pour une théorie juridique de l`état

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POUR UNE THÉORIE JURIDIQUE DE L’ÉTAT
Michel TROPER
Presses Universitaire de France
Paris 1994
1. Faire le panage dans la tradition juridique romaine entre ce qui pouvait entrer
dans un système de droit positif actuel et ce qui devait être .abandonné à la
spéculation érudite… L’originalité du pandectisme tenait à ce que la science du
droit, construite sur les catégories élaborées par l’école du droit naturel, fût dans
son contenu, dans son matériau, une science du droit romain…Y. Thomas,
Mommsen et l’Isolierung du droit, Préface à Théodore Mommsen, le droit
public romain, Paris, Diffusion de Boccard, 7 vol., 1984 (réimprimer de
l’édition de 1892… Préface, Troper, P. 14.
2. En ce sens, la science du droit pouvait se réduire purement et simplement, selon
la formule de Savigny, à l’histoire du droit. Cette réduction ne signifie pas que
le droit est le résultat d’un processus historique, mais que l’on peut trouver dans
l’histoire des réponses aux questions théoriques fondamentales du fondement et
de la nature du droit… Préface P. 14.
3. Il faut rechercher dans le passé les principes d’une science du droit vraie et les
solutions adoptées par la Révolution sont contingentes et découlent des
nécessités pratiques… Préface P.15.
4. L’existence d’un principe intemporel et général de la théorie de l’Etat se prouve
par le fait qu’il constitue le fondement des institutions révolutionnaires, mais on
ne peut affirmer qu’il constitue ce fondement que parce qu’on a interprété les
institutions, précisément à l’aide de ce principe… Préface, P. 17.
5. L’état n’est pas perçu par la théorie générale de l’état comme une réalité
objective. Elle conçoit l’Etat comme l’ensemble des principes ou des
concepts, qui permettent de comprendre en quelle qualité ce nains
personnages exercent une certaine puissance et elle se donne pour tâche non
de décrire les principes à l’aide desquels ces personnages justifient en fait
leur pouvoir mais de « dégager » les principes les plus aptes à justifier ce
pouvoir dans tout Etat quel qu’il soit… Préface P. 18.
6. Ce que Carré de Malberg – et en général le courant doctrinal dans lequel il
s’insère – ne perçoit pas, c’est que si, comme il l’affirme, l’Etat n’est pas une
réalité, mais un concept, une fiction, une institution, un ensemble de normes,
alors la simple expression des principes, des valeurs, des représentations qui
le composent n’ est pas une théorie de l’Etat, parce qu’elle n’est pas un
ensemble cohérent de propositions, mais seulement un ensemble de
prescriptions… Préface P. 18.
7. Si la théorie générale de l’Etat était reconstruite sur ce modèle, on pourrait
facilement distinguer deux théories générales de l’Etat : d’une part l’ensemble
des principes qui ensemble constituent l’Etat, d’autre part la discipline qui décrit
ces principes et qui ne serait qu’une métathéorie. Cette démarche n’a guère été
suivie par les positivistes classiques…Préface P. 19.
8. Si l’on veut construire une science du droit, il faut donc nécessairement la
concevoir comme extérieure au droit lui-même. Elle ne peut être que la
connaissance du droit et, puisque le juste ne peut être connu, elle doit se donner
un objet différent, qui soit connaissable. Cet objet sera alors le discours des
juristes et le droit devra être défini comme un ensemble de prescriptions
présentant certaines propriétés. Mais il faut souligner que cette définition ne
découle d’aucune pris de position sur une quelconque « nature» ou « essence »
du droit. On a cru parfois que le positivisme juridique était lié à une théorie du
droit dite impérativiste ou volontariste, selon laquelle le droit est fait de
commandements émanant des détenteurs du pouvoir politique, surtout de l’un
d’entre eux, appelé le Souverain… P. 31- 32.
9. Ross critique d’ailleurs très violemment la conception kelsenienne de la validité.
Pour Kelsen, la validité est le mode d’existence spécifique des normes et dire
qu’une norme est valide signifie que les individus doivent se comporter comme
cette norme l’ordonne. Ross formule alors deux objections. En premier lieu,
cette proposition serait tautologique, car le contenu de la norme détermine la
manière dont les individus doivent se comporter. Dire que la norme est valide
signifierait donc selon Kelsen, interprété par Ross, que les individus doivent se
comporter comme ils doivent se comporter. En deuxième lieu, il s’agirait d’une
résurgence de la philosophie du droit naturel, car l’obligation d’obéir à une
norme ne peut être distinguée de l’obligation de faire ce que la norme prescrit :
elle ne peut pas être une simple obligation juridique conformément au système
juridique, mais devient une obligation envers le système. Elle ne peut donc
dériver du système lui-même, mais seulement d’un principe moral a priori.
Kelsen serait donc un quasi-positiviste…En réalité, la critique de Ross est en
grande partie injustifiée. Kelsen a bien écrit qu’affirmer qu’une norme est valide,
c’est affirmer qu’il faut se conformer à cette norme, mais il a toujours pris soin
de distinguer entre une obligation absolue d’obéir au droit et une obligation
d’obéir à telle norme particulière du système juridique. La première est une
obligation de type moral et la science du droit ne saurait la prescrire. Seule la
seconde est une obligation juridique. Une norme A prescrit de se conformer à
une norme B : affirmer que la norme B est valide, c’est donc bien affirmer qu’il
existe objectivement, une obligation de se conduire conformément à la norme B,
mais cette obligation n’est que relative à la prescription de la norme A…P.43.
Théorie Général de l’État
10. le dualisme traditionnel repose entièrement sur l’idée que le droit est un produit
de la volonté. En effet si toute règle est produite par un acte de volonté, il faut
malgré tout expliquer que tout acte de volonté ne produit pas une règle. On ne
peut y parvenir qu’en distinguant parmi les actes de volonté ceux qui sont
accomplis en application d’un acte de volonté supérieur et qui pour cette raison
sont créateurs de droit. L’acte de volonté supérieur est lui-même créateur de
droit s’il a été accompli en application d’un acte de volonté encore
supérieur. Or, la volonté est nécessairement celle d’une personne et l’acte de
volonté supérieur doit nécessairement être attribué, comme les autres à une
personne. La théorie traditionnelle est ainsi amenée à imaginer un être supérieur,
qu’on représente comme une espèce de surhomme et dont la volonté produit les
règles de niveau supérieur, appelé es « droit objectif »…Cette idée est
cependant profondément erronée pour plusieurs raisons. Si on conçoit la volonté
comme un phénomène psychologique et si l’on peut se représenter l’unité de la
volonté quand il s’agit des individus, on ne peut évidemment pas parler de
volonté de l’Etat en ce sens. La volonté chez les individus implique au moins
une conscience et une capacité de se représenter un buts. Jellinek croit y parvenir
en distinguant chez certains hommes la volonté psychologique qu’ils expriment
en tant qu’individus et une volonté différente, définie par le but poursuivi et qui
leur est commun à tous, qu’ils expriment en tant qu’organes et qui peut être
rapportée à l’Etat. La volonté de l’Etat serait donc bien un phénomène
psychologique ; cependant. Il aurait son siège non dans une conscience
autonome. Mais dans celle de certains hommes. A cela, Kelsen objecte que
les hommes qui ont la qualité d’organes de l’Etat ne veulent pas toujours le
contenu de la norme qu’ils posent. Qu’on songe aux parlementaires, qui peuvent
bien Voter une loi sans en vouloir le contenu et parfois sans même le connaître.
Au demeurant, même s’ils ont voulu la norme, quel rapport peut-il y avoir entre
la volonté au sens psychologique des parlementaires, celle des juges et celle des
administrateurs ? Contrairement à ce qu’affirme Jellinek, il n’existe aucun
élément psychologique commun à tous ceux qui sont regardés comme ayant la
qualité d’organes de l’Etat. S’ils possèdent cette qualité, ce n’est pas en raison
de quelque trait psychologique, mais seule ment parce qu’ils sont habilités
par des normes juridiques, de telle manière que certains des actes qu’ils
accomplissent sont imputés non à eux-mêmes, mais à l’Etat…le principal
argument contre l’idée que le droit serait le produit de la volonté étatique est que
la volonté n’est qu’un fait et qu’aucun fait ne peut produire du droit. Seul le
droit peut produire du droit. Ce sont les normes en effet, qui font d’un certain
fait, l’expression d’une volonté, la condition de production d’une norme. Une
norme supérieure transforme la volonté en fait créateur de droit. Ce n’est
pas la volonté qui produit la norme, mais la norme qui produit la volonté.
 P. 147-148.
11. Il est nécessaire tout d’abord pour distinguer deux types d’ordre juridique :
d’une part ceux qui sont décentralisés, comme les ordres juridiques primitifs ou
l’ordre juridique international, dans lesquels ce ne sont pas des organes
spécialisés qui créent et appliquent les normes juridiques, mais les sujets euxmêmes ; d’autre pan, ceux qui sont centralisés, dans lesquels l’ordre juridique
institue des organes spécialisés, comme un Parlement ou des tribunaux, pour
créer et appliquer les normes juridiques. Le terme « Etat » désigne ces ordres
juridiques centralisés… P. 149 l’essence de l’état.
12. Le concept d’Etat est l’instrument qui permet d’opérer une telle distinction.
L’État se confond donc avec l’ordre juridique, non pas avec le concept d’ordre
juridique, mais avec un ordre juridique concret… P. 150.
13. L’ordre juridique est caractérisé principalement comme un ordre dynamique,
parce que la validité dépend du mode de création ; d’autre part, le droit n’obéit
pas à la logique, toujours parce que la validité d’une norme ne dépend pas de la
conformité de son contenu au contenu d’une autre norme, mais seulement de
l’existence d’un fait empirique, la manifestation d’une volonté… Si la norme est
l’expression d’un acte de volonté, il faut nécessairement, pour toute norme,
supposer un être dont elle exprime la volonté : puisque la constitution, la loi, les
décisions administratives, les sentences des tribunaux ne peuvent être
considérées comme l’expression de la volonté des hommes qui les énoncent, on
est contraint de supposer qu’elles sont l’expression de la volonté d’un être qui ne
peut être que l’Etat… P.152-153.
14. Le droit est un ensemble de normes, comprises comme les expressions d’actes
de volonté, dont chacun est justifié par sa relation avec un autre acte de volonté.
C’est donc une forme d’exercice du pouvoir politique. Dont la spécificité réside
dans la nature de ces relations entre actes de volonté. C’est un système normatif,
doté d’une hiérarchie à la fois statique et dynamique…L‘Etat, au sens strict, est
donc bien lié au droit. Mais, il ne s’identifie pas avec lui. Il ne constitue pas non
plus un caractère spécifique de certains ordres juridiques. Ce n’est pas l’Etat qui
définit le droit, mais le droit, la forme juridique, qui définit et constitue
l’Etat… P. 158-159.
15. Si l’on prend par exemple la définition de l’Etat la plus courante, celle par les
trois éléments, le peuple, le territoire et la puissance publique, on s’aperçoit
rapidement que chacun d’eux doit être défini par l’ordre juridique. Ainsi, le
peuple n’est pas un ensemble d’hommes donné dans la nature, mais un ensemble
soumis aux normes d’un même ordre juridique. De même, le territoire de l’Etat
est seulement l’espace sur lequel sont applicables les normes d’un certain ordre
juridique, etc. Mais il en résulte que, comme dans le cas précédent pour
bénéficier d’une méthode d’identification des normes juridiques, on doit pour
définir l’Etat disposer d’une définition de l’ordre juridique…164.
16. Il existe de même une incertitude sur le critère tiré de la centralisation. Ce critère
est nécessaire à Kelsen, qui soutient la thèse de l’unité de l’Etat et du Droit, pour
affirmer que le droit international est bien un ordre juridique, même s’il n’est
pas un Etat. La thèse de l’unité peut alors être corrigée facilement : l’Etat est le
nom donné à un ordre juridique centralisé. Cela dit, si l’on entend par
« centralisation »une organisation dans laquelle l’exercice de la contrainte est le
monopole d’organes spécialisé, il faut affronter une difficulté considérable pour
la thèse de l’unité: les actes de contrainte ne sont plus rapportés à l’ordre
juridique, mais seulement aux organes, qui les accomplissent et de la même
manière les actes de volonté, qui ont la signification objective de normes
individuelles, ne sont pas rapportés davantage à l’ordre juridique, mais
seulement à leurs auteurs, c’est –à –dire, dans le cas des contrats, aux
particuliers, On retrouve alors le dualisme du droit public et du droit privé et
donc celui de l’Etat et du droit, qu’on avait voulu éliminer… P. 166
17. Le système statique est celui, Kelsen, dans lequel les normes sont valables en
raison de leur fond, c parce que leur validité peut être rapportée à une norme
sous le fond de laquelle leur propre validité se laisse subsumer, comme le
particulier sous le général. le système dynamique est celui dans lequel une
norme est valable non en raison de son contenu, mais parce qu’elle a été créée de
la façon déterminée par la norme supérieure… P. 169.
18. le droit appartiendrait, selon Kelsen, au deuxième type : « les systèmes de
normes, qui se présentent comme des ordres juridiques ont, pour 1‘essentiel, un
caractère dynamique ». L’explication est simple : « Une norme juridique –n’est
pas valable parce qu’elle a un certain contenu, c’est-à-dire parce que son
contenu peut être déduit, par voie de raisonnement logique, d’une norme
fondamentale supposée ; elle est valable parce qu’elle est créée d’une certaine
façon… c’est pour cette raison seulement qu’elle fait partie de l’ordre juridique
dont les normes sont créées conformément à cette norme fondamentale ». il y a
d’ailleurs une seconde explication : une norme en vigueur ne peut être
considérée comme nulle, mais seulement comme annulable. Parler d’une
nonne nulle serait une contradictio in adjecto. Si une norme est en vigueur,
même si en apparence son contenu est contraire à celui d’une norme
supérieure, c’est qu’elle est valide (jusqu’au jour de son annulation) et elle
trouve le fondement de sa validité dans une norme supérieure. Mais
comment savoir qu’elle est en vigueur ? Si elle a été posée conforment à la
procédure prévue par la norme supérieure… P. 169.
19. Il subsiste également une incertitude dans la mise en œuvre du critère. On a vu
que la véritable signification de la distinction et de l’affirmation que le système
juridique est dynamique doit être recherchée dans la thèse de Kelsen, selon
laquelle une norme est en Vigueur – et donc valide – tant qu’elle n’a pas été
annulée, même si son contenu est en apparence contraire à celui de la normesupérieure, ce qui conduit à admettre une validité prima facie dès que la norme a
été émise par un organe de 1’ordre juridique. Mais, à cette thèse, on peut faire
quatre objections :
– S’il est impossible d’affirmer avant l’annulation que la norme n’a pas été posée
de la manière prescrite, il est impossible également d’affirmer, que son contenu
est contraire à celui de la norme supérieure, tant –que cela n’a pas été établi par
un tribunal.
– La thèse de la prééminence du principe dynamique ne serait vraie que si le
tribunal, saisi d’une demande d’annulation, affirmait simultanément que le
contenu de la norme est contraire au contenu de la nonne’ supérieure et que cette
norme est néanmoins valide parce que pesée par l’organe compétent. Une telle
situation ne se réalise évidemment jamais.
– L’idée d’une validité prima facie conduit à la thèse, également soutenue par
Kelsen, que toute norme, même émis par un individu quelconque dépourvu de la
qualité d’organe, que « quelque chose qui se présente avec la prétention d’être
une norme juridique », ne peut considérée a priori comme nulle et ne peut être
annulée qu’au terme d’une procédure régulèire. Mais, cela signifie que si ce
« quelque chose » est, jusqu’à son annulation, une norme valide, le fondement
de cette validité doit nécessairement se trouver dans une norme supérieur et
Kelsen devrait alors admettre ce paradoxe que la norme, émise par l’individu
quelconque, sans aucune compétence, a été. posée malgré tout de la façon
prescrite par une norme supérieure.
– L’idée de validité prima facie signifie que la norme en vigueur doit être
considérée, jusqu’à l’annulation, comme conforme à la norme supérieure, à la
fois quant a son contenu et quant à sa procédure d’édiction… P. 170-171.
20. Le caractère obligatoire ou validité n’est jamais une propriété objective de la
norme, ni son mode d’existence. La relation n’est pas elle-même objective, mais
seulement une mise en relation par l’auteur d’un énoncé. Si cette mise en
relation est jugée adéquate dans la société considérée, ce qui est une question de
fait, la décision est considérée comme justifiée et l’on peut dire qu’elle présente
le caractère d’une norme. Le système juridique n’est alors pas autre chose qu’un
système de justification… P. 174.
21. Un système exclusivement dynamique serait un système de délégation. Aucun
despote ne pouvant exercer seul la totalité du pouvoir, c’est-à-dire émettre tous
les commandements, il peut habiliter des fonctionnaires à prendre des décisions,
par exemple dans une province. Ceux-ci ne sont pas spécialisés. Le contenu des
décisions n’est pas prescrit et les fonctionnaires disposent à cet égard d’un
pouvoir totalement discrétionnaire. Le despote peut à tout moment leur retirer
leur pouvoir, abroger ou réformer leurs décisions. Dans un tel système, chaque
fonctionnaire justifie ses actes par la délégation dont il a bénéficié. Il agit au
nom du despote…Un système exclusivement statique serait un système, comme
la morale ou le droit naturel, dans lequel un énoncé aurait la signification d’une
norme uniquement parce qu’il est admis, dans la société considérée, qu’il a
dérivé d’un autre énoncé. Son auteur parle au nom de la vérité…Le droit positif
des sociétés modernes est un système à la fois statique et dynamique, puisque
toutes les décisions sont toujours justifiées à la fois par leur conformité au
contenu d’un autre énoncé et par l’habilitation conférée à leur auteur, au nom de
la vérité et au nom de l’autorité supérieure.  P. 175.
22. Si l’on admet la thèse de l’identité de l’Etat et du Droit, on peut alors décrire
l’Etat comme un système spécifique de relations entre décisions, c’est-à-dire
comme un mode particulier de justification et d’exercice du pouvoir… P.
176.
23. Si l’on compare les deux droits quant à leur contenu objectif, c’est- à -dire quant
au fond des règles, si l’on pose la question « est-ce la même règle ou deux règles
différentes qui s’appliquent selon que la situation envisagée intéresse des
rapports entre particuliers ou des rapports entre personnes publiques et
particuliers ? », alors il faut choisir le premier terme, parce que, d’une part, de
nombreuses activités publiques sont soumises aux mêmes règles que les activités
privées et qu’il y a ainsi compénétration et que, d’une part, les différences entre
les deux droits se sont atténuées et que des tendances politiques semblables
guident l’action du législateur dans les deux domaines. De la même manière, à
propos de la responsabilité en droit public et en droit privé, il estime que on
ne pourrait opposer les deux droits qu’à deux conditions, qui ne sont pas
remplies : que la responsabilité publique soit régie par un droit spécial ; que
le fond de ce droit spécial diffère du droit privé dans ses caractères et ses
principes essentiels… P. 187.
24. D’abord, il peut s’agir d’une simple distinction conceptuelle, qui ne correspond
en réalité à aucune fonction dans le droit positif, comme dans les fameuses
définitions d’Ulpien : « Duae sunt positiones, publicum et privatum, publicum
ius est quod ad statum rei Romanae spectat, privatum quod ad singulorum
utilitatem : sunt enim quaedam publice utilita, quaedam privatum. Publicum ius
in sacris, in sacredotibus, in magistratibus consistit. Privatum ius tripertum est :
collectum etenim est ex naturalibus praeceptis aut gentium aut civilibus »… P.
189.
25. Le droit privé existe dans l’état de nature et, dans l’état social, il doit être garanti
par le droit public ou social -Ainsi, Gerber écrit en 1852 : « On peut remarquer
ici une fois pour toutes, qu’au lieu des expressions plus exactes, mais qui ne
sonnent pas bien « staatsrechtliche Rechte » (droits politiques) et
« privatrechtliche Recht», devrait employer de préférence celles de « ôffentliche
Rechte » (droits publics) et de « privat Rechte » (droits privés) »p. 28, n…
P.193.
26. La relation entre le concept d’Etat et la distinction du droit public et du droit
Privé peut alors se comprendre d’une autre façon : l’Etat qui est pris comme
critère de la distinction, ce n’est pas seulement l’Etat comme concept juridique,
mais aussi l’Etat comme type historique d’exercice du pouvoir politique, celui
qui s’exerce dans la forme juridique… P. 193.
27. Pour les besoins de l’argumentation, on admettra avec Kelsen que Etat et droit
sont deux termes qui désignent une seule et même réalité et que l’Etat se
trouvera suffisamment défini lorsqu’on aura défini le droit ou ordre juridique.
En revanche, sur ce deuxième point, on s’écartera de la définition de Kelsen, qui
distingue les ordres normatifs selon leurs propriétés matérielles et qui appelle
droit un ordre immanent de contrainte, relativement centralisé et efficace en gros
et d’une manière générale. On admettra que l’ordre juridique est un ordre
normatif présentant une hiérarchie à la fois statique et dynamique. Dans
une hiérarchie statique, chaque norme est valide parce que son contenu est
conforme à celui d’une norme supérieure, notamment parce qu’il peut être
subsumé sous celui de la norme supérieure. Dans une hiérarchie dynamique,
une norme est valide, quel que soit son contenu, simplement parce qu’elle a été
énoncée de la manière prescrite par une norme supérieure. On conviendra alors
de ne pas appeler droit, ni Etat, un ordre normatif structuré autrement. Par
exemple parce qu’il ne comporterait pas de hiérarchie. Ou seulement une
hiérarchie statique ou encore seulement une hiérarchie dynamique. L’ordre
juridique ou Etat est une espèce d’ordre normatif, caractérisé par une
hiérarchie dynamique et statique.
On paye peut-être cette définition d’un prix élevé, car on ne pourra pas parler de
droit féodal, ni même de droit romain, tout au moins à l’époque de la République,
mais elle comporte en revanche deux avantages :
a. Elle permet de comprendre le droit et donc l’Etat comme une forme
spécifique d’exercice du pouvoir politique : l’Etat est le pouvoir qui
s’exerce dans la forme de normes organisées de manière statique et
dynamique. On rejoint d’ailleurs ici une intuition de Kelsen, qu’il n’a
malheureusement pas développée : celui qui veut savoir : ce qui se cache
derrière le droit ne découvrira, je le crains, ni la vérité absolue
d’une métaphysique, ni la justice absolue d’un droit naturel. Celui
qui soulève le voile et ne ferme pas les yeux, celui-là ne trouve que la
hideuse face de Gorgone du pouvoir qui le fixe ». Ce que ce pouvoir a de
spécifique, c’est évidemment d’abord qu’il peut se déconcentrer, sans
pour autant se diluer, puisque celui qui émet les normes les plus élevées
fait émettre les normes inférieures par d’autres, et en détermine
cependant le contenu. C’est ensuite que, à chaque niveau, l’auteur d’une
décision peut apparaître comme un simple exécutant ou un simple
interprète et que toute volonté peut ainsi se dissimuler, y compris celle
du législateur qui prétend se borner à exprimer « la volonté générale ».
b. Le second avantage de cette définition, qui nous concerne plus
particulièrement ici, est qu’elle peut contribuer à l’explication des
théories relatives à l’Etat. Il est certain en effet que la plupart des termes
du langage juridique n’ont pas d’autre référence que des concepts
nécessaires ou simplement utiles au fonctionnement du système juridique.
On peut alors rechercher quelle influence l’apparition historique de ce
système spécifique exerce sur la formation des concepts et des théories.
Si ce système spécifique peut être indifféremment appelé droit ou
Etat, on peut envisager de renverser la perspective traditionnelle,
qui veut expliquer l’Etat par une théorie de l’Etat et de tenter
d’expliquer la théorie de l’Etat par l’Etat… P. 194-195.
THÉORIE DU DROIT CONSTITUTIONNEL :
28. Es positivistes aussi peuvent penser que les droits de l’homme doivent être
respectés, non certes parce qu’ils seraient naturels, mais parce qu’ils ont été
proclamés et qu’ils font l’objet de dispositions constitutionnelles écrites,
autrement dit parce qu’il s’agit de droit positif. La thèse de la suprématie des
déclarations des droits n’est donc pas logiquement liée au
jusnaturalisme…P.205.
29. L’état est un groupe humain, ou qu’il a pour origine la conquête, le contrat, qu’il
reflète la lutte des classes, qu’il assure l’intérêt général, etc… P. 244.
30. C’est incontestablement cette démarche qu’adoptent les auteurs
contemporains lorsqu’ils prétendent déduire par exemple du principe de la
souveraineté nationale la norme selon laquelle la révision constitutionnelle
peut (ou ne peut pas) être soumise au référendum prévu par l’article 11 de
la ConstitUtion. On doit souligner qu’elle est tout à fait illégitime, même si
le principe qui sen de prémisse est bien proclamé ou consacré par le texte
constitutionnel. Si en effet ce principe est simplement consacré, sans être
proclamé, par la constitution, il n’existe aucune ce ni tu de quant à sa nature et à
son contenu. S’il est proclamé par le texte, celui-ci doit être interprété et il
n’existe aucune procédure d’interprétation authentique. Et à supposer qu’on
connaisse avec certitude le contenu du principe consacré ou proclamé par le
constituant, on ne peut en déduire une norme particulière qu’en supposant que le
constituant a voulu non seulement les principes qu’il a énoncés mais également
les normes qui pourraient en être logiquement déduites. Or, rien n’autorise la
doctrine à faire cette supposition. En réalité, toute norme est nécessairement la
signification d’un acte de volonté et la norme particulière prétendument déduite
ou dégagée par les auteurs n’est que la signification de leur propre Volonté.
La doctrine peut tenter d’inférer des normes à partir de jugements de réalité.
Ainsi, de ce que «tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », on infère
a la manière de Montesquieu qu’il faut que « le pouvoir arrête le pouvoir ».
Mais cette dernière proposition n’est valide que si d’une pan il est vrai que les
hommes ont une tendance naturelle à abuser du pouvoir, si d’autre part il est
possible de remédier à cette tendance et si enfin et surtout il est souhaitable de le
faire. La démarche implique donc un jugement de valeur, un parti pris en faveur
du libéralisme politique… P. 245.
31. D’un autre côté, on peut penser que, puisque le juge interprète la constitution, il
exerce un pouvoir constituant. Selon l’expression du professeur Eisenmann au
colloque de Heidelberg, « le juge en interprétant créé ». On peut remarquer a ce
propos que cette formule signifie que le professeur Eisenmann renonce – à juste
titre – à une distinction qu’il avait proposée dans sa thèse sur la Justice
constitutionnelle en Autriche entre les pouvoirs du juge dans le cas d’une
interprétation donnée in abstracto et dans le cas une interprétation in concreto. Il
écrivait alors que le juge n’est constituant que s’il a le pouvoir de donner une
interprétation « dans l’abstrait, en dehors de tout procès sur un acte ». En réalité,
le Pouvoir du juge est le même dans les deux cas. La seule différence est
formelle et concerne uniquement la portée du dispositif du jugement : dans le
cas du jugement in abstracto, le tribunal déclare que telle disposition
constitutionnelle a tel sens, ou en d’autres termes qu’elle contient telle norme ;
dans le cas du jugement in concreto, il annule ou valide un acte donné. Il n’y a
donc pas à proprement parler d’interprétation dans le dispositif du jugement in
concreto. Mais ce jugement implique cependant une interprétation préalable
d’une ou de plusieurs dispositions constitutionnelles pour déterminer si l’acte
qui a fait l’objet du procès leur est ou non contraire. Or, cette interprétation
préalable ne peut être qu’abstraite. Elle oblige d’ailleurs le législateur soumis au
contrôle de constitutionnalité, non seulement pour la question en litige, mais
pour tous les cas où il aura à appliquer les mêmes dispositions. L’interprétation
est donc toujours abstraite, qu’elle soit donnée dans un jugement in abstracto ou
à c ocasion d’un jugement in concreto et son auteur est toujours législateur
constitutionnel. C’est ce qu’exprime la formule célèbre et un peu brutale du
Chief Justice Hugues, « the constitution is what the judges say it is » Hendel,
Charles Evan Hugues and the supreme court, 1951… P. 308-309.
32. Ile est encore volontaire lorsque la conduite ordon née ou permise est désignée
par un terme imprécise: le Parlement est habilité à voter la loi, mais il est
habilité à voter toutes les lois qu’il estimera opportunes ; le Président de la
République doit prendre « les mesures exigées par les circonstances » mais c’est
à lui qu’il appartiendra de déterminer ce que les circonstances exigent… P.
333.
33. Il faut souligner à ce propos que, contrairement à ce qu’affirme une doctrine
dominante, l’interprétation ne concerne pas seulement l’application des textes
obscurs. Il n’y a pas de texte clair qui échapperait à l’interprétation, car pour
établir qu’il est clair, il faut d’abord l’interpréter… P. 333.
34. L’hésitation de Kelsen s’explique : si cette théorie est vraie, le juge n’est plus
soumis à la loi, ni les pouvoirs publics à la constitution et l’on est contraint de
reconsidérer l’idée d’une hiérarchie de l’ordre juridique. Selon la théorie pure du
droit, une norme est la signification objective d’un acte de volonté. Cette
signification objective, que l’on appelle aussi « validité » ou existence en tant
que norme, résulte de la conformité de l’acte de volonté à la norme supérieure. Il
résulte de cette définition, que c’est l’autorité d’application qui énonce la norme
qu’elle applique, car si interpréter c’est déterminer la signification d’un texte,
c’est déterminer la norme contenue dans ce texte… Michel Troper, Kelsen, la
théorie de l’interprétation et la structure de l’ordre juridique, in Revue
internationale de philosophie, 1981, p. 518-529… P. 335.
35. Si l’on applique à présent ces idées à la relation entre la constitution et la loi
selon le droit positif français, on doit nécessairement faire deux constatations.
La première est qu’il n’existe aucune hiérarchie entre la constitution et les
décisions du Conseil constitutionnel. La décision est en effet fondée sur une
norme constitutionnelle, mais celle-ci n’est pas le texte de la constitution ; c’est
la signification que lui attribue le Conseil. Autrement dit, le Conseil – et ses
décision- n’est pas soumis à une norme, qui émanerait du pouvoir constituant.
Ainsi, lorsqu’il décide que certains articles d’une loi de nationalisation « ne sont
pas, en ce qui concerne le caractère juste de l’indemnité, conformes aux
exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen »,
c’est qu’il a choisi une interprétation du mot c juste. Contenu dans la
Déclaration, telle que les dispositions en question apparaissent en effet
contraires à la constitution – décision n° 81-132 du 16 janvier 1982. rec. P. 18 ;
in louis Favoreu, Loïc Philip. Les grandes décisions du Conseil constitutionnel,
Paris. Sirey. 1989. p.465-468--. Mais il aurait pu aussi choisir une interprétation
différente, telle que la loi apparaisse cette fois conforme. Il n’est donc bien
soumis qu’à ses propres normes, à sa propre volonté. la seconde constatation
est que le Conseil constitutionnel est co-législateur ou co-auteur de la loi. Cette
qualité peut être déterminée à l’aide d’un critère simple, formulé par Charles
Eisenmann : est auteur ou co-auteur d’un acte, toute autorité qui participe de
manière décisionnelle au processus d’ édiction de l’acte, autrement dit toute
autorité dont le consentement est indispensable à la formation de l’acte. Ce
critère conduit à refuser la qualité d’auteur ou de co-auteur à tous ceux qui
participent de façon non décisionnelle, par exemple ceux qui y participent
intellectuellement, comme les experts, ou matériellement comme les secrétaires.
En revanche, tous ceux qui peuvent s’opposer à l’édiction de l’acte sont coauteurs. En accordant telle ou telle signification aux mots du texte
constitutionnel, le Conseil est bien à même de s’opposer à la promulgation d’une
loi… P. 335-336.
36. Le Conseil, à la différence de la Cour suprême des Etats-Unis, ne peut
jamais être considéré comme législateur unique, car il ne peut se saisir luimême et ne peut imposer seul des règles sans que le Parlement en ait
d’abord débattu. Il n’est que co-législateur. A ce point, on peut formuler
trois objections : 1/ l’évolution de la justice constitutionnelle en France,
notamment depuis 1971, ou la prise en compte des jurisprudences
constitutionnelles étrangères devraient conduire à modifier la théorie ; 2/
pour ce qui concerne la hiérarchie entre la constitution et la loi, il importe
de distinguer entre les systèmes dans lesquels existe une justice
constitutionnelle et ceux dans lesquels elle n’existe pas. Dans ce dernier cas,
il n’y a en effet pas de hiérarchie, car le législateur n’est pas soumis à la
constitution, mais il y en a une lorsqu’il y a une justice constitutionnelle,
parce que le législateur est soumis aux principes constitutionnels établis par
le juge ; 3/ la conséquence extrême de la théorie est qu’il n’y a pas de
hiérarchie du tout, car chacun peut interpréter les normes et cette
interprétation peut à son tour faire l’objet d’une interprétation… P. 336.
Sur le premier point, il ne semble pas que le pouvoir du juge
constitutionnel ait beaucoup changé en France depuis une vingtaine
d’années ou qu’il soit radicalement différent de ce qu’il est à l’étranger.
Dans tous les cas, le juge peut interpréter la constitution par un acte de
volonté et ainsi approuver ou désapprouver la loi et déterminer le contenu
de la constitution. C’est si vrai que le Conseil constitutionnel français a en
1971 interprété la constitution de manière à étendre ses compétences,
imitant ainsi l’exemple de la Cour suprême des Etats-Unis en 1803. La
seule différence est que le juge français ne peut pas se saisir lui-même,
qu’il n’est saisi que de certaines lois et qu’il doit pour ces raisons, être
considéré comme un co- législateur, tandis que certaines cours étrangères
sont amenées à cause des particularités de la procédure à examiner la
plupart des lois et à prendre des décisions, qui seront transmises aux cours
inférieures et aux administrations, de sorte qu’elles sont non seulement des
co-législateurs, mais des législateurs à pan entière. La jurisprudence de la
cour américaine, dite affirmative action, offre un bon exemple d’une telle
législation. En second lieu, il ne paraît pas utile de distinguer entre d’une
part les situa rions dans lesquelles il n’ y a pas de juge constitutionnel et
où il n’ y a pas non plus de hiérarchie entre la constitution et la loi, parce
que le législateur peut impunément enfreindre les prescriptions
constitutionnelles et d’autre part celles où existe un contrôle de
constitutionnalité et où par conséquent une hiérarchie serait préservée,
puisque le législateur serait alors effectivement soumis aux principes
constitutionnels. U ne telle distinction présuppose en effet que l’on appelle
« législateur » le seul Parlement. Si l’on accepte cette conception, alors en
effet, lorsqu t il existe un contrôle, le Parlement ne peut enfreindre la
constitution. Mais il faut observer que la constitution qu’il ne peut
enfreindre, est la constitution telle que l’interprète le juge. Il n’est pas
soumis à un texte, mais à une norme créée par le juge. Ensuite et surtout,
le véritable législateur, l’auteur de la loi, n’est pas le Parlement, c’est
l’ensemble de ceux qui participent à sa confection, y compris le juge. Or,
envisagé globalement, ce législateur n’est pas plus soumis à la constitution
que le Parlement de la V République. Le troisième point est le plus
délicat : si l’on considère que toute autorité d’application crée la norme
qu’elle applique, n’est-on pas conduit à admettre non seulement que la
constitution ne s’impose pas à la loi, mais aussi que la loi ne s’impose pas
à l’administration ou au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation, ni la
jurisprudence de la Cour de cassation aux tribunaux inférieurs ? A cet
égard une nouvelle distinction est nécessaire entre la situation du Conseil
d’Etat ou de la Cour de cassation par rapport à la loi et celle des tribunaux
inférieurs par rapport à la jurisprudence d’une Cour souveraine. Dans le
premier cas, en effet, il existe une possibilité pour une Cour souveraine
d’interpréter librement le texte de la loi et de créer ainsi la norme que ce
texte est réputé exprimer. L’arrêt dame Lamotte en est un exemple
frappant. Certes, le fait que cette possibilité existe ne signifie pas que les
cours en usent toujours sans réserve et elles sont d’ailleurs enserrées dans
un réseau de contraintes, qu’on examinera dans la seconde partie, mais on
peut en effet étendre à ces cours la thèse réaliste et son corollaire : dans
une large mesure, par leur jurisprudence, elles recréent la loi et ne lui sont
donc pas soumises. Toute autre est la situation des tribunaux inférieurs : il
est vrai qu’ils doivent, avant de les appliquer, interpréter la loi et la
jurisprudence des cours souveraines, mais cette interprétation est
contrôlée : si elle n’est pas jugée conforme, elle peut être réformée. On
pourrait objecter que la jurisprudence du Conseil d’Etat peut, elle aussi,
être renversée par une loi ou que celle du Conseil constitutionnel pourrait
être anéantie par une révision de la constitUtion. Mais cette possibilité
n’est pas un argument en faveur de l’existence d’une hiérarchie, car une
loi peut être abrogée par une autre loi, alors qu’il n’ y a bien sûr aucune
hiérarchie entre elles. D’ailleurs une révision de la constitution n’aurait
pas pour objet direct de c réformer. Une décision du juge constitutionnel,
comme le Conseil d’Etat annule le jugement d’un tribunal administratif,
mais seulement de substituer un nouveau texte à celui qui aurait été
interprété, dans un sens inopportun par le Conseil constitutionnel. La
jurisprudence constitutionnelle ne se trouve donc pas à un niveau
subordonné à celui de la constitution elle-même.
Ceci autorise alors deux conclusions : la première est que, sous la V.
République. La fonction législative est exercée par un organe complexe.
Dont l’un des organes partiels est l’ensemble formé par le gouvernement
et le Parlement (le consentement du gouvernement est indispensable,
puisqu’il décide discrétionnaire ment d’inscrire un projet ou une
proposition à l’ordre du jour, comme celui du Parlement qui doit l’adopter)
et dont l’autre organe partiel est l’ensemble formé par l’une des autorités
de saisine du Conseil constitutionnel et par le Conseil constitutionnel luimême. Ce législateur, considéré globalement, n’est pas soumis à la
constitution, pas plus que ne l’était le Parlement de la Ill » République. La
seconde conclusion est que, dans un système politique qui se proclame
démocratique, la loi n’est entièrement faite ni par le peuple lui-même, ni
par les élus du peuple. La question posée au début de cette réflexion reste
donc entière : quel est le sens de l’expression c souveraineté du peuple. Ou
du mot « démocratie »dans un tel système ?...  P. 336-338.
37. L’institution d’un juge constitutionnel se rattache précisément à ce type de
Système : il participe à la production de la loi et accomplit un acte de
volonté, mais, Contrairement à une assemblée parlementaire ou à un
organe muni d’un droit de Veto, il ne se prononce pas en opportunité. Il
ne peut pas apprécier si les fins sont désirables ou les moyens adéquats
aux fins. S’il ne le peut pas, ce n’est pas parce que le texte constitutionnel
lui prescrit de se prononcer « en droit » mais bien parce que la situation
dans laquelle il se trouve placé et la procédure qu’il suit font peser Sur lui
des contraintes, qui l’empêchent de se prononcer en opportunité… P.
342.
38. Cette conclusion paraît préférable à la thèse par laquelle on tente
traditionnellement de justifier la justice constitutionnelle au regard de la
théorie démocratique. La faiblesse de cette tentative de conciliation
provient de ce qu’elle opère sur un seul des deux termes à concilier, celui
de c démocratie. Et doit présupposer que la justice constitutionnelle est
neutre. Mais elle n’est pas neutre et il faut nécessairement opérer
simultanément sur les deux termes : la démocratie n’est pas la volonté
de la majorité, mais la volonté générale et celle-ci est exprimée par des
représentants. Le juge constitutionnel est l’un de ces représentants. Il
permet de résoudre la difficulté soulevée par les projets d’admettre
l’exception d’inconstitutionnalité. La loi doit être l’expression de la
volonté générale. La volonté générale n’est pas celle du moment du vote.
C’est celle du moment de l’application. D’ailleurs les lois restent en
vigueur tant qu’elles sont conformes à la volonté du législateur actuel et
c’est là que réside la justification de son application. Elles doivent donc
être conformes à la volonté générale actuelle : 1/ N’être pas abrogées par
le législateur actuel et 2/ Être conformes à la constitution actuelle,
exactement comme les lois nouvelles… P. 345.
39. Aussi est – il clair que l’existence d’une justice constitutionnelle
présuppose un concept de démocratie, défini non comme gouvernement
du peuple par le peuple lui-même, mais comme gouvernement d’une
volonté générale en partie formée sous l’influence que le peuple exerce
par le choix direct ou indirect de certains de ceux qui l’expriment… P.
346.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Manuel de Droit Constitutionnel, Librairie général de droit et de jurisprudence,
Paris 1991, Troper, Francis Hamon et Georges Burdeau :
40. l’État de droit doit être soumis au droit et il faut instituer des mécanismes qui
garantissent cette soumission…selon la conception positiviste, il n’y a pas
d’autre droit que celui qui a été posé par l’Etat, qui est l’expression de la volonté
de l’Etat. L’État ne peut donc jamais être soumis au droit, parce qu’il serait alors
simplement soumis à sa propre volonté. On peut seulement, dans cette
perspective, concevoir une auto- limitation de l’Etat.  P. 88.
41. L’Etat est une forme du pouvoir et le pouvoir n’est pas une force étrangère au
droit… P. 89.
42. Selon la doctrine de Hans Kelsen connue sous le nom de Théorie Pure du Droit,
le problème des rapports de l’Etat et du droit n’est qu’un faux problème (Kelsen,
1962, p. 370419). Il présuppose en effet que l’Etat et le droit sont deux entités
distinctes, alors qu’en réalité il s’agit d’une seule et même chose désignée par
deux noms différents. L’une des démonstrations de cette unité repose sur la
définition traditionnelle de l’Etat. On a vu que, selon Kelsen, les trois éléments
qui doivent servir à définir l’Etat, le peuple, le territoire et la puissance publique,
ne peuvent être définis que par l’Etat lui-même. Mais cela signifie qu’ils ne
peuvent être définis que par le droit : la population, en effet, est l’ensemble des
hommes, soumis aux normes appartenant à un certain ordre juridique ; le
territoire est l’espace sur lequel ces normes sont applicables ; la puissance
publique est celle qui s’exerce à l’aide de ces normes. Définir l’Etat, c’est bien
définir le droit… P. 90-91.
43. Elle apparaît comme une protection contre le risque d’arbitraire, puisque les
organes inférieurs de l’Etat ne peuvent jamais agir autrement que pour appliquer
une norme plus générale et antérieure, donc connue les sujets. Aussi, le premier
principe protecteur de la doctrine de l’Etat le droit est-il le principe de légalité... P. 94.
44. les principes supralégislatifs sont eux qui ont été inscrits dans la constitution par
le constituant originaire ; ce sont des principes du droit positif. Il en résulte que
puisque ces principes ont été posés dans la constitution, ils peuvent être modifiés
selon la procédure prévue pour la révision constitutionnelle. L’institution du
contrôle de constitutionnalité peut donc trouver dans cette conception sa
justification, car l’annulation d’une loi pour inconstitutionnalité signifie alors
non pas que le juge constitutionnel s’est opposé à la volonté des représentants du
peuple, mais simplement qu’il a indiqué que cette loi ne pouvait être adoptée
que moyennant la modification des principes constitutionnels. Le juge s’est donc
borné en quelque sorte à indiquer la procédure à suivre… P.94-95.
45. On ne doit pas confondre la décentralisation et la déconcentration : dans un Etat
déconcentré, les normes locales sont prises, par délégation. par des agents
nommés par les autorités centrales. Ces agents font partie que les sujets ne
participent en rien à la création des normes. La déconcentration est donc non une
forme de décentralisation, mais une forme de centralisation… P. 97.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
LA DÉMOCRATIE DANS TOUS SES ÉTATS ; chaire UNESCO d'étude des
fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique conférences /
débats ; sous le haut patronage de la société royale du canada, académie des lettres et
sciences humaines- Montréal, octobre 1999
46. La démocratie comme État de droit est alors une espèce du genre démocratie,
peut être préférable aux autres, mais qui n'est pas toute la démocratie ou encore
un aspect de la démocratie (par exemple la démocratie comme forme d'exercice
ou de gestion du pouvoir, par opposition à la démocratie comme forme de
détention du pouvoir).
47. Comme dans les titres d'ouvrages célèbres "justice as fairness"ou "rational as
reasonable" dans lesquels la justice est définie comme équité et le rationnel
comme raisonnable. La démocratie pourrait donc être définie comme État de
droit.
48. la véritable démocratie, la démocratie comme État de droit, est parfaitement
compatible avec ces institutions et, mieux, qu'elle les implique.
49. Dans une démocratie, le peuple est souverain, parce qu'il n'y a pas de décisions
qu'il ne puisse prendre. L'autonomie est une situation dans laquelle les hommes
ne sont soumis qu'à des normes qu'ils ont eux-mêmes posées ou auxquelles ils
ont consenti, par opposition à l'hétéronomie, système dans lequel ils ne sont
soumis qu'à des normes posées par d'autres et auxquelles ils n'ont pas consenti.
Le principe fondateur de la démocratie est donc non l'égalité, mais la liberté. En
effet, tous peuvent être égaux s'ils sont soumis à un même maître et si celui-ci
les traite également. Dans la démocratie comme autonomie, l'égalité n'est qu'une
modalité de la liberté, parce que tous ont un droit égal d'être soumis à leurs
propres normes.
50. L'expression "'Etat de droit", elle, est plus ambiguë. On peut bien se réclamer de
la philosophie antique et dire que c'est une situation dans laquelle les hommes
sont soumis à des lois seulement et non à d'autres hommes, on ne peut pas éviter
que certaines lois au moins soient faites par des hommes pour d'autres hommes.
Il faut alors distinguer deux situations très différentes. Dans la première, ceux
qui font les lois, les gouvernants, sont eux-mêmes soumis à des lois plus hautes.
L’État est un État de droit parce qu'il est soumis au droit. Dans la seconde
situation, les gouvernants règlent les conduites des sujets par des lois générales
et impersonnelles, de sorte que chacun est soumis non pas à un ordre à lui
adressé, mais seulement à ces lois générales ou à un commandement simplement
déduit d'une loi générale. L'État de droit est alors un État qui agit dans la forme
juridique. Or, dans ces deux acceptions, l'État de droit est difficilement
conciliable avec la démocratie.
51. C'est ce qui ressort à l'évidence de la définition de la démocratie comme un
régime dans lequel le peuple est souverain. Si la souveraineté est une puissance
illimitée, un peuple qui serait soumis à des règles supérieures cesserait d'être
souverain. Cette incompatibilité a été maintes fois soulignée et d'abord par
Rousseau : "Dans tout Etat, il faut une puissance suprême, un souverain qui
puisse tout. Il est de l'essence de la puissance souveraine de ne pouvoir être
limitée ; elle peut tout ou elle n'est rien".
52. A l'idée que la soumission de l'Etat au droit naturel est incompatible avec la
démocratie, on fait généralement une objection: c'est précisément le droit naturel
qui institue le peuple comme souverain, de sorte que ce peuple cesse de l'être dès
lors qu'il ne se prononce pas conformément aux lois. Mais la réfutation est
facile : l'objection repose sur la croyance métaphysique dans l'existence
objective d'un droit naturel - et la charge de la preuve repose sur ceux qui
adhèrent à cette doctrine - mais à supposer qu'on accepte l'idée que le peuple
tirerait du droit naturel une compétence limitée, il n'en résulterait pas que ce
peuple serait soumis à des règles de fond, mais seulement qu'il serait souverain
en vertu de règles procédurales et formelles.
53. La plus sérieuse est évidemment que si le droit, auquel seront soumis les
gouvernants, est un droit positif, il n'est nullement extérieur ou étranger à l'Etat.
L'acte par lequel on l'a posé est un acte de l'Etat lui-même, de sorte que si l'Etat
est soumis à ces règles, il n'est soumis en définitive qu'à sa propre volonté. On
peut certes considérer que la règle est tout-de-même extérieure et antérieure aux
gouvernants actuels et que ce sont ceux-ci qu'il s'agit de limiter. On ne pourra
plus parler d'un Etat limité par le droit, mais tout-au-plus d'un Etat auto-limité.
La justification de cette limitation est d'ailleurs loin d'être claire, car si ces règles,
celles d'une Déclaration des droits de l'homme par exemple, ont été posées par
une volonté humaine, on comprend mal pourquoi, dans une démocratie, la
volonté des hommes d'aujourd'hui devrait être subordonnée à celle des hommes
d'hier.
54. Pour soutenir que le juge constitutionnel n'est pas un co-législateur, on affirme
en effet que, lorsqu'il décide qu'une loi est contraire à la constitution, l'organe de
contrôle ne s'oppose pas réellement au contenu de la loi adoptée par le parlement,
mais se borne à indiquer la procédure à suivre. Selon certains défenseurs du
contrôle de constitutionnalité, une loi contraire à la constitution ne serait pas une
règle qu'il est interdit d'adopter, mais une règle qu'on ne peut pas adopter selon
la procédure législative ordinaire, mais seulement après avoir modifié la
constitution, conformément à la procédure prévue pour la révision
constitutionnelle.
55. Les institutions qui s'inspirent d'une telle conception ne réalisent nullement une
soumission de l’État au droit; elles organisent ou bien un État qui n'est pas limité
ou bien la soumission au sein de l’État des autorités démocratiques à des textes
anciens et surtout à ses interprètes.
56. La liberté politique, qui se confond alors avec la sécurité juridique, est préservée,
quel que soit le contenu des lois.
57. L'exercice du pouvoir par des lois générales et abstraites est pour eux non
seulement un moyen de régler les conduites des sujets et obtenir leur adhésion,
mais c'est aussi un procédé sûr et commode pour contrôler l'administration.
L'une des premières codifications a d'ailleurs été faite par Frédéric II et l'Etat de
droit pouvait être considéré comme réalisé dans l'Allemagne de Bismarck.
58. La hiérarchie des normes peut exister dans d'autres gouvernements.
Montesquieu la concevait dans la monarchie ou dans le gouvernement mixte.
C'est même pour lui la hiérarchie qui permet de distinguer la monarchie du
despotisme, puisqu'elle est définie comme un système dans lequel "un seul
gouverne, mais par des lois fixes et établies ". Au demeurant, si l'État de droit,
c'est la hiérarchie des normes et si, comme le soutient Kelsen, l’État n'est pas
autre chose que le droit lui-même, alors, selon la célèbre formule de l'auteur de
la théorie pure du droit; tout État est un État de droit. Par conséquent, la
démocratie aussi, mais pas seulement la démocratie.
59. La hiérarchie doit même être entendue d'une manière particulièrement stricte : la
loi ne peut laisser à l'autorité exécutive qu'une marge d'appréciation aussi limitée
que possible, de sorte que chaque commandement apparaisse comme une
déduction de la loi.
60. Cependant, l'idée que la démocratie se confondrait avec l'État de droit se heurte
à des objections graves. La première est que, comme on vient de le voir, un
gouvernement non démocratique peut parfaitement être un État de droit. La
seconde est qu'il ne peux exister dans un État moderne une hiérarchie des
normes telle qu'on sera toujours soumis directement ou indirectement à la loi.
61. Il est clair que si l'Etat de droit est un simple rapport dynamique, autrement dit
un rapport de délégation du supérieur à l'autorité subordonnée, il n'existe
évidemment aucune raison de dire qu'en obéissant à cette autorité subordonnée,
j'obéirai encore à la loi.
62. Le rapport statique peut en effet lui-même s'entendre de deux manières. Dans le
premier cas, ce rapport est un strict rapport de conformité : le contenu de la
norme inférieure doit être déduit du contenu plus général de la norme supérieure,
au moyen d'un syllogisme pratique. L'autorité inférieure ne dispose alors que
d'une compétence liée et l'on peut bien dire qu'en lui obéissant, on n'obéit qu'à la
loi. Mais, on sait que ces situations sont extrêmement rares et que la loi doit
nécessairement laisser à l'autorité d'application une marge d'appréciation plus ou
moins grande, mais quasiment jamais nulle. Dans le deuxième cas, il n'y a entre
les normes qu'un simple rapport de compatibilité. La norme supérieure se borne
à tracer un cadre général, par exemple en déterminant des objectifs ou en fixant
des limites, mais laisse à l'autorité inférieure, qui peut être administrative ou
judiciaire, le choix des moyens et le pouvoir de décider librement, dans les
limites prescrites, du contenu de la norme. Selon KELSEN, le contenu de la
norme inférieure n'apparaît pas comme la déduction du contenu de la norme
supérieure et l'on peut seulement dire qu'il peut être subsumé sous ce contenu. .
On comprend dans ces conditions, la conclusion de FORSTHOFF : l'incertitude
du droit frappe l'Etat de droit au coeur.
63. C'est évidemment le cas de celles qui forment la jurisprudence. Si l'on admet,
comme il convient de le faire, que les tribunaux ne peuvent pas appliquer les lois
de façon mécanique, qu'ils doivent toujours choisir un texte de référence et
l'interpréter et qu'ils disposent dans l'exercice de cette fonction d'un large
pouvoir discrétionnaire, on ne peut pas dire qu'en obéissant aux normes posées
par les juges, on obéit indirectement à la loi, sauf à celle qui leur confère le
pouvoir discrétionnaire.
64. A cela s'ajoute le fait que les décisions dont il est question ici ne sont pas
seulement celles qui sont contenues dans le dispositif des jugements. Elles
comprennent aussi - et surtout - les motifs qui en forment le support et qui se
présentent comme des règles générales, valables pour toutes les situations
appartenant à la même catégorie que celle qui a fait l'objet de la sentence. Les
tribunaux produisent donc des règles générales, qui ne sont pas déduites des lois.
Or, à la différence de l'autorité exécutive, les autorités judiciaires ne sont pas
soumises au contrôle du pouvoir législatif démocratique. Sans doute fera-t-on
valoir que si le législateur démocratique désapprouve les règles
jurisprudentielles, il peut toujours les abroger ou les remplacer par des lois.
65. Ainsi, si l'État de droit se présente comme une hiérarchie de normes, le sommet
n'en est pas occupé par des normes voulues par le peuple souverain. Au contraire,
les normes censées émaner des représentants du peuple sont subordonnées à
d'autres. Cet État de droit paraît bien incompatible avec la démocratie.
66. Il y aurait ainsi, selon la terminologie de Bruce ACKERMAN une démocratie
duale. Le peuple s'exprimerait tantôt dans la politique courante par l'élection des
représentants chargés de légiférer, tantôt sous une forme plus haute en imposant
un changement de constitution. La démocratie ordinaire repose sur la fiction que
la majorité parlementaire représente le peuple. En annulant une loi pour
inconstitutionnalité, les tribunaux dissipent cette fiction et imposent la volonté
réelle du peuple, telle qu'elle figure dans la constitution. Si le peuple réel est en
désaccord avec l'interprétation donnée par les tribunaux, il modifie la
constitution, soit par la voie de la révision, soit par d'autres moyens, comme il l'a
fait pendant la période du New Deal.
67. le concept classique de démocratie correspond à un système dans lequel le
peuple est souverain, le concept nouveau signifie, lui, un système dans lequel le
peuple souverain n'exerce sa puissance que dans des moments particuliers et non
pas dans la production des règles ordinaires ou bien un système dans lequel le
peuple n'a été souverain qu'au moment de l'adoption de la constitution originaire
ou de la ratification des traités européens.
68. On peut considérer que la démocratie représentative classique se présente
comme un principe d'imputation. Toutes les décisions peuvent en effet être
imputées directement ou indirectement à la volonté du peuple souverain.
69. même que les droits de l’homme ont été énoncés, positivés, par les constitutions
nationales, mais sont cependant traitées comme des droits naturels, de même on
interprète les traités et non comme l'expression de la volonté des négociateurs,
mais par référence à des valeurs objectives, c'est-à-dire comme des principes
immanents à la nature des choses, donc à celle des marchés, des principes dont
le contenu serait connaissable grâce à la théorie de la justice ou à l'analyse
économique.
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------LA THÉORIE DU DROIT, LE DROIT, L’ÉTAT ; M. TROPER,
Léviathan, PUF, Novembre 2001, ISBN 213 050988 6
70. À vrai dire, elle l’a fait de manière le plus souvent négative, pour s’efforcer de
dissoudre les problèmes et de montrer que l’Etat, la souveraineté ou les droits
subjectifs ne sont pas des réalités, mais seulement des concepts dépourvus de
référence – Kelsen les qualifie d’auxiliaires – et dont la science du droit pourrait
parfaitement se passer. Dès lors, les théories qui les emploient n’auraient qu’une
fonction idéologique… P. VII Introduction.
71. Le contenu des thèses effectivement adoptées et employées par les juristes
praticiens, mais ceux qui produisent directement des normes, les constituants, les
législateurs, les juges, doit-il être traité par la théorie générale du droit non
comme un ensemble de propositions vraies ou fausses, mais exclusivement
comme objet de l’analyse. La théorie des sources ou la théorie de l’interprétation
adoptées par ces juristes ne nous informe ni sur les sources, ni sur la nature de
l’interprétation, mais seulement sur des opinions, qui ne sont nullement
indifférentes, car elles contribuent à déterminer les décisions, donc le contenu du
droit. Lorsqu’elle émane de ces acteurs, l’affirmation que la coutume est une
source du droit, que la constitution a une valeur nécessairement supérieure à
celle des lois ordinaires, qu’un texte a un sens véritable et que ce sens est le sens
littéral ou que la souveraineté est indivisible ne sont pas des propositions vraies
ou fausses. Elles constituent le fondement ou la justification de vastes systèmes
de décisions… P. X Introduction.
72. Si l’État a le monopole de la contrainte et si le monopole signifie la possibilité
de définir la contrainte légitime, il ne peut exister aucune légitimité externe à
l’État… P. 255.
73. Ceci n’est cependant possible que si les lois ne sont pas elles-mêmes
l’expression de la volonté des gouvernants, autrement dit si les lois qu’ils font
sont subordonnées à d’autres lois et si celles-ci sont fixes. Il n’y a évidemment
pas de soumission possible de l’État au droit, si c’est l’État qui fait le droit ; il
faut donc ou bien que l’Etat soit soumis à un droit extérieur et qui lui préexiste
ou bien que l’on envisage la soumission au droit non de l’État, pris globalement,
mais celle des autorités qui le composent. Ces deux solutions correspondent
grosso modo à deux variantes de cette première conception de l’État de droit :
une variante jus naturaliste, selon laquelle l’État est soumis à un droit voulu par
Dieu ou dérivé de la nature même de l’homme ou des choses; une variante
positiviste, selon laquelle il n’y a pas de droit extérieur et supérieur à l’État, de
sorte que ce n’est donc pas l’État lui-même mais seulement ses organes qui sont
soumis au droit… 272.
74. Dans tous les cas, même dans sa version minimale, l’État de droit est présenté
comme désirable, c’est parce qu’il est considéré comme une garantie de la
liberté et de la démocratie, c’est-à-dire comme un moyen ou un instrument…
P. 276.
75. Le contrôle de constitutionnalité peut bien garantir la liberté mais pas la liberté
politique que visait la doctrine de l’État de droit, car il ne peut garantir qu’en
obéissant à un ordre quelconque le citoyen n’obéit qu’à la loi. N ne peut donc
être considéré comme un élément de l’État de droit, mais comme un moyen
séparé d’assurer le respect des libertés et des droits fondamentaux… P. 281282.
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