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comparaison très sommaire avec la position d'Otto Wagner - dans les mêmes années
permettra de mieux saisir l'originalité de Loos.
D'un côté, Wagner souhaitait une primauté de l'architecture sur les autres arts - et
notamment sur les nouveaux arts appliqués -, alors que pour Loos il était inconcevable
que des auteurs de projet étrangers à la réalisation matérielle d'un ouvrage pussent exercer
sur celui-ci une quelconque tutelle ‘artistique’, d'autant qu'à son avis les nouvelles
générations d'architectes étaient trop obsédées par la quête du nouveau et n'avaient pas
l'humilité nécessaire pour apprendre la valeur des techniques traditionnelles. De l'autre
côté, Wagner poussait jusqu'à l'intolérance son hostilité à l'égard des nouveaux
lotissements d'habitations unifamiliales, qu'il jugeait foncièrement anti-économiques, alors
que Loos estimait sans doute qu'il n'était guère possible d'aller contre cette demande (tout
en comprenant les arguments de Wagner), et s'efforçait en tout état de cause de soumettre
ce phénomène à des principes rationnels et même, somme toute, économiques.
Depuis les tout premiers écrits (1897-98) par lesquels il s'impose à l'attention du public
viennois, Loos essaie de sensibiliser les lecteurs aux nombreux ferments positifs
qu'engendrent
les transformations en cours, non sans les mettre en garde contre des
mystifications de plus en plus fréquentes, surtout dans les domaines culturel et artistique. Il
s'insurge notamment contre l'approche esthétisante qui tend alors à s'imposer, et à laquelle
il reproche une confusion de genres qu'il vaudrait bien mieux garder distincts.
Au-delà des thèmes apparemment frivoles, tels l'habillement, les voitures de luxe ou même
des questions d'étiquette, Loos se propose de démystifier le rôle de démiurge que les
architectes s'arrogent dans leur obsession de créer des modes ephémères, de s'inventer des
prétextes d'architecture à tout bout de champ, alors que la civilisation va dans la direction
opposée.
L'erreur commise par les architectes consiste notamment à confondre leur travail avec
celui de l'artiste, sans se rendre compte que l'art doit surtout viser une élévation de l'esprit,
alors que l'architecture — dans une société de masse — doit mettre la commodité à la
portée du plus grand nombre.
Loos s'insurge avec de plus en plus de virulence contre toute activité superflue, contre tout
gaspillage constituant à ses yeux autant de symptômes du déracinement culturel qui sévit
sur la scène architecturale de son temps. (« “Ne regardez pas cette horreur ; j'ai fait ça il y
a trois ans!”, est un mot qui ne peut que sortir de la bouche d'un architecte. » A. Loos,
De façon fort habile Loos souligne notamment le niveau beaucoup plus évolué atteint par le
monde anglo-saxon, voire par la culture dans laquelle la Sécession viennoise puisait elle-
même ses modèles artistiques. Il brouille néanmoins quelque peu les pistes en citant
indifféremment des exemples anglais et américains - et ceux derniers devaient être
nettement plus familiers pour Loos, grâce à un séjour prolongé aux Etats-Unis (1893-96) -,
ce qui lui permet de mettre l'accent davantage sur des innovations technologiques ou même
d'ordre social, plutôt que sur des modes esthétiques.
On peut noter une analogie des plus intéressantes avec la polémique qui va opposer
l'écrivain Karl Kraus aux journalistes, responsables de ne pas se borner à communiquer les
informations, pour leur donner en revanche une présentation plus stylée. Une telle tentative,
de l'avis de Kraus se solde par un double échec : la presse manque à son devoir d'informer et
se ridiculise de surcroît car, malgré les ambitions grotesques de ces tâcherons, jamais leur
prose ne pourra prétendre à une quelconque dignité littéraire. (« La manie de dissimuler la
vie pratique par le biais de l'ornement, qu'Adolf Loos a si bien mise en évidence, trouve son
pendant dans les mots spirituels dont les journalistes truffent leurs travaux, engendrant ainsi
une confusion catastrophique. Les phrases sont l'ornement de l'esprit... » ; in “Die Fackel”, n.
279/280, du 15 mars 1909.)