
3 
 
 
 
 
16/4/17 
comparaison  très  sommaire  avec  la  position  d'Otto  Wagner - dans  les  mêmes  années  
permettra de mieux saisir l'originalité de Loos. 
D'un  côté,  Wagner  souhaitait  une  primauté  de  l'architecture  sur  les  autres  arts - et 
notamment sur les nouveaux arts appliqués -, alors que pour Loos il était inconcevable 
que des auteurs de projet étrangers à la réalisation matérielle d'un ouvrage pussent exercer 
sur  celui-ci  une  quelconque  tutelle  ‘artistique’,  d'autant  qu'à  son  avis  les  nouvelles 
générations d'architectes étaient trop obsédées par la quête du nouveau et n'avaient pas 
l'humilité nécessaire  pour  apprendre la valeur  des techniques traditionnelles. De l'autre 
côté,  Wagner  poussait  jusqu'à  l'intolérance  son  hostilité  à  l'égard  des  nouveaux 
lotissements d'habitations unifamiliales, qu'il jugeait foncièrement anti-économiques, alors 
que Loos estimait sans doute qu'il n'était guère possible d'aller contre cette demande (tout 
en comprenant les arguments de Wagner), et s'efforçait en tout état de cause de soumettre 
ce phénomène à des principes rationnels et même, somme toute, économiques. 
 
Depuis les tout premiers écrits (1897-98) par lesquels il s'impose à l'attention du public 
viennois,  Loos  essaie  de  sensibiliser  les  lecteurs  aux  nombreux  ferments  positifs 
qu'engendrent
  les  transformations  en  cours,  non  sans  les  mettre  en  garde  contre  des 
mystifications de plus en plus fréquentes, surtout dans les domaines culturel et artistique. Il 
s'insurge notamment contre l'approche esthétisante qui tend alors à s'imposer, et à laquelle 
il reproche une confusion de genres qu'il vaudrait bien mieux garder distincts.
 
Au-delà des thèmes apparemment frivoles, tels l'habillement, les voitures de luxe ou même 
des  questions  d'étiquette,  Loos se  propose  de démystifier  le  rôle  de  démiurge que les 
architectes s'arrogent dans leur obsession de créer des modes ephémères, de s'inventer des 
prétextes d'architecture à tout bout de champ, alors que la civilisation va dans la direction 
opposée. 
L'erreur commise par les architectes consiste notamment à confondre leur  travail avec 
celui de l'artiste, sans se rendre compte que l'art doit surtout viser une élévation de l'esprit, 
alors que l'architecture — dans une société de masse — doit mettre la commodité à la 
portée du plus grand nombre. 
Loos s'insurge avec de plus en plus de virulence contre toute activité superflue, contre tout 
gaspillage constituant à ses yeux autant de symptômes du déracinement culturel qui sévit 
sur la scène architecturale de son temps. (« “Ne regardez pas cette horreur ;  j'ai fait ça il y 
a trois ans!”, est un mot qui ne peut  que  sortir  de  la bouche d'un architecte. » A. Loos, 
 
     
  De façon fort habile Loos souligne notamment le niveau beaucoup plus évolué atteint par le 
monde  anglo-saxon,  voire  par  la  culture  dans  laquelle  la Sécession viennoise  puisait  elle-
même  ses  modèles  artistiques.  Il  brouille  néanmoins  quelque  peu  les  pistes  en  citant 
indifféremment  des  exemples  anglais  et  américains - et  ceux  derniers  devaient  être 
nettement plus familiers pour Loos, grâce à un séjour prolongé aux Etats-Unis (1893-96) -, 
ce qui lui permet de mettre l'accent davantage sur des innovations technologiques ou même 
d'ordre social, plutôt que sur des modes esthétiques. 
     
  On  peut  noter  une  analogie  des  plus  intéressantes  avec  la  polémique  qui  va  opposer 
l'écrivain Karl Kraus aux journalistes, responsables de ne pas se borner à communiquer les 
informations, pour leur donner en revanche une présentation plus stylée. Une telle tentative, 
de l'avis de Kraus se solde par un double échec : la presse manque à son devoir d'informer et 
se ridiculise de surcroît  car, malgré les  ambitions grotesques de  ces  tâcherons, jamais leur 
prose ne pourra prétendre à une quelconque dignité littéraire. (« La manie de dissimuler la 
vie pratique par le biais de l'ornement, qu'Adolf Loos a si bien mise en évidence, trouve son 
pendant dans les mots spirituels dont les journalistes truffent leurs travaux, engendrant ainsi 
une confusion catastrophique. Les phrases sont l'ornement de l'esprit... » ; in “Die Fackel”, n. 
279/280, du 15 mars 1909.)