissance et développe un effet d’entraînement et de <contagion> sur les autres secteurs
d’activité.
Qu’en est-il par exemple dans les toutes petites destinations insulaires en développement, et
notamment dans celles qui, comme Anguilla, St Barthelemy, Moustique, les iles Caïman,
Turks et Caicos, Tobago dans la Caraïbe, l’ile Maurice, les Seychelles, et les Maldives dans
l’océan indien ont adopté un positionnement haut de gamme et une stratégie de luxe, et de ce
fait restent en quelque sorte des <paradis> préservés des vols charter, des <nuisances>
induites par l’effet de masse, et dont les niveaux de fréquentation et les capacités d’accueil
sont volontairement réduits grâce à des critères financiers et avec l’appui d’arguments
écologiques ?. Le tourisme international bénéficie t’il véritablement à ces petites économies
insulaires ?. Qu’elle est la relation réelle entre tourisme, croissance et développement
économique dans ces micro- territoires ?, l’hypothèse de la croissance menée par le tourisme
est-elle une option vérifiable pour la plupart d’entre eux ?. Pour les principales institutions
internationales, le tourisme constitue un important moteur de croissance pour les pays en
développement, leur permettant de s’attaquer aux principaux défis d’aujourd’hui. Mais selon
certaines critiques, une trop faible partie de la dépense touristique des visiteurs atteint ces
pays insulaires en développement, le nombre de visiteurs dans ces pays s’accroît souvent plus
rapidement que les recettes touristiques, principalement en raison de l’importance des
<fuites>, qui seraient selon la CNUCED (Conférence des nations unies sur le commerce et le
développement) de l’ordre de 80% dans les Caraïbes. Si ces chiffres sont exacts, l’intérêt du
tourisme au plan économique devient discutable pour ces petites destinations.
Pour s’en convaincre, Anguilla, petite destination touristique de luxe dans la Caraïbe nous
servira d’exemple pour vérifier le bien-fondé ou non de ces critiques. Différents outils
permettent de conceptualiser les liens entre tourisme et développement. Cependant, cette
étude s’intéresse plus particulièrement à l’impact du tourisme sur le territoire, l’économie
territoriale constitue l’outil théorique le plus pertinent pour s’interroger sur ces liens. A cet
égard, différents travaux ont présenté dans un passé récent des analyses théoriques des
conséquences positives ou négatives d’une croissance touristique dans les pays en
développement (Copeland, 1991; Chen et Devereux, 1999 ; Hazari et Nowak, 2003 ; Hazari et
Ng, 1993 ; Nowak et al, 2003). Ces contributions pour la plupart se réfèrent au concept de
<syndrome hollandais> (dutch disease) et utilisent pour ce faire des modèles d’équilibre
général. Ce concept est présenté en 1982 et en 1984 par Corden et Neary, qui distinguent deux
effets possibles résultant d’une croissance exportatrice : un effet dépense et un effet
mouvement de ressources.
Concernant l’effet dépense, ils considèrent qu’une croissance exportatrice est de nature à
accroître le revenu local, ce qui induit une augmentation à la fois de la demande des <biens
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échangeables> et des <biens non échangeables>. Dans l’hypothèse de <petits pays>, les prix
des biens échangeables n’augmentent pas car ils sont soumis à la concurrence internationale.
En revanche, les prix relatifs des biens non échangeables par rapport aux biens échangeables
augmentent, entraînant une appréciation du taux de change réel.
L’effet mouvement des ressources résulte d’une augmentation du produit marginal du travail
dans le secteur en expansion, ce qui se traduit par un afflux de travail en provenance des
autres secteurs. Cela dit, les études sur la relation entre développement touristique et
croissance économique peuvent être réparties en trois groupes : la moitié de ces études utilise
dans leur approche, l’analyse de gression ainsi que le test de causalité de Granger,
notamment les travaux de : Balaguer et Cantavella-Jorda, 2002 ; Durbarry, 2004 ; Dritsakis,
2004 ; Oh, 2005 ; Kim et al, 2006 ; Lee et Chang, 2008 ; Brida et al, 2008 ; Chen et Chiou-
Wei, 2009 ; Tang et Jang, 2009 ; Belloumi, 2010 ; Lean et Tang, 2010 ; Kasimati, 2011 ;
Kreishan, 2011, Tang, 2011a/2011b ; Ridderstaat, J ; Croes, R, et Nijkamp, P, 2013. Les
variables touristiques utilisées dans ce type d’études ne furent pas toutes identiques. Par
exemple, Oh (2005) a utilisé les recettes touristiques comme proxy de la spécialisation
touristique, tandis que Kim et al (2006) de même que Lean et Tang (2010) ont employé les
arrivées touristiques comme variable de la concentration touristique. L’organisation mondiale
du tourisme (OMT) indique qu’en période de crise, la relation entre les arrivées touristiques et
les recettes touristiques est souvent faussée. Ces deux variables, en raison de la conjoncture
n’évoluent pas nécessairement dans le même sens. Les recettes touristiques sont dans ce cas
souvent plus affectées que les arrivées touristiques ( en cas de crise, on observe une tendance
à la baisse dans les dépenses de consommation des visiteurs).
Rappelons que l’industrie touristique a été touchée dans le passé par diverses crises
notamment par les conséquences de la crise asiatique (1997), par celles des attaques
terroristes du 11 septembre 2001, et par celles de la crise financière mondiale de 2007-2010.
Ces crises ont entraîné des divergences d’interprétation et de comparaison entre croissance
des arrivées touristiques et croissance des recettes touristiques. Un autre problème de
comparaison rencontré concerne le nombre et la fréquence des observations relatifs aux séries
étudiées. Par exemple, Balaguer et Cantavella-Jorda (2002) ont utilisé dans leurs estimations,
des données trimestrielles sur la période 1975-1997, tandis que Tang (2011a) a employé des
données mensuelles sur la période 1995-2009. Selon Otero et Smith, lorsque l’on recherche
une relation d’équilibre à long terme, on devrait faire reposer les données sur une longue
période de temps plutôt que sur un grand nombre d’observations collectées sur une courte
période. Un second groupe d’études a utilisé dans leurs estimations, la technique de régression
en données de panel notamment, en particulier, celles de Modeste, 1994 ; Lanza et al, 2003 ;
Eugenio-Martin et Martin Morales, 2004 ; Lee et Chang, 2008 ; Sequeira et Nunes, 2008,
Figini et Vici, 2010 ; Amadou et Clerides, 2010 ; Croes, R, 2011 ; Du et Ng, 2011. La plupart
de ces études ont, dans leur conclusion confirmé l’hypothèse de la croissance tirée par le
tourisme, à l’exception toutefois de celle de Lee et Chang (2008) qui a trouvé l’existence
d’une relation réciproque entre tourisme et croissance économique. De plus, on constate que
les 2/3 de ces études utilisent dans leurs estimations les données de la Banque mondiale
(World Development Indicators). Or, beaucoup de ces données émanent des systèmes
statistiques nationaux dont la qualité dépend de la manière dont ces systèmes sont conçus et
fonctionnent. Certains pays par exemple utilisent différentes définitions et techniques de
collectes des données, qui peuvent à leur tour avoir une influence sur la comparaison des
résultats. Un troisième groupe d’études, comprenant celles de Ghali, 1976, Gunduz et Hatemi-
J, 2005 ; Lee et Chien, 2008 ; Katircioglu, 2009 ; et Lean et Tang, 2010, appliquent une
méthode combinant les deux approches précédentes. Par exemple, Ghali (1976) a emplo
une méthode de type Keynésien pour tester la relation entre développement touristique et
croissance économique à Hawaii, tandis que Gunduz et Hatémi-J (2005) ont, dans le cas de la
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Turquie effectué un test de causalité, basé sur les techniques de simulation boostrap. Enfin, on
constate que dans leurs estimations, plusieurs études n’utilisent pas les mêmes variables
indépendantes pour déterminer l’incidence du tourisme sur la croissance économique. Par
exemple, Gunduz et Hatami-J (2005) ; Katircioglu (2009) ; et Lean et Tang (2010) utilisent
les arrivées touristiques internationales comme principale variable indépendante de la
croissance économique, tandis que pour Lee et Chien, ce sont les recettes touristiques.
Le reste du papier est organisé comme suit : La section 2 est consacrée à l’analyse du rôle
potentiel du tourisme dans la croissance économique et la réduction de la pauvreté. La section
3 passe en revue les principaux ratios et indices permettant de déterminer la performance
économique du tourisme à Anguilla. La section 4 aborde la spécification et l’estimation des
deux modèles de régression : le modèle de la relation entre tourisme et croissance économique
d’une part ; et le modèle de la relation entre tourisme et développement économique inclusif
d’autre part. La section 5 présente la conclusion générale de l’étude et les implications
politiques correspondantes.
2.0 Le rôle potentiel du tourisme dans la croissance économique et la réduction de la pauvreté
Le potentiel du tourisme en tant que facteur de développement local est souvent contesté car
cette activité est fortement consommatrice de produits importés et n’exercerait que des effets
de liaison limités sur les producteurs locaux. Tel est le cas dans des micro-destinations comme
Anguilla, considérées comme des ‘enclaves touristiques’, contrôlées par le capital étranger et
les tours opérateurs qui n’entretiennent que des rapports restreints avec la société locale, sauf
sous la forme de créations d’emplois non qualifiés.
Dans des destinations de dimension plus importante et notamment dans les pays développés,
le tourisme est un secteur d’activité qui fait intervenir divers acteurs, allant des pouvoirs
publics aux principaux protagonistes du secteur privé. Ces différents acteurs tissent entre eux
des liens, en amont comme en aval qui ont une influence sur la croissance et le
développement économique. Selon la CNUCED (2013), la contribution du secteur du
tourisme à la croissance économique, à la création d’emplois, au renforcement des capacités
nationales et à la réduction de la pauvreté dépend des facteurs suivants :
a) La mesure dans laquelle le secteur du tourisme est intégré dans l’économie nationale
du fait de ses relations en amont et en aval avec d’autres secteurs et de son intégration
dans les chaînes de valeur régionales et mondiales ;
b) La mesure dans laquelle les revenus provenant du tourisme, y compris les devises sont
utilisés pour financer le développement de l’infrastructure, soutenir les entreprises
locales, en particulier les petites et moyennes entreprises (PME), et développer les
compétences et les institutions nécessaires pour créer une économie locale
dynamique ;
c) Les politiques et stratégies adoptées par les pouvoirs publics et la mesure dans laquelle
celles-ci incitent à accroître les investissements nationaux et étrangers dans le tourisme
et à procéder à des transferts de technologie et de savoir-faire, favorisant ainsi les
activités de main-d’œuvre, et visant les régions dans lesquelles vit et travaille une
population pauvre ;
d) Les efforts nationaux pour faire en sorte que les activités touristiques soient exercées
de manière durable et répondent à des objectifs économiques, sociaux et
environnementaux.
Dès lors, ces facteurs génèrent une croissance qualifiée d’inclusive qui constitue une
approche relativement nouvelle, destinée à accroître les bénéfices économiques des
destinations et réduire les fuites économiques, démarche qui partage certains principes
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